Le service touchait à sa fin. Le restaurant baignait dans une lumière plus douce, tamisée par les derniers rayons de la journée. En salle de pause, l'équipe traînait un peu, l'ambiance lourde et confuse.
Sabrina s'appuya contre le frigo, les bras croisés.
— Je sais pas, moi... c'est plus pareil depuis quelques jours.
Yanis haussa les épaules, l'air gêné.
— Elles font leur truc, on n'a rien à dire, mais... je sais pas. On dirait qu'on est plus inclus.
Nono, adossé au mur, balançait distraitement un bouchon entre ses doigts.
— Au début, on rigolait plus. Elijah ramenait une énergie. Et Charlotte, elle était plus... vivante.
Sabrina soupira.
— Et maintenant on est juste... amers. Pour quoi ? Parce qu'on a été mis à l'écart ? Parce qu'on a mal réagi ?
C'est à ce moment-là qu'Hélène entra. Ils se figèrent. Elle avait tout entendu.
Elle s'avança lentement, son regard glissant sur chacun d'eux.
— J'ai jamais vu l'équipe aussi fluide que ces dernières semaines, murmura-t-elle. Pas juste à cause d'Elijah. À cause de vous tous. Vous étiez plus heureux. Plus ouverts. Vous aviez envie. Alors pourquoi tant de distance aujourd'hui ? Pourquoi cette rancune ? Vous les avez vues changer, s'ouvrir, se rendre meilleures. Et vous les avez laissées tomber au premier doute.
Posez-vous la vraie question : qu'est-ce que vous défendez en agissant comme ça ? Parce que moi, je vois juste deux personnes qui essaient d'être elles-mêmes. Et une équipe qui oublie ce que ça veut dire d'être bienveillante.
Elle n'attendit pas de réponse. Elle tourna les talons, laissant les mots résonner derrière elle. Un silence gêné flotta un moment.
Puis Sabrina releva la tête.
— Faut qu'on fasse quelque chose.
Nono acquiesça aussitôt.
— Qu'on répare.
Yanis ajouta, plus doucement :
— On leur doit au moins ça.
Le soir même, le plan était lancé.
Hélène, complice jusqu'au bout, appela Elijah.
— Tu peux passer au restaurant ce soir ? J'ai des papiers pour toi. Rien de long, mais j'aimerais qu'on règle ça rapidement.
Puis ce fut au tour de Charlotte.
— J'ai un petit souci de planning. Tu pourrais venir ce soir ? Rien de lourd, juste un service allégé. Je compte sur toi.
Aucune ne se doutait de rien.
Elijah arriva la première. Elle poussa la porte du restaurant, vide. Lumière tamisée. Une douce odeur flottait dans l'air. Et au centre, une table dressée avec soin. Deux assiettes. Deux verres. Une bougie.
Sabrina l'attendait, bras croisés mais sourire complice.
— Ce soir, tu bosses pas. Ce soir, c'est pour toi.
Elijah ouvrit la bouche, interdite. Mais déjà, la porte s'ouvrait de nouveau.
Charlotte.
Elle s'arrêta en la voyant. Les yeux dans les yeux. Pas un mot. Sabrina glissa doucement :
— Allez, venez. La table est pour vous.
Le repas avait quelque chose de suspendu. Une parenthèse dans le tumulte des derniers jours. Sabrina avait dressé la table avec soin : deux assiettes garnies d'un plat simple mais délicieux, un petit vin rouge dans des verres propres, une bougie au centre, vacillante mais vive.
Charlotte et Elijah s'étaient assises l'une en face de l'autre. Longtemps, elles n'avaient pas parlé. Elles s'étaient contentées de manger lentement, chacune prenant la mesure de la présence de l'autre. Le silence n'avait rien de froid. C'était un silence dense, chargé de choses encore non dites, mais pas hostile. Un silence qui attendait.
Le contact était revenu naturellement. Un frôlement du pied sous la table. Une mèche replacée derrière l'oreille. Puis Charlotte avait posé sa main sur celle d'Elijah, doucement, sans rien forcer. Elijah l'avait regardée, et ses doigts s'étaient refermés sur les siens.
— Je t'ai attendue, dit Charlotte dans un murmure.
— J'avais besoin de souffler, répondit Elijah.
— Tu vas rester ? Pas seulement ce soir. Mais... vraiment rester ?
Le silence reprit. Puis Elijah hocha la tête.
— Oui. Je crois que j'en ai plus envie que peur.
Un sourire, timide mais présent. Et leurs doigts ne se quittèrent plus.
Le repas toucha à sa fin. Le vin laissa un léger picotement sur les lèvres. Elijah, un peu plus détendue, laissa échapper un rire discret à une anecdote de Charlotte sur un client maladroit. Charlotte la regardait, le cœur déjà plus léger.
Puis, des pas discrets s'approchèrent. Sabrina arriva la première, suivie de Nono et Yanis. Tous en tenue de ville, un peu maladroits. Un peu émus.
— Bon... fit Sabrina. On va pas tourner autour du pot.
Elle croisa les bras, mais son regard n'était pas dur. Juste sincère.
— On est désolés. On a réagi comme des cons.
— On aurait dû vous parler, ajouta Nono. Pas écouter les mauvaises langues.
— C'était pas contre vous, reprit Yanis. Juste... la peur de perdre notre équilibre. Mais on a déconné.
Charlotte les observa, silencieuse. Elijah gardait la main dans la sienne, posée sur la table.
— Vous avez bien fait ce soir, dit Charlotte. Ça... ça nous a fait du bien.
— Et si vous avez besoin d'un service un jour, reprit Sabrina avec un sourire de travers, vous savez où nous trouver.
Elle jeta un regard vers les assiettes.
— Laissez, on débarrasse.
Charlotte secoua doucement la tête.
— Non. Laissez-nous faire. On va ranger. Ça nous fera du bien aussi.
Sabrina haussa un sourcil surpris, mais hocha la tête. Puis elle posa une main sur l'épaule de Charlotte.
— Prenez soin l'une de l'autre. Vous êtes belles à voir, vous savez.
Ils partirent tous les trois, en silence, les laissant seules dans la salle vide.
Les assiettes refroidies sur la table. La nappe légèrement froissée. Le cliquetis d'un verre encore à moitié plein. Charlotte se leva en silence. Elle ramassa les assiettes, les empila, les posa au comptoir. Elijah la rejoignit sans un mot, leurs gestes se croisant comme une danse familière. Ils nettoyèrent, essuyèrent, rangèrent. Une cuillère ici. Un verre là. Les corps proches. Les souffles presque synchrones.
Quand Charlotte passa derrière Elijah pour poser un plat, elle s'arrêta un instant. Ses mains se posèrent sur ses hanches, comme un réflexe. Elijah se retourna lentement, leurs regards se croisèrent dans la pénombre.
— Tu sais... dit Charlotte en murmurant, c'est ici que j'ai commencé à tomber amoureuse de toi.
Elijah sourit, les yeux brillants.
— Moi aussi. Chaque fois que tu me corrigeais sans me regarder... j'avais envie que tu me touches juste un peu plus longtemps.
Charlotte glissa une main derrière la nuque d'Elijah, l'attira à elle avec cette lenteur empreinte de certitude. Le baiser vint naturellement. Profond. Doux. Ancré. Pas pressé. Pas brûlant. Mais chargé. De pardon. De retrouvailles. De promesses.
Elles s'embrassèrent longuement, au milieu du restaurant vide. Là où tout avait commencé. Là où, désormais, elles n'avaient plus besoin de se cacher.
Quand Charlotte recula légèrement, elle garda son front contre celui d'Elijah, ses mains posées sur sa taille.
— On devait pas être plus discrètes ici ? murmura-t-elle avec un sourire à peine esquissé.
— Y'a personne... et j'en ai envie depuis des jours, souffla Elijah, sa voix vibrante d'un feu maîtrisé.
Charlotte n'attendit pas d'autre permission. Elle la saisit par la taille et l'embrassa avec plus de fougue. Elijah répondit aussitôt, glissant ses mains sous le t-shirt de Charlotte, effleurant la peau chaude de son dos. Les gestes se firent plus assurés, plus fiévreux. Charlotte la souleva avec douceur, la hissa sur le comptoir, les baisers ne cessant jamais, sa bouche glissant de ses lèvres à sa nuque, puis vers le haut de sa poitrine, là où le tissu laissait entrevoir sa peau.
Elijah frissonna, soupira, se laissa faire. Son corps s'ouvrait à elle sans peur, sans gêne. Elle agrippa le t-shirt de Charlotte, le lui ôta d'un geste lent, précis, admirant la vue offerte comme un cadeau trop longtemps attendu.
— T'es sûre ? T'es prête ? demanda Charlotte, le souffle court.
Elijah, les yeux brillants de désir et de confiance, murmura :
— Bizarrement... je n'ai pas peur.
Alors plus un mot. Juste des gestes. Lents. Sensibles. Profonds.
Des doigts qui apprennent, qui redécouvrent. Des lèvres qui effleurent chaque endroit offert, chaque parcelle de peau enfin dévoilée. Elijah bascula légèrement la tête en arrière lorsque Charlotte embrassa sa clavicule, puis descendit jusqu'à son ventre. Elle se pencha, attrapa à son tour la bouche de Charlotte, pressant son bassin contre le sien, la ramenant à elle.
Les respirations devinrent haletantes. Les gestes, moins précis, plus pressés. Les mains de Charlotte glissèrent sous la ceinture d'Elijah, cherchant la chaleur, l'intimité. Ses doigts la caressa, la sentit s'ouvrir à elle, la pénétra doucement, avec attention, jusqu'à la faire céder à la vague de plaisir qui montait en elle. Elijah gémit, la tête rejetée en arrière, les mains crispées sur ses épaules. Le plaisir la traversa tout entière. Elle s'y abandonna, sans défense, sans masque. Elijah se cambra, haleta, la serra plus fort contre elle. Le monde s'était effacé. Il ne restait que Charlotte.
Puis, dans un souffle, elle descendit du comptoir, fit reculer Charlotte jusqu'au mur, l'y plaqua tendrement, ses yeux brillants de fièvre.
— C'est à mon tour, murmura-t-elle.
Elle déboutonna lentement le pantalon de Charlotte, l'embrassant tout le long de son ventre, descendant jusqu'à ses cuisses. Là, elle prit le temps. Elle voulait qu'elle se souvienne de chaque caresse, de chaque frisson, de chaque soupir.
Charlotte se laissa aller, les yeux clos, les mains agrippées à la nuque d'Elijah. Elle perdit le fil. Elle ne savait plus ce qui l'enveloppait le plus : le plaisir, ou l'amour qu'elle lisait dans chacun des gestes d'Elijah.
Elles finirent allongées sur le sol du restaurant, nues, encore entrelacées. Le silence les enveloppait, doux et apaisé.
Un éclat de rire soudain échappa à Charlotte, brisant le calme dans un souffle de bonheur. Elijah la fixa, surprise, amusée.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Charlotte se pencha, l'embrassa, puis souffla contre sa bouche :
— Faudra penser à supprimer les images des caméras...
Elijah éclata de rire à son tour, enfouissant son visage dans le cou de Charlotte.
Et pour la première fois depuis des semaines, le monde sembla simple.
Juste elles deux.
En paix.
C'est vraiment chouette que l'équipe s'excuse, Hélène se comporte de manière vraiment saine.
J'aime beaucoup la description des ambiances, c'est assez subtil et ça donne du relief au récit