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Guenoria
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Souffle Court

Simon se tenait là, auprès de lui. Comme s’il n’était jamais parti. Il venait de lui raconter une blague, une de celle qu’il avait dû lire quelque part, sur un emballage de confiserie. Oliver l’observa, incrédule, avec la certitude que quelque chose n’allait pas. Du bout du doigt, il tâta la peau brune de son ami, palpable, et se rendit compte que son geste devait paraître étrange et intrusif. Mais Simon continuait de lui sourire bêtement.

Ce n’est qu’ensuite qu’il découvrit qu’il se trouvait sur une des plateformes de plongée de la piscine municipale. Simon était déjà en position courbée, attendant le coup de sifflet. Oliver, lui, remarqua qu’il était toujours habillé, en short et t-shirt d’été, une tenue non adaptée pour faire quelques longueurs. Son ami sauta à l’eau, avec cette agilité et cette souplesse qu’il reconnut immédiatement. Son corps s’enfonça dans le bassin jusqu’à disparaître complètement de son champ de vision. Il ne remonta jamais.

Oliver patienta, mais fut très vite empreint d’une panique terrifiante tandis qu’il observa l’eau se calmer, comme si personne ne venait de s’y jeter.

— SIMON !

Il l’appela encore et encore, jusqu’à ne plus sentir sa gorge, à en avoir mal, puis il se délesta de son t-shirt pour plonger à son tour.

Mais au lieu de se faire engloutir par l’eau chlorée, il heurta un sol dur et froid. Ce choc le perturba et il se releva aussitôt. Il se trouvait dans un long couloir lugubre, avec de multiples portes fermées. Droit devant lui, il pouvait reconnaître la chambre de Simon, juste sous le toit de la maison, avec ses poutres apparentes dont une qui traversait la pièce.

Il s’en approcha prudemment, tous ses sens en alerte.

— Simon ? Tu es là ?

Du bout des doigts, il poussa la porte, mais au lieu d’entrer dans la chambre, ses pieds se mirent à fouler de la paille et de la terre. Un bruit métallique le fit faire volte-face, mais la porte derrière lui avait disparue. Il n’y avait qu’une longue rangée de vaches laitières qui s’affairaient à manger leur ration de foin.

L’étable était semblable à celle qu’il avait connue autrefois, quand il était plus jeune, avec ses odeurs familières qui pourraient dégoûter la plupart de ses amis citadins. Lui y avait vécu heureux, simplement, dans un lieu chargé de vie. Il souvenait encore de ce que c’était que de boire du lait non pasteurisé, de courir dans un champ avec de jeunes génisses, de donner le biberon à un veau et même d’en voir naître. En observant ses vieilles compagnes ruminer autour de lui, il ne put s’empêcher de sourire bêtement, acceptant cette étreinte nostalgique.

Puis il heurta quelque chose du pied. Un vélo. Il était abandonné à même le sol, avec sa chaîne cassée, devenue inutilisable. Et subitement les larmes lui montèrent aux yeux. Il savait pourquoi il se trouvait ici. Alors il se mit à courir pour quitter l’étable. Seulement, ses jambes le pesaient. Il peinait à faire un pas après l’autre et la porte lui parut toujours plus inatteignable.

— Non ! Je ne veux pas ! Je dois l’empêcher de mourir !

La pression dans sa poitrine était d’une douleur indescriptible et témoignait de son impuissance. Malgré toute sa volonté, il ne parvenait pas à aider qui que ce soit. Les choses finissaient constamment par lui échapper, sans jamais savoir pourquoi, ni comprendre.

Il avait mal. Il haletait.

Il suffoquait…

— MAMAN ! VIENS VITE !

La vision autour de lui s’éclaircit, mais la lumière l’éblouit dès lors qu’il ouvrit les yeux. Quelqu’un agrippait ses bras. Des mains plus petites et moins fortes que les siennes. Il se saisit à son tour de cette personne, l’implorant du regard de lui permettre de respirer. Il avait l’impression d’avoir la tête dans un sac avec un trou minuscule pour faire passer l’air. D’autres mains vinrent le tenir, lui caresser le visage et des voix lointaines se firent plus perceptibles. Mais il avait si peur qu’il continuait désespérément de s’accrocher.

— Calme-toi, mon chéri ! lui intima sa mère en l’enserrant contre elle. C’est fini, je suis là. Je suis là.

Il ne comprit que tardivement qu’Ella avait accouru jusqu’à lui lorsqu’elle l’avait entendu hurler dans son sommeil. Il n’était pas dans sa chambre, mais dans le salon, agenouillé sur le sol, entouré des deux femmes qui partageaient son quotidien. Dès lors qu’il avait réussi à se calmer, un flot inépuisable de larmes s’était déversé sur son visage. Il avait cru mourir comme à chaque crise d’angoisse, mais le somnambulisme n’avait jusqu’alors jamais fait partie de son palmarès dépressif.

— J’ai pas réussi… murmura-t-il contre la gorge de sa mère. J’aurais dû remarquer que ça n’allait pas. Pourquoi je n’ai pas pu le sauver ?

Il n’attendait pas tellement de réponse. Sa mère n’était pas toujours capable de trouver les mots justes pour le réconforter, alors elle se contentait de lui caresser les cheveux tout en le berçant comme s’il n’était qu’un enfant. Il voyait les yeux rouges d’Ella, sa main dans la sienne, contenant à peine ses sanglots. Elle avait eu peur de le découvrir ainsi.

— Pardon, leur dit-il en se reprenant.

Sa mère essuya les larmes sur ses joues et prit son visage en coupe pour le forcer à la regarder dans les yeux.

— Je suis là pour toi, peu importe ce que tu as à me dire, je peux l’entendre.

— Tu as rêvé de Simon ? demanda Ella.

Sa mère voulut la dissuader de s’immiscer dans les problèmes de son frère, mais elle ne lâcha pas pour autant sa main. L’adolescente s’estima assez grande pour le soutenir et entendre ce qu’il avait à dire plutôt que de rester en retrait et le savoir en souffrance.

Et sans prévenir, Minus s’était approché de lui et déposa son museau sur sa cuisse. Il avait les oreilles inclinées et un regard si doux pour son maître que celui-ci eut aussitôt envie de le prendre dans ses bras. À défaut d’être un chien de ferme, il faisait parfaitement office de chien d’assistance. Il s’écoula un moment sans que personne ne dise rien. Et comme aucun d’eux n’était d’humeur à retourner se coucher, du café fut préparé pour tout le monde. Ella avait allumé les guirlandes du sapin pour ramener un peu de gaieté dans la pièce et une heure plus tard le soleil se levait sur la ville. C’était la veille de Noël.

Oliver caressait silencieusement la tête de Minus tandis que la vie reprenait son cours. Sa mère envisagea de prendre sa journée pour lui, mais il lui assura qu’il se sentait mieux. Que cette crise, même si elle était plus violente que certaines autres, n’était que passagère. Que dans quelques heures ce serait oublié. Elle respecta sa volonté, non sans suggérer qu’elle devrait rappeler le psychologue.

Le reste de la matinée demeura très calme. Surtout lorsqu’Ella quitta la maison pour la promenade quotidienne dans le parc. Oliver avait retrouvé son duvet et l’espace familier de sa chambre. Il ressassa son rêve de bout en bout, ruminant son impuissance.

Voir les cicatrices d’Arthur en était sans aucun doute le déclencheur. Et plutôt que de se confronter à lui, il avait choisi la fuite, car découvrir ses marques avait fait remonter tout ce que son corps refoulait au fond de lui. Il en avait assez de vivre dans le désespoir et le remord. Il n’avait pas besoin d’un suicidaire de plus dans son entourage.

Son téléphone avait sonné de nombreuses fois depuis la fête de Manon et Arthur était le contact qui apparaissait le plus sur son écran. Il ne décrocha pas aux appels et ne lut aucun message. Il n’en avait pas la force.

Dès qu’il fermait les yeux, son esprit torturé le renvoyait à la chambre de Simon, à l’instant où il se tenait sur le pas de la porte et le découvrait encore pendu, le visage déformé par l’asphyxie. Il n’avait jamais su combien de temps il était resté ainsi jusqu’à ce que sa mère ne le trouve. Suffisamment pour ne pas être ranimé. Et pourtant il avait essayé, durant de très longues minutes, pendant que sa mère le suppliait de revenir à la vie. Il se revoyait presser encore et encore sa poitrine, maintenir son nez et son menton le temps de lui faire du bouche-à-bouche et recommencer le massage cardiaque jusqu’à ce craquement funèbre qui l’avait stoppé. Sentir un os casser sous sa pression l’avait alarmé. Il avait eu alors le sentiment de le tuer de ses propres mains. Et devant la supplique de cette femme qu’il avait connue aussi rayonnante qu’un soleil, il avait repris les gestes de premier secours comme un robot sur pilote automatique.

Au retour de promenade, Ella était venue se blottir contre lui sans un mot. Ses cheveux sentaient l’hiver et sa peau était gelée. En l’accueillant contre son corps, Oliver avait plutôt l’impression d’être celui qui réconfortait.

— Ça va aller, souffla-t-elle avec optimisme. Je sais que tu n’y crois pas, mais sache que tu es la personne la plus forte que je connaisse. Comme le dit un vieux proverbe : « le temps guérit les blessures ».

— Il faudrait alors que le temps passe beaucoup plus vite.

Sa tête posée sur sa poitrine, Ella était bercée par le rythme cardiaque de son frère.

— Oliver ?

— Mmh ?

— Cette nuit, quand je t’ai trouvé dans le salon, tu appelais Papa.

Elle le sentit se crisper et serrer les dents. Alors elle l’étreignit un peu plus.

— Moi aussi, il me manque.

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