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Guenoria
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Cicatrices

À la différence d’Oliver qui n’avait jamais connu l’opulence et habitait depuis quelques années dans un modeste appartement entouré d’immeuble, Manon n’avait jamais connu la précarité. Son père était à la tête d’une entreprise de transport routier et avait fait bâtir une immense maison d’architecte dont il était extrêmement fier. Elle était tout en longueur, de plain-pied, et formait un angle pour encadrer la terrasse avec sa grande piscine dont le jeune homme avait déjà eu le plaisir d’y piquer une tête durant plusieurs étés.

Il lui était arrivé à plusieurs reprises d’envier sa situation, lorsqu’il la comparait à la sienne. Une vie aisée, sans se soucier de voir le frigo vide ou de voir ses parents se priver pour que les enfants puissent manger à leur faim. Pourtant Manon n’avait jamais été le genre de fille à faire étalage de sa richesse. Elle n’avait jamais eu le téléphone dernier cri, avait hérité d’une vieille Clio avec beaucoup de kilomètres au compteur et ne se pavanait jamais dans des vêtements de grandes marques. Elle était simple, lucide que la réussite de son père n’était due qu’après de longues années d’efforts à ne pas compter ses heures. Elle aussi devait faire ses preuves et c’était parce qu’elle avait relativement brillé dans son premier semestre que ses parents lui laissaient la maison pour le week-end.

Oliver n’était pas revenu dans cette maison depuis la fin de l’été et cette fois-là, il n’était pas à l’aise de profiter de tout cet espace sans Simon. Après des compétitions de natation, le groupe se retrouvait toujours dans l’une des annexes, celle avec la toile pour projeter des films comme au cinéma. Ils jetaient des coussins et des plaids sur le sol et enchaînaient les longs métrages jusqu’à ce que le sommeil s’empare d’eux. Cette époque lui paraissait soudainement bien lointaine.

Il se doutait que Manon avait mis les formes pour l’occasion. La musique s’entendait depuis la voiture et les exclamations des invités résonnaient de toute part. Elle avait invité beaucoup plus de gens qu’il ne l’aurait cru. Arthur le suivit jusqu’à l’entrée. Deux personnes isolées pour fumer une cigarette les saluèrent de la main et ils entrèrent. Aussitôt, ils furent assourdis par le bruit et secoués par le rythme des basses. La pièce principale était plongée dans une semi-pénombre pour permettre aux spots de faire leurs effets de lumière. Une machine à fumée crachait aussi sa brume par intermittence et le tout donnait l’illusion d’être en discothèque plutôt que dans la maison familiale d’une étudiante.

Tandis qu’ils se frayaient un chemin dans la foule, une fine silhouette fonça droit sur Oliver pour lui sauter au cou. Surpris, il faillit perdre l’équilibre et crut perdre contenance en sentant un baiser s’écraser sur sa joue. Il ne reconnut Ludivine que lorsque celle-ci se recula et écarquilla les yeux, sous le choc avant de regarder Arthur et les pointer du doigt. Manifestement, elle avait confondu.

— C’est presque malsain, votre truc ! dû-t-elle hurler pour se faire entendre.

Pour le thème, Ludivine avait déniché une vieille combinaison de ski dans le placard de sa mère. Elle était très flashy, à la fois rose et violette et quelques touches de noir. Et pour ne pas avoir trop chaud, elle avait ouvert la fermeture jusqu’au bas de son ventre et ne portait en dessous qu’un crop top noir. Son maquillage pailleté recouvrait toute sa paupière et elle avait eu la main lourde sur le blush. Malgré ce changement, elle était toujours adorable, même gênée au possible par sa confusion.

— Avoue tout de même que ça lui va bien, se vanta Arthur en désignant la tenue d’Oliver.

— Ça le change, effectivement. Tu es très élégant.

Après un échange formel avec l’étudiante, Oliver dut se résoudre à voir partir son sweat préféré à l’autre bout de la maison. Ludivine avait décidé de présenter son incroyable cousin à d’autres camarades de facultés.

N’ayant aucun mal à rejoindre la cuisine, le jeune homme attrapa une bière dans le frigo et continua sa traversée vers le jardin. Il n’avait pas encore croisé sa meilleure amie dans le salon et espéra la retrouver sur la terrasse. Une fois dehors, le choc thermique le saisit. Il frissonna de tout son long et sentit ses extrémités devenir aussi froides que des glaçons. Mais avant qu’il n’eût le temps de se résigner à retourner à l’intérieur, une voix aiguë qu’il reconnut très vite l’interpella au loin. Il y avait un petit attroupement de personnes dont il n’eut aucun mal à reconnaître les visages pour les avoir côtoyés quelques années. Tous ses camarades de natation avaient fait le déplacement. Manon était parmi eux.

— Mais regardez-moi ce beau gosse ! s’exclama Célia, une nageuse avec qui il avait fait du relais.

Cette dernière était aussi grande que lui, le teint mat en toute saison et de grands yeux noirs en amandes.

— T’as l’intention d’emballer toutes les filles ? avait renchéri Dimitri en lui faisant une accolade.

Oliver ne manqua pas le regard plein de sous-entendus que lui adressait Manon lorsqu’elle reconnut l’origine des vêtements qu’il portait. Elle le salua tout de même chaleureusement avec une bise sur la joue qu’elle essuya aussitôt de son pouce.

— En parlant d’emballer, qui t’a laissé cette trace de rouge à lèvres ?

— Certainement Ludivine, répondit-il en se souvenant de la manière dont elle s’était jetée sur lui.

— En voilà un qui ne perd pas de temps ! dit Célia en lui tapant l’épaule.

Pour compléter le petit groupe, il y avait également Augustin, un garçon timide et peu bavard que Manon avait tout de même invité malgré le fait qu’il n’ait jamais cherché à sympathiser plus que nécessaire. Il salua néanmoins Oliver d’une brève poignée et main et ce dernier ne put s’empêcher de constater que quelqu’un manquait à l’appel.

— Violette aussi est venue ? demanda-t-il avant de prendre une gorgée de bière.

Tout le monde se tut et les sourires s’estompèrent, comme s’il avait jeté un froid à l’ambiance. Il les observa tous, la mine grave et se sentit aussitôt mal, sans trop savoir pourquoi. Dimitri fut le premier à rompre le silence avec un raclement de gorge et prétexta le besoin d’aller remplir son verre pour leur fausser compagnie, Augustin sur les talons. Craignant de voir fuir Célia, il attrapa son bras.

— J’ai dit quelque chose de mal ?

Elle posa une main sur la sienne et lui adressa un sourire tendre et compatissant. De leur groupe, elle avait toujours été celle qui était mature, sage et maternelle.

— Violette a coupé les ponts à cause de… tu sais bien.

Tout le club de natation avait été ébranlé par le suicide de Simon. Dans sa peine, Oliver avait oublié que le chagrin avait été partagé par tout le monde. Chacun avait fait son deuil à sa manière, mais l’amertume demeurait encore.

— Pardon. Je ne pensais pas que…

— Dim est con, parfois, coupa Manon sèchement. Tu n’as rien à te reprocher.

— Peut-être, mais je lui ai rappelé ce qui est arrivé, se défendit Oliver, penaud.

— Rien que le fait de nous voir tous ensemble suffit à rappeler Simon. Si c’est trop dur pour lui, il n’a qu’à faire comme Vivi. Personne ne lui en voudra.

Manon était dure dans ses paroles, mais Célia l’approuva. Elle ne lâcha pas la main d’Oliver, l’aidant à apaiser sa culpabilité. Elle portait une tenue d’infirmière qu’elle avait dû emprunter à sa mère, par-dessus laquelle elle avait gardé son manteau. Quant à Manon, elle avait ressorti son costume de Supergirl qu’elle affectionnait tant, malgré ses tâches. Il en avait vu des fêtes lui aussi.

Celia leva son gobelet en l’air, invitant ses deux amis à trinquer.

— À Simon, où qu’il soit. On t’aime toujours.

— À Simon ! tonnèrent en cœur Manon et Oliver.

En tant que maîtresse des lieux, Manon était sollicitée de toute part, si bien qu’elle ne put accorder autant que de temps qu’elle l’aurait voulu à ses vieux amis. Dimitri s’était par la suite manifesté afin de s’excuser et prendre des nouvelles, mais par la suite, Oliver se retrouva seul avec Célia. Il apprit qu’elle avait entrepris une licence dans le domaine de la santé dans l’optique de devenir sage-femme. Elle ne lui cacha pas qu’elle devait s’acharner pour garder le niveau, ce domaine étant très sélectif, mais elle était confiante et motivée. Il trouva que cette perspective lui allait bien. C’était une personne à l’écoute et attentionnée. Elle avait le don de mettre les gens à l’aise, même sans rien dire.

Il bavarda à son tour de ses cours par correspondance et de sa routine avec Minus. Puis, timidement, il lui parla d’Arthur, d’abord pour lui expliquer sa tenue et ensuite pour aborder la séance photo dans les ruines. Il devint rapidement son sujet principal, étant donné qu’il était la seule nouveauté dans sa vie. Célia l’écouta s’exprimer avec un petit sourire complice qui le fit rougir. Il s’interrompit, embarrassé par la manière dont elle le regardait.

— Quoi ?

— Non rien, se défendit-elle.

— Je connais ta tête et je sais que tu penses à quelque chose, mais que tu ne veux pas me dire ce que c’est.

— Je trouve juste que tu as bonne mine. La dernière fois qu’on t’a vu, tu as fait une crise d’angoisse dans les vestiaires. C’était pas la joie, on va dire.

Oliver serra les dents à l’évocation de ce souvenir. C’était la dernière fois qu’il avait mis les pieds à la piscine. Et l’idée d’y retourner lui tordait toujours l’estomac.

— Ella aussi trouve que je suis de meilleure humeur.

Il décolla scrupuleusement l’étiquette de sa bière pour occuper ses doigts.

— Manon aussi, dit Célia. Elle me l’a dit quand je suis arrivée. J’imagine que cet Arthur y est pour beaucoup.

D’un seul coup, il déchira l’étiquette qu’il espérait récupérer en un seul morceau. Elle avait employé un ton lourd de sous-entendus et ce n’est pas six mois éloignés l’un de l’autre qui allaient lui faire oublier ce type de détail.

— Est-ce qu’il est aussi beau que Manon me l’a décrit ? demanda-t-elle en penchant la tête sur le côté.

— Tu essaies de me faire dire quelque chose, Célia ?

Les creux dans ses joues s’accentuèrent à la mesure de son sourire.

— Je lis toujours en toi comme dans un livre ouvert, même dans la pénombre, Oliver, affirma-t-elle avec un clin d’œil. Et je sais quand tu as le béguin pour quelqu’un.

— Tu parles toujours comme une grand-mère, protesta-t-il en lui jetant la boule de papier qu’il avait entre les doigts.

Elle éclata de rire en l’esquivant.

— Ah ! Tu ne nies donc pas !

— Mais tais-toi donc !

Comme s’ils avaient de nouveau 12 ans, il chercha à l’atteindre d’une pichenette sur le front, mais elle prit ses jambes à son cou et son rire résonna dans le jardin, loin de l’ambiance musicale. Il la poursuivit malgré le léger état d’ébriété dans lequel il se trouvait. Célia non plus n’en menait pas large et c’était certainement ce qui la rendait si taquine.

Elle avait une bonne longueur d’avance sur lui, d’autant plus qu’elle avait toujours été la plus rapide à la course à pied, étant donné qu’elle avait fait un peu d’athlétisme au collège. Mais Oliver avait l’avantage de connaître bien mieux le terrain. Il contourna un buisson massif qui dissimula sa manœuvre et l’attrapa par la taille lorsqu’elle passa près de lui. Entre sa vitesse et l’emprise de son bras, ils chutèrent dans l’herbe et le poids de son amie lui coupa la respiration.

— Oliver ?

Ils étaient restés couchés l’un près de l’autre, haletant, le regard tourné vers le ciel voilé. Il faisait terriblement froid et le gazon humide s’imprégnait dans la fibre de leurs vêtements. Elle tâtait son bras du bout du doigt.

— Oui ?

— Tu as dit à quelqu’un d’autre que moi que tu es bisexuel ?

Il grogna en guise de réponse. Parler de ce sujet ne lui avait jamais paru important, puisque l’occasion de l’amener sans attirer l’attention sur lui ne s’était jamais présentée. Célia savait parce qu’il avait eu un lapsus révélateur un soir de beuverie, durant un moment comme celui-ci où ils s’étaient retrouvés seuls. Il ne lui avait jamais demandé de se taire, mais à son grand étonnement, elle avait gardé le secret.

Puis il y avait toujours une part de lui qui avait peur de ce que ça pourrait changer autour de lui. Aimer les filles ne dérangeait personne. Pour la plupart, c’était même dans l’ordre des choses. Mais s’il s’intéressait subitement un garçon, il savait que des personnes lui tourneraient forcément le dos. Et le problème, c’était qu’il ignorait qui le ferait.

— J’aimerais que tu sois heureux, murmura-t-elle comme si elle adressait un vœu aux étoiles. Et sache au moins que peu importe qui tu aimes, moi je te soutiendrais toujours.

Les paroles de Célia continuaient de résonner en lui jusqu’à faire sens. Ils avaient un peu parlé d’Arthur, du bienfait qu’il lui apportait et du déni dans lequel il s’était enfermé. C’était peut-être à cause de Simon, parce qu’il avait peur de le trahir en se liant aussi étroitement avec quelqu’un d’autre. Il se sentait coupable d’avoir trouvé une autre personne pour le remplacer, mais le fait était que le photographe avait bel et bien pris une place différente.

Dès le premier soir, un mois plus tôt, Arthur l’avait intrigué. Son allure soignée et ses bonnes manières l’avaient captivé, jusque dans son regard bleu qui semblait le pénétrer dès qu’il osait le croiser. Et ce prétexte des échecs n’était qu’une ruse qu’il avait trouvée pour partager un moment seul avec lui, rien qu’avec lui. Inconsciemment, Oliver avait cherché à ce qu’il se passe quelque chose parce qu’il lui plaisait. Jamais il n’avait éprouvé une réelle attirance pour un autre garçon sur le plan sentimental.

Il marchait désormais jusqu’à la maison avec appréhension. Éclaircir les choses n’avait fait que les alourdir. Son amitié avec Arthur avait pris suffisamment d’espace dans sa vie pour être gâchée par des sentiments non réciproques. Il regrettait alors son déni.

— Chaud devant !

Manon passa en rafale devant lui, avec une bassine dans une main et une serpillière dans l’autre. Elle serpenta entre les convives et il s’empressa de la suivre jusqu’à la grande salle à manger. Il comprit aussitôt son attrait soudain pour le ménage lorsqu’une odeur de vomi le prit au nez.

— Qui a bu plus que de raison ? demanda-t-il en balisant la zone avec un rouleau d’essuie-tout.

— Lulu, répondit-elle avec une grimace. Apparemment, elle aurait décidé de ne pas penser aux mecs jusqu’au Nouvel An et se mettre une murge qui lui a paru être une bonne idée.

— Si on en croit l’odeur, elle a dû enquiller des shots de téquila.

— Ouais, elle s’est lancée dans un Teq’ Paf avec Coco et Juju, mais elle n’a pas aussi bien tenu qu’eux.

Il l’aida à nettoyer tout ce que l’estomac de la victime avait répandu sur le sol, non sans être aussi dégoûté qu’elle. Mais si elle tenait à continuer de recevoir ses amis pour d’autres événements de ce genre, elle devait s’assurer de rendre la maison dans l’état où ses parents l’avaient laissé.

— Où est-elle maintenant ? demanda-t-il.

— Dans la salle de bain de mes parents. Arthur est resté avec elle pour lui tenir les cheveux et lui faire boire de l’eau.

Il imagina sans peine la scène.

— Tu n’as pas peur pour ton sweat ? demanda-t-elle en essorant la serpillière.

— Non, pourquoi ?

Elle s’arrêta net, ses yeux écarquillés.

— T’as filé ton haut préféré, que même moi je n’ai pas le droit de toucher, à Arthur ! Et l’idée qu’il puisse être taché par le vomi de Ludivine ne te dérange pas plus que ça ?

— Il est sans aucun doute nettement plus soigneux que toi, répliqua-t-il.

— On ne peut pas en dire autant de toi. On dirait que tu t’es roulé dans le jardin comme un animal.

Il se sentit aussitôt coupable, ayant presque oublié qu’il ne portait pas ses fringues. Il était légèrement trempé, le dos et les jambes pleines de terre et de gazon. Par chance, rien n’était déchiré, mais il ne savait si ce type de matière tâchait plus facilement que les vêtements modernes.

Ça le travailla tout le reste du temps où il aida Manon à nettoyer. Et puisqu’il ne voulait pas avoir de problème avec son ami, il fila dans le couloir jusque dans la dernière chambre où il put lire sur la porte : « La fête ne va pas au-delà de cette porte ». Une bonne manière de dissuader quiconque de faire des cochonneries sur le lit conjugal.

Il pénétra doucement dans la chambre et aperçut une lueur en provenance de la salle de bain attenante à la pièce. À deux pas d’elle, il entendit immédiatement le bruit caractéristique d’une personne évacuant le contenu de son estomac, un son rauque qui paraît toujours provenir d’une créature cachée, profitant de l’occasion pour rugir. Celle de Ludivine était terrifiante.

Arthur demeurait auprès d’elle, une main tenant ses cheveux et l’autre lui tapotant le dos, compatissant. Elle avait la tête penchée sur la lunette, son visage indiscernable, et son corps se contractait par moments, secoué de spasmes. Le voyant arriver, Arthur releva subitement la tête, l’observa d’un œil critique puis étouffa un rire.

— Qu’est-ce qui a bien pu t’arriver pour finir dans cet état ? se moqua-t-il.

— Je dirai trois bières et une course poursuite avec Célia Merteuil avec des chaussures pas faites pour.

Cette fois-ci, Arthur ne put contenir son ricanement. Si l’état général de ses vêtements le dérangeait, il n’en montra rien et Oliver se sentit dénué d’un poids.

Ludivine releva subitement la tête et laissa voir son visage défiguré par son maquillage. Entre la sueur et les larmes, ses joues étaient maculées de traînées de mascara.

— Oh ! Je sens que ça revient ! Ça revient !

Aussitôt, elle déversa le fond de son estomac qui, à en juger le bruit, ne devait être que du liquide. Le plus dur était donc déjà passé. Oliver s’agenouilla de l’autre côté, et frotta également son dos. Elle avait défait le haut de sa combinaison de ski pour la nouer autour de ses hanches. Sa peau était brûlante et collante. Le jeune homme n’était pas certain qu’elle ait remarqué sa présence, néanmoins il tenait à lui apporter un peu de réconfort. Il avait déjà vécu ce genre de chose l’an passé, après avoir surestimé sa capacité à absorber divers mélanges de boissons alcoolisées.

— Tu peux ajouter ça à la liste de vos souvenirs entre cousins, souligna-t-il à son ami.

— C’est clair qu’on a connu plus glorieux, elle et moi.

— Et désolé pour tes fringues. Je demanderai à ma mère comment les nettoyer.

— T’en fais pas pour ça. On est quitte.

Il lui indiqua son pantalon dont les multiples gouttes qui le tachaient pouvaient être toute sorte de liquide, y compris le vomi de Ludivine. Et après un rapide regard qui ne se voulait aucunement voyeur, Oliver ne remarqua aucun dégât sur son sweat. Seulement, avec quelques bières ingérées, ce qu’il avait présumé être un coup d’œil discret n’avait pas manqué à Arthur.

— J’ai cru comprendre que tu y tenais, d’après Manon. J’aurais peut-être dû te demander.

— Non, ça va. C’est juste que…

Il crut deviner quelque chose dans la manche et pencha légèrement la tête.

— C’est un ami qui me l’a offert.

Un cadeau de Simon, plus précisément, pour son dix-septième anniversaire. Il n’avait rien de spécial à première vue. C’était un de ces vêtements que l’on pouvait customiser à la demande dans une boutique. Son ami l’avait choisi dans un ton crème, avec une petite tortue dessinée de manière enfantine sur le côté gauche de la poitrine. En natation, Oliver n’était pas le plus rapide, et l’entraîneur avait prophétisé que s’il devait se réincarner un jour, ce serait en tortue. La plaisanterie l’avait fait rire, et ce pull personnalisé était devenu au fil du temps celui qu’il aimait le plus porter. Depuis la mort de Simon, il ne s’en séparait presque jamais.

— Je suis un être hideux, gémit Ludivine en relevant la tête.

— Ce n’est pas le moment de céder au désespoir, cousine.

— Mais si ! Les hommes me fuient ! J’en fais toujours trop et ils me quittent. Je jette toujours mon dévolu sur le mauvais type.

— Tu te prends trop la tête. Et puis t’es encore jeune ! C’est cool le célibat aussi. Tu peux faire et dire tout ce que tu veux, sans que personne ne te prenne la tête.

Pour donner du poids à ses mots, il demanda à Oliver d’un regard appuyé d’approuver ses dires. Il hocha la tête sans être vraiment sûr d’être bien placé pour ce genre de conseils.

— Mouais. Être amoureuse, c’est cool aussi, tu sais, souffla-t-elle béatement. T’as pas connu ça ? Beau comme tu es, tu dois bien traîner un ou deux ex ? Comment s’appelait le dernier déjà ?

Arthur n’eut pas l’occasion de répondre qu’elle replongea dans la cuvette dès qu’elle sentit son système digestif la rappeler à l’ordre. Rien ne sortit, mais son corps continuait d’agir comme s’il restait quelque chose. Et tandis que son dos se cambrait, Oliver comprit ce qui l’avait intrigué un peu plus tôt. La manche de son sweat s’était quelque peu retroussée et faisait apparaître de multiples traits sur la peau d’Arthur. Il y avait un nombre indéterminé de cicatrices plus ou moins importantes, des tranchées dessinées sur toute la largeur de son avant-bras. Des scarifications comme on pouvait en trouver chez les dépressifs à tendance suicidaires.

Il se leva aussitôt, sentant la bile lui monter à son tour. Son cœur battait si fort qu’il pouvait l’entendre. Et sans prévenir, il quitta la salle de bain, le souffle saccadé. Comme si l’ivresse s’était soudainement emparée de lui, il tituba et longea le mur jusqu’au séjour.

Le bruit environnant eut pour effet de le distraire un moment, lui permettant de reprendre contenance et de se recentrer. Il inspira fortement, ferma ses yeux puis expira longuement. Tout d’abord, il calma l’alarme dans son cerveau, comme lui avait déjà expliqué le psychologue. C’était sans doute la seule chose qu’il avait retenue des quelques entretiens avec lui. Il devait devenir maître de ses émotions et ne pas céder à la panique.

Le problème, c’était qu’il n’arrivait pas à oublier cette image d’Arthur. Il ne comprenait pas comment un jeune homme qui débordait d’assurance pouvait cacher de telles marques. C’était comme s’il avait trahi une sorte de contrat de confiance entre eux. C’était comme revivre le coup bas de Simon.

Il trouva son salut non loin de là. Célia discutait posément avec Justin, dans l’un des canapés du salon que Manon avait poussé pour ouvrir l’espace et permettre aux gens de danser. Il interrompit leur échange, s’excusa à demi-mot auprès de l’étudiant et embarqua l’ancienne nageuse avec lui jusqu’à l’entrée.

— Faut que je rentre et je veux pas embêter Manon, s’empressa-t-il de lui dire, incapable de décider s’il devait croiser les bras sur sa poitrine ou mettre ses mains dans ses poches.

— Il se passe quoi ?

Elle était inquiète, ses sourcils relevés en flèches vers son front.

— S’il te plaît, je veux juste rentrer. Tu peux me ramener ?

Attentive au moindre détail, même de nuit, Célia ne manqua pas la larme qui avait coulé le long de sa joue, trop rapide pour qu’il l’en empêche. Elle voyait son mal-être, son épuisement mental, elle ne voulut pas en rajouter une couche.

— D’accord. Je vais chercher mes clés.

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