Plusieurs jours passent.
J'ai envoyé une lettre aux Pinkertons ; ils doivent venir récupérer le tueur aujourd'hui.
Depuis qu'il croupit dans la cellule de l'office, je n'ai pas eu la force d'y entrer. Je refuse d'affronter à nouveau son ombre ni son regard.
Whisper Hollow respire à nouveau, comme si la terre elle-même avait oublié l'horreur.
Depuis la soirée de notre victoire, je n'ai plus de nouvelles d'eux.
Le silence qu'ils laissent derrière eux résonne plus fort que le jour que j'ai fais leur rencontre.
Mon père et Josh, eux, se rétablissent , avec la fragilité de ceux qui ont frôlé la mort.
Quant à moi... je continue d'endosser mon rôle de shérif, comme si tout cela n'avait été qu'un cauchemar... même si, au fond, rien ne sera jamais vraiment comme avant.
Je patrouille dans des rues calmes, avec, au fond de moi, un vide silencieux que ni la loi ni la justice ne pourront jamais combler.
Je me lève et me prépare pour commencer cette journée, marquée par le départ du tueur.
Je sors de chez moi et aperçois Charles, adossé contre le pilier de ma maison. Lorsqu'il me voit, il relève la tête et m'adresse un sourire.
Charles :
- Ça fait longtemps. Comment tu vas depuis ?
Eryn :
- Tout va bien. Aujourd'hui est une journée particulière : les Pinkertons viennent récupérer le tueur. Je commençais à en avoir marre de l'avoir dans ma prison.
Charles lâche un petit rire, heureux de voir que je vais bien.
Eryn :
- Et vous ? Je n'ai plus eu de nouvelles après... Je pensais que vous étiez partis.
Charles secoue la tête pour dire non. Il m'explique qu'ils restent encore un peu à l'écart, par prudence, maintenant que les Pinkertons connaissent leur retour.
Eryn :
- Tu devrais partir tout de suite. Ils ne vont pas tarder.
Charles me salue et repart aussitôt au galop sur son cheval.
Je m'avance jusqu'à l'office.
Ma main hésite sur la poignée. Mon corps refuse d'ouvrir cette satanée porte.
Je n'ai aucune envie d'être seule avec lui.
Alors je m'assois sur les escaliers, à l'extérieur, et j'attends l'arrivée des Pinkertons.
Le bruit sourd des sabots et des roues grince dans l'air sec du matin.
Je relève la tête, réajuste machinalement mon chapeau.
Ils approchent.
Mon cœur bat trop fort dans ma poitrine.
Je sens la sueur froide glisser le long de ma nuque.
Pas parce que je crains pour moi.
Parce que je n'ai pas le droit à l'erreur.
Arthur, Charles, Javier... Ils m'ont sauvée.
Ils ont risqué leur vie.
Et maintenant, ils dépendent de mon silence.
Je serre les poings, efface toute émotion de mon visage.
Je dois être convaincante.
Je dois être une shérif droite, irréprochable.
Mentir pour eux, c'est comme porter leur vie sur mes épaules.
Le chariot s'arrête dans un nuage de poussière.
Un agent descend, grand, rigide, l'air froid comme une lame tirée, la main sur la crosse de son revolver..
Son regard, clair et tranchant, m'inspecte comme s'il pouvait lire la moindre fissure.
Il s'avance et me salue d'un signe de tête que je rends à peine.
Agent Pinkerton :
- Agent Murphy. Pinkerton Detective Agency. Vous êtes la shérif qui a capturé notre homme ?
Je hoche la tête.
Ma gorge est si sèche que j'ai peur que ma voix trahisse la panique qui me tord l'estomac.
Eryn :
- Oui, c'est moi.
Son regard s'attarde sur moi.
Longuement.
Trop longtemps.
Je sais qu'il attend que je parle.
Que je justifie.
Que je raconte.
Et je sais que je n'ai pas le droit à l'erreur.
Je prends la parole, posée en apparence, alors que chaque mot me brûle la langue
Eryn :
- Nous avons reçu plusieurs signalements de disparitions. Des traces de lutte, des indices menant à une vieille grange en dehors du village...
Un matin, pendant ma ronde, j'ai suivi les pistes.
J'ai surpris l'individu dans la grange.
Il s'apprêtait à fuir.
Il a tenté de m'attaquer.
Je marque une pause.
Je laisse passer un silence, calculé, comme une blessure invisible.
Eryn :
- Le combat a été... difficile. Mais j'ai réussi à le maîtriser et à l'emmener ici, seule.
Le mensonge me laisse un goût métallique en bouche.
Murphy ne bouge pas.
Son regard reste accroché au mien, implacable.
Puis, il plisse les yeux.
Agent Murphy :
- Vous étiez seule ?... Une femme, face à ce type ? Un homme armé, dangereux ?
La lame invisible qu'est sa voix me tranche la peau.
Je sens mon cœur cogner contre mes côtes.
Je force un sourire sec
Eryn :
- Quand on n'a pas le choix, on ne pense pas à la peur.
Je le vois hésiter.
Peser mes mots.
Chercher la faille.
Ne cligne pas des yeux, Eryn. Ne cille pas.
Un souffle de vent passe, emportant un filet de poussière entre nous.
Puis, brusquement, il détourne le regard.
Agent Murphy :
- Très bien. Montrez-nous la cellule.
Je pivote aussitôt, cachant la secousse qui me traverse.
Je le guide vers l'office, chaque pas résonnant comme une balle dans mon crâne.
Tout tient à un fil.
Et ce fil, je le serre entre mes dents.
Je me tiens là, dans l'ombre de l'office, mon dos contre la porte comme si elle allait m'empêcher de m'effondrer.
Leurs pas résonnent dans la pièce comme des échos de ce que je suis devenue : une ombre dans un monde qui m'écrase.
Les Pinkertons sont venus chercher le tueur.
Ils l'emmènent.
Je le vois, là, dans le chariot, les mains menottées derrière lui, son regard furtif jeté vers moi. Un sourire mesquin se dessine sur ses lèvres, comme s'il savait quelque chose que moi, je ne sais pas encore.
Comme si tout cela n'était qu'un jeu. Un jeu qu'il gagne, même dans sa défaite.
Je ferme les yeux un instant, laissant la fatigue m'envahir.
Quand tout ça sera fini, qu'il sera dans leurs griffes, est-ce que je pourrai respirer à nouveau ? Ou est-ce qu'il restera quelque chose d'indélébile sur moi, une marque que je ne pourrai pas effacer ?
Un bruit sourd me tire de ma torpeur. Les portes de l'office se ferment derrière les agents.
Je suis de nouveau seule avec cette pression insupportable qui écrase ma poitrine.
Je m'avance lentement, presque par automatisme, jusqu'à la table où ils ont posé les dossiers, les preuves. Les faux témoignages, les indices, tout ce qu'ils voulaient cacher. Tout ce que j'ai dû oublier pour continuer.
Je tourne en rond dans la pièce, sans but, les pensées bouillonnant dans mon esprit comme un flot incontrôlable.
Et si tout ça n'était qu'une illusion ?
Si le tueur avait laissé plus de pièges, des fils invisibles qui me rattraperaient un jour ?
Si je faisais partie de quelque chose de bien plus grand, plus noir que ce que j'ai pu imaginer ?
Je m'assois derrière le bureau de mon père, ce même bureau qu'il a occupé pendant des années.
Les papiers sont froids sous mes doigts, et l'odeur du bois vieux me brûle les narines. Il n'y a plus de chaleur ici, plus de vie.
Je laisse mon regard vagabonder, perdu.
Un frisson me traverse.
Je me demande si j'ai agi correctement, si j'ai fait le bon choix.
Et cette question... Cette question me hante.
Pourquoi ? Pourquoi suis-je revenue ici, dans ce rôle que je n'ai jamais voulu ?
Je ne suis plus la même.
Je ne serai plus jamais la même.
Puis, tout à coup, une pensée me traverse l'esprit : les trois hommes, et les questions que je me suis posées ce soir-là, quand nous avons bu nos verres ensemble. Un frisson d'inquiétude m'envahit.
Je quitte précipitamment l'office, le cœur battant. Ils ne sont plus là.
Je cours dehors, monte sur mon cheval, et je m'élance à toute vitesse, déterminée à les rattraper.
Je les vois au loin, je commence à les rattraper, et l'un des agents me remarque. Ils décident de s'arrêter.
L'Agent Murphy semble agacé de me voir arriver si vite, ne comprenant pas pourquoi je suis là.
Une fois arrivée près de lui, je pose des questions, trouvant une excuse crédible pour justifier ma présence.
Eryn :
- Avant d'attraper le tueur, j'ai rencontré un autre agent, son nom était Milton. Il cherchait un gang. Je voulais obtenir des renseignements à leur sujet, pour savoir si je le croise et pouvoir le prévenir.
L'Agent Murphy me fixe longuement, ses yeux plissés, comme s'il cherchait à déceler la moindre faille dans mon histoire. Après un moment de silence, il se redresse légèrement, son ton devenant plus froid.
Agent Murphy :
- Milton, hein ? Il fait bien partie de l'agence, mais... il n'est pas du genre à en parler ouvertement. Il est spécialisé dans les dossiers les plus sensibles, ceux qui nous poussent à jouer avec le feu. Il y a des gangs bien plus vicieux que tu ne penses... et pas le genre qu'on arrête avec un simple coup de poignet.
Il me regarde intensément, une lueur menaçante dans ses yeux.
Agent Murphy :
- Celui dont il est question, il n'est pas simplement un criminel. C'est un fantôme. Une ombre qui rôde à travers tout ce pays, et il n'est pas seul. Le gang de Dutch Van der Linde, tu connais ? C'est un nom que tu ferais bien de garder à l'esprit. Un groupe de fauves qui déchirent tout sur leur passage, et qui ne laissent jamais de témoins. Tu crois que c'est juste une bande de voleurs ? Non, c'est bien plus que ça. Ceux qui s'opposent à eux disparaissent, et ceux qui enquêtent sur eux sont souvent retrouvés bien trop tard pour dire quoi que ce soit.
Il s'approche un peu plus près, sa voix basse, presque un murmure.
Agent Murphy :
- Milton ou pas, l'affaire avec ce gang, c'est pas un simple dossier que tu peux résoudre avec quelques questions. Si tu pousses trop loin, tu vas te retrouver en plein milieu d'une tempête. Ceux de Dutch, ils ne sont pas connus pour leur clémence, et si tu cherches à te mêler de leurs affaires, ils viendront te chercher. Peut-être pas aujourd'hui, mais tu vas les attirer. Tu ferais bien de te poser une question, Shérif Caldwell. Est-ce que tu es prête à en payer le prix ?
Un long silence s'installe alors que ses mots flottent dans l'air, lourds de menace.
Agent Murphy :
- Fais attention. Les Pinkertons peuvent bien te récupérer ce tueur... mais personne n'est assez puissant pour protéger ceux qui s'approchent trop près de l'enfer. Et cet endroit, c'est exactement ce que représente ce gang.
Je m'arrête un instant, mon cœur battant plus fort. L'agent Murphy, avec son regard froid, a fini par lâcher le nom de Milton, et tout en moi s'emballe. Je n'arrive pas à croire ce que j'entends. Milton... cet agent, celui que j'avais croisé avant tout ce carnage. Ce nom résonne dans ma tête comme un avertissement, comme une alarme que je n'avais pas su entendre auparavant.
Un malaise m'envahit alors que je tente de rationaliser.
Pourquoi Milton est-il arrivé dans ma ville ?
Pourquoi tout ce cirque autour de ce gang ?
La mention de "ce gang" par l'agent montre la puissance qu'ils ont et leur combativité. Dutch Van der Linde, ce nom est comme une puissance, un nom de pouvoir.
Mon regard se fait dur. Je dois obtenir des réponses, mais je sais que ce n'est pas le bon moment. Pas encore. Si je fais trop de vagues, je pourrais perdre la seule chance qu'il me reste de comprendre ce qui se trame. Mais l'inquiétude sur le visage de Murphy ne fait qu'intensifier ma propre peur.
Je me mords l'intérieur de la joue, tentant de garder mon calme.
Eryn :
- Alors, ce gang, il est... toujours dans la nature ?
La question flotte dans l'air comme une menace déguisée. Ma voix est plus ferme que ce que je ressens réellement. À l'intérieur, je suis comme prise dans une tempête, une partie de moi révoltant contre la vérité que je commence à entrevoir, une autre se battant pour garder le contrôle de ses émotions.
L'agent Murphy semble le capter. Il fait un léger mouvement avec sa tête, comme s'il n'avait pas tout à fait saisi l'intention derrière sa question, ou peut-être qu'il préfère ne rien comprendre.
Agent Murphy :
- Pourquoi cette question ? Tu sembles... plus impliquée que ce que je pensais.
Un frisson de peur et de rage traverse mon dos. L'agent ne sait pas encore à quel point il est proche du centre de l'enfer que je tente de percer. Mais quelque chose dans sa réponse laisse entendre qu'il sait plus qu'il ne veut bien le dire.
Je reste immobile, son regard perçant celui de l'agent, cherchant une faille, une faille qu'il pourrait involontairement laisser entrevoir.
Je n'ai pas encore les réponses. Mais je sais désormais que cette histoire ne fait que commencer.
L'agent Murphy me montre son impatience. Son regard se fait plus dur, comme s'il attendait que je parte. Je le remercie brièvement et lui dis au revoir d'un ton mesuré, bien que mon cœur continue de battre à toute vitesse, encore en proie aux informations qu'il vient de me donner.
Je tourne les talons et repars vers mon cheval. Une fois montée en selle, je m'éloigne à toute vitesse, mes pensées en ébullition. Je garde la tête basse, évitant de croiser le regard des agents derrière moi. Mon esprit est trop accaparé par ce qu'il vient de se passer.
Je me dirige en silence vers chez moi, les bruits du monde qui m'entoure semblant étouffés, comme si tout était devenu lointain. Le poids des révélations me suit, et je n'arrive pas à faire taire l'angoisse qui m'envahit.
Le vent froid balaye mes pensées alors que je m'éloigne, le regard fixé sur l'horizon. Les paroles de l'agent résonnent encore dans ma tête, comme un écho menaçant. Je suis entrée dans quelque chose de bien plus grand que moi, et maintenant, je dois décider jusqu'où je suis prête à aller pour obtenir les réponses que je cherche. Mais une chose est certaine : je ne serai plus jamais la même.