Il ne dit pas un mot alors que je lui déballai mon passé pas si lointain, m’écoutant sagement et serrant parfois ma main un peu trop fort. J’essayai de lui en dire le maximum, cherchant à n’omettre aucun détail, mais je me perdis souvent dans mon propre récit. Mes mots s’emmêlaient autant que mes idées.
Je déblatérai un long moment sur mes divers ressentis, sur la solitude qui avait grandi en moi, m’emprisonnant dans une vie de faux-semblants. Je lui contai ma descente aux enfers, la dépression pas tout à fait guérie qui grattait la surface fragile de mon esprit, la peur que mon secret soit dévoilé et que je doive revivre les mêmes épreuves terrifiantes. Je lui détaillai mes premiers mois dans cet appartement, le manque de mobilier qui faisait s’accroître l’impression de vide dans mon existence. Le manque de vie avec ces murs sans décorations, ces plans de travail sans babioles, ces meubles sans photos et surtout, mon incapacité à m’engager sérieusement, ne serait-ce que dans ce nouveau « chez moi », terrifié de rendre toute cette situation réelle.
À mi-mot, je lui racontai mes idées noires, mes envies de plus rien, de tranquillité éternelle et quand je posai enfin un point final, mes joues étaient de nouveau trempées de larmes teintées d’une colère amère.
Il y eut quelques secondes de battement où aucun de nous ne parla. Seule l’horloge de ma cuisine nous accompagna de son tempo régulier et mécanique. Nous ne nous regardâmes pas, ne bougeâmes pas malgré nos doigts entrelacés. Puis finalement, il craqua avant moi.
— D’accord, je pense comprendre un peu mieux ta réticence. Je ne vais pas m’étendre sur le comportement de ce connard, mais juste te poser une question : tu sais que je suis pas comme lui, n’est-ce pas ?
Mon cœur se contracta d’une douleur familière. Cette question tournait en moi depuis longtemps. Comment savoir que mes prochaines aventures plus ou moins sérieuses ne seraient pas comme lui ? Je n’en avais aucune idée. Il avait bien réussi à me cacher son aversion pour ma façon de vivre durant presque deux ans. Cette incertitude m’avait convaincue de ne plus accepter une relation sérieuse, de me protéger par l’éloignement des autres, par la promesse de ne pas m’attacher, de ne plus faire confiance.
J’essuyai ma joue et voulant être le plus sincère possible avec lui, je lui dis la vérité d’une voix plus brisée que je l’aurais souhaité.
— Non, j’en sais rien.
La déception que je vis dans son regard m’attrista. Il serra pourtant ma main plus fort, me partageant une douce chaleur dont j’avais de plus en plus de mal à me passer.
— Dans ce cas, j’te le prouverai.
Pour ne pas changer, sa réaction m’étonna et je lui souris, simplement heureux d’être là avec lui, dans la quiétude de cette grande pièce qui m’avait paru tellement vide lors de son absence.
Durant le mois qui suivit mes révélations, je pris le temps de découvrir le vrai Beryl. Son côté beauf était effectivement bien ancré en lui, mais je m’y faisais petit à petit. J’appris à ne pas m’offusquer de ses blagues douteuses, y riant de plus en plus souvent. Je me fis à sa présence chez moi. Il emplissait mon appartement d’une nouvelle vitalité. Vitalité qui laissait traîner des chaussettes partout… Mais les moments que nous partagions étaient doux et revigorants. Les soirs où il n’était pas là, je me sentais véritablement seul et abandonné. Nous passions alors de longues heures au téléphone, vacants à nos occupations respectives.
Depuis ce jour où je m’étais ouvert à lui, même si nous ne l’avions pas dit, nous étions ensemble. Je sentais sa réticence à officialiser verbalement notre engagement, mais comme lui, je ne pressais rien. Il était conscient qu’il me fallait du temps. Que j’avais besoin de commencer quelque chose qui ne serait pas concret, qui ne serait pas contraignant de par son officialisation.
Il y a quinze jours, nous avions été conviés par ses parents à un repas de famille. Une nouvelle fois devant mon dressing grand ouvert, je farfouillai afin de trouver une tenue convenable. Divers vêtements étaient étalés sur mon lit, des essais non fructueux. La famille de Beryl était ouverte, nous étions donc à environ une heure de présentations officielles.
J’étais autant flatté que mort de peur, autant pressé que pris d’une envie fulgurante d’annuler.
— Tu trouves ton bonheur ? me demanda Beryl d’un air taquin.
— Non, chouinai-je. Est-ce que je devrais être plutôt en costume ? C’est quand même une rencontre officielle, je ne veux pas avoir l’air débraillé.
Il rit en s’approchant. Il fouilla à son tour parmi mes habits et sorti un polo noir.
— Mets ça avec un jean, ce sera très bien. Tu sais, mes parents ne sont pas de la haute. Du moment que tu ressembles pas à un pouilleux, ils seront ravis.
Je lui lançai un regard approximatif qui le fit rire une nouvelle fois, mais enfilai ce qu’il m’avait donné. Nous nous mîmes ensuite en route. Nous avions presque une heure de trajet et il s’était proposé de conduire, afin que je ne stresse pas trop.
Bien trop vite à mon goût, le GPS nous apprit que nous nous approchions de la destination. Je me redressai sur mon siège et alors que nous roulions sur des routes de campagne entourées d’une nature vivifiante, Beryl attrapa ma main.
— Je sais que tu es sur le point d’imploser, mais tout va bien. Tu verras, ils t’aiment déjà.
Je ne pus répondre que par un grognement incertain alors que nous entrions dans la propriété. Au fond d’un chemin de graviers foncés, une charmante maison de campagne s’élevait derrière un parterre de fleurs bien garni.
Les murs extérieurs avaient été peints en rose, vert et jaune, donnant à l’habitation un côté exotique qui m’enchantait. À peine étions-nous sortis de la voiture qu’une jeune femme passa la porte.
— Bébé ! hurla-t-elle en dévalant la petite pente qui séparait la maison de l’endroit où nous étions stationnés.
Je braquai mon regard sur Beryl qui soupira.
— C’est ma meilleure amie, Claire. Elle m’appelle tout le temps comme ça.
Cette dernière arriva à ce moment précis et se jeta dans les bras de mon compagnon.
— Salut boss de Beryl ! me dit-elle, un grand sourire aux lèvres.
À ces mots, je la reconnus. Je l’avais déjà croisée au bureau, dans l’espace fumeurs. Elle lui avait proposé une sortie. Elle sauta au sol et me fit la bise. Puis dans un geste amical, elle glissa son bras sous le mien et m’emmena avec elle vers la maison.
Nous entrâmes dans une pièce de vie colorée et décorée avec beaucoup d’objets différents aux couleurs chatoyantes. De la musique sortait d’un vieux poste radio et emplissait la pièce d’une ambiance particulière. Devant nous, une grande table avait été mise et des plats aux odeurs enchanteresses s’y étalaient déjà. Plus loin, je vis un salon accueillant où se trouvaient les parents que je devais rencontrer. Une femme se leva du fauteuil où elle était assise. De longues boucles brunes retombaient dans un fouillis ordonné sur ses épaules et je reconnus sans peine les yeux verts qu’elle avait légués à son fils.
Claire me lâcha et la femme m’enlaça, pressant mon corps contre le sien comme une mère le ferait avec son fils.
— Je suis Edelia, la mère de Beryl. Où est-il d’ailleurs ? Beryl ! Viens ici ! Dios mio, pourquoi laisses-tu Ethan tout seul ?
— Je suis là, mamá, dit-il en entrant avec l’énorme bouquet que j’avais commandé pour elle. Tiens, c’est de la part d’Ethan.
La femme, qui me tenait toujours contre elle me serra bien plus fort, puis déposa un énorme baiser sur ma joue.
— Mi pequeño, tu es adorable ! Claire, va me chercher un vase, bella. Je ne veux pas voir mourir la moindre de ces fleurs !
— Oui Lia !
Gardant un bras autour de mes épaules, « Lia » me mena vers son mari, toujours affalé dans le canapé. L’homme d’âge mûr avec des cheveux poivre et sel avait la peau tannée de quelqu’un qui avait travaillé sous le soleil toute sa vie. Il tira sur sa pipe tout en me scrutant, puis tapota sur l’assise à côté de lui.
— Vas-y, pequeño, me poussa Lia.
J’allai donc m’asseoir aux côtés du patriarche. Autant dire que je n’en menai pas large. Au loin, dans la cuisine ouverte sur la salle à manger, je vis Claire et Beryl tenter de faire entrer l’énorme bouquet dans le minuscule vase qu’ils avaient déniché.
— Bonjour Monsieur, balbutiai-je d’une petite voix.
Il me scruta d’un air revêche, ce qui eut le don de me faire me ratatiner sur place. Cependant, il sourit, apparemment fier de son pouvoir sur moi, et rit de bon cœur tandis que Beryl et Claire revenaient enfin.
— Padre, sois gentil, tu lui fais peur, dit-il en me tendant un verre. Bière ?
Je me jetai presque sur le contenant, heureux de pouvoir détourner l’attention de moi.
— Avec plaisir, merci !
Durant la demi-heure qui s’écoula, je les écoutai parler, participant un peu. Sa famille était différente de la mienne. On sentait parfaitement l’amour qu’ils avaient les uns pour les autres. Chez moi, nous nous aimions, mais généralement pas en public. Puis, quand je posai ma bière vide sur la table, Beryl me proposa de me faire visiter. Je sautai sur l’occasion de pouvoir reprendre un peu mes esprits loin de toutes ces nouvelles têtes.
Nous fîmes rapidement le tour de la maison et de ses nombreuses chambres d’ami, pour terminer devant une porte.
— Bon, alors là, on va entrer dans du concret, me clama Beryl, l’air grave.
— À ce point ? ricanai-je.
D’un air solennel, il ouvrit la porte et déclara :
— Je te présente : ma chambre d’ado !
Je ne pus m’empêcher de pouffer et entrai. De mon point de vue, cette pièce ressemblait à toutes les chambres d’ados de la planète. On y comptait un bureau, un lit simple, une armoire et du bazar éparpillé un peu partout. Je m’assis sur son lit et il me rejoignit, un peu mal à l’aise.
— Ce n’est pas souvent que je te vois si peu sûr de toi.
— Ben…, marmonna-t-il. On va dire que c’est la première fois que j’amène un copain dans ma chambre. Alors, j’peux pas m’empêcher d’avoir le trac.
— La première fois ? répétai-je.
— Ouais. Quand j’étais plus jeune, j’assumais pas vraiment mes goûts en matière de partenaires et même si mes parents ont su pour mon homosexualité bien avant que je leur dise, je n’ai jamais osé amener qui que ce soit ici.
J’appréciai qu’il me raconte un peu de son adolescence. J’avais du mal à imaginer un Beryl gêné par quoi que ce soit, mais je trouvai que ça lui rajoutait un côté craquant.
— Dans ce cas, je suis honoré d’être ton premier, lui dis-je en lui prenant la main.
Nous discutâmes quelques minutes avant que je ne me relève, voulant repartir au salon. Mais alors que ma main se posait sur la poignée, celle de Beryl se plaqua sur le battant.
Son bras entoura ma taille et il caressa mon ventre, passant sous mon pull.
— Dis, tu sais ce que je meurs d’envie de faire ici ?
Je n’eus même pas le temps de me poser la question que ses doigts glissèrent jusque sur mon entre-jambes pour la presser. Une exclamation de surprise m’échappa et je reculai le bassin pour m’éloigner. Malheureusement, mes fesses butèrent contre lui ; j’étais piégé. Bientôt, son visage tomba dans mon cou qu’il embrassa passionnément tandis que j’essayai de réfréner les douces caresses qu’il appliquait sur mon sexe.
— Beryl, on peut pas faire ça ici, tentai-je avec bien trop de soupirs dans la voix pour qu’il ne s’arrête.
— Mais si on peut. Ne t’inquiète pas, personne ne viendra nous déranger.
Le rouge me monta aux joues. Est-ce qu’il me proposait vraiment qu’on couche ensemble ici ? Avec son sexe gargantuesque et mes cris que je ne serais pas en mesure de restreindre ? C’était un jeu dangereux qu’il me proposait. Dangereux, mais excitant.
— Je vais faire trop de bruit ! On va se faire prendre ! Et je ne veux pas me faire prendre à coucher avec toi alors que je suis supposé rencontrer tes parents !
Il rit dans mon oreille.
— S’il n’y a que ça qui t’inquiète, promis je rentrerai pas. Mais il y a plein d’autres façons de nous amuser… plus silencieusement…
Alors que j’allai mettre en doute ses paroles, il défit mon pantalon et reprit ses caresses en peau contre peau. Je serrai les cuisses, la respiration légèrement raccourcie. De son autre main, il baissa mon jean, l’envoyant sur mes chevilles, puis, après quelques secondes, je sentis son sexe frotter contre mes fesses, ce qui finit d’éradiquer toute tentative de désertion.
— Tu as mis mon cadeau, soupira-t-il de plaisir. Est-ce qu’au moins tu as pris le temps de te regarder ?
Je gémis, ne voulant pas lui avouer que oui, je m’étais regardé et que j’avais eu beaucoup de mal à réfréner mes envies lubriques. Son petit rire grave accentua mon envie et mon membre durcit entre le dessous et sa paume.
Pourtant, il me relâcha un instant, le temps de guider mes mains afin qu’elles prennent appui sur la porte. Il entreprit ensuite de caresser mes hanches, mes fesses et le haut de mes cuisses, passant largement sous le tissu de la culotte afin d’explorer tout ce qu’elle cachait.
Ses attentions finirent de briser mes limites. J’aimais qu’il me touche, qu’il me dévergonde un peu, ça lui ressemblait. Il y a quelque temps, il m’aurait pris dans les wc du bar si je l’avais laissé faire, alors, une chambre, ce n’était pas si déroutant.
Son sexe, toujours logé contre mes fesses, vint soudain se loger sous le tissu fin. Ses mouvements de bassin tirèrent sur l’ensemble de son cadeau, compressant mon sexe et augmentant les sensations qu’il m’offrait. D’une pression habile, il me fit cambrer les reins puis se retira. Je restai pantois, en attente de la suite, le sexe dur et l’esprit ramolli.
D’un mouvement souple, il se glissa entre mes jambes, se frottant contre mon sexe et le dessous. Une exclamation m’échappa de nouveau. À vrai dire, les sensations étaient stupidement ressemblantes à celles de la pénétration. Ses mains saisirent le haut de mes cuisses et les poussèrent l’une vers l’autre.
— Reste bien comme ça, OK ? me susurra-t-il.
J’acquiesçai de la tête, trop chamboulé pour oser parler. Derrière moi, j’entendis un emballage être ouvert, puis je sentis un préservatif être glissé sur moi. Il était frais et me provoqua des frissons d’inconfort. Beryl entama alors de longs va-et-vient, tenant mon sexe d’une main et y appliquant des caresses plaisantes.
La position n’était pas des plus confortables, j’avais les reins cambrés et je me tenais presque sur la pointe des pieds, mais les sensations, elles, étaient voluptueuses. Chaque poussée contre moi plaquait son bassin contre mes fesses et le petit choc occasionné me remuait sensuellement tout l’intérieur.
La chambre s’emplit bien vite de nos respirations erratiques, de nos grognements et gémissements maîtrisés, alors qu’au loin, nous entendions parfaitement Claire rire à gorge déployée. C’était la première fois que je faisais un acte si insensé. Pour moi, c’était presque de l’exhibition. Mais je devais bien avouer que ça ajoutait un élément émoustillant à l’ensemble et que j’y prenais goût.
Sa main sur mon membre accéléra. Je fermai les poings contre le battant en bois de la porte et serrai la mâchoire. Le frottement de son sexe sur mon entre-jambe qui humidifiait tant le tissu que mes testicules et base de ma hampe finit de tenir tête à mon excitation, il ne fallut que quelques aller-retour de la part de sa main pour que j’emplisse le préservatif dans un soupir à peine contenu.
Beryl me rejoint peu après, emplissant mon dessous de sa semence chaude. Il se retira tout en s’essuyant sur ma fesse puis recula alors que son fluide coulait sur l’intérieur de mes cuisses.
— Donne-moi un truc pour essuyer ! le pressai-je. Ça coule !
— Moi, je trouve ça excitant, me répondit-il de loin.
À ses mots, je me redressai et l’affrontai d’un regard colérique.
— Je veux pas avoir du sperme qui coule le long de mes jambes ! C’est désagréable ! chuchotai-je sur un ton agacé.
Il rit, l’air véritablement amusé par ma gêne puis m’apporta de quoi me nettoyer. Alors que j’enlevai mon dessous, en me demandant ce que j’allai bien pouvoir en faire, il m’en tendit un autre. Étrangement, c’était un modèle que je possédai.
— Où est-ce que tu as eu ça ?
Il se mordit la lèvre.
— Comment dire… J’habite avec Claire et Bastien depuis peu. Quand j’ai commencé à travailler dans la boîte et quand j’ai découvert qui tu étais, j’habitais encore ici. Et il se pourrait… que j’aie acheté certains des dessous que tu affichais sur Insta’ pour… pour… avoir des soirées en solitaire plus sympa ?
— Tu en as beaucoup ? me renseignai-je alors même que je savais pertinemment que je ne devais pas poser cette question.
Il ne répondit pas, évitant mon regard.
— Beryl ?
Vaincu, il soupira puis sortit une petite boîte en carton de son placard. Je l’attrapai et l’ouvris pour découvrir une belle quantité de strings, tangas et autres shortys que je détenais. Je soupirai, lui lançant un regard accusateur.
— Je t’avais prévenu que j’étais un pervers, se dédouana-t-il en haussant les épaules.
Je ne pus m’empêcher de rire et après m’être bien nettoyé, j’enfilai un nouveau sous-vêtement et mon pantalon. Quelques minutes plus tard, nous fûmes prêts à rejoindre sa famille pour entamer le repas et rouvrir la porte fut une véritable épreuve pour moi.