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Guenoria
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Sourire Niais

Cela faisait trois fois que sa tante l’appelait avant qu’Oliver ne réagisse. Il était perdu dans ses pensées, sa fourchette faisant le tri entre les carottes et la viande dans son assiette. Le coup de coude d’Ella le tira de sa rêverie et il sursauta. En face de lui, sa mère lui adressait un regard lourd de reproches. Celui qui lui disait de faire attention à ce qui l’entoure plutôt que d’être dans son monde. Le regard le plus communicatif qu’il connaissait. Quand il était enfant, il suffisait que leurs yeux se croisent pour qu’il sache si sa punition allait être de la même ampleur que sa bêtise.

— Comment se passent les cours en ligne, mon grand ?

Tante Catherine était la sœur aînée de son père. Chaque année, la famille se retrouvait le temps d’un week-end, parce que tout le monde ne vivait pas dans la même région, et cette tradition avait perduré au fil des ans, en outre une fois le deuil passé. Ils avaient donc roulé plus de 300 kilomètres jusqu’au vaste domaine du cousin Hugo qui possédait un haras et suffisamment de chambres pour tous les convives. Le père d’Oliver venait d’une grande famille, mais il était l’unique fils et avait été élevé avec quatre sœurs. Chacune d’elles s’étant mise en ménage relativement tôt et ayant mis au monde plusieurs enfants, la tablée était bien fournie. Les plus jeunes déjeunaient à part dans la cuisine tandis que le reste se retrouvait à l’immense table de la salle à manger. Catherine avait prévu de quoi nourrir tout un régiment, étant elle-même dans l’hôtellerie, elle savait y faire.

— Ça se passe, se contenta-t-il de répondre.

C’est à peine si on osa s’adresser un peu plus à lui. Tous ici étaient au courant de son passif. Et la plupart d’entre eux le revoyaient pour la première fois depuis Simon. Il saisissait dans leur regard leur compassion. Des oncles lui avaient bravement tapoté l’épaule en signe d’encouragement et il avait remarqué que les étreintes de ses quatre tantes au moment de se saluer s’étaient faites plus longues et chaleureuses que d’habitude. Mais les jeunes cousins, eux, ne savaient comment se comporter avec lui. Il avait entendu leurs messes basses à son propos, leurs questionnements. Et Ella faisait de son mieux pour les envoyer paître à sa place.

Pourtant, il était loin de se sentir mal. Cela faisait maintenant une semaine qu’il fréquentait Arthur. Une semaine que leurs lèvres avaient fait connaissance l’une et l’autre. Mais également une semaine qu’il ne s’était pas revu. Sa mère n’avait pas apprécié qu’il découche le soir de l’an, sans prévenir. Depuis, elle avait accru son attention sur lui, au point de devenir étouffante.

Lui annoncer sa bisexualité et sa relation récente avec un garçon lui paraissait alors irréalisable. Tout d’abord parce qu’elle jugeait d’un mauvais œil ce genre de fréquentation et aussi parce que ses quelques crises d’angoisses ne jouaient pas en sa faveur. Elle le trouvait d’abord suffisamment fragile et vulnérable, et il voyait déjà la manière dont elle envisagerait la chose.

Mais songer à Arthur était pour lui nettement plus stimulant que d’apprendre qu’untel avait un peu de tension, qu’un autre avait eu une nouvelle opportunité professionnelle ou bien qu’une cousine plus âgée racontait les préparatifs de son mariage. Quoique, à bien y penser, cette dernière discussion suscita en lui un vif intérêt. Il cessa son décorticage et s’adressa à son aînée, à la surprise générale.

— Vous avez un photographe pour la cérémonie ?

Il y eut un silence et le fait que tous les regards s’orientent vers lui ne fit qu’accroître sa gêne. Il regretta presque aussitôt de s’être intégré à la conversation.

— À vrai dire, nous n’avons pas encore trouvé quelqu’un dans notre budget, lui répondit Alice. Le traiteur nous coûte déjà les yeux de la tête, et ne parlons pas du prix du vin. Pourquoi cette question ?

Les têtes se tournèrent à nouveau vers lui. Son cœur battait beaucoup trop vite et ses mains étaient moites.

— Je… Je connais quelqu’un. Un ami qui s’est lancé l’année dernière. Il a déjà fait des mariages et il est vraiment doué.

— Et Oliver a aussi fait une séance avec lui, ajouta Ella. Je peux confirmer qu’il est doué.

— Ah ! C’est donc ça les photos dans ta chambre, dit sa mère avec un sourcil arqué. Je me suis demandé d’où elles venaient. Je n’ai même pas reconnu la jeune fille avec toi.

— C’est Ludivine, une amie, répondit-il timidement. Elle va à la fac avec Manon.

— Et bien, c’est une très belle jeune fille. Vous avez l’air très proches sur ces images.

Oliver sentit ses joues s’empourprer. Il n’avait pas encore encadré les photos d’Arthur, mais les avait laissés sur un coin de sa commode. Sa mère ayant la mauvaise habitude de fouiller ses affaires n’avait pas pu les manquer. Et voilà qu’elle se faisait des idées.

— Rien que des amis, maman, insista-t-il.

— L’avenir nous le dira. Vous êtes jeune.

— Arrête ça, s’il te plaît.

— D’accord ! D’accord ! capitula finalement sa mère en levant les mains en l’air. Excuse-moi d’avoir pensé que tu t’intéressais à ce genre de chose. À ton âge, je trouverais normal de te voir sortir avec une ou deux filles.

— Il doit bien se traîner quelques ex-copines du lycée, supposa un oncle en se resservant un verre de vin rouge.

— Je me souviens juste d’une fille lors de l’interclub de natation, mais ça doit faire un ou deux ans, je crois. Enfin bon, je ne vais pas rentrer dans les détails devant tant d’oreilles juvéniles.

Oliver leva les yeux au ciel et soupira. Cela faisait longtemps que le sujet n’était pas revenu sur la table. D’ailleurs, il n’y avait rien à dire de plus. Il n’avait connu charnellement qu’une seule fille, à 17 ans, durant d’une rencontre entre différents clubs de natation. Elle était gentille, drôle et tous deux avaient bu un peu plus que de raison, lors d’une soirée chez un ami. Elle avait un peu d’expérience et lui des hormones en pleine ébullition. Ce n’était pas un mauvais souvenir, mais rien de mémorable non plus. Sauf que sa mère ne l’interprétait pas de la même manière.

« Si elle savait pour Arthur », songea-t-il en repensant à la fièvre que lui avaient procurée leurs baisers endiablés. Cela faisait une semaine et il était déjà en manque. Leurs simples échanges par messages ne lui suffisaient pas.

Puis, voulant échapper aux légères pressions de la famille, il s’était porté volontaire pour la corvée de vaisselle tandis que les autres dégustaient la bûche glacée apportée par Catherine. Les plus jeunes enfants avaient au préalable déserté les lieux pour jouer dans une chambre dédiée à leurs loisirs. De cette manière, il allait avoir la paix. Et le temps de remplir l’évier, il tapota rapidement un message pour son petit ami — un détail qu’il avait encore du mal à réaliser — et commença à frotter vigoureusement les casseroles.

— Du coup, je veux bien le nom de ton photographe, l’apostropha Alice en saisissant un torchon sur la table.

Sa cousine avait tout juste quatre ans de plus que lui, mais c’est à peine s’ils se connaissaient véritablement. Ils n’avaient pas eu la même enfance qu’Arthur et Ludivine, à développer une complicité similaire à celle d’un frère et d’une sœur. Alice était, dans son souvenir, une fille timide et relativement en retrait. Mais son fiancé l’avait fait sortir de sa coquille lorsqu’ils s’étaient rencontrés au lycée. Et désormais diplômés tous les deux, ils s’apprêtaient à franchir l’étape fatidique du mariage. Elle avait l’air épanouie tout en étant stressée par l’approche imminente du jour J.

— Il s’appelle Arthur. Je te donnerai son Insta si tu veux te faire une idée de son style.

— Oki d’acc ! approuva-t-elle en essuyant quelques assiettes à côté de lui. Tu sais s’il est cher ?

Oliver haussa les épaules.

— Je sais juste qu’il a gagné en expérience en faisant quelques mariages l’an dernier. Il est très investi, surtout lors des retouches. C’est le genre à faire des nuits blanches jusqu’à obtenir le bon résultat. Et il est très pointilleux. Quand on a fait notre séance, c’était du pur bénévolat et pourtant, il y a mis toute son âme. Il a vraiment un don.

— C’est un passionné donc.

— Très. Et il a un look immanquable. Très vintage, mais classe. Ça lui va bien.

En le décrivant, il ne put s’empêcher de sourire. Ce style, c’était sa marque, lui, et sans aucun doute ce qui lui avait d’abord plu chez Arthur.

— Doucement, jeune homme ! Je suis une femme presque mariée, s’amusa-t-elle en complétant la pile d’assiettes.

— Aucun risque. Tu es loin d’être son genre.

Alice fit une moue boudeuse, similaire à celle d’Ella. Il était vrai qu’elles se ressemblaient toutes les deux, à l’exception que sa sœur était l’une des rares têtes blondes de la tablée. Leur cousine était brune comme son propre père.

— Je n’ai pas dit que tu étais moche, se rattrapa-t-il avant qu’elle ne lui en veuille.

Puis il repensa à une phrase qu’Arthur lui avait dite, qu’il trouvait plutôt amusante.

— En vérité, il est plus branché chevalier que princesses.

Comme inquiet de sa réaction, il jeta un regard en biais vers Alice et vit qu’elle mit une seconde à saisir la métaphore. Et lorsqu’elle comprit, elle ne laissa apparaître aucun trouble. Juste un acquiescement.

— Et il a un copain ?

Oliver s’arrêta brusquement, si bien qu’il en lâcha la casserole qui avait servi à la préparation de la sauce. Il éclaboussa le plan de travail ainsi que ses propres vêtements. Mais il ne s’en soucia pas. Son cerveau turbinait. Il ne savait pas s’il devait être détaché, mentir, ou bien avouer la vérité à cette lointaine cousine qu’il ne verrait sans doute pas avant plusieurs mois.

— Eh bien, en fait…

La vérité ou autre chose ? Que choisir ? Est-ce qu’elle irait tout répéter à sa mère ?

— Oh ! Je vois.

Il avait cogité trop longtemps. Alice lui souriait de toutes ses dents. À une époque, elle avait eu un appareil dentaire pour corriger l’avancement de ses incisives. Aujourd’hui, elles étaient parfaitement alignées.

Et elle avait compris. Son silence et sa perturbation avaient confessé à sa place.

— Ne dis rien ! supplia-t-il soudain en proie à la panique.

— Ce que tu fais en privé ne regarde que toi, Oliver. Mais sache que ça ne me dérange pas.

— Peut-être, mais… Je l’ai dit à personne ici. Et… je ne pensais pas avoir à le faire un jour.

Alice se rapprocha de lui pour lui tendre un torchon propre. Il essuya la mousse sur son pantalon, ainsi que ses mains.

— Si tu tiens encore à garder le secret, tu vas devoir apprendre à mentir mieux que ça. Parce que ça se lit sur ta gueule que cet Arthur est plus qu’un ami. T’as l’air trop niais quand tu parles de lui.

Son téléphone vibra dans sa poche. Puis une deuxième fois. Oliver s’empressa aussitôt d’essuyer le bout de ses doigts pour déverrouiller l’écran et le nom d’Arthur apparut dans la barre des notifications. Une douce chaleur s’éveilla dans sa poitrine.

— Voilà ! C’est de ce sourire niais que je parle.

Effectivement, il souriait, parce que le photographe l’emplissait d’une profonde tendresse avec ses longs messages qui n’avaient rien à voir avec les trois mots génériques de Manon, toujours droit au but. Son petit ami était un bavard et il aimait l’écouter. Alors, c’était plus fort que lui et il étira la commissure de ses lèvres aussi largement qu’il le put.

— Normalement, ses tarifs ont augmenté pour cette année, mais pour la famille il veut bien faire un geste. 600 € pour une journée complète. Et il veut une part du gâteau de mariage. Ça passerait dans ton budget ?

Alice réfléchit un moment, tout en essuyant la Cocotte-minute. Et avant qu’elle ne se décide, Oliver ouvrit la page Instagram d’Arthur et lui présenta rapidement ses réalisations. Ça allait de photos de couples en tenues de noces aux paysages de la région.

— Il est vraiment doué, se sentit-il obligé d’ajouter.

— Je suis forcée d’admettre que tu as raison. Et son style semble s’accorder avec le lieu de réception. Mais il faudrait que je parle personnellement avec lui. Ta vision est un peu biaisée parce qu’il se passe là-dedans.

Elle pointa sa poitrine de son ongle parfaitement manucuré, puis elle fit une nouvelle moue, cette fois plus perplexe.

— Tu ressembles tellement pas au gamin que j’ai connu que c’en est vraiment bizarre. Si on avait dû parier que tu penchais côté mec, je serais sans doute fauchée.

— Si tu pouvais éviter de le crier sur tous les toits, ça m’arrangerait, dit-il en jetant des coups d’œil vers les portes de la cuisine, espérant qu’aucune oreille indiscrète ne traîne dans les parages.

— Pourquoi ? C’est pas sérieux entre vous ?

 Voilà qu’elle faisait sa curieuse. On était à des années-lumière de l’adolescente réservée et recluse dans son coin avec un livre. Étant la plus âgée des cousins, elle ne s’était jamais fondue dans la masse d’enfants.

— Si. Enfin, je crois. C’est très récent. Et on a tous les deux envie que ça marche.

— Il faut bien commencer quelque part. Pourquoi ça à l’air de te travailler ?

Oliver déboucha l’évier et observa le tourbillon d’eau mousseuse faire son chemin vers la canalisation.

Certes, son petit ami était beau à se pâmer, capable de l’écouter quand il avait besoin de parler, de rendre fascinants des sujets qu’il n’aurait jamais osé aborder et avait encore éveillé son intérêt pour les échecs, même si sa motivation première était de clouer le bec de sa sœur. Il se remémorait très nettement du goût de ses lèvres, de la manière dont il l’embrassait en s’adaptant à lui et de son corps contre le sien durant cette unique et chaste nuit qu’ils avaient partagée. Mais il y avait un hic dont il n’arrivait pas à se dépêtrer et qui gâchait tout ce qui faisait la splendeur de leur lien.

Les cicatrices.

Cet élément n’était jamais réellement revenu sur la table. Il les avait vus et c’était tout. Arthur les cachait toujours sous les longues manches de ses chemises qu’il ne retroussait jamais et il les avait à peine évoqués le fameux soir du feu d’artifice avant de changer de sujet.

Oliver s’imaginait mille raisons pour lesquelles il se les était infligés, et cela faisait autant de raisons de l’angoisser. Il craignait encore de voir les mêmes schémas se répéter, et lui être le spectateur impuissant d’un nouveau désastre.

— Peut-être que je me prends trop la tête, finit-il par dire avec une expression qui se voulait rassurante. Les nouvelles relations, c’est toujours un peu flippant, non ?

Ne sachant quoi lui dire de plus, Alice lui tapota gentiment l’épaule, avec un sourire pincé. Son téléphone vibra de nouveau, et comme s’il était en manque, il consulta ses notifications. Voir le nom d’Arthur lui fit alors oublier tout ce qui se passait autour de lui. À tel point qu’il ne remarqua qu’avec un temps de retard qu’Alice était partie remettre la vaisselle dans les placards, chantonnant un vieil air de musique tiré d’un film.

Ludivine veut faire une randonnée le week-end prochain. Ce serait sympa de faire ça en groupe. J’ai proposé à Manon et elle est partante. En tout cas, ça me ferait très plaisir que tu viennes.

J’ai très envie de te revoir.

Malgré toutes ses inquiétudes, le chatouillement dans son ventre n’en était que plus fort. Lui aussi avait très envie de revoir Arthur. Et c’est sans hésitation qu’il lui répondit avec une succession d’émoticônes enthousiastes.

Je suis partant !

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