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Vitalevskaya
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Chapitre 23

09h00, Appartement à New York

RITA

Le silence du matin n’avait rien à voir avec celui de la veille. Il n’était plus pesant. Juste feutré. Respectueux. Comme si l’appartement entier retenait son souffle.

J’ouvris les yeux lentement, enveloppée dans un plaid doux qui sentait la lessive et un peu… les autres. Rose avait veillé tard, je le savais. Et à un moment, j’avais senti son poids près du mien. Une présence calme. Un ancrage.

Autour de moi, le salon ressemblait à un champ de bataille après une trêve. Des coussins éparpillés, une couette sur Jun, Zhihao roulé en boule sur le tapis, Jingwei dans un coin, et Tyler affalé contre le fauteuil.

Ils étaient restés.

Je me redressai doucement, sans bruit. Mon corps était courbaturé, mon esprit encore embrumé. Mais je n’étais pas vide. Pas tout à fait.

Je me dirigeai vers la cuisine, posai les mains sur l’évier, et restai là un long moment, à regarder par la fenêtre. Le ciel était gris pâle. Presque doux.

Puis j’entendis un froissement derrière moi. Rose.

-T’as bien dormi ?

Je haussai les épaules. Pas vraiment une réponse. Mais c’était la mienne.

Elle s’approcha, sans me toucher. Juste là. Présente.

-Tu veux parler ?

Je secouai la tête. Puis, après une seconde :

-Je crois que j’ai pris ma décision.

Elle ne demanda pas laquelle. Elle attendit. Et moi, je regardai encore le ciel.

-Je veux… reprendre mon corps. Le mien. Rien que le mien.

Et c’était dit. Clairement. Sans détour.

-Je t’accompagnerai alors. Je serai là pour toi, murmura Rose avec douceur.

Une larme de soulagement glissa sur ma joue. Elle ne me jugeait pas. Non. Elle était là. Et elle comprenait.

Je m’approchai d’elle et la pris dans mes bras. Elle sursauta légèrement, surprise. Elle savait pourtant ce que cette étreinte signifiait pour moi. Je n’avais pas l’habitude des gestes affectifs spontanés. Le contact humain n’était pas mon fort, à part avec lui…

-Merci, Rose. Merci pour tout.

Perdues dans notre accolade silencieuse, nous n’avons pas entendu les pas s’approcher.

-C’est quoi tout cet amour dès le matin, sérieux ? On voit bien que vous sentez encore de la bouche, et vous faites ça ? lança Tyler, l’air faussement dégoûté.

-Tyler, c’est à qui que tu parles là ? demanda Rose, à moitié amusée, à moitié agacée.

-À vous, bien sûr. Franchement, dès le matin ? Veronica, tu peux me faire des pancakes, s’il te plaît ? dit-il avec une petite moue impossible à refuser.

Je hochai la tête pour lui dire oui. Malgré son allure imposante, Tyler avait l’esprit d’un enfant. Je me redressais pour commencer à préparer la pâte.

-Sérieux, Vero ? Tu l’écoutes, en plus ? Alors qu’il vient littéralement de dire qu’on puait de la bouche ? protesta Rose.

-T’es juste jalouse parce que ses pancakes sont meilleurs que les tiens, non ? répliqua Tyler avec un clin d’œil.

La tête que fit Rose me fit exploser de rire. Sa mâchoire semblait prête à tomber au sol. Elle était choquée - et c’était hilarant.

-Franchement, Tyler, t’es qu’un gamin. Je ne rentrerai pas dans ton jeu, déclara-t-elle, mais son ton trahissait un sourire.

Son air exaspéré ne fit qu'amplifier mon rire. L’ambiance légère et les éclats de voix remplirent la cuisine d’une chaleur sincère. L’odeur des pancakes en train de cuire commença à embaumer la pièce.

Bientôt, d’autres visages apparurent : Jingwei, Zhihao, puis Jun.

-Non mais regardez-moi ces ventres sur pattes, grinça Rose. Dès qu’ils sentent de la bouffe, ils se lèvent, hein ? Mais pour m’aider à faire le ménage, là y’avait plus personne !

Je regardai autour de moi. Je ne l’avais même pas remarqué, mais tout était nickel. Plus aucun paquet vide, aucune canette, aucun reste qui traînait. Le sol brillait. La cuisine était impeccable.

-Merci, Rose. Il ne fallait pas… Je suis désolée, je ne m’en suis même pas rendu compte.

-Ne me remercie pas, Xiǎo Zhēn, dit-elle en s’approchant pour m’embrasser la joue.

-Mais stop ! Sérieusement, je vais me répéter : c’est quoi cette ambiance dès le matin ? râla Tyler.

-Arrête de faire le puceau, Tyler. Quand tu te fais sucer dès le matin, t’en fais pas tout un plat, toi, balança Zhihao avant de partir dans un fou rire bruyant, très fier de sa réplique.

-Mais tais-toi, sérieux ! Tu veux pas qu’on te couse la bouche ? Ça me gêne, ce genre de trucs !

Les rires éclatèrent. Les discussions se mêlaient, naturelles, vivantes. Cet appartement, qui m’avait parfois semblé pesant comme un cercueil, retrouvait peu à peu une âme. Un peu de lumière.

Une fois les pancakes cuits et les fruits découpés, tout le monde se rua sur la nourriture. Sauf moi. Je n’avais pas faim. Mon estomac se refermait. Je me contentai de siroter mon thé glacé, silencieuse. Rose me lança un regard inquiet, remarquant que je ne touchais à rien. Je détournais les yeux.

Puis, une assiette se posa doucement devant moi. Un pancake, garni de confiture de coing ,ma préférée. Je n’eus même pas le temps de lever la tête que j’entendis une voix discrète me murmurer à l’oreille :

-Mange, Veronica.

C’était Jun. Son geste m’émut plus que je ne l’aurais cru. Je pris une bouchée, rien que pour lui.

Après ce petit-déjeuner agité mais chaleureux, Rose et moi remontâmes dans ma chambre. Le moment était venu.

-J’ai pris rendez-vous dans une clinique spécialisée pour 11h. Mon cœur… tu es prête ? demanda-t-elle doucement.

Au fond de moi, je savais que je n’avais pas le choix. Voir ce fœtus grandir… reconnaître Juan à travers lui… c’était au-dessus de mes forces. Impossible.

-Je… Oui, je le suis, dis-je d’une voix tremblante.

On s’habilla simplement. Rose prit des vêtements dans mes affaires, puis on redescendit. Les garçons étaient affalés sur le canapé. Rose prit la parole :

-On y va, les garçons. On revient vite.

-Faites comme chez vous. Vous pouvez rester ou sortir si vous préférez, dis-je.

-On va rester. Ça vous dit qu’on mange dehors à midi ? proposa Zhihao. Y’a un super resto à Chinatown, Tora Sushi House. Ça vous va ?

-Ah mais grave ! s’exclama Rose. C’est le resto où on a mangé l’autre jour, Vero !

-Oui, je me souviens. C’était super bon. Ça me va. On se rejoint là-bas à 12h30 ?

Les garçons échangèrent un regard, puis acquiescèrent.

-C’est bon pour nous.

-D’accord. À tout à l’heure.

Rose et moi quittâmes l’appartement, descendîmes jusqu’au parking du building. Une fois dans la voiture, Rose entra l’adresse dans le GPS : Planned Parenthood, à Manhattan. Trente minutes de route. Trente minutes pour appréhender. Trente minutes pour se préparer à tourner une page.

10h50, Planned Parenthood

Nous arrivâmes enfin. Je me garai juste en face d’un grand bâtiment de briques rouge-orangées.
Mon cœur battait la chamade. J’appréhendais tellement ce moment… J’avais peur. Une part de moi avait honte. Je me disais que tout cela aurait pu être évité, si seulement j’avais été plus vigilante… si je n’étais pas allée chez... lui. Rien que penser à son prénom me donnait la nausée. Je n’arrivais même plus à le prononcer mentalement. Cela me dégoûtait.
Quelle idiote j’avais été. Vraiment stupide.

Rose, à côté de moi, interrompit le fil sombre de mes pensées d'une voix douce.

-Tu es prête ? On peut y aller, si tu veux… Prends ton temps, surtout.

-Oui… Oui, on peut y aller.

Nous descendîmes de la voiture. Rose me jeta un regard encourageant et me prit discrètement la main un instant pour me rassurer avant de me guider vers une grande porte d'entrée, peinte en vert sapin.
Elle entra la première, me tenant la porte avec un sourire chaleureux, presque maternel.
À l'intérieur, nous nous dirigeâmes ensemble vers la secrétaire.
Je laissai Rose prendre la parole, incapable de sortir le moindre mot.

-Bonjour, dit-elle avec son éternelle douceur. Nous avons rendez-vous avec le Dr Adrian Whitmore.

La secrétaire, souriante, hocha la tête.

-Bonjour ! Oui, bien sûr. Voici un formulaire à remplir. Vous pouvez aller en salle d’attente, et dès que vous me l’aurez rendu, le docteur viendra vous chercher.

-D’accord, merci beaucoup.

Rose attrapa le formulaire et me fit un clin d’œil rassurant. Ensemble, nous marchâmes jusqu'à la salle d’attente, décorée sobrement. Nous nous installâmes côte à côte sur deux fauteuils en cuir vert pâle.
Elle posa doucement la main sur mon genou.

-On va faire ça tranquillement, d'accord ? Je suis là, Xiǎo Zhēn.

Je hochai la tête, sentant un peu de mes angoisses se dissiper grâce à elle.
Nous commençâmes à remplir le formulaire.

-Alors... Nom, prénom, âge et date de naissance... murmura-t-elle en regardant le papier. Tu peux me les donner, Xiǎo Zhēn ?

-Veronica Hayes... J’ai 20 ans… et j’aurai 21 ans le 17 juillet.

Rose gloussa doucement, son rire léger et tendre.

-Non mais attends, c’est maintenant que j’apprends ta date de naissance ? La honte pour moi, vraiment !

Je ris un peu, malgré moi.

-J’avoue... Et toi alors, tu es née quand ?

-Le 8 mars, ma chérie. La journée internationale des droits des femmes. Ma mère avait trop le sens du timing, tu trouves pas ?

Son expression pleine de malice me fit éclater de rire. Son naturel rendait tout plus supportable, même dans cet endroit si pesant.

-Bon, on continue ! Lieu de résidence ?

-452 Lexington Avenue, Penthouse 28B, New York, NY 10017.

Rose écarquilla les yeux et rit.

-Ton adresse sent tellement la richesse, sérieux. C’est incroyable !

Son rire fut bref, puis elle se reprit aussitôt, posant doucement sa main sur mon avant-bras.

-Désolée… Je veux pas me moquer. Juste, ça fait du bien de sourire un peu, non ?

Je hochai la tête, touchée par sa douceur.

-Ensuite… Lieu de travail ou d'études ? Ils sont curieux quand même…

-Fordham University. Et oui, c’est louche, je trouve aussi. Pourquoi ils ont besoin de savoir ça ?

-Franchement, j’en sais rien, ma belle, mais t’inquiète pas, je suis là pour toi, ok ?

Elle me regarda tendrement avant de continuer.

-Bon, personne à contacter en cas d’urgence... Moi évidemment ! Qui d’autre, sérieusement ?

Je souris, émue par son ton protecteur.

-Partie deux maintenant : antécédents médicaux. Genre maladies, opérations ou allergies.

Je soupirai un peu.

-Réparation du tibia, des deux genoux… et de l’épaule.

-Hein ?! Mais comment t’as fait, mon ange ?

Je baissai un peu la tête, ma gorge se serrant.

-C'est... compliqué. Je me suis brisé les deux jambes à cause de... de choses du passé. Je pensais que je ne pourrais jamais remarcher. Mais maintenant, ça va.

À cause de toi papa…

Elle posa sa main sur la mienne, doucement.

-Tu es tellement forte… Tellement forte.

Je sentis mes yeux picoter mais je me retins de pleurer.

-Et du coup, tu as des allergies connues ? Latex ou autre chose ?

-Oui, allergique au latex… Et un peu au pollen.

Rose sourit, taquinant légèrement :

-T’es une fragile, Vero !

Son ton léger me fit sourire encore une fois.

-Ensuite... dernière date de règles : premier jour ?

-Le 30 novembre. Elles se sont terminées le 3 décembre.

-Ah oui, ça remonte quand même. On est le 10 janvier là.

-Oui... Je pense être tombée enceinte le 27 décembre.

Rose nota tout avec soin.

-Test de grossesse effectué : je mets oui. Grossesses précédentes ?

Je déglutis.

-Deux fausses couches… Il y a quelques années.

Elle releva brièvement la tête, ses yeux emplis de compassion, mais ne me posa aucune question, respectant mon silence.

-Méthodes de contraception ?

-Rien du tout.

Elle hocha doucement la tête, sans commentaire.

-Partie trois... date estimée du début de grossesse : 27 décembre, comme tu m'as dit. Saignements ?

-Non.

-Symptômes ?

-Nausées, ballonnements, douleurs au bas ventre… Rien d'autre, je crois.

-Ok mon cœur. Dernière étape : consentement. Tu veux un suivi avec un thérapeute après ?

Je secouai la tête.

-Non, ça ira… Merci, Rose.

Elle caressa doucement ma joue du bout des doigts.

-Je serai là pour toi, quoi qu’il arrive, tu le sais ?

-Oui… Merci.

-Bon, c’est tout bon ! On va rendre le formulaire. Tu es prête ?

Je pris une grande inspiration.

-Oui… Je pense. J’espère que ça va aller.

Elle entoura mes épaules de son bras, me serrant doucement contre elle.

-Ça va aller, je te le promets. Je suis là, Xiǎo Zhēn.

Et main dans la main, nous retournâmes vers la secrétaire.

-Bonjour, voici le formulaire rempli, dit Rose d'une voix douce et posée.

La secrétaire le récupéra avec un sourire compréhensif.


-Très bien, vous pouvez patienter un instant, le docteur Whitmore va venir vous chercher.

Nous retournâmes nous asseoir. Rose glissa son bras autour de mes épaules et m'attira contre elle.

-Ça va aller, ma puce. Je suis là, tout le long, murmura-t-elle tendrement.

Quelques minutes plus tard, un homme d'une quarantaine d'années, grand, aux cheveux poivre et sel et au regard très calme, s'approcha.

-Mademoiselle Veronica Hayes ? appela-t-il avec douceur.

-Oui, répondis-je d’une petite voix.

Le docteur sourit chaleureusement.

-Je suis le Dr Adrian Whitmore. Venez, nous allons discuter dans mon bureau.

Rose m’adressa un regard encourageant et me suivit sans hésiter.
Nous traversâmes un couloir avant d’entrer dans une pièce cosy, peinte dans des tons neutres et reposants.

-Installez-vous, je vous en prie, proposa-t-il en montrant deux fauteuils devant son bureau.

Nous nous assîmes, Rose à mes côtés, ses doigts effleurant discrètement ma main pour me rassurer.

Le docteur s'assit face à nous, posa son stylo, et me regarda avec bienveillance.

-Bien, Veronica... Avant tout, je veux que vous sachiez que vous êtes ici en toute sécurité. Il n'y a aucun jugement ici. Prenez tout le temps dont vous avez besoin, d'accord ?

Je hochai la tête, la gorge serrée.

-Est-ce que vous pouvez me dire ce qui vous amène aujourd’hui ? demanda-t-il d’une voix douce.

Je baissai un instant les yeux avant de murmurer :

-Je… je suis enceinte… et je voudrais interrompre la grossesse…

Ma voix tremblait malgré moi. Rose resserra sa prise sur ma main, frottant doucement son pouce contre ma peau pour me soutenir.

Le docteur acquiesça doucement, son expression restant neutre et pleine de compréhension.

-Très bien, merci de me l’avoir dit. Nous allons faire cela étape par étape. Je vais vous poser quelques questions médicales d’abord, puis je vous expliquerai les différentes options qui s’offrent à vous. Cela vous va ?

-Oui, répondis-je faiblement.

-Parfait. Et vous n’êtes pas seule, je vois que votre amie est là pour vous soutenir, ajouta-t-il avec un sourire complice à Rose.

-Oui, c’est ma Rose, dis-je presque en chuchotant, les larmes aux yeux.

Rose m’adressa un regard tendre et embrassa rapidement ma tempe pour me donner du courage.

-Très bien. Alors pour commencer, pouvez-vous me confirmer la date de votre dernière menstruation ?

Je pris une grande inspiration, essayant de rassembler mes pensées.

-Le premier jour de mes dernières règles… c’était le 30 novembre, et elles se sont terminées le 3 décembre, répondis-je, un peu hésitante.

-Très bien, nota le docteur sur son dossier.
-À quelle date pensez-vous avoir conçu ? demanda-t-il calmement.

-Le 27 décembre…

Il acquiesça avec sérieux, tapotant quelques notes sur son ordinateur.

Le médecin m’observa un instant, s'assurant que je suivais toujours.

-Donc, Veronica, à ce stade de votre grossesse, l'option la plus adaptée est un avortement médicamenteux, dit-il d'une voix calme. Cela se fait en deux étapes.

Il prit quelques documents et poursuivit en me les montrant doucement.

-La première étape consiste à prendre un comprimé de Mifépristone, ici au cabinet ou chez vous. Ce médicament bloque la progestérone, une hormone essentielle pour maintenir la grossesse. Sans cette hormone, le développement embryonnaire s'arrête naturellement.

Je hochai lentement la tête, serrant un peu mes doigts sur le fauteuil.

-Et ensuite ? murmurai-je.

-Entre 24 et 48 heures plus tard, vous prendrez un second médicament, le Misoprostol, généralement chez vous. Il provoquera des crampes et des saignements pour expulser la grossesse. Cela ressemble à une fausse couche.

Il marqua une pause, le regard compatissant.

-Je préfère être totalement transparent avec vous sur ce que vous allez ressentir. Il est normal d’avoir des douleurs de règles, parfois assez fortes, des saignements abondants pendant plusieurs heures, de la fatigue, des nausées ou une fièvre légère.
La phase la plus intense dure quelques heures, mais certains effets peuvent persister pendant deux à trois jours.

Je baissai les yeux, l’estomac noué. Rose me frôla discrètement la main, pour me soutenir sans parler.

Le docteur reprit, toujours aussi posé :

-Nous organiserons un suivi médical, ici ou en téléconsultation, pour vérifier que tout s’est bien passé. En général, une échographie ou un test sanguin est effectué une à deux semaines après, pour s'assurer que l'expulsion est complète.

Il m’adressa un sourire rassurant.

-Vous n'êtes pas seule. Si vous avez besoin de quoi que ce soit avant, pendant ou après, vous pourrez nous contacter à tout moment.

Je sentis Rose se redresser à côté de moi, prête à m’épauler quoi qu’il arrive.

-Alors… Veronica, êtes-vous prête à commencer ?

-Je…Oui.

Le médecin hocha doucement la tête, puis se leva pour aller chercher un petit flacon en plastique sur une étagère. Lorsqu’il revint, il tendit la main vers moi.

-Si vous êtes prête, voici le Mifépristone, dit-il calmement.

Le comprimé semblait minuscule, presque insignifiant dans sa paume ouverte. Pourtant, à mes yeux, il paraissait peser des tonnes.

Je tendis ma main sans vraiment réfléchir, mais mes doigts tremblaient. Lorsque le médicament toucha ma peau, je retirai brusquement ma main, comme si c'était brûlant.

Rose me regardait sans dire un mot, les yeux remplis de cette douceur silencieuse que seules les personnes qui aiment profondément savent donner.

Je restai figée quelques instants, le regard perdu dans le vide. Mon cœur battait tellement fort que j'avais l'impression que tout le cabinet pouvait l'entendre. J’inspirai profondément. Une fois. Deux fois.

Je repris le comprimé du bout des doigts. Mes lèvres tremblaient. Je le portai à ma bouche… puis je stoppai mon geste, la gorge serrée.

Une larme roula sans prévenir le long de ma joue.

-Je… je sais pas… murmurais-je, presque inaudible.

Rose posa sa main sur mon avant-bras, doucement, fermement.

-Ça va aller, Veronica. Tu fais ce qu’il faut. Tu n’es pas seule, je suis là.

Je hochai la tête, incapable de parler, submergée par l’émotion.
Je tentai encore une fois. Je rapprochai le comprimé de ma bouche… mais je reculai à nouveau. Mes mains tremblaient de plus en plus.

Le médecin, toujours debout près de moi, garda le silence. Il ne me pressait pas. Il savait.

Je fermai les yeux un instant, essayant de faire taire les pensées qui s'entrechoquaient dans mon crâne. J'entendis seulement la voix de Rose, basse et rassurante :

-C’est ton choix, Veronica. Personne ne te juge. Tu es forte.

Je rouvris les yeux, m’essuyant maladroitement la joue d’un revers de main.
Puis, à travers la peur, la tristesse, l’angoisse, une certitude se fraya un chemin,j’avais le droit de reprendre le contrôle. Ce n'était pas un crime. Ce n'était pas un meurtre.
C'était un soin. Un droit.
Ma vie, mon corps, ma décision.

Avec une lenteur infinie, je plaçai enfin le comprimé sur ma langue.
Rose me tendit un verre d’eau, et je bus à petites gorgées, comme si le monde entier reposait sur ce simple geste.

Le médicament glissa dans ma gorge.

Quand je reposai le verre, mes mains étaient glacées, mais au fond de moi, une étincelle minuscule s’était allumée , une étincelle de paix.

Le médecin s'approcha alors, notant quelque chose sur son dossier.

-Parfait, dit-il d’une voix douce. Vous avez franchi la première étape. Vous êtes courageuse, Veronica.

Je soufflai un peu, comme si tout mon corps s’était vidé d’un poids invisible.
Rose se pencha vers moi et m'enlaça doucement, en silence.

Le médecin poursuivit après quelques instants :

-Nous allons maintenant organiser la suite. Vous recevrez les instructions précises pour le Misoprostol. Ce sera à prendre chez vous, d’ici un jour ou deux, pour provoquer l’expulsion complète. Vous saurez exactement comment faire, et je vous donnerai aussi mon numéro d’urgence en cas de besoin.

Il parlait toujours avec cette même voix calme, respectueuse, presque chaleureuse, comme pour rappeler que ce chemin, aussi difficile soit-il, était le bon.

Le médecin me tendit une enveloppe kraft.

-Voici les instructions pour la deuxième étape, expliqua-t-il. Vous devrez prendre le Misoprostol dans 24 à 48 heures, généralement à la maison.

Il sortit un dépliant et me le montra, pointant les explications principales :

-Ce médicament va provoquer des crampes et des saignements, comme une fausse couche. Cela peut être douloureux, parfois très fort. C'est normal. Vous pouvez ressentir de la fatigue, des nausées, parfois un peu de fièvre.

Je hochai la tête en silence, absorbant ses mots.

-Vous devrez prévoir de rester au calme chez vous. De préférence, avec quelqu’un pour vous accompagner, dit-il en regardant brièvement Rose.
Et n'oubliez pas de beaucoup boire, de vous reposer. Le plus intense dure quelques heures seulement.

Il ajouta, en me tendant une petite carte de visite :

-Si vous avez le moindre doute ou besoin d’aide, appelez-moi. Jour ou nuit.

Je pris la carte d'une main tremblante et la glissai dans la poche de ma veste.

Rose remercia le médecin d’un signe de tête, et moi aussi, timidement, d’une voix basse.

-Merci... docteur.

Il sourit doucement.

-Vous n’avez pas à me remercier. Prenez soin de vous.

Nous quittâmes le bureau dans un silence presque sacré, Rose tenait cette enveloppe kraft en main.
Chaque pas vers la sortie me semblait irréel, comme si je marchais à travers du coton.
Rose resta près de moi tout le long du couloir, ses gestes attentifs, sa main parfois frôlant mon dos pour me rappeler qu’elle était là, que je n’étais pas seule.

Dehors, l’air frais me gifla doucement.
Je sentis un frisson courir sur ma peau, mais ce n'était pas seulement à cause du froid. C'était tout ce poids invisible que je portais encore en moi.

Nous marchâmes jusqu’à la voiture, sans un mot.
Les pneus crissèrent légèrement sur le gravier du parking désert.

Arrivée devant la portière, Rose s’arrêta et me regarda.

Elle ne parlait jamais pour remplir le silence. Elle attendait que je sois prête.

Puis, doucement, elle demanda :

-Tu veux toujours rejoindre les garçons au restaurant ? Ou tu préfères qu'on rentre à la maison ?

Sa voix était tendre, sans aucune pression, juste une invitation à choisir ce qui me ferait du bien.

Je baissai les yeux, regardant mes pieds.
Une part de moi voulait être forte, faire semblant que tout allait bien, retrouver le bruit, la vie, la normalité.
Mais une autre part, plus profonde, aspirait seulement à la chaleur tranquille d’un endroit familier, loin des regards, loin du monde.

Je restai un instant immobile, hésitante, le regard fixé sur mes chaussures.
Puis je relevai doucement les yeux vers Rose, et, dans un souffle presque timide, je murmurai :

-Je veux bien aller au restaurant.

Elle m'adressa un petit sourire compréhensif, sans chercher à cacher l'inquiétude tendre qui traversa son regard.
Elle savait. Elle sentait que j'avais besoin de normalité, de distraction... même si une partie de moi criait tout le contraire.

D'un geste lent, elle déverrouilla la voiture.
Je m'installai sur le siège passager en silence, tirant ma ceinture sans un mot.
Le claquement doux de la porte résonna dans l'habitacle comme un écho étouffé.
À côté de moi, Rose s'était installée derrière le volant, mais elle ne démarra pas tout de suite.Je la laisse conduire pour une fois.
Elle me jeta un regard en coin, sans rien dire.
Elle sentait. Elle savait.

Dehors, la vie continuait comme si de rien n’était. Des voitures passaient au ralenti, des passants riaient au loin.
Tout semblait banal, alors qu’à l’intérieur de moi, tout s’écroulait.

Je fixai mes mains, crispées sur mes genoux.
Mes doigts tremblaient légèrement.
Je me sentais vidée, vide, sale aussi... Comme si mon corps n'était plus vraiment le mien.

Ma poitrine se soulevait rapidement, une respiration trop courte, presque saccadée.
Je serrai les dents pour retenir les larmes qui me brûlaient les yeux.
Non. Je ne devais pas pleurer. Pas maintenant.
Je devais être forte.

Mais mon masque se fissura brutalement.

Un sanglot sec m'échappa, un bruit étouffé et involontaire.
Je plaquai aussitôt ma main sur ma bouche, comme pour reprendre le contrôle, mais c'était trop tard.
Les larmes jaillirent, chaudes, irrépressibles, coulant le long de mes joues en silence.

Je fermai les yeux très fort, comme si ça pouvait arrêter le déluge.

Je sentis alors une main légère effleurer mon bras.
Rose.

-Hey... murmura-t-elle tout doucement, sa voix plus tendre qu'un murmure.
Je suis là. Ça va aller.

Je secouai la tête, incapable de lui répondre autrement.
Comment pouvait-elle comprendre ?
Comment pouvait-elle seulement imaginer ce que je ressentais ?

Je m’effondrai un peu plus sur moi-même, mes épaules secouées de spasmes silencieux.
Tout remontait d'un coup : la peur, la solitude, l'humiliation, la culpabilité surtout.
Même si, au fond de moi, je savais que je n'avais pas à avoir honte... mon cœur, lui, ne le savait pas encore.

-Respire doucement, Veronica, continue de respirer, m'encouragea Rose sans jamais presser.

Je tentai de reprendre de l'air, à grandes bouffées tremblantes.

Rose, avec une douceur infinie, glissa sa main dans la mienne, serrant juste assez pour que je sente qu'elle était là, mais pas trop fort pour ne pas m'étouffer.

-Écoute-moi... chuchota-t-elle.
Ce que tu as fait aujourd'hui... ce n'est pas de la faiblesse. C'est de l'amour pour toi-même.C'est du courage. Immense.

Je laissai échapper un sanglot plus bruyant, incapable de retenir cette douleur viscérale.

-Tu n'es pas seule, répéta-t-elle doucement, comme une berceuse.Je suis là. Je te lâcherai pas.

Je me laissai aller contre le siège, incapable de lutter davantage, me raccrochant à sa voix comme à une bouée dans une mer déchaînée.
Petit à petit, les sanglots se firent plus espacés, moins violents.
Mon souffle retrouva un rythme un peu plus régulier.

Je me sentais épuisée, lessivée, mais aussi... un tout petit peu plus légère.
Comme si, pendant quelques instants, j'avais eu le droit d'être vulnérable, sans être jugée.

Rose attendit encore un peu, sans bouger, me laissant tout l’espace dont j'avais besoin.

Puis, quand elle vit que mes épaules s’étaient apaisées, elle pressa légèrement ma main.

-On y va quand tu veux.

Je hochai lentement la tête, essuyant mes joues d'un revers tremblant de la manche.
Je tournai la tête vers elle, et pour la première fois depuis longtemps, je la regardai vraiment.
Ses yeux étaient remplis de bienveillance, sans pitié, sans jugement. Juste... du soutien pur.

Et c'était tout ce dont j'avais besoin.

Je murmurai un petit "Merci" à peine audible.

Rose me sourit doucement, sans dire un mot, puis démarra la voiture.

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