Les pulsations de mon cœur tentèrent de battre un record. Ou alors ce n’était que l’instant chaotique avant que mon palpitant n’explose ?
D’un geste moins maîtrisé que souhaité, j’attrapai la fleur, la lettre puis le sachet de tissu pour les fourrer à la hâte dans le carton. Je lançai ensuite ce dernier au fond de la pièce, jurant dans ma barbe rasée de près.
La situation était limpide : j’avais un problème. Un gros problème. Quelqu’un connaissait mon secret. Quelqu’un qui savait où je travaillais et ce que je faisais de mon existence en dehors du boulot.
Est-ce que je devais avoir peur ? Et plus important ; qui était-ce ? Un stalker ? Un fétichiste malsain ? Un gars mal intentionné ? Et puis cette rose, franchement… C’était un peu cliché, non ? Enfin… disons plutôt : flippant. Un cliché flippant.
À cet instant, m’engluant dans un début de crise de panique, je remis à peu près la totalité de ma vie en question. Devais-je déménager ? Changer de nom ? Fermer mon compte Instagram ? Est-ce qu’un abonné aurait pu me reconnaître ? Malgré mon attention presque militaire à ne pas montrer mon visage ou n’importe quel détail distinctif ?
Une nouvelle fois, je sondai les humains aux alentours. Personne n’avait la tête d’un gars dangereux ou fou. Cette surveillance arbitraire ne m’avançait à rien et pire que ça, j’eus bientôt du mal à respirer.
Les coudes posés sur la surface en bois foncé, je mordis consciencieusement mes ongles, les rongeant pour faire baisser mon stress. Est-ce que je pouvais avoir des problèmes ici, si mes collègues découvraient le pot aux roses ? Cette simple idée m’ennuya. Cette rose… Une convention sociale romantico-débile.
À la pause du midi, je m’installai à la cafétéria en compagnie de mon équipe. À l’affût d’un quelconque comportement suspect de la part de qui que ce soit, je passai presque l’entièreté du repas à tenter de décrypter les pensées des gens qui vaquaient à leurs occupations dans cette vaste salle bondée.
— Est-ce qu’il est pas énorme l’accord qu’on t’a ramené, Ethan ?
Perdu dans mes réflexions, je n’entendis pas Luc me parler.
— Ethan ?
Je relevai la tête subitement vers le membre le plus âgé de mon équipe, après moi, et ses longues dreads, comprenant enfin qu’on s’adressait à moi.
— Oui ?
— Je disais, répéta-t-il avec un sourire, on est revenu avec un contrat colossal. N’est-ce pas ? Anna ne me croit pas.
Je fixai Luc d’un air absent, pas totalement en dehors de la conversation, mais pas dedans non plus.
— Ouais, peut-être, je ne sais pas. Je n’ai pas commencé à lire votre rapport, avouai-je en retenant un soupir.
— Eh beh, boss… T’es complètement en dehors de tes pompes. C’est pas souvent, se moqua Beryl.
Je levai un regard blasé vers lui. Je ne supportais plus ce sobriquet dont il m’affublait. Il était arrivé en dernier dans l’équipe, il a à peine six mois et bien qu’il s’entende merveilleusement bien avec Anna et Luc, ce n’était pas le cas pour moi.
— Tu ne voudrais pas m’appeler par mon prénom ?
— Aucune chance, répliqua-t-il avec un petit sourire. C’est bien plus sympa comme ça.
Je me replongeai dans mon assiette, tandis qu’Anna, ma seule vraie alliée, exprimait d’une façon assez explicite sa réticence à les croire. Ils passèrent la fin du repas à se chamailler en m’oubliant, pour mon plus grand bonheur.
À la fin de la pause, je me dirigeai d’un pas pressé vers l’espace fumeurs de l’entreprise. Une imposante terrasse où six bancs se disputaient une vaste zone autour de divers plans paysagés. Je pris possession de l’un d’eux, sortis une cigarette puis l’allumai. La première bouffée me détendit dans l’instant. Je profitai du silence environnant, des bruits de la circulation au loin. J’avais besoin de quelques jours de vacances.
Mon sentiment de sérénité ne dura pourtant pas. La porte s’ouvrit sur Beryl qui vint directement vers moi, d’un pas un peu trop déterminé à mon goût.
— Boss, t’as pas du feu à me prêter ? D’ailleurs, tu devais pas arrêter ?
Je soupirai devant son air idiot. Pourquoi ? Pourquoi devait-il toujours être désagréable et poser le doigt pile là où il ne fallait pas ? Était-ce un don ou une malédiction ? Je lui tendis le briquet sans y mettre de sentiment amical.
— J’ai juste besoin d’une clope, mentis-je.
Il ricana, plissant ses yeux verts.
— Pourquoi ?
— Parce que ça détend.
Pour en terminer avec cette conversation inutile, je pris mon portable et regardai mes mails, priant pour qu’il me pense occupé. Je ponçai ma cigarette plus vite qu’un tox’ en sevrage depuis un mois et retournai travailler, fuyant sa présence.
Sans dire que je le détestais, il demeurait le seul de mon équipe à me mettre mal à l’aise. Il semblait toujours essayer de se moquer de moi et nous n’avions pas d’atome crochu, pour ce que j’avais pu en voir.
Durant l’après-midi, je fis mon possible afin de rester concentré, ce qui se révéla être un exercice périlleux, tant mon attention se portait constamment sur la boîte en carton qui paraissait me narguer au fond de la pièce.
Quand dix-neuf heures sonnèrent, me prévenant qu’il était temps de m’échapper, j’attrapai un cabas en plastique pour y fourrer le colis et quittai les bureaux. Dans l’ascenseur, durant les dix étages qui me séparaient de ma voiture, je soupirai et appuyai mon dos fatigué contre la paroi. Lorsque le tintement caractéristique se fit entendre, je me redressai, resserrai un peu ma cravate et, en m’extirpant du bâtiment, je perçus des talons claquer sur le bitume. Anna me rattrapa, posant sa main pâle sur mon avant-bras afin de me ralentir.
— Ethan ! Je voulais aller boire un verre avec les gars, mais ils ont l’air d’avoir fui le bureau, ça te dirait de m’accompagner ?
Mes doigts se pincèrent autour des anses, j’étais nerveux.
— Je suis désolé, m’excusai-je. J’ai déjà des choses de prévues ce soir.
— Ah…
Sa mine dépitée me fit de la peine.
— Mais on peut toujours reporter ça à un autre jour, si tu as envie.
Avec ma proposition, elle retrouva un visage joyeux.
— Oui, avec plaisir ! Bon, je ne veux pas te retenir à outrance. À demain !
Je lui fis un modeste signe de la main en même temps qu’elle s’éloignait, puis retournai vers ma voiture quand elle dépassa l’angle du bâtiment.
Durant le trajet, je ne pus m’empêcher de jeter des œillades furtives et colériques au cabas qui trônait sur le siège passager, semblant me railler d’un sourire narquois : « alors, on laisse son petit secret gênant être dévoilé ? ». Je lâchai une flopée de jurons, grommelant pour extérioriser ma mauvaise humeur.
En rentrant, je m’installai sur le canapé et ouvris de nouveau le colis. J’en extirpai la rose qui avait pris un bon coup de chaud. La tenant avec précaution entre mes doigts, je décidai tout de même – avec un soupir mécontent – de la mettre dans un vase. Bien que son propriétaire légitime semblait être le dernier des connards, cette magnifique plante n’y était pour rien.
Je coupai un bout de la tige, puis la plaçai dans un pot gargantuesque pour cette seule fleur. Je restai un instant la faïence dans les mains, cherchant où la poser, puis je choisis de décorer mon îlot central avec.
Après un profond soupir, je me rassis, ouvrant de nouveau le contenant cartonné pour en sortir la bourse en velours. Je fouillai, mais rien de plus n’était présent dans ma honte postale, hormis l’enveloppe et le mot. Je le relus une nouvelle fois.
Moi qui pensais pouvoir glaner quelques informations, je fus déçu. Tout était écrit à l’ordinateur, je ne pouvais donc rien en tirer. Ensuite et pendant de longues minutes, je demeurai statique, les yeux braqués d’un air grave sur le tanga, étalé en évidence sur ma table basse.
Mon premier avis fut clair et net ; ce n’était pas complètement mon style. Les couleurs étaient un peu sombres, le mélange de rouge carmin et de noir n’était pas mon préféré. Néanmoins, la coupe et les quelques détails en dentelle me plaisaient. Soudain, mon esprit s’activa : devais-je l’essayer ?
Il aurait été dommage de la laisser mourir dans les tréfonds d’un tiroir, mais… ça me gênait un brin.
Porter ce que j’achetais demeurait facile, mais c’était la première fois qu’on m’en offrait. De plus, mon « bienfaiteur » ne semblait pas vouloir faire sauter son anonymat et cette situation ne me mettait pas très à l’aise. D’un commun accord avec mon angoisse, j’enroulai la culotte dans du papier de soie et la rangeai dans une boîte au fond de mon placard, là où je ne pourrais plus la voir.
Ce soir-là, un sentiment de solitude m’envahit. J’avais envie d’appeler ma sœur pour lui raconter cette histoire improbable. Elle restait, de toute façon, la seule personne au courant de mes goûts. L’unique autre à qui j’avais tout avoué n’avait jamais compris, et ces mauvais souvenirs m’enjoignaient à ne pas reproduire cette expérience.
Le lendemain, de retour au travail, ce ne fut qu’en ouvrant la porte de mon bureau que je vis une nouvelle boîte en carton qui trônait devant mon ordinateur. Je fis la moue en m’installant sur ma chaise, puis décidai de ne pas m’en préoccuper. Je cachai le contenant au sol, à mes pieds et tentai de l’ignorer.
À la pause du midi, je me retrouvai en compagnie de mes collègues. Anna, assise à côté de moi, me relança discrètement pour aller boire un verre, alors que les deux autres déblatéraient à propos du style vestimentaire d’un client qu’ils avaient croisé le matin même.
— Ce soir, tu serais libre ? me proposa-t-elle sur un ton bas.
— Oui, si tu veux.
Nous nous mîmes d’accord pour nous rejoindre à la fin de la journée et y aller ensemble. Mon portable vibra dans ma poche et j’ouvris le message d’un expéditeur inconnu.
« Je n’ai pas reçu ma photo hier. Aurais-je plus de chance aujourd’hui ? »
Je fronçai les sourcils, alors, il avait aussi mon numéro ? Je bloquai un peu sur les mots affichés devant moi. Devais-je répondre, quitte à prendre le risque de rentrer dans le jeu pervers de ce maniaque en puissance ? Mes doigts tapotèrent quelques fois sur la table, puis sur mon écran.
« Qui êtes-vous ? »
Durant le reste du repas, je n’eus pas de réponse. Ce fut seulement en milieu d’après-midi que mon appareil vibra de nouveau.
« Un admirateur. »
Je ris jaune. Un stalker, plutôt. Sans me prendre au jeu, mais dans le but de glaner des informations, je répondis dans l’instant.
« Et il a un nom, cet « admirateur » ? »
J’attendis quelques minutes, les yeux rivés sur ce début de conversation, mais force était de constater qu’il ne comptait pas bavarder maintenant. Je me remis donc au travail avec acharnement et ne relevai la tête que lorsqu’il fut l’heure de partir.
Refermant la porte de mon bureau, le nouveau colis sous le bras, Anna m’interpella.
— On y va ?
J’acquiesçai. Au moins, passer la soirée avec quelqu’un allait permettre à mon stress de redescendre un peu.
Après un détour par ma voiture pour que j’y dépose « le cadeau du facteur », nous nous dirigeâmes vers un bar proche.
Nous prîmes place dans un coin, loin de la petite cohue qui se formait près du comptoir. Au serveur, nous commandâmes deux verres de vin rouge. Installés l’un en face de l’autre, nous trinquâmes et bûmes une gorgée avant que la demoiselle n’entame la conversation.
— Il y a un concert d’un groupe que j’aime bien, en ville le mois prochain. Je devais y aller avec une amie, mais elle a annulé. Tu voudrais venir avec moi ?
Je retins un sourire amusé. Si elle pensait être discrète, elle avait encore des choses à apprendre sur le flirt. Mais bon, j’étais seul depuis quelques semaines maintenant, ma dernière « relation longue » avait fini par rompre. Apparemment, je n’étais pas « assez investi » dans notre couple pour lui. Visiblement, l’emmener en week-end, lui proposer d’habiter ensemble, c’était « ne pas être assez investi ». Quant à la jeune demoiselle avec qui j’avais partagé quelques moments agréables, elle s’était révélée être mère de famille et mariée, cherchant juste à mettre « un peu de piquant » dans sa vie de femme au foyer…
Anna patientait sagement, le temps que je lui donne ma réponse, mais je n’étais pas sûr de vouloir. Passer la nuit avec elle, à la limite, pourquoi pas. Mais partir dans un jeu du chat et de la souris, à flirter, être à moitié sérieux… Je n’étais pas certain d’en avoir envie.
— Désolé, les concerts, ce n’est pas vraiment mon truc.
— Ah…
Elle sembla déçue et j’en fus à peine navré. Cependant, mon refus jeta un froid sur notre sortie. Elle but et je fis de même, cherchant quoi dire pour passer outre ce désagréable sentiment de gêne. Mon portable vibra, je sautais sur l’occasion de m’intéresser à autre chose.
« Tu peux m’appeler « Mon amour ». »
Un ricanement mauvais m’échappa. Il ne manquait pas d’air celui-là !
« « Le stalker potentiellement dangereux » me semble plus proche de la vérité. »
— Au fait, comment se porte Fanny ?
L’évocation de ma grande sœur me fit revenir à la réalité.
— Elle va bien. Elle travaille beaucoup, alors, ça fait un moment que je ne l’ai pas vue, mais on se téléphone au moins une fois par semaine, tu sais comment elle est. Elle doit venir à la maison dans quelques jours. Elle souhaite m’annoncer une « bonne nouvelle ».
— Oh ? Elle a peut-être enfin eu la promotion qu’elle attendait ?
J’acquiesçai d’un signe de tête. J’avais oublié qu’elles avaient bien sympathisé quand je les avais présentées il y a quelques mois. Je reçus une nouvelle réponse que j’ouvris immédiatement.
« Mais bien moins sexy. Alors, cette photo ? J’ai le droit d’espérer ? »
Je souris en coin, sachant instantanément ce que j’allais répliquer.
« Essaie donc de me mettre en confiance, montre-toi en premier. Ensuite, je réfléchirai peut-être à la possibilité de te renvoyer la pareille. »
Je ne voulais pas flirter avec lui, mais toutes les tactiques demeuraient bonnes afin d’en apprendre plus sur lui pour le démasquer.
— Ethan ?
Je relevai les yeux vers Anna. Certes, je n’étais pas très poli, mais la vérité, c’est que je m’amusais bien plus à chercher des informations sur cet inconnu qu’avec ma petite collègue et ses prudes tentatives de drague.
— Je ne sais pas, elle ne m’a rien précisé.
Nous continuâmes à boire, du vin pour elle et de l’eau pour moi. Je tenais à pouvoir regagner ma maison en voiture. Quand vingt-trois heures sonnèrent, nous quittâmes le bar. Anna tanguait un peu. Pas assez pour qu’elle soit foncièrement soûle, mais trop pour que je la laisse rentrer seule.
— Je te ramène chez toi ? proposai-je.
Elle acquiesça avec un sourire. Dans l’auto, elle piqua du nez plusieurs fois. Je savais que ces derniers temps, je lui en demandais beaucoup au travail. Elle ne rechignait jamais à la tâche, mais elle semblait épuisée, si bien qu’en arrivant devant sa petite maison de banlieue, elle s’était assoupie, la joue contre la vitre.
Je secouai son épaule avec douceur, l’appelant en même temps. Elle ne mit que quelques secondes à relever la tête, l’air un peu perdu.
— On est chez toi.
Je m’extirpai de la voiture, en fis le tour pour lui ouvrir et l’aidai à s’en déraciner. Refermant mon auto, je l’accompagnai jusqu’à sa porte d’entrée. Elle tritura ses clés entre ses doigts.
— Merci pour la sortie, me dit-elle d’une petite voix. C’était vraiment sympa.
Elle était toute mignonne avec ses joues rosies par l’alcool et la gêne, les mains légèrement tremblantes, son corps se dandinant. Je ne pus m’empêcher de sourire puis de me pencher vers elle.
— Tu voudrais la continuer un peu ?
Son visage cramoisi fixa le mien. En définitive, je n’avais pas très envie de finir la soirée tout seul.
Attrapant ses clés, j’ouvris et nous pénétrâmes dans sa maison. Dans la pièce sombre, je saisis la taille de ma collègue, la portant contre moi en même temps que nous partagions un baiser des plus revigorants. Je verrouillai sa porte et me dirigeai vers sa chambre qu’elle m’indiqua, laissant mes mains palper ses cuisses et ma bouche butiner la sienne.
Ça me tend un peu qu'Ethan se prête au jeu : dans ces cas-là, il faut FUIR (non, je n'ai jamais eu de problèmes avec des gens louches, jamais) Il connaît de toi ton identité, ton lieu de travail, ton numéro de téléphone, tes goûts en lingerie. Tu connais de lui : RIEN DU TOUT ! FUIS, PAUVRE FOU ! (Pardon, je me calme xD)