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Vitalevskaya
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Chapitre 22

Quelques semaine plus tard,14h00, Appartement à New York

ROSE

Quelques semaines ont passé depuis que Jun m’a interdit de parler à Veronica.Les fêtes de fin d’année se sont terminées , elle a dû les passées seule.
Mais depuis… plus rien. Je ne la vois plus en cours. Pas de message. Pas un seul signe de vie. Silence radio.
Et ça, ça m’inquiète. Vraiment.

C’est pour ça que je me retrouve là, dans l’ascenseur, en direction de son appartement.
J’ai réussi à convaincre les garçons de m’accompagner — même s’ils étaient réticents.
Jun a râlé, bien sûr.
Jingwei a haussé les épaules, comme d’habitude.
Zhihao, lui, a soupiré mais n’a rien dit.
Et Tyler m’a juste suivie, silencieusement.

Mais c’est la réaction de Jun qui me reste en tête.
Franchement, je n’ai toujours pas compris ce qu’il s’est passé ce jour-là.
Il a littéralement pété un câble. Pour rien.
Comme s’il avait quelque chose à cacher. Ou… à refouler.

Et je ne suis pas stupide. Je vois bien qu’il y a un truc entre eux.
Un truc non dit, quelque chose qu’ils refusent d’admettre.
Mais dégager Veronica comme ça ? Comme si elle ne valait rien ?
C’est du grand n’importe quoi.
Ils veulent tous faire comme si elle n’avait jamais existé.
Et Jun surtout… Il agit comme si c’était une bonne chose.
Mais moi, je sais ce que je ressens. Je sens qu’il y a quelque chose de grave.
Je le sens dans mon ventre, dans mes os.
Et si personne d’autre ne veut s’en soucier, alors tant pis. Moi, je dois en avoir le cœur net.

Les portes de l’ascenseur se ferment dans un léger « ding » métallique. Le silence est pesant, chargé de tension.

-Franchement, je comprends pas pourquoi vous vous en foutez tous autant, je lâche, les bras croisés.
-Parce qu’on s’en fout, justement, répond Jun avec un ton froid. C’est très bien comme ça. Je l’ai dégagé , et alors ? Pourquoi t’en fais tout un plat ?
-Parce que c’est pas normal, Jun ! Tu le sais très bien. T’as pas l’impression que tout ça te dépasse un peu ?
-J’ai fait mon choix, Rose. Qu’elle vive sa vie. On n’est pas responsables de ses conneries.
-Tu dis ça, mais tu mens, Jun. Tu mens à tout le monde, surtout à toi-même.

Il détourne le regard, la mâchoire serrée.
Je le connais. Ce n’est pas de l’indifférence. C’est de la peur.
Il n’a pas envie de s’attacher.
Il a peur de ce qu’il ressent vraiment.
Et il pense qu’en rejetant Veronica, ça disparaîtra.

Mais c’est l’inverse.
Son silence parle pour lui.
Et moi, je refuse de laisser tomber quelqu’un qui, peut-être, est en danger.

Nous sortîmes de l’ascenseur en silence, tous un peu tendus, et nous dirigeâmes vers le palier de l’appartement de Veronica. Mon cœur battait vite, j’avais un mauvais pressentiment depuis plusieurs jours. Plus de nouvelles. Plus de messages. Elle n’était même plus en cours. Veronica avait disparu. Et même si Jun prétendait que ce n’était « pas grave » et que « ça valait mieux comme ça », moi je savais. Je savais que quelque chose n’allait pas.

Je pris une grande inspiration et appuyai sur la sonnette. Un silence pesant s’installa. Puis j’entendis de petits pas hésitants s’approcher de l’autre côté de la porte. Un reniflement discret. Mon cœur se serra.

Quand la porte s’ouvrit enfin, ce que je vis me brisa.

Veronica se tenait là, ou plutôt ce qu’il restait d’elle. Ses longs cheveux noirs étaient emmêlés, sales. Des cernes immenses, violacées, creusaient son visage autrefois lumineux. Elle portait un ensemble de jogging trois fois trop grand, tombant presque de ses épaules, et ses pieds étaient nus. Rien dans son apparence ne rappelait la Veronica que je connaissais : soignée, élégante, toujours impeccable. Là, elle ressemblait à une coquille vide.

-Bonjour…, souffla-t-elle, d’une voix rauque, brisée. Une voix qui avait pleuré bien trop longtemps.

-Qu’est-ce qui se passe, Xiǎo Zhēn ? demandai-je, complètement paniquée.

Elle hésita, trembla légèrement. Puis elle ouvrit un peu plus la porte, et chuchota :

-Je… Rose… Enfin… Tu avais raison.

-On avait raison sur quoi ? Veronica, qu’est-ce qu’il se passe ?!

-Juan… Vous aviez raison…

Et là, j’ai compris. Tout d’un coup. Mon sang se glaça.

Ses jambes cédèrent sous elle, comme si ses os s’étaient dissous d’un coup. Veronica tomba à genoux devant nous, et ses mains tremblaient. Un objet glissa de ses doigts. Un test de grossesse.

Je me jetai à genoux à ses côtés.

-Mon Dieu… Veronica… Qu’est-ce que… Qu’est-ce que Juan t’a fait ?

Elle ne répondit pas tout de suite. Juste des larmes silencieuses. Son regard semblait fuir loin, très loin de nous, loin de ce monde.

-Laissez-nous, s’il vous plaît, dis-je fermement aux garçons. Elle veut me parler. Seulement moi.

Jun haussa les sourcils, prêt à répondre, mais Tyler le retint par le bras. Sans un mot, ils repartirent vers l’ascenseur.

Je refermai doucement la porte derrière moi et suivis Veronica à l’intérieur. Tous les volets étaient fermés. Il faisait sombre, oppressant. On aurait dit que la lumière même avait été bannie de cet endroit. Elle vivait littéralement dans l’obscurité.

Je la suivis jusqu’à sa chambre. Tout était silencieux, si silencieux qu’on pouvait entendre le bruit de nos respirations. On s’assit sur le lit. Elle tira une couverture sur ses jambes, les regardant comme si elles n’étaient pas les siennes.

-Tu peux tout me dire, murmurai-je. Je suis là.

Elle resta un long moment silencieuse, puis, dans un souffle cassé :

-Il m’a appelée. Il voulait qu’on parle. Je pensais… Je pensais qu’on allait juste se disputer, ou s’expliquer. Mais il m’a tendu un piège. On s’est crié dessus, et puis... Il s’est approché. Je me suis sentie étrange d’un coup. Pas floue. Juste… paralysée. Il m’avait droguée. Juste assez pour que mon corps arrête de répondre, mais pas mon esprit. J’étais là, Rose. J’étais consciente. J’ai tout ressenti. Tout. Et je pouvais rien faire. Rien. Pas crier. Pas bouger. J’étais… juste un corps. Et lui, il...

Sa voix se brisa. Elle n’arrivait plus à parler, mais tout était dit. J’avais envie de vomir.

Puis, sans prévenir, elle se redressa un peu, les yeux soudain chargés de colère.

-Vous m’avez abandonnée ! hurla-t-elle en me fixant. Toi, les garçons, tous ! Vous m’avez laissée tomber comme une merde ! J’étais seule, Rose ! Tu comprends ça ?! Seule ! Je criais dans ma tête et y’avait personne ! J’étais toute seule avec cette horreur ! Je voulais mourir mais même ça j’y arrivais pas ! Et vous ? Vous étiez où ?!

Je restai figée. Les larmes coulaient sur ses joues, et dans ses yeux brillait une rage désespérée.

-Veronica…

-Je… suis désolée…, balbutia-t-elle soudainement, éclatant en sanglots. Je suis désolée, Rose. Je voulais pas dire ça… Je suis juste… fatiguée… j’ai mal partout… je me reconnais plus…

Elle s’écroula dans mes bras, secouée de spasmes de chagrin. Je la serrai contre moi, fort. Elle avait porté ce poids toute seule, et ça l’avait détruite.

-Aujourd’hui, reprit-elle dans un souffle brisé, aujourd’hui je me suis levée avec une nausée horrible. J’ai cru que c’était le manque de nourriture, mais j’ai eu un doute. J’ai enfilé un sweat, une capuche, des lunettes, et je suis sortie. Juste une fois. J’ai acheté un test. C’est le seul jour où j’ai quitté cet appartement depuis… ce jour-là.

Elle inspira, la gorge serrée.

-Il est positif, Rose. C’est réel.

Je sentis mes mains trembler. Mais je ne pouvais pas flancher. Pas maintenant.

-Veronica… est-ce que tu veux le garder ?

Elle secoua la tête violemment, puis s’arrêta, perdue.

-Je… je sais pas. Je veux que tout ça s’efface. Que ça n’ait jamais existé. Mais ce n’est pas aussi simple. J’ai l’impression que je suis sale jusque dans mes entrailles.

Je la pris dans mes bras. Elle éclata enfin en sanglots. Des sanglots si profonds qu’ils semblaient sortir d’un endroit caché depuis des années. J’aurais voulu la protéger. J’aurais voulu remonter le temps. J’aurais voulu la tuer, ce monstre.

Mais pour l’instant, je ne pouvais qu’être là. Être la seule lumière dans son obscurité.

-Est-ce que ma vie va toujours se résumer à ça, Rose ? souffla-t-elle, la voix étranglée, les yeux noyés de larmes. Toute ma vie, j’ai été abusée… Sexuellement. Par des attouchements, des regards sales, des gestes qui n’auraient jamais dû exister. Des viols. Des mots qui tuaient à petit feu. Et tout ça, depuis que je suis gamine. Est-ce que ça s’arrête un jour, Rose ? Dis-le-moi. S’il te plaît… Je t’en supplie… Pourquoi je suis encore en vie ? Pourquoi ?

Sa voix se brisa complètement sur le dernier mot. Un hurlement silencieux dans l’obscurité. Le genre de détresse qui déchire de l’intérieur.

Je restai figée.

Je ne trouvais pas les mots. Rien. Aucun son ne sortait de ma bouche. J’étais là, présente, mais impuissante. Alors je fis la seule chose que je pouvais faire : je la pris dans mes bras, je la berçai doucement, mes doigts glissant dans ses cheveux emmêlés, alors qu’elle tremblait contre moi. Mon cœur me hurlait d’agir, de la rassurer, de réparer… mais comment réparer l’irréparable ?

On l’avait laissée tomber. Je l’avais laissée tomber. On savait ce que Juan était. On avait vu. Mais on avait tourné les yeux. On lui avait tourné le dos. Et maintenant elle portait le poids de nos silences.

-Je te le promets… je soufflai enfin, la voix tremblante. Je te le promets, Veronica, tu n’es plus seule. Je serai là. On sera là. Tyler, Zhihao, Jingwei… et même Jun, je l’espère. On sera là pour toi. On ne te laissera plus jamais affronter ça seule. Je te le jure. Et on te vengera, Veronica. Jusqu’à la dernière larme.

Elle releva lentement la tête. Ses yeux rouges et gonflés ne pleuraient plus, mais brûlaient d’un feu noir.

-Je m’en occuperai seule, dit-elle d’une voix glacée. Mon plan est déjà en place dans ma tête. Et crois-moi… il va souffrir. Il va supplier. Il va regretter. Chaque minute. Chaque geste. Chaque respiration. Il regrettera de m’avoir un jour regardée.

Ses poings se serrèrent contre ses genoux. Elle tremblait, mais ce n’était plus de peur.

Je posai doucement ma main sur la sienne.

-Tu as tout le droit d’être en colère. Tu as le droit de vouloir justice. Mais laisse-nous t’aider, d’accord ? Tu n’as plus besoin de porter ça seule.

Elle ne répondit pas. Juste un long silence entrecoupé de ses respirations irrégulières.

Je pris une grande inspiration, puis me levai du lit.

-Tu sais ce qu’on va faire ? Je vais te faire couler un bon bain chaud. Tu vas pouvoir respirer un peu, prendre soin de toi, sentir de la chaleur sur ta peau autrement que par la douleur. Juste… retrouver ton corps à toi. Te sentir vivante.

Elle hocha à peine la tête, le regard dans le vide.

-Et après, si tu veux… je peux faire entrer les garçons. Ou pas. Si t’en as pas la force, je leur parlerai. Je leur dirai tout. Tu n’as rien à prouver. Rien à justifier. Tu fais les choses à ton rythme, Veronica. Tu es chez toi. C’est ton espace. C’est toi qui décides.

Elle tourna lentement la tête vers moi. Un mélange d’émotion et d’incrédulité dans les yeux. Puis, tout doucement, elle murmura :

-Merci… Rose. Merci d’être venue.

Je lui souris faiblement, le cœur en vrac.

-Toujours. Tu n’as même pas besoin de demander.

Je me dirigeai vers la salle de bain, laissant l’eau couler, laissant la vapeur envahir doucement la pièce, comme si elle pouvait laver ne serait-ce qu’un peu de cette horreur.
 

Quand je revins vers Veronica, elle n’avait pas bougé. Toujours assise sur le lit, les yeux dans le vague, le corps comme vidé de son énergie.

-Viens, doucement, d’accord ? lui dis-je avec tendresse.

Elle se leva sans un mot, docile, presque absente. J’étais là, comme une grande sœur, comme une main qui soutient, sans juger. J’aidai Veronica à retirer ses vêtements, sans aucune gêne ni malaise, seulement un respect profond. Elle frissonna sous mes gestes, comme si sa peau elle-même avait peur du contact. Mais elle me laissa faire.

Je l’aidai à entrer dans la baignoire, et elle s’immergea lentement, les yeux fermés, un soupir brisé échappé de ses lèvres. Je pris le temps de la laver, de masser ses épaules nouées, de démêler délicatement ses cheveux abîmés, comme on prend soin d’une fleur fanée que l’on espère faire refleurir.

Pas un mot. Juste ma présence. Mon attention. Ma tendresse.

Quand elle fut bien installée, je la laissai profiter de la chaleur du bain et me dirigeai vers le salon.

Je remontai tous les volets. La lumière du jour pénétra brutalement dans l’appartement comme un souffle de vie. L’air était lourd, vicié. J’ouvris les fenêtres en grand. J’aérai, je respirai pour elle, je nettoyai ce qu’elle n’arrivait plus à affronter. Je ramassai les papiers de snacks vides, les bouteilles d’eau, les tasses sales. Je rangeai la cuisine, remettant un peu d’ordre dans ce chaos.

Puis j’allai ouvrir la porte.

Tyler, Zhihao, Jingwei… et Jun attendaient sur le palier, silencieux, inquiets.

-Entrez. Mais doucement, s’il vous plaît. Elle est… Elle est dans un état que vous n’imaginez même pas, soufflai-je.

Ils passèrent la porte dans un silence pesant.

Je pris une grande inspiration. Il fallait qu’ils sachent.

-Veronica a été agressée. Par Juan. Il l’a droguée. Pas au point de la rendre inconsciente, non… juste assez pour qu’elle ne puisse plus bouger. Mais elle a tout senti. Tout vécu. Chaque seconde. Chaque geste. Chaque souillure.

Un silence de plomb s’abattit. Zhihao baissa les yeux. Tyler ferma les poings. Jingwei marmonna un juron entre ses dents.

-Elle… elle est enceinte, aussi. Elle a découvert ça ce matin. C’est la seule fois depuis des semaines où elle est sortie, pour acheter ce test. Depuis… elle vivait dans le noir. Seule. Avec ça.

Je me tournai alors vers Jun. Un feu noir dans la poitrine.

-Et toi. Toi. T’as pas trouvé mieux que de la jeter dehors comme une malpropre. La nuit, Jun. La nuit. Sans lui laisser une chance de s’expliquer. Tu l’as virée. Comme si elle comptait pour rien.

Je sentais ma voix trembler, mais je continuai, le regard ancré dans le sien.

-Tu sais ce qui s’est passé juste après ça ? Elle s’est retrouvée seule, paumée, brisée. Et c’est là que Juan l’a appelée. C’est cette nuit-là qu’il l’a droguée. C’est cette nuit-là qu’il l’a détruite.

Je fis une pause, le cœur au bord de l’explosion.

-T’as fermé les yeux. Et tu l’as laissée aller droit dans la gueule du loup. Et maintenant elle est là, à peine capable de tenir debout, parce que t’as pas voulu lui laisser une foutue chance.

Jun voulut répliquer, ouvrir la bouche, se défendre peut-être. Mais je levai la main, sèchement.

-Non. T’as pas le droit de parler maintenant. Tu écoutes. C’est la moindre des choses.

Jun détourna le regard, visiblement frappé par la culpabilité. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il s’excuse. Pas maintenant. Pas encore.

-Elle est dans le bain. Elle se repose un peu. Ne la brusquez pas. Si elle n’a pas la force de vous parler aujourd’hui, alors c’est moi qui le ferai. Et vous allez l’écouter. Avec le respect et la douceur qu’elle mérite.

Je les regardai un par un. Ils hochèrent lentement la tête, bouleversés.

Et là, seulement là, je sentis que, peut-être, elle n’était plus seule.

RITA

L’eau chaude m’entourait comme un drap épais, presque anesthésiant. Je sentais mes muscles, engourdis par des semaines de tension, commencer à se détendre, mollement. Ma tête reposait contre le rebord de la baignoire. Je gardais les yeux fermés. Je ne voulais pas penser.

Dans le lointain, des voix. Rien de clair, juste des brouhaha indistincts, des timbres familiers… Des pas, des échanges… une ambiance vivante, réelle. Le genre de choses que j’avais oubliées. Le genre de choses qui semblaient appartenir à une autre vie. Une vie qui n’avait pas explosé.

Puis les pas se rapprochèrent, légers. Je les aurais reconnus entre mille. C’était Rose.

La porte s’ouvrit doucement, laissant filtrer une lumière plus franche que celle de la salle de bain embrumée. Rose entra, sans bruit, s’agenouilla à mes côtés. Sa main se posa sur mon bras, légère, rassurante.

-Ça va… Je suis là.

Elle attrapa une petite éponge, la trempa dans l’eau et commença à me laver avec une douceur presque irréelle. Elle ne disait rien au début. Juste des gestes. Des gestes tendres. Des gestes qui réparaient un peu, sans le dire. Elle démêla doucement mes cheveux, y passant ses doigts avec patience, sans jamais tirer, sans jamais brusquer.

-T’as vraiment un nid de corbeaux là-dedans, souffla-t-elle avec un petit sourire en coin.

Un rire m’échappa. Court, un peu cassé… mais c’était un rire. Mon premier depuis des semaines. Et dans son regard, je vis qu’elle l’avait attendu, ce rire.

-Tu sais, continua-t-elle en rinçant mes cheveux, cette semaine j’ai eu un rencard avec un mec. Il s’appelait… attend… ouais, Hugo. Il a passé dix minutes à m’expliquer pourquoi son signe astrologique faisait de lui un amant exceptionnel. Il m’a même sorti sa compatibilité sexuelle avec moi selon la numérologie.

Je ricanai malgré moi. Son ton, sa manière de lever les yeux au ciel en l’imitant… tout sonnait tellement normal. Tellement léger. Et j’en avais besoin.

-Et l’autre, enchaîna-t-elle en me séchant doucement le visage avec une serviette propre, il m’a demandé si j’étais vierge. Comme première question. Avant même “salut”.

Je souris, cette fois franchement.

-Rose…

-Non mais je te jure ! Veronica, t’as pas idée à quel point tu m’as manqué. Même ton jugement silencieux me manque. Tes petits regards genre “vraiment, Rose ? Ce type ?”

Je la regardai, les yeux brillants d’émotion.

-Je croyais que j’étais plus capable de rire.

-Tu peux encore tout faire. Peut-être pas tout d’un coup. Mais tu peux. T’as survécu à l’enfer, Veronica. Et regarde-toi. T’es là. Tu respires encore.

Je ne répondis pas tout de suite. Mon cœur battait fort, mais d’une manière différente cette fois. Pas comme une alarme. Comme une promesse.

-Allez, viens. On va te mettre quelque chose de confortable, et si tu veux… ils sont là. Tu n’as rien à dire. Rien à expliquer. Mais si tu veux qu’ils soient là… ils le seront.

Je baissai la tête. Une partie de moi hurlait encore. Une autre murmurait qu’elle voulait retrouver un peu de chaleur humaine. Un peu d’amour.

Je ne dis rien. Mais je hochai la tête.

Et Rose comprit.

Elle m’aida à sortir du bain, avec une douceur presque sacrée.M’enveloppa dans une grande serviette chaude, me serrant brièvement contre elle comme pour me rappeler que j’étais là, que j’étais réelle, que je méritais encore d’être tenue avec tendresse.

Elle me prit doucement la main, sans un mot, et m’emmena jusqu’à ma chambre. Le silence était plein. Pas vide. Rempli de tout ce qu’on n’arrivait pas à dire, mais qu’on comprenait parfaitement. Nos gestes parlaient pour nous, nos regards aussi. Et dans ses yeux, il n’y avait aucune pitié. Juste une force tranquille, une présence entière. Et rien que pour ça, je la remerciai en silence. Nos cœurs se connaissaient. Elle savait. Elle savait ce dont j’avais besoin, même sans que j’aie à le formuler.

Elle fouilla dans mon armoire avec l’attention d’une grande sœur, prenant des vêtements simples, doux. Quelque chose de chaud, de confortable, qui ne m’agresserait pas la peau ou la mémoire.

Elle revint vers moi, toujours sans un mot, et fit glisser des sous-vêtements le long de mes jambes, sans retirer complètement la serviette, par pudeur, par respect. Mais quand sa main effleura mon ventre, un frisson me traversa.

Et tout remonta. Brutalement. Ce que je m’efforçais encore de repousser dans un coin obscur de mon esprit.

Je suis enceinte.
Je suis vraiment enceinte.
De lui.

Juan.

Le mot vibrait dans ma tête comme un glas. Mon estomac se tordit. Les larmes jaillirent sans bruit, comme une rivière brisée.

-Rose… soufflai-je, la voix étranglée. Je… je ne sais pas quoi faire. Je suis enceinte. Sérieusement… enceinte de Juan. Je dois le garder ? Ou avorter ? Je… je sais plus.

Elle s’agenouilla devant moi, posant ses mains sur mes genoux, ses yeux cherchant les miens. Elle ne me coupa pas. Elle laissa le silence m’envelopper encore une fois. Puis elle répondit. Calme. Honnête.

-Ça ne dépend que de toi, mon cœur. C’est ton corps, ta vie. Mais pose-toi les bonnes questions. Est-ce que tu te vois, chaque jour, voir le visage de ce bébé… et peut-être y retrouver ses traits ? Est-ce que tu pourrais supporter ça ? Est-ce que tu pourrais aimer cet enfant sans que la douleur ne te hante ? Sans que ton agresseur te regarde à travers ses yeux ?

Ses paroles me frappèrent en plein cœur. Elles étaient dures, oui. Mais elles étaient vraies. Et je savais que Rose ne cherchait pas à me blesser. Elle m’aidait à me confronter à l’essentiel, là où je voulais encore fuir.

-Tu te vois vivre cette grossesse ? souffrir ? supporter ce fœtus jour après jour, avec ce poids dans le ventre qui te rappelle… tout ? demanda-t-elle, plus doucement encore, presque un murmure.

Je ne savais pas quoi répondre. Mon regard se perdit dans le vide. J’étais à la croisée de deux douleurs. Avorter, c’était porter une cicatrice invisible à vie. Garder cet enfant, c’était vivre avec un souvenir vivant, un écho permanent de l’horreur.

Je n’étais pas prête. Je ne savais pas si je le serais un jour.

Mais au moins, dans ce moment suspendu, je n’étais plus seule à porter cette question.

Et ça, c’était déjà énorme.

Nous descendîmes lentement dans le salon, Rose et moi. J’avais enfilé un jogging ample et un pull large qu’elle avait trouvé dans mes affaires. Rien de serré. Rien qui colle à la peau. Juste du tissu qui me cachait du monde. Je n’étais pas prête à affronter les regards.

Les garçons étaient là, assis en silence. Tyler sur le canapé, les mains croisées, le regard baissé. Zhihao et Jingwei, calés contre le dossier, comme s’ils n’osaient plus occuper trop d’espace. Et Jun… en retrait, adossé au mur, le visage fermé.

Aucun ne me regarda directement. Pas par honte. Pas par indifférence. Mais par respect. Je le compris dans la seconde. Ils ne voulaient pas me brusquer. Pas après ce que Rose leur avait raconté.

J’eus un pincement au cœur.

C’est Tyler qui rompit le silence, en premier. Sa voix tremblait un peu.

-Je… je suis désolé, Veronica. Vraiment désolé. De pas avoir été là. De pas t’avoir retenu. On aurait dû t’écouter. On aurait dû comprendre pourquoi tu étais chez Radimir . Je sais que ça change rien à ce que t’as vécu… mais je voulais que tu saches que… que je suis là, maintenant.

Il s’approcha à peine, me regarda enfin, les yeux brillants d’un mélange de culpabilité et de tendresse sincère. Je hochai la tête, incapable de parler, mais je sentis mon cœur se réchauffer, un tout petit peu.

Zhihao suivit, avec un sourire timide, la gorge nouée :

-T’es forte, Veronica. Et t’as pas à tout porter seule, plus maintenant. On est là, d’accord ? Si tu veux parler, hurler, pleurer… peu importe. T’as le droit à tout, avec nous.

Jingwei hocha la tête à son tour, sans ajouter un mot, mais son regard disait tout. Un soutien silencieux, solide, fidèle.

Puis… Jun se détacha du mur. Il ne dit rien. Il s’approcha lentement, les bras ballants, puis murmura :

-Tu… tu veux qu’on parle ? En privé ?

Je n’eus pas la force de parler, mais je hochai la tête. Il guida le pas vers la cuisine, plus précisément dans l’arrière-cuisine, là où les bruits du salon s’éteignaient et où l’air semblait un peu plus intime.

Il se tourna vers moi, hésita, puis me regarda droit dans les yeux. Plus de fierté, plus de masque. Juste lui. Vraiment lui.

Je le suivis sans un mot, les pieds presque traînants sur le parquet jusqu’à l’arrière-cuisine. Le silence n’était pas pesant, non. Plutôt… fragile. Comme une bulle qu’on n’osait pas éclater.

Jun s’arrêta, la main posée sur le rebord du plan de travail. Il resta un instant dos à moi, la tête baissée, comme s’il cherchait comment commencer. Moi, je restai près de la porte, les bras croisés par réflexe, pas par défense… juste pour tenir mes morceaux.

Puis il se tourna, enfin. Et quand nos regards se croisèrent, ce fut comme un écho silencieux. Deux âmes cabossées qui se reconnaissaient dans leur naufrage.

-Veronica… commença-t-il, la voix un peu rauque. J’suis désolé. Et je sais… je sais que c’est faible de dire ça maintenant. Ça efface rien. Ça te rend pas justice. Mais je le pense. Vraiment.

Je ne répondis pas. Pas encore. Il enchaîna, plus lentement, plus vrai encore :

-Cette nuit-là, je t’ai… jetée. Comme une merde. Et j’ai pas d’excuse valable. J’étais énervé, blessé, mais rien ne justifie ça.Tout ça par fierté que tu apprécies l'ennemi,qui pour toi n’en est pas un.

Il passa une main dans ses cheveux, nerveux.

-J’ai pas arrêté de penser à toi depuis ce soir-là. Pas une seule nuit sans me dire que j’ai tout gâché. Que si j’avais été moins con, moins centré sur moi,enfin… J’aurais dû te retenir.

Je baissai la tête, un frisson me traversant malgré moi. Pas parce qu’il me faisait peur. Mais parce que ses mots touchaient des endroits trop sensibles.

-Je t’en veux, dis-je enfin, la voix douce mais tranchante. Pas autant que je m’en veux à moi-même. Mais je t’en veux, Jun.

Il acquiesça lentement, comme si mes mots étaient un soulagement. Comme s’il s’attendait à bien pire.

-J’accepte, répondit-il. Tu peux m’en vouloir autant que tu veux. Je le mérite. Et j’suis pas là pour que tu me pardonnes, pas maintenant. Je veux juste… que tu saches que si t’as besoin de moi… pour n’importe quoi… je serai là. Je serai là, Veronica. Plus question de te laisser seule.

Un silence s’installa.

Et dans ce silence, il y avait plus de vérité que dans tous les mots.

Je relevai les yeux vers lui. Il me regardait avec ce quelque chose que je ne voulais pas trop analyser. Ce truc dans ses prunelles sombres, à la fois doux, inquiet… et fuyant.

Il refoulait. Je le sentais. Des choses qu’il ne voulait pas avouer. Pas à moi. Pas à lui-même. Et pourtant, c’était là. Dans sa façon de ne pas me toucher. De garder ses distances, mais de vibrer quand nos regards s’accrochaient.

-Tu me crois quand je te dis que t’es pas seule ? demanda-t-il, un peu plus bas.

Je hochai la tête. Lentement.

Et dans un geste presque timide, il ouvrit les bras. Pas brusquement. Pas comme une invitation qu’on refuse. Plutôt… une autorisation. Un abri.

Je n'hésite qu’une seconde. Puis je m’avançai. Un pas. Deux.

Et je vins me loger contre lui.

Pas comme avant. Pas dans la tension, ni le feu.

Là, c’était une étreinte lourde de silence. De regrets. De pardons muets.

Il passa un bras autour de moi, délicatement, me tenant comme quelque chose de précieux, de brisé mais pas irréparable. Son menton se posa contre le sommet de ma tête. Je fermai les yeux. Sentant son cœur battre contre moi.

-Merci, soufflai-je dans un souffle.

Il ne répondit pas. Il serra juste un peu plus fort.

Et dans ses bras, je crus sentir un peu de paix. Une paix douloureuse, incomplète, mais réelle.

Une paix que seuls les silences sincères peuvent créer.

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