15h00,Villa des Bonanno
FRANCISCO
Cela fait maintenant presque un mois que Rita a disparu. Un putain de mois. Et pourtant, Jin, notre hacker, n’a réussi qu’à dégoter quelques maigres pistes. Tout ce que l’on sait, c’est qu’elle est quelque part sur le continent américain. Mais où exactement ? Mystère. Aucune trace d’elle. Rien. Pas de transactions suspectes, pas de vols signalés, pas le moindre faux mouvement qui pourrait nous mettre sur une piste. Comme si elle s’était évaporée.
Son jet privé ? Disparu lui aussi. Effacé des radars. Aucun plan de vol enregistré à l’aérodrome cette nuit-là, le soir où elle s’est volatilisée. Officiellement, cet avion n’a jamais quitté le sol. Mais nous, on sait que c’est des conneries. Quelqu’un l’a fait décoller, et ce quelqu’un, on l’a retrouvé.
Devon Lockwood. Son pilote personnel. Un gars qui, j’espère, va nous dire ce qu’il sait. Antonio, le père de Rita, m’a confié cette affaire. « Récupère ma fille. » Comme si ça lui importait peu. Pourtant, elle est la seule héritière de cet empire criminel. La seule à pouvoir reprendre les rênes. Mais la froideur avec laquelle il m’a donné cet ordre me fout un doute… Veut-il vraiment la retrouver ? Ou veut-il simplement effacer une erreur ?
Je repousse ces pensées et me dirige vers la cave. L’humidité du sous-sol me frappe dès que j’en franchis la porte. L’odeur de sang, de sueur et de peur est étouffante. Mes pas résonnent sur le sol en béton alors que j’avance vers la cellule.
J’ouvre la porte.
Devon est là. Recroquevillé sur lui-même. Ses bras tremblent légèrement, et sa chemise, autrefois blanche, est désormais imbibée d’un rouge carmin profond. Son visage est méconnaissable sous les ecchymoses et les coupures. Il lève péniblement la tête vers moi, ses yeux gonflés à moitié clos. Il essaie de parler, mais ce qui sort de sa bouche ressemble plus à un râle qu’à des mots.
Je m’accroupis devant lui et attrape son menton pour l’obliger à me regarder.
— Alors, Devon… T’es prêt à nous dire où est Rita ?
Son regard vacille. Il oscille entre défi et terreur.
Je souris. Un sourire froid, sans chaleur.
— Parce que crois-moi… On n’a pas toute la journée.
Le silence s’épaissit. Il détourne les yeux.
Mauvais choix.
Je me redresse lentement et fais signe à Marco. Il m’apporte la batte de baseball posée contre le mur. Je la fais tourner doucement dans ma main avant de la faire claquer contre le sol en béton. Le bruit résonne, lourd, menaçant. Devon tressaille.
— Tu vois, mon pote… Je suis pas un mec patient.
Sans prévenir, j’abats la batte sur sa jambe. Un craquement sinistre résonne, suivi d’un hurlement déchirant. Il s’effondre sur le côté, crispé par la douleur. Je l’observe se tordre sur le sol, sa main tremblante tentant de protéger son tibia probablement brisé.
Je m’accroupis près de lui, parlant tout bas :
— T’as mal, Devon ?
Il serre les dents, refusant de gémir. Je soupire, secouant la tête.
— Tu crois vraiment que t’es plus solide qu’un mec comme moi ? Que tu vas tenir le coup ?
J’attrape ses cheveux et le force à me regarder.
— Moi, j’peux faire ça toute la nuit.
Un autre coup. Cette fois, dans les côtes. Il crie, une toux violente le secoue, et du sang s’échappe de sa bouche.
— T’as une putain de volonté, je dois te l’accorder. Mais je vais être clair, Devon…
Je me penche, chuchotant presque :
— Je vais continuer. Jusqu’à ce que ton corps lâche.
Ses yeux sont rouges, embués de larmes et de souffrance. Mais il reste silencieux.
— Très bien.
Je me détourne et attrape un couteau posé sur la table derrière moi. Une lame fine, affûtée. Parfaite pour ce genre de travail.
Je reviens vers lui et glisse la pointe froide contre sa joue en sueur.
— Dernière chance.
Son souffle est saccadé. Son regard vacille. Puis, il crache un mélange de sang et de salive sur le sol entre nous.
Je souris lentement.
— Ok.
La lame descend lentement vers sa main.
Et la vraie torture commence.
Le métal du couteau glisse sur sa peau, traçant un sillon glacé le long de sa joue déjà tuméfiée.
Il ne parle pas.
Ce con garde le silence.
J’appuie la pointe du couteau juste sous son œil, assez pour lui faire sentir la menace, pas assez pour l’entailler… pas encore. Son souffle est erratique, mais il ne supplie pas. Pas même un putain de gémissement.
Il veut jouer au dur ? Très bien.
Je le force à lever la tête en tirant sur ses cheveux trempés de sueur et de sang.
— Elle t’a baisé, c’est ça ? C’est pour ça que tu la fermes ?
Je vois un éclat d’arrogance briller dans son regard malgré la douleur.
Un rictus déforme ses lèvres fendues.
— Si tu savais…
Un silence tendu s’installe.
Quelque chose dans son ton me met en rage.
D’un geste rapide, j’enfonce la lame dans son épaule. Pas trop profondément, juste assez pour qu’il sente l’acier pénétrer la chair. Il hurle, son corps se contracte sous l’impact, mais il serre les dents, refusant de céder totalement à la douleur.
— Connard… crache-t-il entre deux halètements.
Je fais tourner la lame dans la plaie, lentement, en observant chaque tressaillement sur son visage.
— Continue à me prendre pour un con, Devon… Continue.
J’appuie un peu plus, sentant la résistance du muscle sous la pointe de la lame. Son corps tremble, ses traits se crispent, mais il ne parle toujours pas.
Je le relâche d’un coup sec. Son corps retombe mollement contre le mur.
Il halète. Il est à bout, son torse se soulève difficilement, chaque respiration semblant lui arracher une nouvelle vague de douleur.
— Tu vaux rien, Devon, je lâche froidement. Juste un pion de plus sur cet échiquier.
Je me recule, essuyant la lame sur ma manche avant de la ranger dans son étui.
— Mais t’as encore une utilité.
Je m’accroupis face à lui, le fixant droit dans les yeux.
— T’es pas mort, Devon. Parce que j’ai une offre pour toi.
Il ricane faiblement, un filet de sang coulant de la commissure de ses lèvres.
— Une offre… ?
— Ouais. Et crois-moi, t’as pas intérêt à la refuser.
Je me lève et me tourne vers Marco.
— Amène-le ailleurs. Qu’il se repose un peu… Il en aura besoin.
Je jette un dernier regard à Devon avant de quitter la cave.
Bientôt, on saura si son silence vaut réellement quelque chose.
Et surtout, ce qu’il me coûtera.
RITA
09h00,Villa des Zang
Une douleur lancinante me transperce le flanc et l’abdomen dès que je reprends conscience. Mon corps est lourd, engourdi, et chaque respiration me rappelle violemment les événements de ce matin.
The Abyss.
Les hommes du boss.
Son regard.
Une image floue s’impose à mon esprit : cet homme… Il me faisait tellement penser à quelqu’un. Ses traits m’étaient étrangement familiers, comme un souvenir perdu dans les méandres de ma mémoire. Mais impossible d’accrocher un nom à ce visage. Impossible de le replacer. Et pourtant, une certitude s’insinue en moi. Je le connais.
J’ouvre difficilement les yeux. La lumière tamisée de la pièce m’agresse légèrement, et il me faut quelques secondes pour que ma vision s’habitue. Instinctivement, je tente de me redresser, mais une sensation de poids m’arrête net.
Quelque chose , non, quelqu’un , repose contre moi.
Je tourne légèrement la tête et aperçois Rose, complètement avachie sur le lit. Son visage est enfoui dans le creux de son bras, sa respiration lente et régulière.
Elle s’est endormie ici.
Je fronce légèrement les sourcils. Pourquoi est-elle restée ?
Comme si elle avait senti mon regard sur elle, Rose bouge légèrement et ouvre les yeux. Clignant plusieurs fois pour chasser la fatigue, elle relève la tête et me fixe.
— T’es enfin réveillée… murmure-t-elle d’une voix encore ensommeillée.
Je laisse échapper un léger soupir, la douleur tirant sur mes côtes.
— On dirait bien.
Elle se redresse complètement et passe une main sur son visage avant de me scruter avec attention.
— Comment tu te sens ?
Je détourne légèrement les yeux, évaluant les élancements de mon corps avant de répondre :
— Comme si je m’étais fait rouler dessus par un putain de train.
Rose esquisse un sourire, mais son regard trahit une inquiétude plus profonde.
— C’est pas si loin de la réalité…
Un silence s’installe. Son regard glisse sur les bandages qui couvrent mon flanc, puis remonte vers mon visage.
— Tu comptais vraiment affronter ces types toute seule ? demande-t-elle, une pointe de reproche dans la voix.
Je serre légèrement la mâchoire.
— J’avais pas vraiment le choix.
Elle arque un sourcil, visiblement peu convaincue.
— T’aurais pu nous prévenir.
Je lâche un rire amer.
— Et vous auriez fait quoi, hein ? Joué aux héros et crevé à ma place ?
Rose ne répond pas immédiatement. Elle me fixe, le regard durci, puis finit par secouer la tête.
— T’es vraiment une tête de mule, Veronica.
— Ça t’étonne encore ?
Elle souffle, mi-exaspérée, mi-amusée, mais son expression se ferme rapidement.
— Sérieusement… Tu sais qui ils étaient, ces mecs ?
Je me crispe légèrement en repensant à cet homme, à cette impression étrange qui refuse de me lâcher.
— The Abyss, c’est tout ce que je sais.
— Et ce boss, tu l’as déjà vu ?
Je ferme les yeux un instant.
— Je… Je sais pas. Son visage… J’ai l’impression de le connaître, mais c’est flou.
Rose fronce les sourcils, intriguée.
— Tu crois que c’est quelqu’un de ton passé ?
Je secoue lentement la tête.
— Je sais pas. Peut-être.
Un silence plane entre nous, chargé de doutes et de questions sans réponses. Rose soupire avant de se lever et de s’étirer.
— T’as besoin de repos, Veronica. On aura le temps de creuser tout ça plus tard.
Je la regarde, puis détourne les yeux.
— Ouais. Peut-être.
Mais au fond de moi, je sais déjà que je ne vais pas attendre. Je dois savoir. Je dois comprendre.
Et je dois le retrouver.
À peine Rose s’est-elle éloignée du lit que la porte s’ouvre brusquement.
Jun, Jingwei, Tyler et Zhihao entrent dans la chambre, l’air grave.
— Sérieusement, les mecs ? Vous pouviez pas frapper ? grogne Rose, les bras croisés.
Tyler lui adresse un sourire en coin, haussant les épaules.
— Oh, pardon, on a oublié notre savoir-vivre. La prochaine fois, on apportera des fleurs.
— La prochaine fois, tu frappes, abruti, réplique-t-elle en levant les yeux au ciel.
Jingwei, qui jusque-là n’avait rien dit, se contente de faire un signe de tête vers la porte.
— Rose.
Un mot. Juste un.
Mais le ton est clair : "Sors."
La porte se referma derrière Rose, et un silence pesant s'installa dans la pièce.
Quatre paires d'yeux me fixaient.
Jun, silencieux et impassible, se contentait d'observer, analysant le moindre de mes gestes. Jingwei, lui, s'adossait contre le mur, l'air sérieux et réfléchi. Zhihao tapotait distraitement sur son téléphone, sans doute en train de récupérer des informations. Et Tyler… bon, Tyler se balançait sur une chaise en mâchouillant un chewing-gum, mais son regard était plus perçant que d'habitude.
C'était eux qui avaient le pouvoir, ici.
— Alors, Veronica, commence Jingwei d’un ton calme. Est-ce que tu sais qui est Radimir Zmeyev ?
Je fronce les sourcils.
— Non. Je n’ai jamais entendu ce nom.
Zhihao s’arrête de taper sur son écran et relève la tête.
— Sérieux ?
Je secoue la tête.
— Non. Tout ce que je sais, c’est que depuis que je suis entrée dans cette boîte de nuit, The Abyss, il me traque.
Jun hausse légèrement un sourcil, un signe qu’il commence à faire des connexions dans son esprit.
— Et avant ça ?
Je prends une inspiration tremblante.
— Rien. Je ne l’avais jamais vu avant.
Tyler souffle bruyamment et se passe une main dans les cheveux.
— Génial. Donc, t’as réussi à te foutre à dos le chef de l’Empire Russe de New York… sans même savoir comment ?
Je relève brusquement la tête.
— Attends… quoi ?
Jingwei croise les bras, son regard me transperçant.
— Radimir Zmeyev, c’est le boss de The Abyss. Mais pas seulement. C’est aussi le chef de l’Empire Russe de New York.
Je déglutis difficilement.
— L’Empire Russe…
— L’un des plus puissants groupes criminels de la ville, précise Zhihao. Et crois-moi, si ce type te cherche avec autant d’acharnement, c’est pas pour te faire signer un autographe.
Je serre les poings.
— J’ai rien à voir avec lui.
— Ah ouais ? Alors pourquoi il te traque ?
Le silence s’étire entre nous, pesant et chargé de sous-entendus. Mon souffle est court, ma poitrine se soulève au rythme irrégulier de ma respiration. L’information tourne en boucle dans mon esprit. Radimir Zmeyev. The Abyss. L’Empire Russe. Tout ça… ça n’a aucun sens.
Je sens le regard insistant de Jun sur moi, perçant, analytique. Jingwei, toujours appuyé contre le mur, semble réfléchir à toute vitesse. Zhihao pianote distraitement sur son téléphone, mais je sais qu’il capte chaque mot échangé. Quant à Tyler… il a cessé de se balancer sur sa chaise et m’observe en silence, les bras croisés.
C’est lui qui brise le silence en premier.
— Bon… avant qu’on continue cette enquête, une question importante, lâche-t-il d’un ton plus léger. Tu tiens encore debout, Veronica ?
Je relève la tête vers lui, surprise par le changement de ton.
— Quoi ?
— Sérieusement, enchaîne Zhihao en levant un sourcil. Comment tu te sens ? Parce que, vu la tête que tu tires, j’te donne pas plus de dix minutes avant que tu nous fasses un remake de Blanche-Neige version mafieuse.
Je roule des yeux, exaspérée.
— Ça va.
— Oh, c’est vrai ? ironise Tyler. Pourtant, t’as l’air de souffrir à chaque fois que tu respires.
— Et alors ? C’est pas comme si j’étais en train de crever.
— On pourrait argumenter là-dessus, marmonne Jingwei en croisant les bras.
Je fronce les sourcils, agacée par leur insistance.
— J’ai survécu à bien pire.
— Justement, c’est bien ça le problème, rétorque Jun, sa voix calme tranchant avec la tension ambiante. Tu t’es déjà assez mise en danger comme ça.
Je le fixe, perplexe.
— C’est bon, arrêtez. Je suis pas une gamine.
— Peut-être pas, concède Zhihao. Mais t’es clairement dans la merde, et cette fois, tu peux pas gérer ça toute seule.
Je serre les poings.
— J’ai pas besoin de vous pour survivre.
— Peut-être pas, Veronica, dit lentement Jun. Mais t’as besoin de nous pour vivre.
Son regard se plante dans le mien, intense, inébranlable. Un frisson me parcourt malgré moi.
— Qu’est-ce que t’es en train de dire ?
Jingwei pousse un soupir et se détache du mur.
— Ce qu’on essaie de te dire, c’est que c’est terminé. À partir de maintenant, tu restes ici.
Je fronce les sourcils.
— Quoi ?
— Tu vis ici, avec nous, reprend Tyler comme si c’était la chose la plus évidente au monde.
Je cligne des yeux, incrédule.
— Attendez une seconde. Vous décidez ça comme ça, sans même me demander mon avis ?
— Exactement, répond Zhihao avec un sourire en coin.
— Oh, vous rêvez si vous croyez que je vais…
— Veronica, coupe Jun d’un ton sec. Ce n’est pas une négociation.
Je me fige.
Il continue, implacable.
— Radimir te traque. Il sait qui tu es, même si toi, tu l’ignores. Il est prêt à te chasser, peu importe où tu vas. Il a déjà prouvé qu’il pouvait t’atteindre. Il a infiltré des endroits où personne n’aurait dû pouvoir te retrouver.
Il marque une pause, puis ajoute, plus grave :
— Si on te laisse partir, il te retrouvera. Et cette fois, personne ne sera là pour t’empêcher de crever.
Ma gorge se serre, mais je garde la tête haute.
— J’ai pas besoin qu’on me protège.
— C’est pas seulement une question de protection, dit Jingwei en secouant la tête.
Tyler s’approche, pose une main sur ma tête et ébouriffe mes cheveux.
— C’est aussi parce qu’on t’aime bien, tu sais.
Je le repousse avec un grognement.
— T’es con ou quoi ?
Il rit, mais son regard est sérieux.
— On est une famille, Veronica. Et maintenant, t’en fais partie.
Je baisse les yeux, troublée.
Famille.
Le mot me frappe plus fort que tout le reste.
Je me renfrogne, croise les bras et marmonne :
— Vous êtes vraiment des abrutis.
— Et toi, une tête de mule, réplique Zhihao en levant les yeux au ciel.
Jingwei esquisse un sourire et tape dans ses mains.
— Bon, maintenant que c’est réglé, il va falloir te trouver une chambre.
Tyler glousse.
— J’dis qu’elle prenne celle de Jun, il est jamais là de toute façon.
— Très drôle, rétorque Jun sans même le regarder.
Je soupire bruyamment.
— Je suis toujours pas d’accord.
Zhihao ricane.
— Ouais, mais t’as pas vraiment le choix.
Je décide de me lever pour de bon. Je vais pas rester affalée sur ce lit comme une mourante, pas mon style. Tant que mes points de suture tiennent, je vois pas pourquoi je devrais rester immobile comme une princesse en détresse.
À peine mes pieds touchent le sol qu’un cri indigné fuse :
— Mais qu’est-ce que tu fous, Veronica ?! Reste allongée, t’es complètement cinglée ou quoi ?! s’exclame Tyler, les yeux écarquillés.
Je lève un sourcil, blasée.
— Relax, Tyler. J’ai juste reçu un coup de couteau, pas la peste noire.
Un silence.
Puis Jingwei pousse un soupir dramatique en levant les yeux au ciel :
— "Juste" reçu un coup de couteau, répète-t-il lentement, comme si j’étais une espèce de créature extraterrestre qu’il peine à comprendre. Bon sang, t’es un cas désespéré, Veronica.
Il secoue la tête avec l’air d’un grand frère dépassé par les conneries de sa cadette. Je retiens un sourire. Il agit exactement comme tel, et c’est… réconfortant.
Jun, lui, reste silencieux, mais je sens son regard perçant me scanner des pieds à la tête. Il analyse, il évalue. Probablement en train de calculer si je vais tomber raide morte dans les prochaines secondes ou si j’ai encore une chance de survie.
— C’est bon, souffle-t-il finalement.
— Ah ! Tu vois ? Même Monsieur Calcul Mental valide, je vais bien !
Tyler croise les bras, pas convaincu.
— Mmh… J’suis pas sûr que "bien" soit le mot.
— Franchement, j’ai vu pire, je réponds en haussant les épaules.
— C’est bien ça le problème ! s’exclame Zhihao. On devrait pas avoir un historique assez large de "pires situations" pour que tu puisses faire des comparaisons !
Je l’ignore royalement et me redresse complètement.
— Bon, si je dois vraiment rester ici, alors je veux tous mes vêtements. C’est non négociable.
Zhihao me fixe, exaspéré.
— Rose déteint de plus en plus sur toi. C’est terrifiant.
Je lui lance un regard noir.
— Et toi, t’as pas un message crypté à décoder au lieu de commenter mon sens de la mode ?
Jingwei ricane tandis que Tyler secoue la tête, désespéré.
— Ok, écoute, Princesse Caprice, commence-t-il en posant les mains sur ses hanches. T’as failli mourir, et nous, on t’offre un palace de luxe avec service de protection inclus. La moindre des choses, c’est de pas faire ta diva.
— Hé, j’ai jamais demandé à ce que vous jouiez les gardes du corps !
— Trop tard, décrète Zhihao. C’est signé, scellé et livré.
— Vous êtes vraiment insupportables…
Tyler sourit, un brin moqueur.
— Et toi, t’es coincée avec nous.
Je roule des yeux, mais au fond, un sourire me démange.
Ouais… coincée avec eux.
Et, bizarrement, l’idée ne me déplaît pas tant que ça.
Les garçons et moi nous dirigeâmes vers la cuisine, attirés par l’odeur divine du petit-déjeuner. Rose était déjà là, devant les fourneaux, en train de préparer un festin : œufs brouillés, bacon croustillant, pancakes moelleux…
— Rose, je t’aime, déclara Tyler en s’installant à table.
— Pose ta main sur cette assiette et je t’ampute, répliqua-t-elle sans lever les yeux de sa poêle.
— Tant de violence de bon matin… soupira Jingwei.
Les garçons ne se firent pas prier et se jetèrent sur la nourriture comme une meute de loups affamés. Je pris place à table avec un peu plus de dignité, alors que Rose s’asseyait en face de moi avec son café.
— Alors, Veronica, t’as révisé pour le contrôle de Falcon ? demanda-t-elle avec un faux air innocent.
Je levai un sourcil.
— Tu plaisantes ? J’aurais pu donner le cours à sa place.
Elle esquissa un sourire.
— Ouais, ouais… On a bien vu ça en classe. T’étais trop à l’aise, t’avais limite l’air de t’amuser.
Je haussai les épaules.
— Disons que le sujet m’inspire.
Rose prit une gorgée de café avant de souffler :
— Eh bah, moi, par contre, j’étais en PLS.
Je lui lançai un regard amusé.
— Sérieusement ? Rose, ton jeu d’actrice était digne d’un Oscar.
Elle battit des cils avec un sourire innocent.
— Bah quoi ? Fallait bien que quelqu’un joue la victime en détresse. Ça aurait été louche si on avait toutes les deux eu une réponse toute prête à chaque question.
Les garçons, qui jusque-là étaient trop occupés à engloutir leur petit-déjeuner, commencèrent à prêter attention à notre discussion.
— On parle encore de cours ? grogna Zhihao. Sérieusement ? C’est trop tôt pour ces conneries.
— Nan mais attendez, intervint Tyler, Falcon vous fait réviser la mafia Bonanno et la 14K comme si c’était une dissertation de philo ?
— C’est ça, confirma Rose. Avec analyse comparative et tout le tralala.
Tyler éclata de rire.
— Non mais on vit dans un monde absurde ! Qui a besoin de savoir ça pour avoir un job normal ?
— Nous, apparemment, répondis-je en haussant les épaules.
Jingwei secoua la tête, l’air blasé.
— Ça fait peur. Vous allez aussi avoir des cours sur comment diriger un cartel et gérer un trafic d’armes ou c’est juste une option ?
— Optionnel, répondit Rose en gardant son sérieux. Mais si t’es sage, je partagerai mes fiches de révision avec toi.
— Très drôle, marmonna-t-il en piquant un morceau de pancake dans son assiette.
Jun, qui jusque-là était resté silencieux, prit la parole en sirotant son café.
— En vrai, la psychologie criminelle, c’est intéressant.
Je pointai ma fourchette vers lui.
— Enfin quelqu’un de sensé !
— Oh non, souffla Zhihao. Encore un intello dans cette maison…
— C’est pas être intello, c’est juste avoir un cerveau, répliquai-je avec un sourire en coin.
Tyler leva les mains en l’air, faussement outré.
— Eh bien écoute, Veronica, j’espère que ton cerveau t’aidera à ouvrir le pot de confiture parce que nous, les idiots, on se retire de cette responsabilité.
Je lui lançai un morceau de pancake à la figure.
— Tiens, voilà ta confiture.
Il éclata de rire en le rattrapant au vol.
— J’adore cette maison.
Je soupirai en secouant la tête.
Ouais… vivre ici allait être toute une aventure.
Les assiettes se vidaient à une vitesse affolante tandis que l’ambiance dans la cuisine était légère et détendue, comme un vrai moment de famille. Jingwei et Zhihao débattaient sur le meilleur fast-food du quartier, Tyler racontait une anecdote embarrassante de lycée, et Jun, comme d’habitude, écoutait en silence avec son café.
— Je vous jure, la pire idée que j’ai jamais eue, c’était d’essayer un concours de piments contre un type originaire du Mexique, raconta Tyler.
— Pourquoi ça ne m’étonne pas de toi ? lança Rose en levant les yeux au ciel.
— Hé, à ma défense, j’ai tenu plus longtemps que Jingwei, répliqua-t-il en donnant un coup de coude au concerné.
— FAUX ! protesta Jingwei, la bouche pleine de pancakes. J’ai juste décidé d’arrêter avant de finir en larmes, nuance.
— Mouais, t’as fini par boire un litre de lait en couinant, c’est pas très glorieux, se moqua Zhihao.
— Oh ça va, c’est facile de critiquer quand on n’était même pas là, répliqua Jingwei en lui lançant un morceau de bacon.
Rose et moi échangions un regard amusé. C’était ce genre de moments qui faisaient oublier à quel point nos vies étaient chaotiques. Juste un matin normal, une bande d’amis en train de rire autour d’un petit-déjeuner.
Alors que je portais ma tasse de café à mes lèvres, mon téléphone vibra sur la table.
Je fronçai les sourcils en voyant le nom qui s’affichait sur l’écran.
Devon.
Un silence s’installa quelques secondes dans mon esprit, mais mes doigts glissèrent automatiquement sur l’écran pour décrocher.
— Allô ?
La voix à l’autre bout du fil me fit immédiatement froncer les sourcils.
— Veronica…
Il semblait… épuisé. Sa voix était rauque, presque tremblante. Rien à voir avec le Devon que je connaissais.
— Devon ? Qu’est-ce que—
— J’ai besoin de te voir. Juste une fois. Après ça… après ça, je disparaîtrai.
Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Où est-ce que tu es ?
— Pas au téléphone, murmura-t-il. Juste… promets-moi que tu viendras.
L’hésitation me rongeait. Il y avait quelque chose d’étrange, d’inquiétant dans sa voix. Comme si…
— Devon, t’es sûr que ça va ?
Un silence. Puis un soupir fatigué.
— À plus tard, Veronica.
Et il raccrocha.
Je restai un moment à fixer l’écran noir de mon téléphone, l’esprit en vrac.
— C’était qui ? demanda Tyler avec une curiosité non dissimulée.
Je relevai la tête et croisai plusieurs regards braqués sur moi.
— Devon. Il veut me voir une dernière fois.
Il y eut un silence, puis…
— Quoi ?! s’exclama Zhihao.
— Attends, attends, attends, Devon ? Celui qui a disparu du jour au lendemain ? s’étonna Jingwei.
— Exactement, répondis-je en posant mon téléphone sur la table.
— Et il revient juste comme ça, en mode “Coucou, ça va ? On peut se voir avant que je disparaisse à jamais” ? ironisa Tyler.
— À peu près, oui.
— Ça sent le traquenard, lâcha Zhihao en croisant les bras.
— Ou au minimum, un très gros problème, ajouta Jun avec calme.
— Vous dramatisez, soupirai-je.
— Non, toi, tu minimises, rétorqua Rose en haussant un sourcil.
Je soupirai en me pinçant l’arête du nez. Je comprenais leurs réactions, bien sûr. Devon qui réapparaissait du néant avec une voix fatiguée et une demande étrange… c’était clairement louche.
Mais c’était Devon.
Et je ne pouvais pas simplement ignorer cet appel.