Elijah passa timidement la porte du restaurant, quelques jours après son malaise. Il était encore tôt, les lumières étaient douces, et la salle résonnait des préparatifs matinaux. Elle n'aurait pas su dire pourquoi, mais le simple fait d'entrer là, d'y sentir les odeurs familières, lui donna envie de respirer un peu plus profondément.
À peine avait-elle franchi le seuil que Nono surgit, bras grands ouverts.
— T'as manqué au gang, petite étoile ! déclara-t-il en l'entourant d'un câlin maladroit.
— J'te rappelle que c'est moi la star ici, marmonna Sabrina en arrivant avec deux cafés brûlants. Elle en tendit un à Elijah avec un sourire à peine masqué. Faut bien hydrater les miraculées.
Yanis, fidèle à lui-même, se contenta d'une tape sur l'épaule, solide, tranquille, comme s'il voulait simplement dire "je suis content que tu sois là."
Elijah sentit une boule se former dans sa gorge. Elle ne pensait pas être attendue. Encore moins être accueillie avec autant de chaleur. Plus loin, elle croisa le regard de Charlotte. Elle était en train de vérifier une fiche de stock, mais elle leva brièvement les yeux. Leur regard se croisa, et un léger sourire naquit sur les lèvres de Charlotte. Pas un mot. Juste ce sourire. Et c'était assez.
C'est plus tard qu'Elijah décida d'aller la voir. Charlotte était accoudée au comptoir, relisant un planning, une main jouant distraitement avec un stylo. Elijah hésita. Puis s'approcha.
— Je voulais juste... parler de l'autre soir.
Charlotte leva les yeux, doucement. Elle ne bougea pas, ne se redressa pas brusquement. Juste une attention entière.
— Je ne regrette rien, dit-elle simplement. Sa voix était basse, posée. Mais je veux pas aller trop vite. Je suis là. C'est tout ce que je peux promettre.
Elijah hocha la tête, doucement. Elle s'assit sur le tabouret à côté, chercha ses mots.
— Je crois que j'ai envie de voir où ça peut mener. Même si j'ai encore peur.
Charlotte posa le stylo. Puis, sans un mot, elle laissa sa main se poser sur le comptoir, près de celle d'Elijah. Pas un geste trop net. Pas un contact appuyé. Juste une main à portée. Elijah la frôla à peine du bout des doigts. Comme une promesse.
Dans l'arrière-salle, l'équipe est rassemblée après le rush du midi. L'ambiance est détendue. Sabrina, toujours attentive aux autres malgré son ton piquant, remarque qu'Elijah semble encore un peu fragile.
« Hey, viens là, toi. »
Sans vraiment attendre de réponse, elle attrape Elijah dans une étreinte brève mais chaleureuse. Elijah rit doucement, un peu surprise, mais elle se laisse faire, les bras timidement autour de Sabrina.
Charlotte, de l'autre côté de la pièce, s'immobilise une fraction de seconde. Elle fixe la scène, le regard légèrement plus dur qu'à l'habitude. Ce n'est pas de la colère, ni même un réel agacement juste une tension sourde, étrange, qui vient de surgir sans prévenir. Elle détourne les yeux presque aussitôt, comme si elle n'avait rien vu. Comme si ça ne l'atteignait pas. Mais au fond d'elle, un fil s'est tendu. Et elle ne sait pas encore quoi en faire. Elle se surprend elle-même de cette réaction. Ce n'est pas son genre. Elle n'a jamais été jalouse, pas comme ça.
Plus tard, quand elle retrouve Elijah dans le vestiaire vide, après le service, Charlotte ne dit rien tout de suite. Elle s'adosse au mur, les bras croisés, le regard posé sur Elijah qui défait lentement son tablier.
« T'as l'air de bien t'entendre avec Sabrina, » glisse-t-elle, presque nonchalamment.
Mais Elijah lève les yeux, attentive.
« Ouais... Elle est cool. Mais c'est pas pareil qu'avec toi. » dit-elle en lui effleurant la main.
Charlotte la regarde, déstabilisée par la sincérité tranquille de la réponse. Un silence, court mais chargé. Puis elle répond avec un demi-sourire : « C'est bon à savoir. »
En fin de journée, Elijah fut appelée dans le bureau pour signer un formulaire administratif. Elle ne s'attendait pas à y trouver Hélène, seule, en train de boire un thé.
— Bonjour, Elijah, dit-elle d'une voix calme. Assieds-toi.
Elijah s'exécuta, encore un peu tendue. Hélène n'avait rien d'intimidant dans l'absolu, mais elle dégageait une présence... nette. Une sérénité presque troublante.
— Je voulais m'assurer que tu allais mieux. Charlotte m'a dit que tu revenais aujourd'hui.
— Ça va mieux, oui... Merci. Et merci pour l'ambulance, aussi.
Hélène eut un léger sourire, mais ne répondit pas tout de suite. Elle l'observa un instant, puis baissa les yeux vers sa tasse.
— Tu sais... Charlotte n'a pas toujours été comme ça.
Elijah fronça légèrement les sourcils, intriguée.
— Comme ça ?
— Ouverte. Attentive. Tendre, même.
Elle marqua une pause. Une gorgée de thé. Puis elle reprit, doucement :
— J'ai vu Charlotte s'effacer dans des histoires qui l'éteignaient. Des relations où elle donnait trop, ou bien pas assez. Parfois juste pour faire semblant que tout allait bien. C'est difficile d'aimer quand on se croit obligée de se tordre pour mériter quelque chose.
Elijah ne répondit pas. Elle sentit son cœur battre un peu plus fort.
Hélène la regarda de nouveau, et cette fois, il y avait une note différente dans sa voix. Quelque chose de plus personnel.
— Elle a été mariée, tu sais.
Un silence s'installa puis elle reprit.
— À un homme. Ils sont restés ensemble longtemps. Trop longtemps, peut-être. Ce n'était pas violent. Pas vraiment. Juste... une vie dans laquelle elle n'avait plus de place.
Elle ne disait pas ça avec amertume. Ni avec colère. Juste avec ce calme des gens qui ont vu, compris, et décidé de ne pas juger.
— Elle en est sortie à peine quelques mois avant ton arrivée ici. Et depuis, je la vois... différente. Pas encore guérie, mais vivante. Elle rit. Elle ose. Elle respire autrement.
Elijah sentit une boule remonter dans sa gorge.
— Je ne te raconte pas ça pour t'effrayer, ajouta Hélène dans un souffle. Mais parce que je pense qu'elle ne te le dira pas tout de suite. Peut-être qu'elle n'a pas encore trouvé les mots.
Elle se leva lentement, posa sa tasse sur le bord du bureau, puis posa une main douce sur l'épaule d'Elijah.
— Sois douce avec elle. Même quand elle prétend ne pas en avoir besoin. Parce qu'elle en a besoin plus que personne.
Elle lui tendit ensuite le formulaire à signer, comme si rien d'intime ne venait d'être dit. Un retour à la routine, comme une couverture jetée sur une confidence brûlante.
Elijah signa, le cœur un peu serré. Et en sortant du bureau, elle savait que quelque chose avait changé.
En partant Elijah observa Charlotte depuis la salle, en train de nettoyer un plan de travail. Concentrée, appliquée. Mais il y avait dans ses gestes une lenteur tranquille, presque paisible. Elijah pensa à ce qu'avait dit Hélène. À ce regard qu'elle avait vu dans les yeux de Charlotte. À ce baiser, à l'hôpital, et à ces mots de tout à l'heure.
Elle ne savait pas ce qu'elles étaient, ni ce qu'elles allaient devenir. Mais elle savait une chose.
Ce n'était pas rien.
Et si, cette fois, je n'avais pas à fuir ? se dissait Elijah
Pour le chapitre, j'ai trouvé un peu étrange qu'Hélène décide d'aborder la vie privée de Charlotte avec Elijah, sans lui en parler. C'est pas très cool de sa part je trouve.
La narration alterne encore entre le passé et le présent, c'est assez perturbant (surtout que les temps sont cohérents entre eux, que c'est bien écrit, juste y'a des fois où ça change d'un coup).