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1 - Chez Michel
2 - Anachronisme
3 - Simon
4 - Soirée Jeux
5 - Corps d'Athlète
6 - Tête à tête
7 - L'Echange
8 - Cicatrices
9 - Souffle Court
10 - Malentendu
11 - Bonne Année !
12 - La Moissonneuse Batteuse
13 - Les Mains Froides
14 - Petit Ami ?
15 - Le Garçon Triste et la Fille Mielleuse
16 - Sourire Niais
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Guenoria
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Chez Michel

Il y avait eu un petit événement qui avait secoué le département où habitait Oliver et provoqué l’indignation de l’opinion publique. Le journal télévisé avait présenté l’intérieur d’une maison qui pourtant ne payait pas de mine, jusqu’à ce que la caméra ne descende vers la cave et montre l’objet du scandale. Un ancien facteur avait conservé chez lui une quantité impressionnante de courriers sans jamais les avoir délivrés à leur destinataire. On ne découvrit l’affaire qu’à son décès, il y a quelques jours.

Oliver n’aurait jamais prêté attention à ce genre d’information si sa mère n’avait pas subitement lâché sa fourchette, choquée de reconnaître leur ancien facteur. C’était en effet lui, celui que le jeune homme avait lui-même déjà vu sur le chemin de la ferme. Parfois, le vieil homme lui tapotait gentiment l’épaule en lui donnant les enveloppes et l’appelait « bon garçon ».

Sa mère se pencha pour ramasser sa fourchette et la frotta du bout des doigts sans pour autant quitter la télévision du regard.

— C’est pas croyable, souffla-t-elle. Qui sait s’il avait du courrier à nous.

Le jeune homme en doutait. Même après leur déménagement, le courrier avait toujours su les retrouver. Il remua son plat sans grand appétit, observant sa mère devenir un peu plus pâle.

— Ça va, m’man ?

Ses yeux bleus se tournèrent vers lui comme un rappel à la réalité. Elle opina et retourna à son repas.

Ce soir, ils étaient en tête à tête, ce qui n’arrivait pas souvent. Oliver était l’aîné, mais sa petite sœur encore au collège passait la nuit chez une amie, pour un anniversaire. En bout de table, il y avait normalement Greg, son beau-père, lui aussi pris ailleurs. Alors l’ambiance était relativement calme. Quand il constata qu’il n’avait plus d’appétit l’un et l’autre, il débarrassa les assiettes et se tourna vers la cuisine. Sa mère était toujours absorbée par l’écran, à se ronger l’ongle du pouce tandis que le journaliste concluait son reportage.

En revenant dans la salle à manger, il enjamba Minus, son chien, un border collie qui, en dépit de ses douze années de service, remuait systématiquement la queue avec entrain quand son maître le gratifiait de petites attentions. Il attendait avec impatience l’heure de la promenade quotidienne dans le parc, non loin de l’immeuble où ils vivaient. Et ça tombait bien puisqu’Oliver avait besoin de se changer l’esprit.

— Je sors le chien, déclara-t-il en prenant sa veste sur le dossier de sa chaise.

Dans l’entrée, il y avait un panier posé à même le sol dans lequel il laissait le harnais et quelques jouets. Tandis qu’il nouait ses lacets, Minus grattait l’intérieur du panier pour extirper sa laisse. Il trépignait.

Dehors, le temps était humide, presque maussade, comme l’était souvent l’humeur du jeune homme. Son fidèle ami trottinait à côté de lui sans qu’il n’ait besoin de le lui demander, parfaitement dressé dès le premier jour à se tenir prêt à recevoir une instruction. Oliver se souvenait bien du petit chiot qu’il était, à dodeliner de la tête et se tromper, une minuscule boule de poils parmi les bêtes qu’il guiderait un jour. Pour lui, la retraite était arrivée de manière très anticipée. Mais il n’en restait pas moins un bon chien de famille.

Comme à son habitude, Oliver libéra son compagnon qui alla saluer les pieds d’une vieille dame assise sur un banc avant d’entreprendre sa petite exploration olfactive. Minus avait beaucoup moins d’entrain et ne galopait plus autant que durant sa jeunesse, ce qui le rendait plus simple à suivre du regard.

Oliver longeait tranquillement les chemins de cailloux blancs, sans penser à quoi que ce soit. Il faisait le vide dans son esprit plus par nécessité que pour le plaisir de la solitude. Ça l’aidait à le libérer de ses émotions et ne pas provoquer de crises. Et quand isoler ses songes ne suffisait pas, il cherchait quelque chose au loin pour capter son attention. Un peu plus loin, il y avait un pont en bois par-dessus un fin cours d’eau. Les yeux vers le bas, il compta chaque planche tout en le franchissant.

Minus avait trouvé un bâton et le conservait fièrement dans sa gueule comme pour l’exposer aux yeux de tous. Chaque fois que quelqu’un lui portait de l’intérêt, son arrière-train remuait de gauche à droite au même rythme que sa queue. Il aimait également s’asseoir et relever une patte avant. C’était sa manière d’inviter un individu au jeu. Mais aujourd’hui, ce fut plutôt calme.

Ça l’était, jusqu’à ce que le téléphone d’Oliver ne se mette à vibrer dans sa poche. Il décrocha sans prêter attention à son interlocuteur.

— Allo ?

— Ce soir. Chez Michel.

Il leva les yeux au ciel et sourit en coin en reconnaissant la voix de son amie Manon. C’était une fille franche, qui allait toujours droit au but et qui aimait désormais un peu trop profiter de sa récente majorité pour pouvoir s’offrir des cocktails dans des bars. Et son invitation à se rendre dans son bar favori n’en était pas une. C’était un rendez-vous qu’il n’avait pas le droit de rater sous peine de subir les résumés des derniers potins à défaut de les avoir entendus de vive voix.

Il consulta l’heure sur son écran. Presque 21 h, un jeudi soir. Il grimaça.

— Ce sera blindé de monde, dit-il sans entrain.

— Lulu et ses potes nous gardent des places. Je passe te chercher dans dix minutes, le temps de finir un truc.

Il n’eut pas l’occasion d’en dire plus qu’elle coupa la conversation et ce fut comme si la nuit était retombée sur lui. Il siffla Minus et fit demi-tour.

Manon était étudiante à la faculté de langue. Du lycée, elle était l’une des rares à être restée dans la région tandis que leur petit groupe d’amis s’était dispersé aux quatre coins de la France. Le jeune homme ne leur en voulait pas. Chacun devait tracer sa route. Mais à la différence d’eux, lui avait échoué au bac et ne s’était pas rendu au rattrapage. Il n’était pas non plus retourné à l’école à la rentrée de septembre, alors, pour faire plaisir à sa mère, il suivait les cours par correspondance et avait accepté de se présenter en candidat libre à la fin de l’année scolaire. Ça lui laissait un peu de répit. De plus, l’hiver n’était pas encore là, donc il n’y pensait pas plus que ça.

D’ordinaire, on disait qu’une fille passait plus de temps à se préparer pour une sortie, ce qui la faisait toujours arriver en retard, mais Manon n’était pas de ce genre. Elle était effectivement présente devant son immeuble avec une bonne minute d’avance tandis qu’il rentrait tout juste avec son camarade à la langue pendante.

— Salut Mimi ! Oui, t’es un beau loulou, s’extasia-t-elle en gratifiant le border de douces caresses sur la tête.

Manon était une grande brune un peu moins commune que les autres. Le fait qu’elle pratique la natation de manière intensive depuis qu’elle avait huit ans lui avait prodigué de larges épaules musclées et une silhouette globalement restreinte. Elle portait les cheveux courts, arrivant sous les oreilles, avec une petite frange qu’elle avait coupée elle-même la première fois au début du lycée. Fort heureusement, il ne restait rien de cette catastrophe, juste une légère courbe sur un front qu’elle trouvait trop grand.

— Tu sors comme ça ? demanda-t-elle, perplexe.

Ça désignait surtout son vieux sweat à capuche et ses chaussures pleines de boue. Il haussa les épaules.

— Je peux mettre un truc plus simple, si tu as deux minutes.

Elle tapota sur son poignet comme si elle portait une montre pour lui dire qu’il devait faire vite et il remonta rapidement les escaliers qui se trouvaient à l’extérieur de l’immeuble. Quand il revint, elle l’attendait au volant de sa voiture, une vieille Clio plus ancienne qu’elle, hérité de son père pour qu’elle puisse être autonome, avec l’injonction d’en prendre tout de même soin. Elle avait beau avoir réussi son bac avec mention très bien, elle s’y était reprise à trois fois pour obtenir son permis de conduire. Alors c’était toujours avec une petite appréhension qu’Oliver s’installait à la place du mort.

— Avant que tu ne dises une bêtise, sache que Lulu a largué son mec. Donc on n’aborde pas le sujet.

Cette mise en garde le fit sourire. Ludivine en était déjà à sa troisième relation depuis qu’il avait fait sa connaissance à la rentrée. Elle était dans la même filière que Manon et toutes deux avaient sympathisé dans l’amphithéâtre. Contrairement à la nageuse, c’était une grande romantique qui se mettait très rapidement en couple dès qu’elle entamait les choses sérieuses avec un homme. Oliver se dit alors que si elle continuait sur sa lancée, son célibat allait être de courte durée.

— Elle se prend trop la tête à vouloir faire comme ses parents, murmura-t-il en regardant les bâtiments défiler à côté de lui.

Les parents de l’étudiante s’étaient connus très vite, dès la première année de fac et formaient selon ses dires le couple idéal. Elle rêvait tant de reproduire le schéma qu’Oliver en avait de la peine pour elle.

Chez Michel était le bar qu’il fréquentait avec Manon depuis presque aussi longtemps qu’ils se connaissaient. C’était leur point de rendez-vous du mercredi après-midi, après les cours, à une époque où ils n’étaient en âge de consommer que des sodas et des chocolats chauds l’hiver. Y venir les jeudis en pleine soirée étudiante n’avait rien à voir. C’était plus bruyant, plus alcoolisé, plus infernal. Le jeune homme regrettait son adolescence rien qu’en entendant le brouhaha au loin alors qu’ils approchaient de leur destination.

Il leur fallut se faufiler entre les clients et esquiver les verres de bière tenus en l’air pour parvenir jusqu’à une table nichée dans un coin. Ils y trouvèrent la bande de potes habituelle, plus celle de Manon que celle d’Oliver. Même après trois mois à les côtoyer de temps en temps, il avait à peine commencé à retenir les prénoms tant le groupe avait évolué pour finalement stagner avec les membres présent ce soir. Et la nageuse était une adepte des surnoms simplifiés, ainsi Ludivine était devenue Lulu, Coralie : Coco, Justin : Juju, et Mohamed : Momo. Par chance, Oliver avait convenu avec elle des années plus tôt d’échapper à cette loi au grand désarroi de celle-ci. Il comprenait l’intention derrière cette manière de s’adresser aux gens qu’elle aimait, mais elle lui déplaisait.

Étant les derniers arrivés, tout le monde dut se lever pour les laisser s’installer tout en leur faisant la bise à tour de rôle. Comme à son habitude, le jeune homme se contenta d’être formel dans ses réponses, hochant la tête quand on lui demandait s’il allait bien, affirmant à Coralie que son chien se portait à merveille quand elle le questionna à son propos et leur demanda en retour s’ils n’étaient pas trop fatigués de leur semaine, histoire de participer à la conversation.

Ce n’était pas qu’il n’aimait pas fréquenter les amis de Manon. Ils étaient sympas, pleins d’enthousiasme et ils lui rappelaient la bande de potes qu’il avait au lycée. Cependant, si la nageuse ne le forçait pas à sortir de sa coquille, il passerait probablement sa vie loin de la civilisation.

— J’ai invité mon cousin à nous rejoindre, déclara Ludivine de but en blanc lorsqu’on leur servit tous leur consommation. Comme il habite la ville, j’ai repris contact avec lui et il est vraiment chouette. Je ne l’avais pas revu depuis le collège alors j’ai pensé que ce serait top de se voir ce soir.

Tout le monde semblait ravi de l’apprendre, mais Oliver se contint. Ça faisait un nouveau nom et visage à retenir et il en était fatigué d’avance. Et puis il se souvint que la jeune fille était fraîchement sur le marché de l’amour et que son regain d’intérêt pour un membre éloigné de sa famille lui était sans nul doute venu pour combler un manque. Elle trépignait d’impatience, non sans cacher sa timidité, un détail chez elle qu’il trouvait adorable. Ludivine était une fille vraiment jolie, avec des joues hautes, une silhouette fine qui la faisait paraître délicate et un teint de porcelaine. Il n’était pas difficile de se demander comment elle arrivait à se mettre en couple avec un garçon puisqu’en plus d’être mignonne, elle était la gentillesse incarnée. Au final, c’était sans doute ce dernier détail qui la perdait, avait-il songé parfois.

Le cousin se laissa désirer, voire même oublier. Il était déjà presque 23 h et le bar se vidait de ses clients qui ralliaient la deuxième étape de leur périple nocturne : une boîte de nuit appelée l’Apothéose. L’environnement était devenu un peu plus calme et Oliver, aidé par trois bières, un brin plus guilleret. Il ne faisait pas plus attention aux conversations autour de lui qu’à l’arrivée, mais il affichait plus facilement un sourire béat. Il hochait la tête par intermittence pendant que Mohammed lui parlait de foot, ou peut-être de sa dernière randonnée en Corse. Il n’était plus très sûr.

Ce qui l’était en tout cas, c’était que le retardataire avait fini par trouver son chemin jusqu’à eux. Ludivine s’était subitement levée de la banquette et avait failli faire renverser les verres en bousculant la table. Elle effectua de grands signes vers l’autre bout du bar à l’attention d’un jeune homme. Le groupe se tut pour regarder dans la même direction qu’elle et Oliver vida d’une traite le fond de sa pinte. Puis il se tourna pour découvrir le nouveau venu qui fit une seule bise à sa cousine.

— Les gars, je vous présente Arthur.

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