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Guenoria
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Le Garçon Triste et la Fille Mielleuse

— Espèce d’hypocrite !

Oliver s’était raidi d’un seul coup. Le teint de Ludivine avait viré au rouge cramoisi. Pourtant enthousiaste à l’arrivée, elle avait eu un moment d’absence en découvrant les garçons côte à côte dans la cuisine, à l’instant précis où Viviane avait annoncé fièrement que son fils avait ramené son « petit ami ». L’étudiante s’était ensuite approché tout sourire jusqu’à lui et l’avait pris dans ses bras, à la grande surprise du jeune homme. Mais quand elle se tourna vers son cousin, son expression avait changé. Elle lui martela l’épaule de son petit poing aussi efficace que celui d’un enfant de 5 ans.

— Grrr ! Ça me fait la morale en me louant le célibat et après monsieur se met en couple à la première occasion. T’as pas honte de me faire tourner en bourrique comme ça ? Et notre résolution concernant les mecs ? Charlatan !

Elle maugréa encore de longues minutes contre Arthur, le temps qu’Oliver se présente aux parents de son amie. Et il comprit instantanément pourquoi la jeune fille ressemblait tant à Viviane. Les deux sœurs auraient pu être jumelles tant leurs traits étaient similaires. À croire qu’après la naissance de l’aînée, leurs parents avaient décidé de la cloner pour obtenir une copie conforme. Tous furent accueillants et bienveillants à son égard. Il ne sut combien de fois il les remercia pour leur hospitalité puis il revint aux deux cousins qui désormais se chamaillaient comme s’ils étaient redevenus des enfants. Ludivine n’était pas décidée à lui laisser passer cet affront.

De ce qu’il comprit, ils avaient longuement parlé à la soirée de Manon, après son départ. Tandis qu’elle décuvait, Arthur serait parvenu à la convaincre de ne plus s’efforcer de se mettre en relation avec le premier garçon à lui faire du gringue. Le cœur brisé de nombreuses fois, la jeune fille avait alors pris la résolution de prendre soin d’elle-même plutôt que de chercher désespérément le grand amour. Et pour la motiver dans cet élan, Arthur aurait décidé de l’épauler en faisant de même. Néanmoins, il y avait un hic. Oliver.

Les adultes prenaient tous l’apéritif dans le salon tandis qu’eux trois étaient restés dans la cuisine à décortiquer les crevettes pour l’entrée. Ludivine faisait mine de bouder et Arthur, assis entre eux deux, faisait profil bas, mais avec un sourire au coin des lèvres.

— Donc, tu es gay ? demanda l’étudiante à Oliver, sans préambule.

Sa peau avait retrouvé sa teinte de porcelaine et elle peinait à conserver le plus de parties comestibles du crustacé.

— En fait, je suis bisexuel, confia-t-il aux deux cousins.

Il guetta également la réaction d’Arthur, mais il ne paraissait pas surpris par cette révélation.

— Ça ne saute pas aux yeux, répondit Ludivine.

— Pareil pour Arthur, rétorqua Oliver.

— C’est pas faux, avoua-t-elle tout en jetant un regard accusateur à son voisin de décorticage. Comment tu as su pour lui ?

— C’est toi qui m’as outé devant lui, révéla Arthur.

L’étudiante écarquilla les yeux, scandalisée.

— Moi ? Quand ça ?

— Chez Manon. Quand tu vidais tes tripes.

— Un glorieux moment, affirma Oliver qui riait intérieurement en se remémorant la scène.

Pour se venger, la jeune fille lui jeta la tête de sa crevette à la figure. Il lui renvoya directement dans les cheveux et Arthur en profita pour étaler sur la joue de sa voisine une traînée de mayonnaise qu’elle accueillit en hurlant.

— Bon, au moins je n’aurais plus à t’entendre me dire à quel point tu trouves Oliver mignon, dit-elle une fois leurs enfantillages terminés.

Oliver ne rata pas le coup de coude qu’il lança à sa cousine. Il se dit d’abord que leur complicité était semblable à celle qui entretenait avec Manon, quoique moins porté sur la chamaillerie, et ensuite il réalisa ce qu’elle venait de révéler. Sa crevette glissa de ses doigts.

— Mignon ?

Ce fut au tour d’Arthur de virer au rouge, jusqu’aux oreilles.

— J’ai peut-être dit ça une fois ou deux, confessa-t-il tout bas.

Ludivine mima que le chiffre devait être revu à la hausse avant de reprendre sa corvée.

Touché d’apprendre que l’attirance d’Arthur pour lui avait déjà été avouée à sa cousine, il fit glisser son pied contre le sien. Le pied du photographe répondit positivement à cet appel.

Durant le repas, Oliver révisa son premier jugement sur Ludivine. Bien qu’il l’ait trouvé gentille au premier abord, quelques mois plus tôt, il avait vite été ennuyé par son attitude trop enjouée et romantique à souhait. Mais c’était sa propre morosité qui l’empêchait de voir à quel point elle était lumineuse et pleine de vie, à l’opposé de lui. Leur rapprochement durant la séance photo lui avait déjà fait comprendre qu’elle lui était finalement sympathique, mais ce n’était rien comparé au repas du Nouvel An. Il réalisa qu’il avait loupé le coche d’apprendre à la connaître, mais elle l’avait attendu.

Lui qui s’était toujours tenu en retrait lors des soirées chez Michel, avec le groupe d’étudiants, il participait désormais gaiement à la conversation. Viviane et Kevin se montraient très chaleureux à son égard et personne ne posa de question indiscrète sur sa relation avec Arthur. Il ne se souvenait plus quand il avait autant ri en une seule journée. Ça commençait à faire loin. Ne plus songer dans un moment suspendu à ceux qui ne sont plus là, et juste vivre sa vie. Il savait que tourner la page allait prendre du temps. Ses quelques séances avec le psy l’avaient confronté à cette fatalité. 

Mais l’évolution de sa relation avec Arthur apposait du baume sur blessure. Il comprit qu’il pourrait compter sur lui lorsque, au moment de servir le dessert, les deux pères entretenaient une conversation sur leurs travails respectifs. Oliver n’avait pas tout suivi, mais l’éructation du père de Ludivine l’avait fait réagir.

— Ce dossier, c’est à se tirer une balle !

Arthur aussi l’avant entendu. Et comme s’il avait appréhendé qu’Oliver retienne son souffle, il lui prit aussitôt la main et la serra vivement. Il n’en avait peut-être pas pleinement conscience, mais il venait de sauver son petit-ami d’une nouvelle baisse de moral. Et touché par sa prévenance, Oliver se pencha sur le côté pour poser sa tête contre son épaule et le remercier dans un chuchotement discret.

Ludivine était sortie de table au moment de servir le café. Elle s’était isolée dans le jardin, emmitouflée dans son manteau bleu ciel, pour fumer une cigarette et s’imprégner du calme. Elle ne fut toutefois pas surprise de voir arriver près d’elle Oliver, lui aussi venu souffler un coup. Par politesse, elle lui présenta son paquet de tabac et il refusa.

— Tu veux savoir quelle a été ma première impression de toi ? proposa-t-elle en écrasant son mégot contre le mur en pierre.

Il devait bien avoir une petite idée de la réponse. Morose. Un fantôme parmi les vivants. Un intrus. C’est ainsi qu’il définirait ce qu’il était à la fin de l’été. Il acquiesça non sans appréhension.

— Tu avais déjà croisé Coralie et Justin avec Manon, et ils m’ont dit que tu étais un type discret et très en retrait. Du genre solitaire introverti. Mais quand je t’ai vu, j’ai tout de suite senti qu’en fait, tu étais simplement triste. J’avais de la peine pour toi, parce qu’on ne se connaissait pas et je ne savais pas comment t’aborder.

Son expression était compatissante. Elle lui ouvrait son cœur et s’adressait pleinement à lui pour la première fois sans doute.

— Mais va savoir comment, mon abruti de cousin a réussi à te faire sortir de ta coquille. Je suis contente de te voir aussi… vivant. Et par la même occasion, lui aussi à l’air d’aller bien. Mais j’étais loin d’imaginer que tu avais ce genre de sentiments pour lui, sans vouloir t’offenser.

— Y a pas de mal. En fait, j’ai jamais vraiment fait de coming-out. Ça ne m’a jamais paru nécessaire jusqu’à maintenant.

— Et Manon ? Elle le sait ?

— Peut-être. Va savoir, elle le savait peut-être avant que je ne le comprenne moi-même, mais elle n’a jamais rien dit. Et ma famille…

Il pensa à sa mère et son cœur se serra. Jusqu’alors, il justifiait son absence de confession sur sa sexualité par le fait que son célibat ne l’y obligeait pas, mais il y avait dans le fond une sombre menace qui pesait sur lui. Bien que cela ne saute pas aux yeux, sa mère était croyante. Ce n’était pas au point de réciter la prière ou d’aller régulièrement à la messe, mais elle s’était mariée à l’église, deux fois, et avait fait baptiser ses enfants. Il l’avait vu à plusieurs reprises dévier le regard devant deux hommes s’embrassant, ou soupirer fortement quand ils se tenaient la main. Elle ne disait jamais rien, n’avait jamais insulté qui que ce soit, mais il connaissait le fond de sa pensée.

Est-ce qu’elle détournerait les yeux de lui ? Ferait-elle une exception pour son fils ? Il décida de ne plus y songer. Aujourd’hui devait être un jour où il irait bien et laisser ses réflexions troubles de côté.

— Tu as vraiment pris la résolution de renoncer aux mecs ?

— Pas tant que ça, mais au moins ne pas faire tout un drame de mon célibat. Faut croire que c’est pas aussi simple de vouloir rencontrer la bonne personne par rapport à l’époque de nos parents. Dès que je suis avec un mec et que je commence à lui parler d’engagement, il finit par se montrer distant et la relation se termine. Au moins ils ont le cran de le faire avant que je tombe amoureuse.

— Sans vouloir te vexer, tu agissais toujours comme si tu étais amoureuse de tes ex.

— Oui, bon, c’est vrai que je suis du genre à m’attacher, admit-elle en levant les yeux au ciel. Mais je ne m’épanchais pas tellement là-dessus, non ?

— Bof. Tu parlais tellement d’eux que j’en savais plus sur tes mecs que sur toi. Tu venais de larguer le deuxième quand j’ai appris que tu aimais dessiner sur ton temps libre. Et c’est vraiment dommage parce que je trouve que t’es une chouette fille et je sais pas grand-chose de toi. En fait, il a fallu que tu ramènes Arthur pour que je te cerne mieux et que je me rende compte que t’es pas juste une gamine mielleuse et trop portée sur le romantisme à deux balles.

Les mots avaient franchi ses lèvres comme s’il n’avait plus eu de filtre. Seulement, il réalisa qu’il avait été suffisamment peu élogieux pour qu’elle puisse lui en vouloir. Ce qu’il avait dit résumait une vision qu’il avait d’elle auparavant, telle une plaine à moitié cachée par le brouillard. Mais l’éclaircie récente lui avait fait voir la beauté du paysage que pouvait être l’étudiante.

Silencieuse, elle se mordit la lèvre et il crut l’avoir définitivement froissé.

— Pardon, j’ai exagéré, se rattrapa-t-il.

— Donc tu ne me trouves pas « chouette » ? demanda-t-elle avec ses grands yeux scrutateurs.

— C’est tout ce que tu as retenu de ce que je t’ai dit ?

— Étant donné qu’on n’a jamais vraiment causé en tête à tête, j’ai pensé que tu ne m’aimais pas tant que ça.

— Disons que j’ai eu quelques préjugés à ton égard, confessa-t-il. Mais en fait, je trouve que tu es une belle personne.

Le teint clair de Ludivine vira aussitôt au rose vif. Il avait déjà remarqué qu’elle ne savait pas dissimuler ses émotions et encore moins son embarras. Cela le fit sourire et elle le rabroua en lui cognant l’épaule. Il fit mine de l’esquiver en riant.

— Donc Arthur me trouvait mignon ?

Une fois calmé, il passa du coq à l’âne pour le simple plaisir de se faire mousser. C’était aussi une manière pour se rendre compte de ce que la jeune fille pensait de leur nouvelle relation.

— Ça lui a pris juste après la séance photo aux ruines, dit-elle avec un clin d’œil complice. Je crois que c’est le fait de voir ta figure sur son écran pendant des jours qui l’a fait craquer. J’ai vu clair en lui quand il a commencé à me parler de vos rencards d’échecs. Et… j’espère que tu ne m’en voudras pas pour ce que je vais te dire. Mais quand j’ai compris que tu lui plaisais, j’ai mené discrètement mon enquête à ton sujet en faisant connaissance avec tes vieux amis à la soirée. L’un deux m’a dit que tu avais flirté avec des filles, sans plus, mais rien qui pouvait sous-entendre que tu pouvais t’intéresser aux garçons. Alors j’ai dissuadé Arthur de tenter sa chance et on a pris cette fichue résolution.

Oliver était touché par la prévenance de Ludivine. Elle espérait préserver son cousin d’une potentielle peine de cœur et pour cela, il ne pouvait pas lui en vouloir.

— Tout baigne, dit-il avec un semblant d’assurance. Mais on ne peut pas dire qu’il ait suivi ton conseil.

Il repensa à cet audacieux premier baiser. Arthur aurait pu craindre que ce ne soit pas réciproque, qu’Oliver lui fasse une scène, et pourtant il avait tenté ce premier pas. Quand bien même la démarche était discutable, le jeune homme ne la regrettait pas. Elle lui avait donné le coup de pied aux fesses dont il avait besoin pour se ressaisir et mettre un nom sur les sentiments naissants qu’il éprouvait pour le photographe. Ceux-là mêmes qui éveillaient une plaisante chaleur dans sa poitrine.

— Laisse-moi toutefois te mettre en garde, dit-elle alors sur un ton devenu nettement plus sérieux. Arthur à été une sorte de frère pour moi quand on était petits. Et le retrouver après toutes ces années me rappelle à quel point j’aime notre relation et découvrir les jeunes adultes que nous sommes devenus. Par contre, si jamais tu lui brises le cœur, je n’aurais aucun scrupule à t’arracher les couilles en retour. Est-ce que c’est clair ?

Oliver déglutit. Malgré sa figure angélique, il pouvait aisément discerner dans son regard un feu digne de celui des enfers. Sa menace était on ne peut plus sérieuse.

— Compris m’dame.

Et aussitôt, les traits de l’étudiante se lissèrent. Un fin sourire amical étira la commissure de ses lèvres et ses yeux retrouvèrent leur gaieté.

— C’est tout de même dommage. Moi aussi je commençais à te trouver mignon.

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