Le matin était gris. Pas vraiment froid, mais couvert. L'appartement baignait dans une lumière douce, presque feutrée. Elijah était déjà debout, encore en legging et t-shirt, les pieds nus sur le carrelage de la cuisine. Elle préparait deux cafés, machinalement, les gestes lents. La nuit avait été courte. Agitée. À peine quelques heures de sommeil, entre les pensées, les soupirs, les tournants imprévus de la veille.
Charlotte sortit de la chambre, déjà habillée. Silencieuse. Mais dès qu'elle entra dans la cuisine, Elijah tourna la tête et, sans un mot, se rapprocha d'elle. Elle enfouit son visage dans son cou, les bras glissant autour de sa taille. Comme si son corps cherchait instinctivement un refuge. Une chaleur. Une vérité.
Charlotte soupira, surprise, puis referma les bras sur elle. Forte. Longuement. Elle posa un baiser sur sa tempe, ses doigts glissant dans les mèches emmêlées.
— T'as mal dormi ? murmura-t-elle.
Elijah hocha la tête sans répondre. Elle resta blottie, quelques secondes de plus. Puis Charlotte recula doucement, l'embrassa sur le front.
— On va être en retard.
— Je sais.
Elles se regardèrent. Pas un sourire, mais une certitude silencieuse : je suis encore là. Puis Charlotte attrapa ses clés, et elles quittèrent l'appartement.
Le bruit familier du restaurant les engloutit aussitôt. Commandes, vaisselle, voix en fond. Et cette sensation que quelque chose clochait. Elijah ne savait pas dire quoi, au début. Juste... un froid. Puis elle vit Charlotte s'arrêter net devant le bureau.
Soraya était là.
Appuyée contre le comptoir, tailleur impeccable, badge en place. Son sourire était poli, mais ses yeux... acérés.
— Surprise, dit-elle simplement.
Charlotte resta de marbre. Elijah, derrière, sentit son estomac se nouer. Elle recula d'un pas, presque sans y penser.
Soraya ne quittait pas Charlotte des yeux.
— Hélène m'a contactée. Rien de formel contre moi, donc... je suis de retour. Temporairement, précisa-t-elle, avec un regard appuyé.
Charlotte répondit d'un ton neutre :
— Tant mieux pour toi.
Elle recula d'un pas, chercha Elijah du regard. Et, malgré le monde autour, elle s'approcha d'elle. Effleura sa main. Juste ça. Mais c'était suffisant.
— Ça va aller, murmura-t-elle. Je suis là.
Elijah baissa les yeux, la gorge nouée. Elle voulait croire ces mots. Elle voulait croire Charlotte. Mais quelque chose en elle restait en alerte.
La journée commença sous tension.
Elijah entra dans la salle de pause pour attraper un verre d'eau. Elle s'arrêta net en entendant les voix de Nono et Sabrina.
— Non mais sérieux, tu l'as vue passer devant Soraya comme si de rien n'était ? lâcha Sabrina, les bras croisés. Elle peut au moins nous dire la vérité, non ?
— Ouais... j'veux dire, on s'en fout qu'elles soient ensemble, ajouta Nono en grattant l'étiquette de sa bouteille. C'est juste... si t'as confiance en nous, tu fais pas semblant. Tu nous prends pas pour des idiots.
Sabrina soupira.
— J'veux dire... elle pouvait pas juste dire "ouais, y'a un truc", et basta ? Maintenant tout le monde murmure. Et nous on passe pour quoi, là-dedans ?
Elijah resta immobile, hors de vue. Les mots résonnaient. Ce n'était pas de la colère. C'était autre chose. De la blessure, plus fine, plus sourde.
Elle s'éclipsa avant qu'ils ne la voient.
Dans la réserve, Soraya laissa traîner une remarque à voix haute :
— Faudrait vraiment revoir la répartition des shifts... Y'en a qui semblent avoir des passe-droits.
À la caisse, elle ajouta, comme en soupirant :
— On sent que certaines manageuses ont leurs préférées. Dommage que ça déteigne sur le service.
Elijah faisait de son mieux pour rester concentrée. Mais même Sabrina évitait son regard. Yanis, d'ordinaire si discret, ne lui avait pas adressé un mot depuis le matin. Nono, lui, avait esquivé sa pause.
Charlotte, elle, gardait la tête haute. Mais Elijah la voyait crispée. Moins présente. Moins douce.
À un moment, dans le couloir du stock, Charlotte l'attrapa doucement par la manche. Elijah s'arrêta, surprise.
— Je te laisse pas, d'accord ? dit Charlotte, doucement.
Elle caressa son bras, brièvement. Elijah ferma les yeux. Elle ne répondit rien.
Quand elle retourna en salle, Sabrina l'attendait près du passe-plat, visiblement agacée.
— Tu sais, c'est pas le fait que tu sois avec Charlotte, hein. C'est juste que... on a l'impression d'avoir été tenus à l'écart. Comme si on comptait pas.
Elijah la regarda, déstabilisée.
— Je voulais pas...
— J'te crois, coupa Sabrina, plus douce. Mais ça aurait été cool qu'on l'apprenne autrement qu'à travers les messes basses de Soraya.
Yanis passa derrière elles à ce moment-là, les bras chargés de vaisselle. Il lança simplement, sans s'arrêter :
— J'espère juste que t'es pas ici parce que t'es avec elle.
Elijah sentit son cœur se contracter. Elle ne répondit pas. Elle ne savait pas quoi dire.
Plus tard, une cliente mécontente fit un scandale pour une salade trop vinaigrée. Soraya intervint :
— Dommage qu'on laisse des personnes sans vraie formation gérer des clients difficiles.
Elijah sentit ses joues brûler. Elle voulut répondre, mais Charlotte posa une main sur son bras. Elle secoua légèrement la tête : laisse tomber. Puis elle lança à Soraya, calmement :
— Si t'as un problème avec ma façon de former, tu peux m'en parler directement.
Soraya haussa un sourcil, faussement innocente :
— Ah non, j'faisais qu'observer. C'est tout.
La journée s'étira. Douloureuse. Épuisante.
Le retour en voiture fut silencieux. Même la musique ne comblait pas le vide.
Chez elles, Charlotte s'était réfugiée dans la cuisine, les mains crispées sur un torchon qu'elle tordait nerveusement. Elijah s'était laissée tomber sur la chaise de la salle à manger, les bras croisés.
— On peut pas continuer comme ça, souffla-t-elle.
Charlotte releva la tête, mais ne répondit pas.
— Ils me regardent tous comme si j'étais un poison. Comme si j'avais pris une place qui m'était pas destinée. Et toi, t'as l'air... t'as l'air épuisée.
Charlotte s'approcha lentement, s'adossa au plan de travail.
— J'essaie de faire au mieux.
— Et moi j'essaie de pas prendre toute la place. Mais j'ai l'impression d'être un poids. Depuis que je suis là, ça fait qu'empirer.
— Je crois que je t'apporte que des ennuis.
Charlotte s'approcha, ses gestes lents. Elle s'accroupit près d'elle, la main sur le genou d'Elijah.
— Non. T'es ce qu'il y a de plus lumineux dans ma vie. Et si ça dérange les autres... tant pis.
Elijah la regarda, les yeux brillants.
— Même si ça nous coûte les autres ?
— Si on perd des gens à cause de ce qu'on est, c'est qu'ils étaient jamais vraiment avec nous, répondit Charlotte.
Elle posa son front contre la cuisse d'Elijah, un instant. Puis se releva.
Elle voulait dire "je t'aime". Mais ce n'était pas le moment. Pas encore.
Ce soir-là, elles partagèrent le même lit. Mais une distance, fine comme une lame, s'était glissée entre elles.
L'équipe de travail est vraiment vache avec Elijah. Entre les remarques acides de Soraya et le manque total de soutien de la part des collègues, on comprend qu'elle passe une mauvaise journée. C'est chouette de prendre le temps de détailler la journée, et l'ambiance qui s'envenime. Ca aide à se figurer à quel point quelques mots qui peuvent sembler anodins peuvent pourrir le quotidien.