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Guenoria
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Malentendu

Le lendemain de Noël, alors que toute la tribu digérait tant bien que mal les plats lourds préparés par Greg, Manon était venue rendre visite à la famille. Premièrement parce qu’elle aimait bien passer du temps avec eux, et deuxièmement parce qu’Oliver avait décidé de faire le mort depuis sa soirée déguisée. Il avait fini par couper son portable et végétait devant la télé quand il ne faisait pas le tour du quartier avec Minus. Inquiète, la nageuse s’était laissé glisser sur le canapé, et avait posé sa tête contre lui, avec ses grands yeux de chien battu.

— Pourquoi tu boudes ?

— Je boude pas.

— Menteur.

— Je boude pas, insista-t-il en soupirant.

Elle fit la moue, puis se releva pour récupérer un gros sac cabas qu’elle avait amené avec elle. Comme chaque année depuis qu’ils se connaissaient, ils s’échangeaient un petit cadeau de Noël, sans grande prétention. L’année précédente, étant donné que leur groupe d’amis incluait plusieurs membres de l’équipe de natation, ils avaient décidé de tirer au sort leur destinataire. Oliver s’était vu offrir une boîte de chocolats par Célia et lui avait eu la chance de sortir le nom de son meilleur ami. Il avait fait les fonds de tirelire pour lui offrir une belle planche de skateboard.

N’étant que les deux seuls à être restés dans la région, ils s’étaient mis d’accord quelques semaines plus tôt pour s’offrir un cadeau l’un à l’autre. Et avant de se faire remettre le sien par Manon, il avait pris son courage à deux mains pour récupérer la boîte douteusement emballée qu’il avait laissée sous son lit. Il s’amusa de voir ses yeux pétiller. Manon était le genre de personne qui adorait recevoir des cadeaux, même les plus basiques. Elle savourait ce petit sentiment d’impatience et de curiosité.

Ils déballèrent en même temps leurs cadeaux. Manon s’empressa d’arracher le papier tandis que lui, plus soigneux, retirait doucement les points de scotch. Pour lui faire plaisir, il avait fait au plus simple. Étant donné qu’elle appréciait les jeux de société, il avait parcouru toute une boutique pour lui trouver quelque chose qu’elle n’avait pas. Et à en croire l’expression de son visage, son choix avait fait mouche. Il terminait à peine d’ouvrir le sien qu’elle lisait attentivement les règles.

Le concernant, personne ne savait vraiment quoi lui offrir, même sa propre famille. Oliver avait toujours été un garçon sans réel hobby. Il s’était mis à la natation comme il aurait pu jouer au foot, parce que sa mère l’y avait poussé. Et en dehors de son groupe d’amis, il passait auparavant son temps libre avec Minus ou sa sœur. Il n’était pas particulièrement fan de musique, de jeux-vidéo, ne soutenait pas d’équipe de sport en particulier et se laissait généralement porter par le courant. Et même arrivée à la moitié de son année scolaire, il n’avait pas pris de dispositions concernant son avenir. Sa mère et son beau-père soulevaient parfois la question en lui proposant des forums ou de rencontrer une conseillère d’orientation, sans grand succès.

Il fut tout de même surpris par le cadeau de son amie. Elle avait opté pour une maquette à monter soi-même, tout en bois. Le résultat final selon le dessin technique devait être une locomotive. Un choix qu’il accueillit dubitativement.

— T’as le droit de me le dire si ça ne te plaît pas, dit-elle, peu convaincue de son propre choix.

— Moi je la trouve chouette, au contraire, rassura le jeune homme avec un mince sourire. Et puis, si je m’y mets, tu pourras vraiment dire que je suis devenu un ermite.

Elle lui tira la langue et fit mine de vouloir reprendre son présent, mais il la prit de court et elle s’étala sur la table de la salle à manger.

— Hors de question que tu deviennes un solitaire endurci, protesta-t-elle. Tout le monde t’aime bien dans le groupe. Tu passes même beaucoup de temps avec Arthur en ce moment. C’est bien que tu te sois fait un nouvel ami proche.

Il se crispa et son expression se renfrogna. Malheureusement, il n’envisageait plus les tête-à-tête avec le jeune homme. Rien que de penser à lui, il revoyait les cicatrices sur son bras.

— C’est pas mon ami, rétorqua-t-il sèchement. On s’est vu quelques fois pour que je puisse battre Ella aux échecs et c’est tout. Mais ça s’arrête là.

— Pourquoi donc ? demanda-t-elle, incrédule. Ça avait l’air de bien coller entre vous deux.

— J’ai pas envie de parler de ça.

— Attends ! Y’a un truc qui cloche ? Parce je suis pas aveugle. J’ai bien vu que vous vous entendez bien. Vous avez même échangé vos fringues pour ma soirée. Ça me fait penser que tu es parti d’un coup sans prévenir. Il s’est passé un truc ?

Il avait beau essayer de fuir son regard, elle demeurait coriace et ne comptait pas lâcher l’affaire. Seulement, même s’ils étaient confidents, Manon ne savait pas tout de lui, parce qu’il aimait préserver son intimité. Et s’il abordait les cicatrices qu’il avait découvertes, cela revenait à exposer cette facette d’Arthur. Ce n’était pas à lui de révéler ce détail.

— Je me suis senti mal, dit-il pour brouiller les pistes. Avec Ludivine qui a vomi ses tripes et le trop-plein de gens, j’ai eu envie de rentrer. Désolé de ne pas t’avoir prévenu.

— Et Arthur ? insista-t-elle.

Il ferma les yeux en soupirant longuement.

— Il est gentil, mais pas au point d’en faire un ami. Et je crois bien que je ne suis pas prêt pour ça.

Il y avait un fond de vérité dans ce qu’il disait. Découvrir les tares d’Arthur avait éveillé en lui une vieille crainte de voir les choses se répéter, qu’il s’attache à cette personne sans pouvoir intervenir lorsque celle-ci décidera que la vie n’en valait pas la peine.

— Tu devrais peut-être lui dire alors, plutôt que de le ghoster.

Elle lui montra son écran de portable, ouvert sur une conversation qu’elle tenait depuis quelques jours avec Arthur. Le jeune homme était manifestement inquiet de ne pas avoir de nouvelles et s’était tourné vers sa meilleure amie pour s’assurer que tout allait bien.

Au même moment, Ella fit irruption dans la pièce, Minus derrière elle, avec sa planche de jeu d’échecs.

— Manon, puisque moi j’ai pas le droit à un cadeau, tu accepterais de faire une partie avec moi ? Lui, il veut plus.

Elle accentua sa réclamation d’une mimique angélique et boudeuse qui fit aussitôt craquer la nageuse.

— D’accord, mais pas trop longue. J’ai entraînement dans une heure.

Après une cuisante défaite face à la tenace collégienne qui ne lui avait laissé aucune chance, Manon s’était hâtée de rejoindre le club de natation. Oliver en avait profité pour lui demander de le déposer sur la route, non loin de chez Arthur, afin de lui rendre ses affaires. Il avait réfléchi longuement à l’idée qu’elle puisse servir d’intermédiaire, puis, sachant qu’elle ne serait pas d’accord, il avait décidé de se présenter en personne.

Seulement, à la seconde où il avait ouvert les messages d’Arthur, son cœur s’était serré. Il s’était inquiété de ne pas avoir de nouvelles, puis avait laissé tomber le jour même, le dernier texto datant de la veille. Avec l’assistance de sa mère, il avait récupéré toutes les tâches de gazon et de terre, et avait aussi pris le temps de mettre un coup de fer sur chaque vêtement, non sans aide pour ne pas brûler les tissus.

Il avait marché jusqu’à cette maison qu’il avait visitée quelques jours plus tôt. La différence entre cette fois-là et le présent était la boule d’angoisse dans son ventre. Il n’avait pas du tout pas envie d’être ici et encore moins de le voir. Quand il franchit le portillon qui grinça à son passage, il pria pour qu’il ne soit pas chez lui. Il préféra nettement tomber sur ses parents à qui il pourrait refourguer son bagage et rentrer fissa pour ne plus jamais revenir.

Il sonna en serrant les dents et prit une grande inspiration. Il n’avait pas vu de voiture dans l’allée et se dit que peut-être personne n’était là. Qu’ils étaient probablement partis voir de la famille pour les fêtes. Mais la porte s’ouvrit et il retint son souffle.

Arthur écarquilla les yeux, surpris d’observer Oliver devant chez lui, deux marches plus bas, l’obligeant à baisser la tête. Mais le jeune homme fuyait son regard.

— J’ai ramené tes affaires, dit-il en ouvrant son sac à dos. Dans le doute, j’ai tout lavé à basse température et les tâches sont parties. Voilà.

— Voilà ?

Le ton d’Arthur était presque accusateur. Il croisa les bras sur sa poitrine, les gonflants sous sa chemise rayée.

— T’es parti et t’as pas donné de nouvelles. J’étais inquiet !

— Pardon.

Arthur attendit qu’il en dise davantage, mais Oliver se contenta de tendre ses affaires pour qu’il les prenne. Il refusait toujours de le regarder dans les yeux.

— Il se passe quoi ?

— Rien, affirma le jeune homme. J’avais besoin de… de m’isoler.

Il insista dans son geste, parce que son bras raide commençait à lui peser. Mais lorsqu’il se rendit compte qu’Arthur avait descendu la marche pour se pencher vers lui, il recula d’un seul coup. Il avait vu ses yeux, empreint d’inquiétude. Comme d’habitude il était très présentable, bien peigné, aucun pli apparent sur ses vêtements, et toujours aussi beau. Celia n’avait pas eu totalement tort en soulignant qu’il lui plaisait. Mais le fait de le comprendre n’aidait pas son problème. Arthur avait en outre les siens, du genre qu’il ne pouvait pas soutenir, même s’il n’était que son ami.

— Tu as un problème avec moi ?

Oliver serra les poings. Il devait mettre fin à tout ça vite, avant que son cœur n’explose et qu’il perde à nouveau son souffle.

— C’était sympa, les échecs et tout ça. Mais on devrait arrêter de se voir.

Il saisit le peu de courage qu’il lui restait et l’obligea à attraper le sac de vêtements ainsi que les chaussures. Son geste brutal surprit Arthur qui les récupéra maladroitement, perdant presque un de ses souliers. Mais voyant Oliver prendre la poudre d’escampette, il fila droit vers lui et agrippa son bras pour le retenir.

— C’est quoi l’embrouille ? J’ai fait un truc qui ne fallait pas ?

— C’est… C’est compliqué et c’est pas tes oignons, répondit Oliver qui luttait pour enfouir sa colère.

— Non, j’ai le droit à une explication, exigea Arthur. Et pourquoi tu ne me regardes pas ?

Il faisait barrage de son corps jusqu’au portillon. Cependant, avant qu’Oliver ne se décide à lui fournir un semblant d’argument, il entendit le photographe émir un léger rire ironique.

— J’ai compris. C’est à cause de ce que Ludivine a dit à mon propos.

Stupéfié, Oliver chercha rapidement ce dont il parlait, incapable de se rappeler exactement ce qui s’était dit dans cette salle de bain. Il se souvenait très bien avoir été interpellé par les stigmates sur sa peau, mais à peine des jérémiades de l’étudiante.

— C’est le fait que j’aime les garçons qui t’a posé problème, avoue. Maintenant que j’y repense, t’es parti quand Ludivine a fait allusion à mes ex-copains.

— C’est quoi ses conneries ? s’énerva Oliver.

— J’étais loin de penser que tu étais un homophobe, lui dit Arthur en haussant la voix. Je pensais que t’étais ouvert, mais j’étais trop bête pour comprendre immédiatement.

Oliver aurait voulu rire de cette situation, mais la colère finit par l’emporter.

— Va te faire foutre, Arthur ! s’écria-t-il en le bousculant.

Le portillon grinça plus fort que précédemment sur le passage d’Oliver. Il ne prit pas la peine de le refermer et s’échappa à grandes enjambées, fulminant contre Arthur, mais aussi contre lui-même. Son incapacité à s’ouvrir avait mené à un quiproquo dont il avait été pas su se dépêtrer. Cela aurait dû aboutir à une explication, à une confession de tout ce qui le travaillait, mais que le jeune homme finisse par le détester semblait être un moyen plus simple de rompre leur lien.

Il avait pensé que ça le soulagerait, qu’il pourrait mieux respirer, mais ce fut le contraire. Tandis qu’il marchait vers l’abribus, il n’arrivait pas à atténuer le flot de larmes qui dévalaient ses joues. Il avait beau sécher sa peau avec sa paume ou le revers de sa manche, elles revenaient de plus belle, intarissables. Sa colère mélangée à son chagrin ne lui permettait pas d’avoir les idées claires sur la situation.

Il passa l’arrêt de bus, incapable de rester immobile. Il marcha si longuement qu’il ne vit pas le temps s’écouler, les quartiers défiler, jusqu’à se retrouver près du sien. Il faisait presque nuit, la température avait chuté dans le négatif et il était transi de froid malgré son sang qui pulsait désespérément vers ses extrémités. Ses yeux le brûlaient, ses joues l’irritaient et sa tristesse perdurait tout de même.

Et au détour d’un passage piéton, tandis qu’il observait consciencieusement le voyant lumineux, il sentit son regard être attiré au-dessus de lui. Quelque chose avait changé dans le temps. Il s’était mis à neiger. Les flocons portés par un vent léger tombaient sur lui, sur son visage aux pommettes rougies et froides.

Il se rendit alors compte qu’il avait retrouvé le chemin de la piscine, celle du club de natation. Cela faisait des mois qu’il n’avait pas osé revenir et ses jambes l’y avaient guidé à partir du moment où il s’était mis en pilote automatique. Au milieu des voitures alignées, il trouva sans peine celle de Manon et cette dernière ne tarda pas à apparaître, les cheveux encore humides. Elle s’arrêta net en l’apercevant, éberluée, comme si elle avait vu un fantôme. N’en était-il pas un ici ?

Ce qui la frappa ensuite, ce furent les yeux rouges de son ami. Elle laissa tomber son sac et accourut, sa silhouette élancée faisant fit du froid glacial et des plaques de verglas. Il n’eut pas besoin de parler qu’elle le prit aussitôt dans ses bras. Ses cheveux courts fouettèrent les joues du garçon, mais c’était secondaire comparé à l’effet que lui procurait cette étreinte. Même sans connaître son tracas, elle lui offrait toute son attention, sa patience et la promesse d’être à son écoute lorsqu’il serait prêt.

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