— Réveille-toi, gros dormeur.
Oliver avait à peine commencé à somnoler, emporté par la fatigue. Pour le tirer de son sommeil, Arthur avait tapoté le bout de son nez, accroupi devant le lit. Il souriait face à son petit air d’angelot.
— Je te ramène chez toi ?
Il ne s’était pas écoulé plus de cinq minutes et pourtant Oliver avait l’impression d’avoir fait une sieste interrompue trop vite. Il se frotta les yeux puis se gratta la nuque. Arthur lui prit le livre pour éviter qu’il ne tombe.
— Sinon, si tu es trop fatigué, tu peux rester dormir. Et je te dépose chez toi demain matin à la première heure, proposa-t-il devant la mine épuisée de son ami.
Immédiatement, Oliver se redressa, gêné.
— Je ne veux pas t’embêter.
— Tu as pleuré sur mon manteau tout à l’heure, je ne suis pas à ça près, répliqua Arthur en riant tout bas.
Il lui désigna son lit, un modèle double, un peu plus grand que celui d’Oliver.
— Et ce n’est pas la place qui manque. Je te prête même un pyjama. Hôtel ou taxi immédiat ?
— Vu comment tu poses la question, j’ai l’impression d’abuser de toi.
— Si tu veux que mon avis pèse dans la balance, sache que j’ai un sacré coup de barre et que ça m’arrangerait de te déposer à l’aube avec mes huit heures de sommeil. Et il paraît que je ronfle un peu donc si tu as le sommeil léger, c’est toi qui seras embêté.
Oliver sourit. Il était aussi très fatigué et l’idée de dormir immédiatement désormais que son corps l’y autorisât n’était pas déplaisant.
— Il paraît que je murmure quand je dors, lui dit-il pour lui signifier qu’il choisissait la première option.
— Je dors toujours comme une masse, le rassura son ami.
Arthur enjamba une caisse pour ouvrir une commode, extirpa un bas de pyjama et le lui tendit. De son côté, il emporta dans la salle de bain le sien et laissa le temps nécessaire à Oliver de se changer. En général, le jeune homme ne dormait qu’avec son boxer, mais n’étant pas chez lui la pudeur primait. De plus, il n’était pas dans son environnement habituel. Dans sa chambre plus ordonnée, il faisait plus chaud, sa mère lui permettant d’allumer son radiateur. Ça en plus de son duvet, il avait de quoi faire. Or, dans le cas présent, le chauffage était au minimum et la couverture nettement plus fine.
Il enfila le pyjama et hésita à conserver son t-shirt. Puis il vit son pull. Celui que Simon lui avait offert. Sans trop réfléchir, il l’attrapa et le revêtit. C’était comme enfiler une seconde peau. L’imprimé de tortue était toujours là et sa douceur avec. Il se sentait enfin bien et rassuré.
Arthur revint à la chambre, également changé. Il portait un bas similaire avec un haut assorti, digne des pyjamas des films de Noël. Oliver se retint de pouffer. Son hôte pouvait changer d’avis à tout moment.
— Ah ! Au fait. Il y a un truc qu’il faut que je te dise.
Oliver le regarda se pencher pour extraire un objet rond, faisant la taille d’un poing fermé. Il actionna un bouton et l’appareil s’alluma d’une douce lumière dorée. Une veilleuse.
— Tu as peur du noir, comprit Oliver sans pour autant le juger.
— Chacun ses traumas, j’ai envie de te dire. Ça ne te dérange pas ?
Il haussa des épaules. Il avait déjà connu des mariages où il s’était endormi avec, pour bruit de fond, les musiques typiques pour faire la fête jusqu’au bout de la nuit et les trombinoscopes. Ce n’était pas une veilleuse qui allait l’embêter. Mais peut-être bien autre chose.
Ils se faufilèrent sous la couverture chacun de leur côté et, lorsqu’Arthur éteignit la lumière, ils se turent et demeurèrent immobiles.
Songeant que le sommeil qui l’avait précédemment gagné reviendrait de plus belle, Oliver s’étonna d’être incapable de fermer l’œil. Son cœur pompait son sang comme s’il venait de courir le 100 mètres et refusait de se calmer. Il tenta de penser à quelque chose d’apaisant, quelque chose de bien plus éloigné que la présence du photographe dans cet environnement hautement privé.
Ce dernier se retourna pour changer de position et il y eut un frôlement de jambes.
— La vache ! Tes pieds sont gelés !
— C’est toi qui es bouillant ! avait rétorqué Oliver.
Il s’était néanmoins recroquevillé sur son bord, bien emmitouflé sous la couette. Il était épuisé aussi bien moralement que physiquement. Mais en sachant Arthur tout près et l’omniprésence de son odeur partout autour de lui, il n’arrivait pas à libérer ses pensées. Des dizaines de questions se succédaient les unes aux autres.
— Viens là, murmura le photographe dans la pénombre.
Oliver se retourna, mais conservait sa position presque fœtale. Son ami se tenait face à lui, ses cheveux en pagaille sur l’oreiller. Grâce à la veilleuse, il pouvait voir son regard et ses mains approcher des siennes.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il quand il emprisonna ses doigts dans ses paumes.
— Je te réchauffe les mains. Ça ne se voit pas ? On dirait que ton sang ne circule pas jusqu’au bout.
C’était de famille. Sa sœur comme sa mère avaient toujours les extrémités froides, même en faisant de l’exercice. Parfois, lorsque les températures chutaient sous la barre des 0°, le bout de ses mains pouvait virer au blanc.
Celles d’Arthur étaient chaudes, douces et réconfortantes, comme lorsqu’il était resté auprès de lui dans le parc. Il se demanda si c’étaient juste ses mains, ou le reste de son corps. La réponse ne tarda pas quand il sentit ses pieds toucher les siens, puis les recouvrir. Il s’abandonna quelque peu, s’imprégnant de ce contact. Et son cœur s’emballait à toute allure. Il sentait ses joues chauffer et remercia la veilleuse de ne pas laisser voir son trouble.
Était-ce bel et bien par amitié qu’Arthur faisait ça pour lui ? Il essaya de penser objectivement à la situation. Vulnérable et perdu, il s’était retrouvé dans le lit d’un garçon qui ne le laissait pas indifférent et ce dernier lui tenait les mains tout en lui faisant du pied sous la couette. Ce n’était clairement pas anodin. Il en était certain. Et il avait à la fois chaud et froid tant cette disposition le mettait mal à l’aise.
Il retira ses mains un peu plus brutalement qu’il ne l’aurait voulu et le regretta aussitôt en voyant l’expression déconfite d’Arthur. Ce dernier, sentant sa confusion, écarta ses pieds, mais Oliver eut un nouveau réflexe maladroit en attrapant sa hanche. Et troublé par les innombrables questions qui affluaient dans sa tête, il en oublia de respirer.
Ou alors c’était le fait qu’Arthur ait posé ses lèvres sur les siennes qui l’empêchait de reprendre son souffle.
Ce fut bref, d’une légère pression, à peine un contact. Il n’eut pas le temps d’en connaître la saveur que c’était déjà fini. Et pourtant, tout son corps en était électrisé.
Arthur avait rompu le baiser comme s’il venait de commettre le pire péché qui soit, comme si à force de jouer avec le feu il s’était finalement brûlé. Son visage était empreint de culpabilité puisqu’il avait franchi une limite après laquelle on ne pouvait pas revenir en arrière.
— Pardon. Je n’aurais peut-être pas dû faire ça.
Le son de sa voix le fit réagir. Oliver n’acceptait pas son excuse. Il n’acceptait pas qu’il regrette. Arthur venait de lui permettre d’y voir plus clair et il en voulait plus.
— Refais-le, lui dit-il en exerçant une pression sur sa hanche qu’il tenait encore.
Arthur écarquilla les yeux. Les poils de son corps se hérissèrent, en sentant le pouce d’Oliver se faufiler sous son haut de pyjama. Il était la pire des tentations. Après une vague hésitation, il s’approcha de nouveau d’Oliver, plus préventif. Leurs regards ne se lâchaient pas et leurs souffles s’accéléraient au rythme de leur impatience. Leurs bouches entrouvertes se considérèrent dans un effleurement d’abord chaste puis fondirent l’une sur l’autre sans préambule. Les mains d’Arthur attrapèrent son visage pour accentuer l’effet tandis que celle d’Oliver ne lâchait pas sa hanche. Elle l’agrippait désespérément.
Calé sur un rythme qu’ils n’eurent aucun mal à trouver, leurs lèvres se mouvèrent, se cherchèrent, et très vite, leurs langues se présentèrent sans aucune retenue. Oliver ne fut en aucun cas gêné par la pilosité de son ami malgré qu’il y ait songé. L’idée d’embrasser un homme ne lui avait jamais paru étrange, mais lorsqu’il y avait réfléchi par le passé les garçons auxquels il pensait n’avaient pas encore développé ce genre d’attribut. Et subitement, il n’avait plus froid. Son corps s’était complètement imprégné de la chaleur d’Arthur, aidé par son sang qui pulsait dans tous ses membres. Il bouillonnait. Sa main libre empoigna avec ferveur les boucles brunes et leurs jambes se mélangèrent, se caressant sans vergogne.
La douceur de leur baiser avait vite laissé place à la pulsion sauvage de leur excitation. Ils étaient désormais si près l’un de l’autre qu’Oliver eut du mal à ne pas remarquer l’état dans lequel se trouvait Arthur. Cela l’exalta autant qu’il en eut peur. À contrecœur, il rompit le contact de leurs bouches, le souffle court. Il avait besoin de se ressaisir, de s’assurer que sa tête ne lui jouait pas des tours. Le pouce d’Arthur était bel et bien là, à caresser sa joue. Son doux regard scrutait le sien, attendri.
— Pardon, je suis un peu trop entreprenant.
Comme pour le rassurer, Oliver avança légèrement son bassin contre le sien pour lui signifier que son excitation était à la mesure de la sienne.
— Tu n’as pas idée à quel point je me sens bien en cet instant.
Il initia à son tour un nouveau baiser, plus court, moins fiévreux, mais suffisant pour s’imprégner de son goût et libérer de nouveau les papillons dans son ventre.
— Arthur ?
Celui-ci lui offrit toute son attention.
— Serre-moi dans tes bras cette nuit, demanda Oliver comme s’il lui réclamait le besoin de respirer.
Silencieusement, Arthur le laissa se blottir contre lui, enveloppant son corps de sa chaleur réconfortante. Il serait son bouclier, son havre de paix ou même un doudou, peu lui importait tant qu’il pouvait lui permettre de sommeiller en toute quiétude.
Il le sentit au fur et à mesure se détendre et sa respiration se caler sur la sienne. Oliver s’endormit aussitôt, trop épuisé pour lutter davantage contre le marchand de sable. Son souffle chaud chatouillait agréablement son cou. Il profita de leur proximité pour déposer un baiser sur son front et murmura dans la semi-pénombre :
— Bonne année, Oliver.