Il y a six ans. Six ans que j'avais été sauvée par la vie. Aujourd'hui, je fêtais le sixième anniversaire de mon arrivée. J'étais prête, je me coupais les cheveux très court pour me décolorer le dessous. Mes habits de combats enfilés, j'avais l'air de celle dont j'avais toujours rêvé d'être. Elles, personne ne rêvait d'avoir une femelle comme moi, je ne plaisais pas, avec mes cicatrices. Mais moi, j'en rêvais depuis toujours. Je n'étais pas celle que les gens attendaient, j'étais juste la lesbienne ratée que personne n'appréciait. Et qui s'appréciait encore moins. Quelqu'un toqua soudain à la porte.
- Cahira! Bouge ton cul, on part bientôt!
- J'arrive! répondis-je à Nawim.
Je sortis de la cuisine et me dirigeai vers la porte d'entrée. Je sortis de chez moi, mes deux amis m'accueillant avec un sourire. C'était le soir, et mes deux amis, Nawim et Floralie, avaient organisé, comme chaque année, une sortie en ville pour se dégourdir les ailes. Nos ailes s'ouvrirent en grand. Je me laissai porter par les doux courants d'air, embrassant leur délicatesse.
- Joyeux anniversaire, salope! rit Floralie.
- Tes nouveaux cheveux te vont bien! ricana Nawim.
Je levai les yeux au ciel en rigolant. Qu'ils étaient cons.
- Voici Hérula! dit Floralie en pointant une taverne du doigt.
- Bonjour! dis-je en entrant.
Si seulement ils savaient que les mâles me dégoûtaient... Ces derniers ne me boufferaient des yeux, comme si je n'étais bonne qu'à être sautée et utilisée pour me jeter ensuite.
- Hé, je suis lesbienne, connnard!
- Moi pas! s'écria Floralie en souriant.
Nawim leva les yeux au ciel, nous prit par le bras et nous tira vers le bar.
- Pas de folie ce soir, on est là pour fêter l'arrivée de Cahira parmis nous, pas votre perte de virginité.
- Rabas-joie. maugréa Floralie en le suivant.
Floralie engagea une embrasse, je lui rendis son étreinte, contente.
- Joyeux jour d'arrivée, poulette!
- Merci connasse.
Je pris mon verre d'alcool et avalai une grosse gorgée, qui me brûla la gorge.
- Joyeux jour d'arrivée. dit Nawim avec un petit sourire affectueux.
Il était très occupé, toujours, mais il avait réussi à trouver un peu de temps pour venir ici.
- Déjà six ans, Cahira, t'imagine?
Je ris doucement.
- C'est grâce à vous. Enfin, surtout grâce à Nawim.
- Me dis pas merci, ça risque de te tuer.
- Oh va te faire enculer!
- Qu'est-ce que je disais?
- Ta gueule, petite peste. ricanai-je. Ah d'ailleurs, j'ai pris une décision!
- Oh non...
- Laisse la parler, Nawim!
- Plus jamais j'approche une femelle de ma vie. C'est trop de problèmes, les femelles! Elles savent pas ce qu'elles veulent, putain!
- C'est pour ça que je suis gay. rit Nawim.
- Dur dur d'être lesbienne. dit Floralie d'un ton amusé. Au moins ça sera plus calme, la nuit...
- T'as cas déménager, salope!
- Ah bah j'y pensais, justement!
- Parfait, dégage ton cul de mon voisinage!
- Tu l'auras voulu!
- Super!
- Parfait!
- Va te faire enculer!!
- Eh, vocabulaire, Cahira.
- OH TOI TU LA FERME! criai-je sur Nawim en harmonie avec Floralie.
- Mes dieux... Qu'elles sont insupportables celles-là...
Mon regard se perdit dans la foule dansante, et le temps d'une seconde, mes yeux croisèrent ceux d'un mâle. Un mâle Humain. Une seconde qui me fit frissonner, glaçant mon sang dans mes veines. Aujourd'hui, c'était samedi. Et aujourd'hui il y a six ans, j'avais échappé de peu à leurs présences. Même si au fond, ils allaient toujours être présents. Je me détournai, le cœur tambourinant dans ma poitrine.
- Cahira, ça va?
- Humains. dis-je d'une voix tremblante.
- Fais la sortir. ordonna Nawim. Je vais payer.
Floralie hocha la tête et me prit par la main, m'éloignant du bruit et des Humains. Elle nous fit sortir de l'établissement en vitesse.
- Cahira, Cahira. Respire.
Je plaquai mes mains sur mes oreilles, fermant les yeux très fort. Je me laissai glisser contre un mur, jusqu'à ce que mes fesses rencontrent le sol pavé. Sa froideur me fit du bien, mais ne calma guère mes tremblements. Je sentis Floralie s'asseoir à côté de moi, ses bras s'enrouler autour de moi, appliquant de la pression sur ma poitrine. Mon souffle était court, mon cœur battait la chamade, mon corps tremblait comme une feuille. Une de ses mains prit ma main gauche, la forçant à se décoller de mon oreille pointue.
- Eh, doucement, ma belle... Respire... Calle ta respiration sur la mienne, prends ton temps.
Je tentai de contrôler ma respiration, mais mes tremblements m'en empêchaient. J'entendis les pas précipités de Nawim arriver vers nous. Il s'assit de l'autre côté et à deux, ils m'aidèrent à reprendre mon souffle, calmant ainsi mon cœur et mes tremblements. Ma respiration se fit plus lente, et le rush d'adrénaline descendit en pic d'un coup. Je laissai ma tête tomber sur l'épaule de Nawim, fermant les yeux. Floralie me prit les mains, les caressant doucement.
- Tu veux rentrer? me demanda doucement Nawim.
Je secouai légèrement la tête.
- J'aimerais aller au lac.
- Allons-y, alors. dit Floralie en lâchant mes mains.
- Je te porte?
J'hochai la tête. Nawim se décolla de moi, s'accroupissant juste à côté. Il passa un bras sous mes genoux et l'autre autour de mes épaules, avant de me soulever comme si je ne pesais pas septante kilos. Ses ailes s'ouvrirent dans un bruit caractéristique et s'envola, suivi de Floralie.
- Attendez! Je vais chercher de quoi manger! Vous voulez quoi?
- Des saucisses, s'il te plaît.
- Les bleues?
- Quelles autres? sourit Nawim.
Floralie sourit, amusée.
- C'est vrai, quelles autres?
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Nous étions assis sur l'herbe bleue, riant des anecdotes de Nawim sur la Chef. Le ciel était étoilé, sans nuages. Un feu dansait doucement, grillant nos saucisses. L'incident d'aujourd'hui paraissait bien loin, désormais. Nos yeux étaient portés sur les deux Lunes qui brillaient bien haut dans le ciel.
- Merci pour aujourd'hui. dis-je doucement.
Nous étions collés les uns aux autres, les yeux levés, le ventre repu. Nos rires s'étaient tus petit à petit, laissant la nostalgie s'installer.
- Un plaisir. Je ne regretterai jamais de t'avoir trouvée, ce jour-là.
Je souris, hochant la tête. Il m'avait redonné ma liberté, mes ailes et des amis incroyables.
- Merci pour ça aussi. Ce n'est pas toujours facile.
- Tout le monde a son histoire à porter.
- Tu as raison, Flo.
Nawim rit doucement.
- Eh, Floralie, ça te fait quoi d'être en compagnie de Démons maléfiques?
Elle rit.
- C'est très intéressant, les scientifiques Angéliques adoreraient!
- Moi, j'adorerais ne plus avoir peur des Humains... Celui qui était dans Hérula, il a rien fait à personne, c'est juste un Humain!
- Ça passera, poulette. Ce n'est pas pour toujours. Tu as été bien arrangée par les Humains presque l'entièreté de ta vie, c'est normal de réagir comme ça. fit remarquer Floralie.
Je posai ma tête sur son épaule, fermant mes yeux, remplissant mes poumons à fond.
- Cahira? m'appela Nawim.
- Mmh?
- Comment tu vas? Genre... Vraiment?
- Ça va. La plupart du temps, je suis dans l'arène, tu sais que je ne pense pas lorsque je me bats.
- C'est vrai, mais quand on t'a ramassée, t'étais un beau bordel.
J'hochai la tête.
- Yep. Heureusement pour ces Humains qu'ils sont morts vite, sinon ils seraient encore vivants, dans ma cave.
Floralie ricana.
- Quelle cruauté Cahira!
- Salope! dis-je en me redressant, tentant de cacher un sourire. Va voir ce que font les Humains et on en reparlera!
- Bon, faudrait rentrer, au lieu de s'insulter. Il se fait vraiment tard.
Je me levai, étirant mes jambes. Floralie fit de même et s'occupa d'éteindre le feu. L'atmosphère nocturne légère de printemps nous engloba d'autant plus, l'obscurité s'étant installée. Je m'envolai vers la montagne, mes deux amis sur les talons. Je me posai sur la plateforme qui servait d'entrée, et saluai les gardes présents. Nous saluâmes Nawim et avec Floralie, on s'envola en direction de chez nous. J'entrai chez moi, et elle entra dans la maison d'à côté en me saluant.
- Bonne nuit!