Quand le Général sortit enfin de la chambre, je me détachai du mur contre lequel j'étais appuyée. Je lui avais dit que j'étais prête à tenter de trouver mon pouvoir et commencer à m'entraîner, ce qui l'avait fait -enfin- sortir de son lit. Il avait attaché ses cheveux noirs de jais, en haut chignon, comme à son habitude. Mais ses traits étaient lourds, et il était un peu voûté, comme si ses épaules supportaient le poids du monde. Je fronçai imperceptiblement les sourcils mais n'émis aucun commentaire. Nous nous dirigeâmes vers la grande salle de sport de Nawim en silence. Une fois arrivés, le guerrier alluma les lampes. Il prit deux chaises, qu'il positionna l'une en face de l'autre. Je restai à l'entrée, jusqu'à ce que Nawim me fit signe de le rejoindre. Ce dernier s'installa sur une des deux chaises et m'invita à faire de même.
- L'exercice est simple. Pour une première, tu vas juste essayer de ressentir ton pouvoir, quel qu'il soit. Puisque tu ne sais pas le contrôler, on part de l a base des bases.
Je déglutis. Merde. Je ne voulais pas tout lui révéler. Je ne pouvais pas tout lui révéler. Je fixai le grand mâle aux yeux bleus devant moi. Je ne lui faisais pas confiance, ce qui était normal, puisque j'avais comme mission de le tuer. J'inspirai un grand coup, bridant mon pouvoir du mieux que je pouvais. Badou, faites que ça marche... Je fermai les yeux et me concentrai, ne puisant aucune énergie dans mon pouvoir. Rien ne se passa. Forcément. Et puis... Quelque chose bougea en moi. Paniquant, je réprimai de force ce mouvement, l'enfonçant encore plus profondément en moi.
- Nawim? dis-je, hésitante.
- Ouais?
- Je... Je n'y arriverai pas. Je ne sens rien de spécial.
- Dis plutôt que tu n'as pas envie de le faire et on passe à autre chose. dit-il sèchement.
Je baissai les yeux. Je ne voulais pas que ma proie connaisse mon plus grand secret. Je n'avais pas de pouvoir. Ou tout du moins, c'est ce qu'il devait croire, il devait y croire, sinon j'aurai des problèmes bien plus importants que de ramener sa tête à mon Boss. Finalement, après quelques longues secondes de silence, yeux dans les yeux, je me levai et sortis de la salle, fermant l'énorme porte derrière moi. Une fois hors de vue, je saisis ma radio, je devais contacter mon Boss. Qui se mit à vibrer furieusement. Je fronçai les sourcils et filai m'enfermer dans ma chambre. Heureusement que personne n'y était, je ne pouvais laisser personne me surprendre à parler avec mon Boss.
- Oui?
- Malika, Princesse, vous devez tuer Nawim. Maintenant.
- Tout de suite?
- Oui! Je suis à deux doigts d'avoir le pouvoir!
- Non! Chef, j'ai encore besoin de lui! Pourquoi je dois le tuer?
- ... C'est confidentiel. Ah, attendez deux secondes... Oui. D'accord. Parfait, merci! Princesse, faites comme vous voulez, du moment que vous me donnez sa tête bientôt. D'ici quelques mois, je la veux sur ma table. Il ne me servira pas avant quelques temps, au final...
Il raccrocha. Je mis ma tête dans ses mains, j'étais effondrée. Au final, j'avais tendu des pièges, mais je m'y étais jetée la tête la première... Je ne suis qu'une piètre princesse, mais surtout, la pire des assassins que cette planète n'avait jamais connu. Au final, j'étais la victime de tout le monde. Mon soi-disant père, Nawim, et surtout, moi-même... Quelle incapable... Quelle imbécile... Bordel j'en avais marre. Je jetai violemment la radio à travers la pièce, retenant mes larmes.
- Mira?
- Nawim.
Je me tournai vers lui, tête haute, comme pour le défier, malgré les larmes qui menaçaient de couler.
- C'est l'heure de manger.
- Et toi? Tu ne vas pas manger bien sûr. dis-je d'un ton amer.
- Pas faim. répondit-il en haussant les épaules.
- Tu te laisses dépérir, Nawim, va falloir me dire ce qu'il se passe, au bout d'un moment! criai-je soudain en le poussant pour qu'il parte.
Je n'avais qu'une hâte. Qu'il arrête de faire le gamin et qu'il me prenne un peu plus en considération. Même s'il s'en foutait de moi, même si j'aimais les femelles, je devais absolument le tuer. Mais avant ça, je devais aussi le marier... J'aurais tellement voulu avoir plus de temps. Je me rendis seule à la cantine, où mon petit frère, Astrid et Eden se trouvaient déjà avec leurs mentors. Je jetai un regard discret à la femelle brune aux doux yeux verts qui riait doucement avec Astrid. Elle ne m'accorda même pas un regard. Je me sentis déçue, mais je m'y attendais, après tout à l'heure, je n'aurais pas eu envie de me parler non plus. Alors pourquoi cette déception? Je soupira lorsqu'Astrid se tourna vers moi en m'offrant un grand sourire.
- Hé Mira! Il est où mon grand frère?
- Il n'a pas faim, il viendra plus tard. répondis-je en ébouriffant les cheveux de la petite femelle, croisant deux prunelles vertes le temps d'une seconde.
- Bonjour Mira. dit une voix grave, féminine, qui me fit frissonner, malgré le fait que je ne l'entendais pas souvent.
- Bonjour Cahira. lui souriai-je. Bonjour Aramis. Bonjour Floralie.
- Bonjour Mira. dirent les deux dernières en même temps, me souriant légèrement.
Je m'assis entre Astrid et mon frère, que je saluai du regard. Je m'étais éloignée un peu de lui, mais ma mission passait avant tout. Je devais tuer Nawim pour vivre heureuse. Mais je devais aussi marier Nawim pour vivre heureuse. Zogan me sourit discrètement.
- Dis Cahira? dis-je en évitant son regard, que je sentis se poser sur moi, le temps d'une petite seconde.
- Mmh?
- Tu penses que tu pourrais m'entraîner un peu?
- Pourquoi faire? Nawim est là pour toi.
- Justement, je t'ai dis qu'il n'était pas trop dans son assiette ces derniers temps. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu'il faut le laisser respirer un peu.
Cahira haussa les épaules, sans même me jeter un regard.
- Comme tu veux. On a rendez-vous dans l'arène dans une heure. Si tu es en retard, tu ne feras que regarder depuis les gradins.
- Merci...
Je souris, en partie soulagée, mais aussi blessée par le ton froid qu'elle avait employé. Elle qui avait été si chaleureuse, ce matin... Elle ne m'avait même pas regardé. Je me levai de table et pris un saucisson, que j'emportai avec moi en sortant de la pièce. Je me dirigeai vers l'arène, sortant de la cantine, m'envolant rapidement. Arrivée après une petite minute de vol, je m'assis dans les gradins, observant les petits groupes de combattants en mouvement. J'observai chaque petit détail et les analysai, essayant de trouver la meilleure façon de les répéter, et surtout, de les améliorer. Je passai l'entièreté de mon heure de libre à ça, mâchant lentement mon saucisson. Je connaissais déjà tous les mouvements que les élèves effectuaient, mais un rappel ne faisait jamais de mal.
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Une fois l'heure finie, Je vis les soldats partir lorsqu'une voix ferme leur ordonna de dégager. Une seconde plus tard, deux têtes apparurent. Une grande blonde et une plus petite brune. Eden et Cahira venaient d'entrer sur le sable de l'arène, Cahira pressant les soldats de se barrer. Le Soleil tapait fort à cet endroit, mais je n'en avait cure. Je m'en nourrissais. Ma peau était entourée d'une douce chaleur, qui me faisait du bien. J'étais de bonne humeur, et j'avais presque oublié l'appel de mon Boss cet après midi. Je leur souris lorsqu'Eden me fit un grand signe de la main et je descendis des gradins, pressée de commencer. Cahira leva brièvement la main pour me saluer, et Eden tenta de porter un coup à la guerrière, qui l'esquiva facilement avec un petit sourire. Mais lorsque son regard se reporta sur moi, elle me dévisagea d'un air neutre.
- T'es prête?
J'hochai la tête. Mes bras couverts de chair de poule au contact de l'ombre de l'arène. J'avais mes yeux noir dans ses yeux verts. Elle portait une jolie armure de cuir, sous laquelle se trouvait un habit noir, serrant, épais de quelques milimètres, qui épousait un peu trop bien ses courbes à mon goût. Je me rendis soudain compte que je la fixais depuis un peu trop longtemps et secouai la tête discrètement pour remettre ses idées en place, et arrêter de la mater. Cahira sourit et envoya Eden valser sur le sable chaud lorsqu'il tenta de sauter sur le dos de la femelle. Je les rejoignis bien vite, un grand sourire aux lèvres malgré le fait que Cahira ne me calculait plus du tout.
- Allez, faites moi cinq tours de terrain. Ensuite, étirements et on commence.
Je me mis à côté du grand mâle blond, tandis que Cahira se mit à côté de moi. Elle tapa des mains et nous démarrâmes au petit trot. L'Ophis prenait de l'avance sur moi, alors que je prenais de l'avance sur le Corbel. Étant derrière Cahira, Je me mis à l'observer. Je ne savais plus quoi penser, mes yeux étaient sur son cul. Je devais tuer l'ami de cette femelle, qui était aussi mon amie... Du moins c'est ce que je pensais depuis ce matin jusqu'à maintenant. J'étais complètement perdue.
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Je récupérais mes affaires pour partir de l'arène, pleine de sueur, lorsqu'une main ferme se posa sur mon épaule, me retenant. Je frémis légèrement et tournai la tête.
- Oui? Je peux faire quelque chose pour toi, Cahira?
- On peut parler deux minutes?
J'hochai la tête, curieuse et me retournai complètement vers elle. Cahira lâcha mon poignet et planta ses yeux verts dans les miens, aussi noirs qu'un puit sans fond.
- Mira... Sache que le diable est réel. Ce n'est pas un mâle à la peau rouge, la tête ornée de cornes et à la queue au cul, comme le raconte Badou, au contraire. Il peut être partout, il peut être n'importe qui. Fais attention à Nawim, Mira, il est aussi dangereux que beau. Si malheur était qu'il devait tomber pour toi, tu devrais tout faire pour dévier son attention de toi. Il est dangereux, et ce serait une mauvaise idée de le laisser te faire du mal. Parce qu'il va te blesser, et pas qu'un peu.
Je souris légèrement, face à l'ironie de ses propos. Si elle savait que j'étais là seulement pour tuer Nawim, c'est en moi qu'elle verrait le diable. Et peut-être qu'elle devrait, au final, peut-être que c'est une bonne idée, qu'elle s'éloigne de moi. Je ne ferai que la blesser, je suis bien moins inoffensive qu'elle ne le pense.
- Cahira... Merci, déjà. Et ensuite... J'aime les femelles. Cette union sera purement et simplement arrangée, si je ne trouve personne de mieux que lui.
- Et il aime les mâles. Non, pardon. Il aime un mâle.
Tandis que la guerrière me tournait le dos, me laissant seule dans l'arène au sable chaud, j'étais perdue au milieu d'un dilemme. Je l'aimais. Je devais l'aimer. Pour ma mère. Mais je devais le tuer. Pour mon Boss. Pour qu'il me voie enfin. Pour qu'il me reconnaisse digne d'être à ses côtés.