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1 - Chez Michel
2 - Anachronisme
3 - Simon
4 - Soirée Jeux
5 - Corps d'Athlète
6 - Tête à tête
7 - L'Echange
8 - Cicatrices
9 - Souffle Court
10 - Malentendu
11 - Bonne Année !
12 - La Moissonneuse Batteuse
13 - Les Mains Froides
14 - Petit Ami ?
15 - Le Garçon Triste et la Fille Mielleuse
16 - Sourire Niais
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Anachronisme

La surprise d’Oliver à la découverte d’Arthur était partagée par tout le monde. Le jeune homme était arrivé vêtu d’un long manteau en laine qui descendait jusqu’à ses cuisses. Entrouvert, il portait visiblement une chemise claire rentrée dans un pantalon chaud, peut-être également en laine, mais d’un gris anthracite alors que son manteau était une sorte de marron terne.

L’esprit embrouillé, Oliver songea immédiatement que l’individu qui saluait le groupe devait débarquer d’une autre époque et qu’il ne serait pas étonnant de le voir sortir des tickets de rationnement de sa poche. Il resta focalisé sur cette chemise dénuée de plis comme s’il venait de la repasser. Justin lui trouva une chaise. Le nouveau venu ôta son manteau et dévoila la silhouette élancée qu’il cachait en dessous. À son poignet gauche, il portait une montre, ancienne elle aussi, avec un bracelet en cuir brun.

Ce n’est qu’au moment où il sentit l’effet des bulles lui remonter dans le nez que le jeune homme comprit qu’il n’avait pas encore observé le visage d’Arthur. Il se couvrit la bouche pour étouffer un rot, ce que Manon ne rata pas et lui sourit avec amusement avant de se tourner de l’autre côté de la table. Ce que lui ne loupa pas chez son amie, ce fut le petit geste nerveux qu’elle avait lorsqu’elle avait un coup de cœur physique sur un garçon. La première fois qu’il avait remarqué ce tic, cette manière dont son index venait gratter le bas de sa joue, c’était quand on leur avait présenté le nouvel entraîneur du club de natation. C’était là-bas qu’ils s’étaient rencontrés, à l’âge de douze ans. Sa mère avait décidé qu’il devait pratiquer un sport en extrascolaire et Manon avait une longueur d’avance sur lui. Elle l’avait pris sous son aile. Et avec une amitié aussi ancienne, il la connaissait sur le bout des doigts au point de ne plus être gêné de parler de sujets intimes. Si cet Arthur avait su réveiller en elle son tic, c’était qu’il devait être son genre.

Il riva son regard sur lui et dut admettre qu’effectivement, il était beau. Il n’avait pas le teint aussi clair que celui de Ludivine, plutôt une sorte d’ivoire. Ses cheveux étaient peignés de manière à dessiner une raie sur le côté, mais il n’avait pas aplati ses larges boucles brunes qui se dressaient sur sa tête. Et fait étonnant, il portait aussi la moustache. Ni trop fine ni trop fournie, il la portait très bien et complétait ainsi son style. Oliver en était sûr maintenant. Ce type s’était trompé de siècle.

Ils commandèrent tous une autre tournée, sauf Manon qui n’avait bu qu’un Mojito et tournait au soda depuis puisqu’elle allait devoir reprendre le volant. Oliver s’offrit une nouvelle bière brune, bien amère comme il les aimait tandis qu’Arthur demanda plutôt à se faire servir un Perrier. Un choix étrange pour un garçon rejoignant un groupe d’étudiants presque éméchés.

— On avait quoi, huit ans, s’extasia Ludivine, rouge jusqu’aux oreilles, et il m’a mis au défi de courir toute nue devant toute la famille. Étant donné qu’il avait relevé le mien de boire l’étrange mixture que je lui avais préparée, je ne pouvais pas trop me dégonfler.

— Tu l’as vraiment fait ? demanda Coralie, aussi amusée que choquée.

— Non seulement je l’ai fait, mais quand je me suis retournée il s’était aussi déshabillé pour faire pareil. Sa mère était morte de honte et nous a poursuivi dans tout le jardin.

L’ambiance était aux rires et anecdotes d’enfance. Quand on écoutait Ludivine, on se demandait bien comment ils avaient pu se perdre de vue sans jamais reprendre contact jusqu’à aujourd’hui. Ils avaient pratiquement grandi ensemble, à tel point qu’on les avait souvent pris pour des frères et sœurs. Oliver se faisait une nouvelle opinion de cette jeune fille qu’il avait jugée prude, jusqu’à la trouver même chiante par moment. Elle qui ne parlait d’ordinaire que des mecs avec qui elle sortait, c’était rafraîchissant d’apprendre qu’elle avait été une enfant vive et séditieuse sur les bords. Il ne se demandait pas de qui venait cette influence. Il était assis juste à côté d’elle, acquiesçant à toutes les histoires pour attester de leur authenticité.

— Je pense que c’est le truc qu’elle m’a fait boire qui m’a détraqué les idées ce jour-là, dit-il avec un sourire qui releva la courbe de sa moustache. J’ai dû y laisser quelques neurones en plus de mes papilles gustatives. Si je me rappelle bien, la base c’était du coca, avec du sel, du lait… Qu’est-ce que tu as mis d’autre déjà ?

Ludivine plissa des yeux en se remémorant les détails d’un souvenir remontant à une dizaine d’années.

— J’ai pris un peu tout ce que j’ai trouvé dans le placard. De la soupe en poudre, un bouillon de poulet et peut-être même de la sauce soja. En tout cas je n’ai pas oublié la grimace que tu as faite quand tu as goutté. C’était à se tordre de rire !

C’est en les observant qu’Oliver découvrit leurs traits communs. Ils avaient les mêmes yeux, la même forme et la même couleur bleue. Et leur rire s’exclamait dans un rythme similaire, ce qui donnait une impression d’écho. Il les écoutait silencieusement en sirotant sa bière, mais la fatigue le guettait. Quand bien même l’ambiance était bonne, tout ce brouhaha commençait à faire trop pour lui.

Puis, alors qu’il songeait à la possibilité de leur fausse compagnie discrètement, les étudiants se levèrent de table, fouillant le fond de leur poche. Il comprit qu’il n’avait pas suivi ce qu’ils se disaient et il lança un regard interrogateur à Manon qui lui répondit en mimant une cigarette avec ses doigts. Cette dernière ne fumait pas et le temps n’étant plus à la chaleur, elle préféra demeurer à l’intérieur. Rien que de penser à l’idée de mettre un pied dehors, elle en frissonna. Arthur aussi resta, seul à l’autre bout de la table, remuant le fond de sa bouteille verte. Un silence presque gênant s’était installé entre eux.

Oliver se dit que le moment de tirer sa révérence était venu et il voulut donner un léger coup de coude à la nageuse quand Arthur le coupa dans son élan.

— Vous êtes dans la même filière que Ludivine ?

Manon sembla ravie de pouvoir converser avec le jeune homme.

— Seulement moi. On est dans le même groupe de TD.

— C’est cool ! Et toi ?

Oliver fut surpris par l’intérêt qu’il portait sur lui. Mais il était un poil trop pompette pour arriver à aligner deux mots.

— C’est mon meilleur pote, répondit Manon pour lui. Je l’invite pour le sortir de sa grotte, sinon il ne voit personne.

D’ordinaire, ce genre de propos ne lui aurait fait ni chaud ni froid, parce qu’il y avoir un fond de vérité, mais il se vexa.

— Je ne suis pas un ermite non plus.

Devant lui, Arthur haussa ses sourcils.

— Tiens donc ! Je commençais à me demander si tu n’étais pas muet.

— Sortir Minus matin et soir n’est pas vraiment considéré comme voir du monde, lui répliqua ensuite son amie.

— Minus ? demanda Arthur.

— Son chien.

— Tu as vraiment appelé ton chien Minus ?

L’intéressé s’était accoudé à la table, penché vers lui. Mais Oliver vit surtout sur sa montre qu’il était minuit passé et qu’il n’avait rien avalé d’autre que de la bière et des cacahuètes après le léger dîner avec sa mère. Il se frotta les yeux et se concentra pour parler le plus fluidement possible.

— C’est un nom comme un autre.

Arthur n’insista pas, mais Manon profita du silence pour saisir la balle au bond et faire connaissance avec le nouveau venu. Pendant ce temps, Oliver tira son portable de la poche de sa veste et constata que sa mère lui avait adressé plusieurs messages :

Tu rentres tard ?

N’oublie pas que tu dois envoyer ta dissert avant demain soir.

Effectivement, il avait oublié. Il avait rapidement composé le plan de son devoir sans jamais prendre le temps de le compléter et très vite, il l’avait laissé de côté et n’y avait plus pensé. Il soupira en faisant gonfler ses joues. Et le groupe de fumeurs revenait déjà reprendre leur place en interrompant Manon qui contait ses exploits en nage papillon. Justin attira l’attention d’un serveur pour commander une nouvelle tournée et cela fut la goutte de trop pour Oliver. Il se leva prestement et enfila sa veste.

— Je rentre. Je vais prendre le bus de nuit, dit-il avant que la nageuse ne décide de faire de même.

Cette dernière passait une bonne soirée et il ne voulait pas lui casser l’ambiance. Il l’embrassa sur la joue et lui fit promettre d’être prudente sur le chemin du retour.

— Envoie-moi un message quand tu es arrivé, prévint-elle.

— Toi aussi.

Il enroula son écharpe autour du cou tout en saluant le reste du groupe et il arrêta son regard un instant vers Arthur qui le fixait avec une expression qu’il n’arrivait pas à décrypter. Puis il régla sa consommation et quitta la bulle de chaleur du Michel.

Il faisait bel et bien un froid de canard et de la buée sortait de sa bouche. Heureusement, la bière lui tenait encore chaud et il décida de ne pas perdre de temps. Même s’il ne connaissait pas l’horaire de passage du bus, il ne voulait pas se laisser gagner par le gel. Pour rejoindre l’arrêt, il lui fallait marcher jusqu’à la grande place du marché à plusieurs rues piétonnes de là où il se trouvait. Il connaissait le coin comme sa poche alors il savait que même complètement ivre il parviendrait à retrouver son chemin.

— Eh attends !

Il fit volte-face quand il comprit que la voix s’était adressée à lui. Il n’avait pas reconnu le timbre, mais la tenue était parfaitement identifiable. Arthur le rattrapa en quelques enjambées, alors qu’il portait des richelieus très reluisants. Rien à voir avec ses vieilles baskets qu’il se traînait depuis la première.

 — Il n’y aura pas de bus avant trois quarts d’heure. Je te ramène, si tu veux.

À cause de la fatigue, le jeune homme était tenté de refuser, mais son instinct de survie lui rappelait qu’il venait tout juste de rencontrer cet individu qui, bien que sympathique au premier abord, pouvait tout aussi bien être un danger public.

— C’est une dodoche ta caisse ?

Il écarquilla aussitôt les yeux en réalisant qu’il avait prononcé ses pensées à haute voix. Il se mordit la lèvre et tourna les talons, honteux.

— C’est la voiture de mon père. Un SUV avec tout le confort et du chauffage, répondit Arthur dans son dos. Et j’ai pas bu une goutte d’alcool contrairement à toi.

Décidément, ce type marquait beaucoup trop de points, et sa prévenance touchait le jeune homme. Puis il songea que sa mère serait rassurée de le voir rentrer un peu plus tôt que ce qu’il pensait. Il acquiesça silencieusement, de peur de dire une nouvelle bêtise.

Une fois côte à côte, il constata que son chauffeur était légèrement plus grand que lui et qu’il avait plutôt fière allure dans cet accoutrement. On pouvait deviner dans sa démarche qu’il était confiant.

— C’est bête, mais je crois que je ne sais même pas comment tu t’appelles.

— Oliver, répondit-il simplement.

— Comme Oliver Twist ?

Il acquiesça.

— D’accord, Oliver. Maintenant, il va falloir que tu me dises pourquoi ton chien s’appelle Minus.

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