- Bande d'incapables!! Ce n'est pas comme ça que vous deviendrez de grands combattants! Mettez-y du coeur putain!!
- Mais Cahira, il est cinq heures du matin...
- Pas de gros mot!
- Je m'en contre fiche de l'heure! Allez, bande de fainéants!
- Hé, Cahira, va baiser, ça va te rendre moins aigrie!
- Vos gueules et courrez! J'en ai marre de vous, je ne suis pas là parce que je vous aime bien, loin de là!
- Cours avec nous, clocharde!
- C'est qui que t'appelles une clocharde, sale merde??
Prise de fausse colère, je me mis à courir derrière mon élève, qui s'enfuit en criant à l'aide. Les autres élèves se mirent à rire, et intérieurement, je me retenais de faire de même. Je courais vite, bien plus vite que mon élève.
- Fais gaffe, elle te rattrape! cria une élève en riant.
Je me laissai moi aussi aller à cet amusement, un rire sortit de ma gorge, ma poitrine gonflait d'euphorie, je les détestais, mes élèves, mais qu'est-ce que je les adorais. Je me rapprochais d'Elias, qui manquait de souffle à force de courir et de rire. Une fois assez proche, je lui sautai dessus, le rire battant au rythme de mon cœur. Je le plaquai au sol sous les rires et applaudissements des autres élèves. Il se débattit sous mon corps, la gaieté aux lèvres, la joie au cœur, le sable se levant, se soulevant sous notre bataille effrénée. En ce matin de printemps, la joie résonnait, le bonheur rayonnait, les soucis oubliés, la tristesse délaissée, le temps d'un instant, qui aurait dû se figer, pétrifiant ces aiguilles, qui sans lasse, ne cessaient de tourner. Ce tic-tac infernal, froid, glacé, avait gelé mon cœur, mon souffle chaud, formant un nuage dans cette étendue glacée qu'était ma vie. Je riais. Un sourire habitait mon visage, de la sueur coulait sur mon front, j'aimais cette sensation, j'aimais cette joie, cette bonne humeur, mais le soir dans l'obscurité, jamais mon cœur ne battait aussi vite. Jamais mon âme n'était joie, elle était glacée, brûlée, scarifiée. On dit que les yeux sont les miroirs de l'âme. Les miens sont morts. Mais dans cet instant, si fugace, tellement court et pourtant si bon, ils vivaient. Ils vivaient et je me sentais vivante. Dans le gris de la solitude, jamais ces sentiments ne me portaient compagnie. Ces visages, rayonnants, éclairés par le soleil brûlant, scintillaient de sueur.
- Aller Elias!! cria Foral.
Elias était coincé sous moi et se débattait. Mais c'était vain, il le savait, je le savais, ils le savaient tous. Il avait perdu, comme toutes les dernières fois. Je me levai, ricanant.
- La prochaine fois! me promit Elias en souriant.
Je lui saisis la main qu'il me tendait, l'adrénaline courant librement dans mes veines, cette sensation euphorique ne s'effaçait pas, mais je sais qu'elle me quittera bien assez tôt.
- T'en es incapable, minus. Je suis imbattable et tu le sais!
Il rit de bon cœur alors que je me tournai vers les autres.
- Bon, c'est pas tout ça, mais vous avez un entraînement à poursuivre! Donc, ramassez vos petits culs du sable et faites moi vos tours! Ensuite, choisissez un partenaire et on commence avec le combat rapproché sans armes!
Je les regardai se lever en grognant, l'euphorie était retombée, seul le souvenir de ce moment pouvait battre les aiguilles inarrêtables, inébranlables, sans pitié qui faisaient tourner et avancer le temps, qui n'est que sans pitié, surtout envers des êtres comme moi, ébranlés par le temps, par ce tic-tac infini, qui ne fait que briser des âmes. Le bruit familier de la course sur le sable de l'arène commença à résonner dans le silence matinal. Une petite brise fraîche venait ébouriffer mes plumes. Si je ne portais pas de pull, j'aurais eu froid en ce matin de printemps. Mes élèves avaient rangé leurs ailes pour courir, course qui s'effectuait sous mes yeux attentifs. Elle dura une bonne heure, chacun courant à leur rythme. Ma seule condition est de ne jamais s'arrêter, ce qu'ils respectaient à chaque fois et qui avait le don de me rendre fière, même si je ne l'avouerais jamais à mes élèves. Tous les dix tours, ils buvaient, sans toutefois s'arrêter une seule fois. Après cette heure de course, ils purent prendre trente minutes de pause en gardant leur muscles actifs en s'étirant et enchaînant de petits exercices musculaires. Après cette pause, ils commencèrent les combats à mains nues, avec un mélange de plusieurs arts martiaux, utilisés comme bon leur semblaient. J'observais et analysais minutieusement chacuns de leurs gestes, les corrigeant si besoin. Ils s'amélioraient un peu plus chaque jour, étant plus précis, plus forts, se rapprochant de plus en plus du niveau à atteindre pour prétendre au rôle de combattant de l'Armée à part entière. Un peu plus tard, la classe des plus jeunes pris en charge par Floralie s'était posée dans les gradins, attendant un moment calme pour pouvoir fouler le sol sablonneux de l'arène. Leur arrivée ne voulait dire qu'une chose, dont mes élèves avaient conscience. Ils arrêtèrent de se battre, se précipitant vers le mur qui soutenait les gradins. Sur ce mur étaient posées des armes, mais pas n'importe quelles armes. Ces armes n'étaient qu'autre que des objets de tous les jours. Les enfants descendirent dans l'arène avec Floralie. Mes élèves prirent le premier objet qui leur passait sous la main, se battant parfois pour obtenir l'arme convoitée. Les plus jeunes s'étaient mis à courir, et lorsqu'ils auront fini, ma classe sera terminée. Mon amie me fit un signe de la main, depuis le sable, avec un petit sourire, gestes que je lui rendis depuis les gradins.
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Nous nous dirigeâmes vers le réfectoire de l'école de combat pour aller manger le petit déjeuner. C'était notre petit rituel, après le cours, on allait se servir généreusement dans le réfectoire qui offrait de la bouffe de qualité gratuite. Ma classe s'assit à notre table habituelle pour discuter quelques minutes avant d'aller se servir. Je pris mon habituel, un croissant et des céréales avec du lait, accompagnés de jus d'orange sur le côté. Le petit déjeuner se passa dans la bonne humeur, avec des rires, des moqueries et des anecdotes racontées. Ce moment léger fut malheureusement de courte durée, coupé court par l'arrivée de Nawim. Tous se turent d'un coup.
- Cahira?
Je me tournai vers lui. Il avait un air sérieux sur le visage, quelque chose se passait. Je soupirai et me levai.
- Nawim. J'arrive dans deux minutes.
Il hocha la tête.
- Je t'attends dehors.
Je me levai avec mon plateau en souriant à ma classe.
- Continuez sans moi, je compte sur vous pour ne pas faire de dégâts, sinon je ne serai pas contente! Rendez-vous demain matin à la même heure.
- À demain, Cahira!
Je rangeai mon plateau et leur fis signe de la main en souriant.
- À demain, bande de nuls!
Ils rirent de bon cœur tandis que je sortais du réfectoire pour rejoindre Nawim.
- La situation s'est empirée? demandai-je.
- Oui, ils avancent plus vite que prévu et font plus de dégâts.
- Merde. J'imagine qu'on va chez la Chef?
- Oui, mais on doit passer chercher Floralie avant.
Nous nous envolâmes en direction de l'arène que je venais de quitter avec ma classe. À côté de moi, Nawim porta sa main à sa radio en prononçant un nom que je n'aimais pas particulièrement.
- Aramis. appela mon ami dans l'appareil fixé sur son oreille. Peux-tu venir remplacer Floralie, s'il te plait? Il y a urgence. Oui, merci. À tout de suite.
Il raccrocha avant de se tourner vers moi. Nous étions arrivés au-dessus de l'arène de sable clair. Ses yeux trahissaient sa nervosité, ils ne cessaient de bouger.
- Cahira, je vais vous attendre un peu plus loin, je dois joindre la Chef.
J'hochai la tête et descendis vers mon amie, appelant son nom. Elle se tourna vers moi, souriant. Elle agita le bras vers moi, son visage s'illuminait, mon visage grave l'éteignait. Je me posai à côté d'elle, sans jamais couper le contact visuel. Elle comprit bien vite que quelque chose se tramait.
- La Chef nous a convoqués. Aramis va venir te remplacer pour ton cours d'aujourd'hui.
Elle acquiesça et se leva en voyant cette dernière arriver vers nous. L'Ange qui venait de se poser me jeta un regard assassin, avec un faux sourire en s'inclinant devant nous, ses supérieures, comme le doit la règle du respect. Quelle peste. Elle détestait les Démons, les femelles le plus, et les lesbiennes. J'étais une Démone et lesbienne. Tout ce qu'elle détesait. Pourtant je ne lui avais rien fait. Ma seule faute était d'exister. Je ne lui prêtais même plus attention, dans d'autres circonstances, peut-être aurions-nous pu être amies. Son dégoût pour moi ne faisait que me noyer, lorsque j'y pensais. Je ne comprenais pas. Alors j'ignorais. Que pouvais-je faire d'autre? Jamais elle ne me prendrait au sérieux. C'était peine perdue et je le savais depuis que j'étais arrivée ici. Floralie leva les yeux au ciel, exacerbée par son comportement. Je l a pris par le poignet en m'éloignant, tandis qu'Aramis allait dans le sens opposé.
- Ne fais pas attention à elle, elle n'en vaut pas la peine. dis-je en soupirant avant de m'envoler vers Nawim, Floralie me suivant de près.
- Allons-y. prononça le grand mâle.
Ce dernier battit des ailes en direction de la salle de réunion. La Chef nous attendait juste devant, un air grave affiché sur son visage.
- Bienvenue. Entrons sans perdre de temps, prenez place où vous le voulez. dit-elle en s'asseyant sur sa chaise en bout de table.
Nous prîmes place autour de la table en attendant que la Chef prenne la parole. Cette dernière prit une profonde inspiration en fermant les yeux avant de soupirer et de rouvrir les yeux en se pinçant l'arrête du nez. Sa jambe tressautait et on pouvait sentir la tension qui planait dans la grande salle presque entièrement vide. L'énorme table à laquelle nous étions assis prenait la majorité de la salle, mais nous n'étions que quatre à l'occuper en ce moment.
- Deux mauvaises nouvelles et une bonne. Les mauvaises sont que les Humains ont avancé plus que prévu et on a découvert l'identité de leur Chef, ou tout du moins, on sait qu'il n'est pas Humain. Ce qui est une bonne nouvelle et une mauvaise nouvelle en même temps. Il porte un masque en tout temps, personne ne semble avoir vu son visage, il couvre également une grande partie de sa peau. Les morceaux qu'il montre sont un peu plus foncés que la peau de Cahira. Donc, c'est un ailé, on pense plus partir sur un Ange, puisque les Démons sont déjà sous le joug des Humains. Cet Ange s'avère puissant et très influent, il sait diriger ses troupes presque parfaitement, d'une main de fer. Je ne sais pas pourquoi il a décidé de se montrer maintenant, mais leur nouveau but est devenu public. Nawim, ils te cherchent, ta tête vaut une belle somme en or. Ils veulent te tuer, et te considèrent comme une des plus grandes menaces du siècle, ce qui n'est pas rien. Ils font tout pour te trouver, d'où leur avancée soudaine. Ils tuent et déciment des villes et villages rien que pour te mettre le grappin dessus. Notre priorité, puisqu'il est important de te garder vivant, est de débusquer cet Ange et de l'exterminer au plus vite. Mais comme je vous l'ai précisé... Il est extrêmement fort. Si on doit le battre, on aura besoin d'un pouvoir équivalent. Nawim, il nous faut Mira et Zogan au plus vite. Tu pars au plus vite pour les capturer, Cahira tu iras avec lui. Vous avez carte blanche, faites ce que vous voulez pour récupérer les héritiers, mais n'en abusez pas non plus, vous connaissez les limites de la bienséance que je vous ai inculquées pendant toutes ces années. Floralie, tu vas m'aider à établir un plan pour dégager cet Ange de mes deux. Bien sûr, il faudra entraîner les deux gosses, Zogan a douze ans et Mira vient seulement d'avoir dix-huit ans. De plus, elle n'a jamais été entraînée au combat.
Une vague d'anxiété monta dans mon ventre, soulevant mes entrailles, qui formèrent une boule dans ma gorge. J'allais repartir en mission, après si longtemps.
- Ah oui, précision. Si la mission commence ne serait-ce qu'un peu à foirer avant d'avoir les deux entre les mains, vous rentrez immédiatement. Je ne veux qu'aucun de vous ne se mette en danger inutilement. Si vous croisez des Humains, cachez-vous, ne vous faites pas voir. Ne vous posez pas dans une ville, prenez ce dont vous avez besoin avant de partir, vêtements, eau, bouffe si nécessaire. Je me répète, ne vous arrêtez surtout pas.
J'hochai la tête en même temps que Nawim, la Chef avait raison, ce n'était plus prudent pour mon ami de se montrer, et face à des Humains, je suis inutile.
- Parfait. Vous pouvez partir de suite si vous pouvez, mais organisez-vous bien.
- Oui Chef. répondis-je en me levant. Nawim, ne tardons pas trop question d'arriver ce soir au plus tard.
Ce dernier se leva et nous sortîmes de la grande salle en saluant les deux autres.
- Bien, de quoi avons-nous besoin?
- De pas grand chose, bestiole, hydrate toi bien avant de partir et ça devrait aller. Ton aile s'est bien remise et tu n'as plus de difficultés à voler.
- N'oublie pas de manger, ce sait que parfois tu loupes le petit déj, mais là il va falloir manger, mon coco.
Il lâcha un rire nerveux en passant une main dans ses longs cheveux bouclés.
- Oui chef.
Je ris doucement.
- Aller, desserre ton cul, ça va bien se passer.
Je pris mon envol en même temps que lui, direction chez moi.
- Je suis recherché, putain, recherché.
- Hé, ça va aller... Tu es le meilleur combattant de tous les temps, tu vas t'en sortir facilement!
- Tu te rends pas compte! Ma famille était très influente, lorsque mes parents ont disparu! Absolument tout le monde sait qui je suis, et certains anciens amis savent que je suis quelque part dans les montagnes du Sud-Est! Je risque de cramer notre couverture!
- Doucement, tout va bien. Si ces amis sont vraiment des amis, ils ne diront rien. En plus, qui veut s'attirer les foudres du Général Nawim Thra? Ton nom seul en fait trembler certains!
- C'est vrai, tu as raison... soupira-t-il. Bon, rejoins-moi d'ici une heure à l'entrée, le temps de dire au revoir à Astrid.
- Ça marche. À toute à l'heure.
- Yep, à toute, bestiole. dit-il en s'éloignant.
- Et arrête de m'appeler bestiole, sale truffe! m'insurgeai-je.
Il rit avant de disparaître au coin d'un bâtiment. Je râlai pour moi-même pendant quelques secondes, faisant une pauvre imitation de mon ami avant de rentrer chez moi pour me préparer au voyage. J'emballai vite fait un sac avec des vêtements prestigieux, on allait quand même rencontrer la famille royale Angélique, ce qui n'est pas peu. Je bus beaucoup d'eau pour bien m'hydrater, juste au cas où. Les ailés ont la capacité d'être plus coriaces que les Humains, on n'avait pas besoin de manger tous les jours pour rester en vie.