La veille.
En rentrant chez moi ce soir-là, je fus surpris de croiser Fanny, ma sœur, qui m’attendait de pied ferme devant mon immeuble. Lorsqu’elle m’aperçut, un grand sourire fendit son visage.
— Salut p’tit frère !
— Salut la vieille.
Elle mima l’action de se prendre une balle dans le cœur et de défaillir. Je ris à ce spectacle puis l’invitai à me suivre. Mon colis sous le bras, je la fis entrer et elle s’écroula sur le canapé. Je nous servis deux verres de whisky avant de la rejoindre. Après l’échange de quelques banalités, elle attrapa mes mains.
— Mon petit frère d’amour que j’aime de tout mon cœur…
Je haussai un sourcil en ricanant. Qu’est-ce qu’elle allait me demander ?
— Oui ?
Ses joues prirent une teinte rosée. Qu’est-ce qu’elle mijotait ?
— J’ai quelque chose à te dire. Quelque chose d’important. Alors, j’attends de toi que tu sois content pour moi, OK ?
Je fis mine d’être vexé.
— Parce que ça m’arrive souvent de ne pas te soutenir ? Vas-y, crache le morceau.
Tenant toujours mes doigts, elle les posa sur son ventre et me sourit. Je la fixai, patientant afin qu’elle s’explique. Un silence s’installa. Je devais louper quelque chose. Puis soudain, je regardai mes mains et ouvris la bouche. Elle rit à ma compréhension lente.
— Non ! Tu es enceinte ? demandai-je, surexcité.
— Oui ! Tu vas être tonton !
D’un geste rapide, je la serrai dans mes bras, aux anges.
— Félicitations ! Ah, je suis trop content !
Dans un amusement mêlé de larmes, elle se recula et tamponna le dessous de ses yeux en soufflant.
— Je voulais attendre un peu avant de te le dire. Tu sais histoire d’être sûre que ça avait bien pris. Mais voilà !
J’attrapai sa main dans la mienne.
— Je suis tellement fier de vous ! Comment va Quentin ? Il n’est pas trop stressé ?
— Il l’est plus que moi, rit-elle. Mais bon, après les quatre ans qu’on a passés à essayer et toutes les fois où ça a raté, il est devenu un tantinet parano. Tu verrais, ma grossesse ne se distingue pas encore, mais je suis déjà dans l’interdiction de faire quoi que ce soit dans la maison. Ce mec est un vrai tyran !
Nous nous moquâmes tous les deux de son mari. Ma sœur revenait de loin : à la suite de problèmes de santé durant son adolescence, elle avait appris qu’elle était stérile à environ 70 %. Cependant, avec Quentin, ils parlaient d’enfant depuis longtemps.
Au début, ils avaient tenté de manière naturelle, comptant les jours. Fanny prenait quelques médicaments pour aider. Malheureusement, le peu de fois où un embryon s’était accroché, il avait fini par se détacher. Ils avaient eu de longs mois de doutes suite à ses nombreuses fausses couches, mais après un rendez-vous avec une psychologue qui avait commencé sa carrière en tant que sage-femme, ils voulurent essayer la FIV.
Les premiers tests s’étaient révélés infructueux, ce qui pesa sur leur moral. Mais être au fait, qu’enfin ils allaient être parents, me comblait de joie. J’avais la certitude qu’elle serait une maman merveilleuse.
Soudain, je me rendis compte que lui offrir un verre de whisky n’était peut-être plus de circonstance. Je me levai à la hâte et revins avec de l’eau, n’ayant pas grand-chose d’autre à lui proposer. Elle s’amusa de ma réaction puis me promit de venir avec une bouteille de cocktail sans alcool la prochaine fois. Essayant de prendre soin d’elle, je la laissai en compagnie d’un chocolat chaud pour aller fumer une cigarette sur mon balcon. J’en profitai pour sortir mon portable. Il m’avait semblé le sentir vibrer plus tôt. J’affichai le message et y répondis.
« Je ne l’ai pas encore ouvert. J’ai du monde à la maison. »
Je finis à la hâte mon bâton de nicotine et rejoignis ma sœur. Nous continuâmes de discuter jusque tard dans la soirée et quand elle partit, j’allais me coucher.
Au bureau, le lendemain, je travaillai d’arrache-pied sur un dossier quand mon téléphone vibra.
« Alors ? Tu as aimé ? »
Oups.
« Je ne l’ai pas ouvert. Mon invitée est rentrée assez tard et je suis tout de suite allé dormir. »
En même temps que je l’envoyai, Anna toqua à ma porte.
— Salut ! Avec les garçons, on voulait te proposer d’aller boire un coup ensemble vendredi. Ça te tente ? Je me suis vantée sur le fait qu’on y est allés la semaine dernière et je crois que j’ai fait des jaloux, m’expliqua-t-elle en riant.
— Ouais, pas de problème. Faisons ça !
— Super !
Elle fuit mon bureau et je la vis annoncer mon accord aux collègues. Ils furent visiblement contents. Beryl tourna tout à coup la tête vers moi, m’envoyant un visage étrange, mêlant lassitude et colère. Décidément, lui, je ne le comprenais pas. Parfois, il semblait vouloir faire ami-ami et le reste du temps, il avait l’air de m’estimer aussi utile qu’un nuisible. Nos regards se croisèrent et il détourna les yeux.
Soudain, une question s’imposa dans mon esprit. Est-ce qu’il se pourrait qu’il soit intéressé par Anna ? Est-ce que c’était pour ça qu’il avait ce comportement étrange envers moi ? Il me considérait comme un rival ?
Jusqu’à ce que je m’accorde une pause clope, je conservai cette idée en tête. Assis sur un des bancs, au gré de la brise fraîche et les fermai les paupières, je me gargarisais de cet instant de sérénité, plutôt rare au travail.
— Alors boss, on se tape ses collègues ?
Je sursautai à moitié, rouvrant les yeux. Beryl, penché vers moi, m’envoyait un sourire carnassier.
— Pardon ?
Mon ton sec ne sembla pas l’émouvoir. Son visage à la peau hâlée se couvrit d’un air taquin.
— C’est pas joli-joli tout ça, ricana-t-il.
Je le fixai, de mauvais poil cette fois.
— C’est quoi le souci, Beryl ? Si tu as quelque chose à me dire, je t’écoute.
Ses iris verts se détournèrent des miens dans une expression gênée.
— Nan, c’est pas ça. J’te pensais pas du genre à te taper tes subordonnées. Mais y a pas de problème.
Je pianotai sur ma cigarette afin d’en faire tomber la cendre puis repris une bouffée sans le lâcher du regard. Vraiment, je ne le comprenais pas. D’ailleurs, comment savait-il ce qu’il s’était déroulé avec Anna ? Est-ce qu’elle en avait parlé autour d’elle ? Je me renfrognai, mal à l’aise.
— Je suis pressé qu’on aille au bar vendredi. Moi aussi je veux passer une soirée avec toi.
Mon regard étonné le fit rire.
— Quoi ? C’est si difficile à croire ? me demanda-t-il.
Je haussai les épaules.
— Je ne sais pas. Mais nous ne sommes pas si proches que ça, alors oui, je suis un peu surpris.
Il tira à son tour sur sa cigarette.
— T’as une fleur préférée, boss ?
Quelle question étrange… Je me rembrunis un brin, pensant au premier colis que j’avais reçu la semaine passée.
— Pas les roses, en tout cas.
— Sérieux ? rit-il. Mais tout le monde aime les roses ! C’est la fleur de l’amour par excellence !
— Oui, eh bien, on en reparlera quand l’amour sera d’actualité, clamai-je, amer, ce qui lui permit d’orienter la conversation sur le privé.
— Tu es tout seul ? Personne en vue ?
Il s’assit à côté de moi, visiblement ravi que nous échangions des banalités.
— Je suis célibataire.
— Et donc, ta fleur préférée ?
Je lui lançai un regard blasé. C’était quoi son problème avec les plantes ?
— Je n’en sais rien… Les lys, peut-être ? C’est beau les lys.
— La fleur des rois, pas mal. Tu as des goûts sophistiqués, ricana-t-il.
— Et toi ? C’est quoi ta préférée ? Au lieu de te foutre de moi.
Il me sourit d’une façon étrange.
— La rose rouge. Amour, passion, fougue, tant de mots qui me correspondent parfaitement.
Je soupirai devant tant d’ego, éliminant la cendre de ma clope.
— Et celle de la modestie, c’est laquelle ?
— La violette, me répondit-il en un instant. Ou le réséda, à moindre mesure.
Je haussai les sourcils, que de connaissances en un seul homme !
— Tu as l’air de maîtriser le sujet.
Il ricana, un peu embarrassé.
— Quand j’étais petit, je voulais devenir fleuriste. Ceci explique cela.
C’était l’une des premières fois où je parvenais à entretenir une véritable conversation avec lui. À bien y réfléchir, ce n’était pas aussi désagréable que je le pensais. Je découvrais un gars intéressant, à défaut d’être gentil ou chaleureux.
— Qu’est-ce que tu fais dans la boîte si tu souhaitais travailler dans cette branche ?
Il haussa les épaules.
— La vie en a décidé autrement. Mais je ne suis pas mécontent au final. J’ai un bon salaire, une équipe cool et un boss sympa !
Je le scrutai alors que des bruits de talons hauts résonnaient légèrement autour de nous.
— Bonjour Beryl.
Une jeune femme se tenait devant lui. Elle replaça une de ses mèches brunes derrière son oreille.
— Salut, Claire, répondit l’intéressé.
— Avec les autres, on voulait aller faire quelques parties d’air soft vendredi. Tu viens ?
Je fumai sur ma cigarette, feignant de ne pas suivre leur conversation.
— Nan, désolé. Je vais boire avec mon boss.
— Oh, je vois. Très bien, on ira une prochaine fois alors. Passe une bonne journée ! Bye Beryl ! Bye boss de Beryl !
Elle nous fit un signe de la main en s’éloignant et nous répondîmes d’un geste commun.
Quelques minutes plus tard, nous nous dirigeâmes vers l’ascenseur. Une fois les portes fermées, je m’adossai aux parois, le nez dans mon portable. Soudain, la luminosité autour de moi baissa drastiquement. Je relevai la tête, priant pour éviter une nouvelle panne de la boîte de fer. La dernière fois, l’une de nos collègues était restée coincée à l’intérieur pendant deux longues heures, piégée entre deux étages.
Je ne fus qu’à moitié rassuré quand je compris que c’était Beryl qui cachait la lumière. L’épaule apposée à quelques centimètres de moi, il me bloquait entre la plaque de métal dans mon dos et celle sur ma droite. Un peu dérouté par cette proximité sortie de nulle part, je détournai le regard, me replongeant d’un air coupable dans mon téléphone.
Je ne pouvais pas taire que je trouvais Beryl assez canon. Il fallait dire qu’il était loin d’être repoussant, le bougre. Il était bien plus grand que moi, atteignant presque les deux mètres. Sa peau hâlée, mêlée à de jolis yeux verts ainsi que des cheveux foncés dessinaient un mélange pas dégueulasse. Il se pencha vers moi et me chuchota presque au creux de l’oreille.
— Boss, tu veux pas qu’on aille boire un verre, juste nous deux, vendredi ?
Je gardai la tête basse, tentant de dissimuler les frissons que mon corps avait produits en sentant son souffle tomber dans mon cou.
— J’ai déjà dit oui pour qu’on y aille avec Anna et Luc, lui rappelai-je d’un ton contrôlé.
Il se baissa un peu plus, à tel point que ses cheveux se mélangèrent à mes mèches brunes.
— On peut toujours faire un after chez toi.
Mon dos se tendit tout entier. Qu’est-ce que… Quoi ? Avant que je ne puisse esquisser le moindre mouvement, les portes s’ouvrirent sur notre étage. J’en profitai pour fuir, d’une démarche que je restreignis au maximum afin de ne pas me mettre à courir jusqu’à mon bureau.
Ce ne fut qu’une fois assis sur ma chaise, que je sentis la chaleur qui se diffusait dans mes joues. Il venait de me faire quoi, là ?
Je tentai un coup d’œil vers lui et croisai son attention. Il me fit un large sourire et je répondis par un visage rempli d’incompréhension, plissant les paupières et ouvrant légèrement la bouche. Je croyais qu’il voulait Anna ?
Je restai troublé jusqu’à ce que je rentre chez moi.
Ayant besoin d’un petit remontant, je me servis un trop grand verre de whisky et m’affalai dans mon canapé. Du coin de l’œil, mon dernier paquet cadeau en date semblait clignoter dans l’ambiance tamisée de mon salon. Je l’attrapai d’un geste moins enjoué que d’habitude et l’ouvris.
Béryl je crois que c'est la définition de beauf
Ou de lourd, au choix
C'est cool de les voir échanger vraiment à cœur ouvert, même si à la fin Béryl gâche tout xd
Par contre je comprends pas comment Ethan ne crame pas le lien entre son mystérieux stalkeur et son collègue un peu forceur qui aime les roses rouges parce que l'amour et la passion c'est tout lui, ça me fume
Mais c'est vrai que leur interaction donne vraiment plus de profondeur aux deux personnages, on s'attache mine de rien