Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Sayaxwattpadx
Share the book

9

Chapitre 9 — ce qui me reste d’elle 

Azriel, 22ans

Elle n’a pas changé.
Et c’est peut-être ça, le plus douloureux.
Ou peut-être que si. Juste assez pour que je ne sache plus si je la reconnais vraiment.

Je fais glisser mon doigt sur l’écran du téléphone. Encore. Encore.
La photo s’éclaire.

Elle est là.
Petite. Fragile.
Maigre.

Presque un fantôme.

Et moi, accroupi à côté, les bras grands ouverts comme si j’avais voulu la protéger du monde entier.

J’ai échoué.
Complètement.
Elle ne s’en souvient même pas.

Je soupire, recule contre le mur de ma chambre.
L’écran s’éteint, mais la photo reste, comme imprimée dans mon crâne.
Elle me brûle les neurones.

Je me demande qui me l’a envoyée.
Non. Je le sais.
Je sais
exactement qui.

C’est un message.
Un rappel.
Un genre de "Tu pensais vraiment pouvoir recommencer ta vie tranquille ?".

Et le pire, c’est que j’y ai cru.
Juste un instant.

Je me lève, attrape ma veste.

Faut que je sorte d’ici.

L’air est trop lourd. Mon appartement, trop silencieux. La photo sur mon téléphone, trop bruyante.

Je claque la porte derrière moi comme on claque un chapitre qui fait mal. Il fait encore frais, ce matin, mais ça ne suffit pas à éteindre le feu dans ma poitrine. J’ai l’impression qu’on m’a arraché quelque chose. Quelque chose que je croyais déjà perdu, oublié, enterré sous les années et le silence.

Et voilà qu’on me le renvoie en pleine gueule. Brutalement. Par un message anonyme, sans un mot. Juste cette foutue photo.

Elle.
Et moi.
Petits.
Avant.
Avant tout ça. Avant le trou noir. Avant que je parte.

J’aurais dû rester. J’aurais dû me battre. J’aurais dû...

Mais j’étais qu’un môme moi aussi. Et j’ai eu peur.

Je marche sans but, les mains dans les poches, les yeux rivés sur l’asphalte. Chaque pas claque dans ma tête, comme un rappel constant de ce que j’ai perdu. Ou pire — de ce que je lui ai fait perdre, à elle.

Elle m’a regardé avec ces yeux vides de souvenirs. Et j’ai joué le jeu. J’ai souri. J’ai laissé faire. Parce que si elle a oublié, alors peut-être... peut-être qu’elle est en sécurité. Loin de moi. Loin de ce que je traîne.

Mais cette photo ?
Ça change tout.

Ça remue ce qu’on avait.
Ce qu’elle a oublié.
Ce que moi, je n’ai jamais réussi à effacer.

Je m’arrête devant une vitrine. Mon reflet me dévisage. Fatigué. Tordu. Triste.
Je me dégoûte presque.

Elle mérite mieux que ça.

Je sors mon téléphone, rouvre la photo. Mes doigts tremblent à peine, mais mon cœur, lui, s’effondre à nouveau.
Elle est si mince dessus. Trop. Ses joues creusées, ses yeux cernés. Une enfant. Une enfant abîmée.

Et moi, juste à côté. Le sourire bancal. Le regard un peu flou.

Et ce gamin, en arrière-plan. Roux. Inconnu, presque flou. Il n’aurait pas dû attirer mon attention, mais maintenant que je sais… maintenant que je sais, ça me glace le sang.
Je sais qui c’est.
Et je sais
ce qu’il est devenu.

Un nœud se forme dans ma gorge.
J’aurais tout donné pour qu’elle ne rouvre jamais cette porte-là.

Alors je décide. Là. Maintenant.

Je vais m’éloigner.
Elle mérite d’avancer. Elle mérite d’être libre.
Et si elle a oublié, c’est peut-être une grâce. Un cadeau.

Je ne peux pas être celui qui lui rappellera l’horreur.

Alors je me fais une promesse.
À elle. À moi.

Je voulais me protéger. La protéger. En érigeant ce mur, en devenant ce bloc de glace qu’on ne peut ni atteindre, ni blesser.
Froid. Distant. Muet.
C'était censé me sauver d’elle.
Censé la sauver de moi.

Mais en la voyant là, inerte dans les bras d’un autre, tout s’effondre.

Mon corps se fige. Mon cœur, lui, se déchire sans prévenir.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Ma voix me trahit. Trop vive, trop tremblante. Je n’ai plus de recul. Plus de masque. Juste cette peur sourde qui m’avale.

— Elle s’est effondrée. Dans sa salle de bain. Elle t’a murmuré ton prénom. Juste ça. Ton prénom.

Je l'entends, mais tout en moi se referme. Je sens ma gorge se nouer.
Putain.

Il me la tend. Comme si c’était moi, la solution.
Mais je suis peut-être la raison.

Je la prends.
Et là, je comprends.
Elle est légère. Trop.
Elle est là, mais elle flotte quelque part ailleurs. Comme si elle s’accrochait encore un peu à cette réalité, juste assez pour me retrouver.

— Elle a mangé ?

Je connais déjà la réponse.

— Non. Elle allait mal. Et j’ai rien vu.

Un poids m’écrase la poitrine. Je déteste ce gamin d’avoir vu ce que moi, je refusais de regarder. Je le déteste… et je le remercie en silence.

— Merci.

Il hoche la tête, mal à l’aise, mais digne. Il est jeune, mais il a compris. Il sait.
Il voit ce que je tente de nier depuis trop longtemps.

— Elle te cherche, tu sais. Même quand elle ne comprend pas.

Je baisse les yeux. J’encaisse. Parce qu’il dit vrai.
Elle me cherche. Et moi, je ne suis qu’un foutu labyrinthe.

— Si tu veux juste la regarder tomber… préviens-moi.

Et il part.

Je reste là, à la tenir contre moi, le souffle trop court, les regrets enroulés autour de mes côtes comme un étau.
Je sens son souffle, fragile, irrégulier.
Elle est en vie. Juste assez.
Et c’est à la fois un soulagement et une torture.

Je la couche dans mon lit. J’y ai pas réfléchi. Mais c’est l’endroit le plus sûr que je connaisse. Le seul endroit que je suis encore capable d’offrir.
Elle est glacée. Silencieuse. Abîmée.

Je bouge mécaniquement. Des gestes simples, des gestes d’humain, de ceux qu’on fait pour les vivants. Un linge humide. Une couverture. Un verre d’eau.

Je me dis que si je fais tout bien, peut-être qu’elle restera.
Peut-être que je peux encore être utile.
Peut-être que je peux encore être
lui — celui dont elle se souvient.

Mais je sais aussi que je suis celui qu’elle a oublié. Celui qu’elle a repoussé dans un coin de sa mémoire, là où elle a enfermé le pire.

Je regarde la photo sur mon téléphone.
Mon sourire d’autrefois. Son regard absent. Et lui, dans le fond.
Le détail que personne ne voit.
Sauf moi.
Parce que je sais.
Et elle ne sait plus.

Je me couche au sol, le dos contre le froid.
Je reste là, comme un chien perdu. Comme une ombre fidèle à un fantôme.
Je ne dors pas. J’attends.

Et je comprends, dans ce silence trop lourd, que je ne pourrai jamais fuir ça.
Que m’éloigner d’elle, c’est m’arracher à ce qu’il reste de moi.
Que peu importe combien je prétends être fort, ou détaché, ou rationnel — je suis prisonnier d’elle.
Et peut-être que je l’ai toujours été.

Le bruit de ses pas.
Mes mains se figent.

Je me retourne. Et là…

Seraphina.

Pieds nus. Tremblante. Hésitante. Vivante.

Mon cœur explose contre mes côtes. Je serre les dents.

Elle ne me voit pas tout de suite. Elle cherche quelque chose dans l’espace, quelque chose qu’elle n’arrive pas à nommer.

Et moi, je reste figé. Terrifié à l’idée de faire un geste de trop.
Parce qu’elle pourrait s’effondrer.
Parce que
moi, je pourrais m’effondrer.

— T’es debout.

Ma voix meurt presque dans ma gorge. C’est idiot, mais c’est tout ce que je parviens à dire.

Elle fronce les sourcils. Sa voix est un murmure égaré.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

Je voudrais mentir. Dire que tout va bien.
Mais rien ne va bien.

— Tu t’es évanouie. Seraphina, tu perds  connaissance et moi je perd mes moyens.

Je l’approche doucement, comme on approche une bête blessée.
Je la soutiens, parce que son corps ne suit pas.
Et je la guide jusqu’à la table.

Elle s’assoit. Le silence est si dense qu’il m’enserre la gorge.
Je lui tends une assiette. Des pâtes. Pathétique tentative de réconfort.

Mais elle prend la fourchette.
Elle mange.
Et c’est tout ce que j’ai besoin de voir pour respirer à nouveau.

Je retourne à la cuisine, fais mine de couper des légumes.
Je fuis ses yeux, parce que si je la regarde trop longtemps, je vais exploser.

Elle est là. Et tout en moi veut hurler que j’ai eu peur. Que je me suis cru capable de vivre sans elle.
Mais je peux pas.
Je suis pas fait pour ce monde sans elle dedans.

Je la sens derrière moi. Sa présence me broie.
Elle est mon enfer. Mon salut. Ma malédiction.
Et mon seul refuge.

Je ferme les yeux. Inspire.
Et je me dis que même si elle me rejette demain, ce soir, elle a respiré.
Et que j’étais là.

Même si ça me tue.
Je serai là.

…Et je me rends compte.

Putain.
Je me rends compte que je suis foutu.
Je me suis menti. À moi-même, à elle. J’ai cru que je pouvais m’éloigner. Que je pouvais devenir ce mur, ce type froid et calculé, celui qui garde ses distances pour “le bien de l’autre”.

Mais la vérité, c’est que j’ai peur.
Peur de ce qu’elle déclenche en moi. Peur de l’aimer comme ça. Sans contrôle, sans limite. Peur de la perdre aussi. Encore.
Parce que là, debout dans ma cuisine, à moitié brisée, elle m’a regardé. Et j’ai senti tout s’effondrer.

Je ne suis pas un mur.
Je suis un putain de champ de ruines.

Elle frôle le rebord de la table du bout des doigts.
Un geste minuscule, mais je le vois. Et ce geste m’achève. Elle est là, mais elle flotte. Elle cherche un point d’ancrage. Et merde… je sais que ce point, c’est moi.

Et j’ai pas le droit de fuir ça.

Je serre la mâchoire. Je me retourne enfin.
Nos regards se croisent.

Le sien est un peu flou, un peu perdu. Mais elle me voit. Et je crois qu’elle me reconnaît. Pas comme “Azriel”, ce prénom balancé à moitié consciente dans une salle de bain vide.
Non. Elle me voit, moi.
Avec mes regrets, ma rage sourde, ma tendresse camouflée, mes souvenirs.
Avec ma peur immense de la blesser, encore.

Je m’approche. Tout doucement.
Mon cœur tape si fort qu’il me donne la nausée.
Elle ne recule pas. Elle ne bouge même pas.

Je tends la main, hésitant, jusqu’à frôler sa joue.
Sa peau est froide. Mais elle est là. Elle cligne des yeux, une larme suspendue au bord. Elle ne tombe pas.
Moi si.

Je tombe pour elle. Encore.

Je murmure, presque sans voix :
— Tu m’as fait peur, Seraphina.

Elle fronce à peine les sourcils. Ses lèvres tremblent.
Et elle dit juste :
— J’ai froid.

Je ne réfléchis plus. Je pose mes bras autour d’elle, avec lenteur. Comme une promesse. Comme un serment que je suis trop cabossé pour formuler, mais que je sens brûler sous ma peau.

Elle s’appuie contre moi. Léger. Fragile. Mais réel.
Et je me dis que je suis peut-être incapable de la sauver, que je suis peut-être la dernière personne qui devrait l’approcher…

Mais je sais une chose.
Je ne peux pas m’éloigner.

Pas d’elle.

Plus maintenant.

— Ne laisse pas ton cœur me choisir…je t’en supplie, soufflai-je dans un souffle trop fragile pour atteindre ses oreilles.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet