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Guenoria
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Simon

Oliver ne savait pas comment il s’était laissé convaincre, quoiqu’il se dît que quatre bières étaient probablement responsables, mais il était en train de montrer à Arthur les dernières photos qu’il avait prises de son chien.

— C’était le plus petit de la portée, raconta-t-il pour répondre à sa question. On a fait reproduire notre précédent chien avec celle d’un ami de la famille et elle a eu quatre chiots. Comparé aux autres, il était tout chétif, mais c’était déjà un battant. C’est ma petite sœur qui l’appelait le minus, et c’est resté.

— C’est une chouette anecdote. Je n’ai jamais eu de chien, mais je pense que j’aurais aimé ça.

Tout comme Manon, Arthur n’avait pas trouvé de place de stationnement près du centre. Il leur fallut marcher un moment et le silence nocturne de la ville contrastait fortement avec les allées et venues des après-midi. Ils s’étaient éloignés des bars où la fête battait encore son plein et où les étudiants se remplissaient le ventre jusqu’à en vomir leurs tripes.

— C’est une chouette fille, ta copine, dit Arthur avec un coup d’épaule amical. Vous vous connaissez depuis longtemps ?

— Six ans, je crois. Depuis le club de natation.

— Toi aussi tu nages ?

Oliver rentra la tête dans les épaules et ferma les yeux une seconde. Quand il les rouvrit, il observa la volute de fumée que produisait sa respiration. Dans ses poches, il serrait les poings.

— Plus maintenant, se contenta-t-il de répondre.

Pour ne pas avoir à subir un interrogatoire, il décida aussitôt de lancer lui-même un sujet. Arthur était le genre de garçon à vouloir papoter alors il n’avait qu’à lui poser de simples questions.

— Tu fais des études ?

Il savait d’avance qu’ils avaient le même âge, puisqu’il avait le même que sa cousine. Et à moins d’avoir redoublé, il devait avoir son bac. En tout cas il n’avait pas fréquenté le même lycée, sinon il l’aurait remarqué. Du moins, s’il s’habillait déjà comme ça à l’époque.

— Du tout. Je suis à mon compte. Je fais des photos.

Il piqua la curiosité d’Oliver.

— Vraiment ?

— Ne sois pas enthousiaste, je débute, le calma Arthur. Ça fait déjà quelque temps que je veux faire ça et j’ai passé tout l’été à shooter des mariages pour me faire la main. Comme j’étais pas cher, j’ai vite été surbooké. Maintenant, c’est plus calme et il faut que je me diversifie, si je veux que ça prenne.

Ils arrivèrent près d’une grande voiture dont les rétros s’ouvrirent à leur approche. Elle était nettement plus massive que la vieille Clio de Manon et les assises n’étaient pas tachés. Ce n’était pas le genre de modèle à la portée de toutes les bourses. Il osa à peine monter dedans.

Sur le siège passager, il s’étonna de ne pas avoir à recroqueviller ses jambes et le confort était tel qu’il aurait pu s’endormir sur place. Mais Arthur le rappela à la réalité en lui demandant de rentrer son adresse sur le GPS.

— C’est pas trop loin de chez toi, j’espère. Je voudrais pas abuser.

— T’as envie que je te laisse là ?

La question était rhétorique, mais Oliver n’hésita pas lorsqu’il fallait choisir entre le froid nocturne de fin novembre et le chauffage on ne peut plus agréable qui soufflait sur ses pieds.

— Non.

Il vit du coin de l’œil qu’Arthur avait sorti son portable de sa poche pour le connecter avec le véhicule. Un sourire naquit sur le coin de sa bouche lorsqu’il s’était imaginé le voir utiliser un téléphone à cadran rotatif.

La musique qu’il avait sélectionnée n’était pas récente sans être trop datée. Oliver avait déjà entendu ses chansons quand il était petit, celles qui n’étaient pas suffisamment anciennes pour être diffusées sur Nostalgie. Il s’enfonça dans le siège, qui lui aussi s’avéra très chaud. Et Arthur était un bon conducteur qui n’avait pas le pied lourd sur le frein et qui, il l’observa de temps à autre, était très prudent. Il avait le regard partout et ne roulait pas trop vite.

— Pourquoi vous vous êtes perdus de vue avec Ludivine ? lui demanda-t-il.

Les doigts effilés du chauffeur tapotaient le volant en attendant que le feu passe au vert. Sa montre reflétait les lumières vives des lampadaires.

— Il me semble que c’est parce qu’on a déménagé. On fréquentait la même école primaire, mais pas le même collège. Déjà à cette époque on ne se parlait plus trop et nos familles n’avaient pas le loisir de se voir tous les week-ends. Et quand on est partis, on n’a pas pris la peine de s’échanger nos numéros.

— C’est dommage. Ça se voit que vous étiez proches.

— Ouais, on s’amusait bien.

La nostalgie dans sa voix était presque palpable.

Quelques fois, entre deux conversations, Arthur fredonnait quelques paroles des chansons lancées de manière aléatoire. Il n’avait pas toujours le bon ton et s’il se lançait dans le karaoké il ne ferait sans doute pas l’unanimité, mais à voix basse on le devinait plutôt investi. Il avait le mérite de ne pas lui casser les oreilles.

Le sommeil l’avait gagné de façon presque inattendue. La conduite d’Arthur était si souple qu’il s’était laissé ballotter comme un nouveau-né dans un siège auto. Son voisin le réveilla en lui tapotant l’épaule et il grogna de mécontentement. En entrouvrant un œil, il vit une expression amusée sur le visage de son chauffeur.

— On est arrivé.

Il s’était garé en double file face à l’immeuble, feux de détresse activés. À une heure aussi tardive, il n’y avait pas un chat dans la rue et presque pas de lampadaire allumé.

— Tu as besoin que je te tienne la main jusque chez toi ? demanda Arthur avec taquinerie.

Oliver lâcha un petit rire et se ressaisit très vite.

— Merci, se contenta-t-il de répondre en détachant la ceinture.

Il fit remonter la fermeture de sa veste et se prépara psychologiquement à affronter le froid. Puis, en claquant la porte, il eut juste le temps d’entendre Arthur lui souhaiter bonne nuit et quelques secondes plus tard, il était enfin seul.

C’est avec une migraine de tous les diables qu’il s’acharnait à trouver les mots pertinents pour finir sa dissertation de philosophie. Même s’il était rentré à plus d’une heure du matin, sa mère ne lui avait laissé aucun répit. Il avait éteint son premier réveil, puis le deuxième. Elle avait ensuite fait irruption dans sa chambre en le privant de sa précieuse couette puis en le gratifiant d’une tape sur les fesses. Il avait enfoncé son visage dans son oreiller en quémandant un sursis, ce à quoi elle avait répondu en ouvrant la fenêtre.

Et pour ne rien arranger, Minus était venu lui lécher allègrement les orteils pour le forcer à émerger.

— Tu es sorti en boîte cette fois ? lui avait demandé sa mère en avalant son café.

Il secoua la tête, puis fronça les sourcils face à la douleur de son geste. Il cherchait l’aspirine dans le placard comme s’il s’agissait du Graal, ne faisant pas attention à ce qui se passait autour de lui. La lumière du jour lui agressait la vue et sa mère avait déjà enfilé ses talons qui claquaient sur le carrelage. Il dénicha enfin l’objet de son désir et ne se fit pas prier pour le consommer.

— J’ai sorti vite fait Minus pour qu’il fasse ses besoins. Tu t’occuperas de la promenade quand tu auras fini ton devoir. Et il reste du taboulé dans le frigo pour ce midi.

Elle l’embrassa sur la joue puis essuya la trace de rouge à lèvres avec son pouce. Sa mère était plus petite que lui, même avec ses talons. Elle avait besoin qu’il se penche pour ce genre d’attention.

— Quand est-ce qu’Ella rentre ? s’enquit-il parce qu’il avait déjà oublié.

— Demain soir. C’est Greg qui passera la chercher.

Pour être sûr de pouvoir se concentrer sur son tête-à-tête avec Platon, il s’était isolé dans sa chambre et avait relégué son portable et son ordinateur dans le salon. Par précaution, il avait aussi débranché la box internet. Même avec une simple recherche, il pouvait vite se laisser distraire. Il avait gardé ses notes, celles de l’an passé et les fiches de Manon, au cas où, et Minus se chargeait de surveiller ses pieds en prenant place sous le bureau.

Ce qui était pratique avec les cours par correspondance, c’est qu’il pouvait travailler au rythme qu’il voulait, à condition de respecter les délais sur les devoirs. Il passa toute la matinée à pondre trois pages d’un discours dont il ne comprenait pas l’intérêt et cita autant de références que possible. Il savait que c’était là qu’il gagnerait le plus de points, tant que ça restait constructif et à propos. Quand il eut fini sa conclusion, il s’étira sur sa chaise et Minus lui rappela sa présence en posant sa tête sur sa cuisse.

Il rebrancha la box pour pouvoir le retranscrire sur son clavier et l’envoya prestement à son professeur. Après quoi, il sortit se rafraîchir les idées avec le chien qui démontrait toujours autant d’enthousiasme. Quand il marchait dans le parc, il repensa aux paroles de Manon à son propos.

Je l’invite pour le sortir de sa grotte, sinon il ne voit personne.

En même temps, elle n’avait pas totalement tort. Cette routine monotone, c’était lui qui l’avait choisi. Même s’il avait déjà la charge de la promenade du chien par intermittence l’an passé, il partageait son temps entre le lycée et le club de natation. Sa mère avait eu une bonne idée à l’époque de l’inscrire. C’était tout près de l’appartement et ça le défoulait. La dernière fois qu’il y avait mis les pieds, il n’avait pas été capable de franchir le pédiluve que la crise d’angoisse l’avait déjà gagné. Personne n’avait été en mesure de l’aider à ce moment-là. Pas même Manon qui était restée impuissante tout en pleurant également toutes les larmes de son corps. Il lui enviait son courage.

Elle aussi avait connu celui qui était à l’origine de ça : Simon.

Il faisait de la natation avec eux. Il avait le même âge et s’était inscrit au club peu de temps avant Oliver. À eux trois, il formait un trio d’inséparables. Leur complicité cédait parfois à l’esprit de compétition lors des courses qui les opposaient avec d’autres clubs. Simon était un champion qui ne se laissait jamais abattre et ne négligeait aucune préparation. Tout ce qu’il représentait aux yeux de ses amis et sa famille rendait son geste incompréhensible.

Durant la semaine de révision du bac, Oliver s’était rendu compte que son camarade ne lui avait pas restitué ses notes des derniers cours d’histoire. Il était allé chez lui parce qu’il ne répondait pas à ses messages. Sa mère, une magnifique femme métisse, lui avait ouvert la porte avec un grand sourire comme chaque fois qu’il la voyait. C’était la dernière fois qu’il avait vu son expression sur son visage. Quelques minutes après, elle avait trouvé Simon pendu dans sa chambre.

Ils avaient essayé de le ramener. Oliver n’aurait jamais cru avoir à se servir de ses notions de secourisme sur son meilleur ami. Il avait massé sa poitrine tellement longtemps en faisant fi de la fatigue. Une côte avait cédé sous ses efforts vains et les ambulanciers n’avaient rien pu faire.

L’idée de retourner au club lui rappelait sans cesse que Simon n’y serait pas. Manon y parvenait. Peut-être parce qu’elle avait eu la chance de ne pas assister à la scène. La dernière fois qu’elle l’avait vu, il était en vie, heureux, enthousiaste à l’idée d’être en vacances. Il n’avait laissé aucun mot, rien qui expliquait ce qui l’avait conduit à songer au pire et commettre l’irréparable.

Oliver avait consulté une psychologue après sa première crise d’angoisse. Son beau-père l’avait poussé à parler à quelqu’un parce qu’il s’était muré dans le silence. Elle l’a aidé à s’apaiser, mais il n’a pas souhaité poursuivre plus longtemps les séances. C’était très onéreux et mal remboursé. Il ne voulait pas imposer ça à sa mère.

Puis il avait échoué au bac.

Un attroupement d’enfants, leurs sacs sur le dos s’étaient arrêtés dans le parc pour caresser Minus. Ils sortaient de l’école et connaissaient bien le Border Collie. Ce dernier débordait moins d’énergie que lorsqu’il courait à travers champs, ce qui le rendait plus docile et malléable. Il se couchait en exposant son ventre et recueillait volontiers les attentions des petites mains, la langue pendante sur le côté. Oliver restait en retrait, mais conservait un regard vigilant sur la situation. Même si Minus était sociable, une mauvaise interprétation des gestes pouvait s’avérer dramatique.

Quand il rentra chez lui, Greg était déjà là. C’était un gendarme que sa mère avait épousé deux ans plus tôt. Oliver l’appréciait, sans pour autant lui offrir l’amour inconditionnel qu’on accordait à un père. La limite entre eux était claire et chacun savait où se situer. Ella s’était un peu plus attachée à lui, parce qu’elle était plus jeune et que sa présence paternelle la rassurait. Et s’il rendait sa mère heureuse, alors Oliver l’était aussi.

— Manon est dans ta chambre, mon grand, lui annonça-t-il après l’avoir salué.

Oliver était suffisamment surpris de l’apprendre qu’il rata le panier en jetant la laisse de Minus. Il vérifia son téléphone. Elle n’avait pas appelé ni envoyé de message. Il se précipita au fond du couloir sans prendre la peine d’enfiler ses pantoufles et la trouva allongée sur son lit, le nez dans un de ses livres d’histoire.

— T’as pas envoyé de messages, lui reprocha-t-elle en guise d’accueil.

Franche et direct, comme toujours.

— J’ai oublié, dit-il en retirant son pull. T’en as fait autant, que je sache.

— J’avais plus de batterie quand je suis arrivée à la maison. Ça a été pour prendre le bus ?

— Je suis pas rentré en bus. Arthur m’a ramené.

L’étudiante laissa tomber net le manuel.

— Arthur comme Arthur le cousin de Lulu ?

— Tu connais d’autres d’Arthur ?

— Pas d’aussi beau en tout cas.

Il rit et s’étala sur son lit à côté d’elle.

— Je me doutais bien qu’il t’avait tapé dans l’œil.

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