Chapitre 12 - Entre
Azriel, 22ans
L’atmosphère entre nous est presque électrique. Le silence dans la salle me pèse, mais je refuse de détourner les yeux. Elle, elle joue la carte de l’indifférence, mais je vois bien à quel point elle lutte. Tout chez elle me crie de m’approcher, de ne pas la laisser partir dans son mutisme.
Elle est concentrée sur son carnet, comme si c'était tout ce qui la retenait encore ici, mais je ne peux m’empêcher de la fixer. Elle évite mon regard, comme si elle avait peur que je vois ce qui se cache derrière cette façade. Et ça, ça me rend fou.
Je m’avance d’un pas, tout près d’elle. L’air devient plus lourd, plus intense. Je veux la faire céder. Je veux voir si elle va enfin briser ce silence, ce mur qu’elle a dressé autour d’elle.
Je me penche légèrement vers elle, ma voix basse mais tranchante, une pression palpable dans chaque mot.
— Regarde-moi et dis-moi qu’on est moins que des amis.
Elle tressaillit, je l’ai vu, même si elle tente de dissimuler la vague d’émotion qui traverse son corps. Mais je sais que j’ai touché quelque chose. Un point sensible.
Elle essaie de me fuir, ses yeux se détournent immédiatement, mais je la suis du regard, inébranlable. Cette fois, je ne vais pas laisser tomber. Je veux cette réponse.
— Dis-moi qu’on est moins que des amis.
Ma voix est plus ferme, presque imposante. Il n’y a plus d’échappatoire. Elle peut continuer à m’ignorer, mais ça ne changera rien. La tension entre nous est trop forte, trop palpable pour qu’elle puisse encore faire semblant.
Elle serre les dents, sa mâchoire se contracte. Je vois ses doigts se crisper sur le stylo. Elle essaie de rester calme, mais elle échoue.
— Seraphina…
Ce n’est plus un murmure, mais un avertissement. Elle ne bouge pas. Je me rapproche encore, le moindre souffle me fait la sentir plus proche, plus vulnérable.
— Regarde-moi, et dis-moi qu’on est moins que des amis.
Son regard fuit encore le mien, mais je vois ses lèvres trembler légèrement. C’est plus qu’une résistance, c’est un combat intérieur. Je sais qu’elle veut me repousser, mais qu’elle en est incapable. Elle n’a pas la force de continuer à mentir, pas devant moi.
Je ne vais pas m’arrêter tant qu’elle n’aura pas avoué, pas tant qu’elle n’aura pas brisé ce masque. Parce que je sais ce qu’il y a derrière. Et je vais l’obliger à le reconnaître, à l’admettre.
Je laisse le silence peser autour de nous, attendant, observant chaque petit mouvement, chaque infime changement. C’est une question de temps. Parce que je sais qu’elle ne pourra pas garder ce secret bien longtemps.
Le temps semble se suspendre, mon cœur battant à un rythme effréné. Il n'y a plus de distance entre nous, juste l'écrasante tension qui flotte dans l'air, brûlante et palpable. Chaque souffle, chaque mouvement est une promesse d’un moment où tout va basculer.
Je la regarde, son regard fuyant, sa respiration qui trahit son calme apparent. Elle est là, mais pas vraiment. Elle se débat avec quelque chose de plus grand, de plus profond. Et je suis là, juste devant elle, attendant que la muraille qu’elle a dressée autour d’elle s’effondre.
Je me penche légèrement en avant, mon corps proche du sien, trop proche. Un frisson court le long de ma colonne vertébrale, mais je n’y prête pas attention. Elle doit le dire. Elle doit admettre ce qu’il y a entre nous.
— Regarde-moi et dis-moi qu’on est moins que des amis.
C’est plus qu’une simple question. C’est une demande, un défi. Je veux que ce masque tombe. Que la vérité éclate enfin. Elle n’est pas si loin, je le sens.
Elle ferme les yeux, un soupir échappant de ses lèvres. Elle est perdue, entre son désir de résister et la vérité qu’elle sait qu’elle ne peut plus cacher. Je vois sa main se tendre légèrement vers la mienne, hésitante. C’est une invitation, et je ne la laisse pas passer. Je glisse ma main la sienne, tout en douceur, sans brusquerie, mais je tiens fermement.
— Seraphina, je murmure, presque un supplice. Dis-le, maintenant.
Elle sursaute à mon contact, mais elle ne me repousse pas. Pas cette fois. Elle reste là, figée, comme si elle cherchait les mots. Les seconds s’étirent, lourds de promesses et d’incertitudes.
Puis, enfin, elle lève les yeux, et cette fois, c’est différent. Elle me regarde. Pas avec l’indifférence qu’elle avait montrée jusque-là, mais avec une lueur que je ne peux pas ignorer. Cette lueur qui trahit tout.
Elle ouvre la bouche, mais rien ne sort. J’attends, suspendu à cette seconde qui semble durer une éternité. Et puis, son souffle se coupe, et d’une voix faible, mais teintée de cette même intensité, elle me dit :
— Tu sais très bien que tu n’es pas juste un ami.
Chaque mot me frappe comme une décharge électrique, et je sens la chaleur entre nous exploser. Cette confession, ces mots qu’elle a prononcés à voix basse, mais avec une telle force, me laissent sans voix.
Je la regarde, mon cœur battant plus fort que jamais, mais je n’ai pas le temps de répondre, pas tout de suite. Parce qu’à cet instant, tout autour de nous disparaît. Plus rien d’autre ne compte.
Elle vient de briser le silence, de mettre des mots sur ce que nous ressentons tous les deux, même si elle tente encore de le cacher sous des couches de résistance.
Je la garde contre moi, mon souffle se mêlant au sien. Le monde extérieur n’a plus d’importance. Tout ce qui existe maintenant, c’est elle, et ce que nous venons de révéler.
Les mots résonnent dans ma tête comme un écho, un rappel brutal de ce que nous avons toujours évité. "Tu sais très bien que tu n’es pas juste un ami."
Le silence après sa confession est plus lourd que tout ce qui a précédé. Je suis figé, mes pensées se bousculent, mais rien ne peut perturber cette vérité. Elle vient de briser la barrière, et maintenant, il n'y a plus de retour en arrière.
Je me penche légèrement, plus près d'elle, la regardant dans les yeux avec une intensité que je n'avais jamais laissée paraître.
— Alors pourquoi tu m’ignores encore ? Pourquoi tu fuis ?
Ma voix est plus basse, plus intime, chaque mot chargé d’une urgence qui me brûle. J’ai besoin de savoir. J’ai besoin de comprendre pourquoi elle continue à se battre contre ce qu’elle ressent.
Elle détourne le regard, mais cette fois, je vois la lutte dans ses yeux. Elle veut me repousser, mais il y a cette flamme au fond d’elle, une flamme qu’elle n’arrive pas à éteindre.
— Je ne fuis pas, Azriel, murmure-t-elle, presque trop bas pour que je l’entende.
Je fronce les sourcils, me penchant encore plus près, ne la laissant pas fuir. Je veux qu’elle me parle. Qu’elle m’explique. Parce que je suis fatigué de ce jeu silencieux.
— Ne mens pas. Tu te caches derrière ton silence, mais je vois bien ce qui se passe. Pourquoi tu n’acceptes pas ce qu’on est tous les deux ?
Elle ferme les yeux un instant, comme si chaque mot me rapprochait un peu plus d’un point de non-retour. Quand elle les rouvre, je peux y lire une guerre intérieure. Elle lutte contre quelque chose, mais je sais qu'elle ne peut pas tenir encore longtemps.
— Parce que... parce que c’est plus compliqué que ça. Sa voix tremble légèrement, et j’entends la vulnérabilité qu’elle essaie de cacher. Parce que je suis perdue, Azriel.
Je fronce les sourcils, cherchant à comprendre. Perdue ? Ce mot, cette admission… ça me déstabilise. Pourquoi ? Pourquoi se sent-elle perdue ?
— Perdue ? Tu n’es pas perdue, Seraphina. Je laisse mes doigts effleurer doucement sa main posée sur la table, un contact léger, mais suffisant pour faire battre son cœur plus fort. Tu sais exactement ce que tu ressens. Ce que je ressens.
Elle sursaute à mon geste, mais elle ne se retire pas. Son regard se baisse à nouveau, incapable de me confronter.
— Je… je ne sais pas ce que je veux, Azriel. Pas maintenant. Pas avec tout ça. Elle parle plus rapidement, comme si elle essayait de se convaincre elle-même. Je suis déjà trop… trop dans ce jeu.
Je secoue doucement la tête, ma main glissant lentement pour s'emparer de la sienne, fermement cette fois.
— C’est pas un jeu, Seraphina. C’est nous. C’est ce que tu as essayé de nier, de cacher, mais je vois bien que ça ne marche plus. Alors pourquoi tu t’accroches à cette façade ?
Elle serre les dents, visiblement en proie à une tempête intérieure. Mais elle ne me retire pas sa main, elle laisse mes doigts s’entrelacer avec les siens, malgré la lutte qu’elle mène contre elle-même.
— Je t’ai dit… Elle s’arrête, la voix tremblante, presque incertaine. Je suis trop faible pour ça. Je suis trop faible pour toi.
Je la regarde un instant, me penchant doucement vers elle, mes lèvres effleurant presque les siennes. Mon souffle se mêle au sien, la tension entre nous atteignant un sommet.
— Tu n’es pas faible, Seraphina. Ma voix est plus douce maintenant, presque un murmure. Tu n’es pas faible pour moi. Tu es tout le contraire. Mais tu te mens à toi-même si tu crois que tout ça va disparaître en t’éloignant.
Elle fronce les sourcils, une étincelle de défi dans ses yeux.
— Et toi, Azriel ? Tu crois vraiment que tout va se régler comme ça ? Sa voix s’élève légèrement, tremblante d’émotion, mais toujours pleine de cette résistance. Tu crois qu’on peut juste… être ensemble, sans que tout le reste compte ? Sans que tout ça nous explose à la figure ?
Je secoue la tête, un sourire amer se dessinant sur mes lèvres.
— Je n’ai jamais dit que ce serait facile. Mais je ne vais pas te laisser fuir.
Ses yeux se plantent dans les miens, et dans son regard, je vois l’étreinte fragile de l’incertitude et du désir. Elle veut céder. Elle veut me laisser entrer dans son monde, mais elle a peur de ce que cela pourrait signifier.
Je la tire doucement vers moi, mais cette fois, je ne force rien. Elle ne résiste pas. Pas complètement. Elle est là, juste assez près pour que je puisse sentir son souffle, assez proche pour que je puisse frôler ses lèvres sans les toucher.
— Tu as peur, Seraphina. Mon souffle effleure sa peau, doux, presque caressant. Mais je te promets que tu n’as pas à avoir peur de moi. Pas de nous.
Elle ferme les yeux, un soupir échappant de ses lèvres. Elle n’a plus de mots. Plus d’échappatoire.
Et finalement, dans un souffle, tout s’effondre.
— Je ne sais pas si je peux… Elle hésite, son corps si près du mien qu’on pourrait croire que le moindre mouvement va nous faire basculer.
— Tu peux. Mon souffle est chaud contre ses lèvres, mes mots se mêlant à la tension qui nous entoure. Je suis là, Seraphina. Je suis là, et je ne partirai pas.
Et avant qu’elle ne puisse répondre, je suis tout près, mes lèvres frôlant les siennes, un baiser suspendu dans l’air, comme une promesse.
Je sens son regard sur moi. Toujours. Même quand elle détourne les yeux, même quand elle joue à l’indifférente. Elle brûle. Et je brûle avec elle.
— Tu continues à m’ignorer, je souffle, le ton plus bas qu’un murmure.
Elle ne répond pas. Elle écrit quelque chose sur son cahier qui n’a probablement aucun sens. Ses doigts tremblent à peine. Elle se croit invisible. Mais je vois tout.
Je me penche vers elle, juste assez pour sentir l’odeur de sa peau. Juste assez pour qu’elle ne puisse pas fuir.
— Dis-moi ce que je t’ai fait. Dis-moi pourquoi tu me regardes comme si j’étais une erreur.
— Je ne te regarde pas.
— Tu me fuis, Seraphina. Mais ton silence hurle plus que des cris.
Elle relève enfin les yeux, sèche, glaciale en apparence.
— On n’est rien. Tu t’inventes des choses.
Je serre la mâchoire.
— Regarde-moi et dis-moi qu’on est moins que des amis.
Elle ne répond pas. Elle me fixe, mais ses yeux tremblent. Elle est en train de construire un mur, je le vois. Et moi, je cogne contre.
— Regarde-moi, je répète. Dis-le. Si tu peux.
Elle hésite. Sa gorge se contracte. Mon cœur tambourine dans mes tempes.
— On… est moins que des amis.
Mais sa voix est si basse. Si fausse. Elle sonne creux.
— Tu mens.
— Tu crois savoir, Azriel. Mais tu sais rien.
— Alors explique-moi. Parce que chaque fois que tu m’évites, ça me détruit un peu plus.
Elle se redresse légèrement, le visage toujours impassible, mais sa main serre son stylo jusqu’à ce que ses jointures blanchissent.
— J’ai pas envie de te détruire avec moi. J’ai pas envie que tu sois une autre victime de ce que je suis.
— Je ne suis pas là pour fuir. Je suis là pour comprendre. Pour rester.
Silence. Elle me fixe, et pendant une seconde, j’ai l’impression que le monde entier s’est arrêté autour de nous.
— Tu devrais partir, dit-elle.
Je secoue la tête.
— Je peux pas. Pas tant que tu continues à prétendre que t’as rien ressenti quand je t’ai frôlée dans ce couloir. Que t’as rien ressenti là, maintenant, à cet instant.
Je suis si proche d’elle qu’un simple mouvement ferait éclater la tension. Mais je ne bouge pas. Je n’ose pas.
Elle inspire, longue, tremblante.
— Je t’en veux, murmure-t-elle.
— Pourquoi ?
— Parce que tu me vois. Vraiment.
Elle baisse les yeux. Je tends la main, mais je ne la touche pas. Je reste suspendu à ce fil fragile entre elle et moi.
— Laisse-moi te voir encore, Seraphina. Laisse-moi entrer.
Et elle ne dit rien. Mais elle ne s’en va pas.
Et pour l’instant, ça me suffit.
Elle reste là. Immobile. Mais je sens qu’à l’intérieur, tout s’effondre.
Je la connais assez pour savoir que quand elle se tait, c’est qu’elle hurle.
— Pourquoi tu restes ? souffle-t-elle enfin. Pourquoi tu t’acharnes ?
Je retiens un rictus amer. Parce que je suis déjà trop loin pour reculer. Parce qu’elle m’a pris sans même le vouloir. Parce que plus rien d’autre ne semble réel quand elle n’est pas là.
— Parce que t’es la seule chose qui ait du sens, Seraphina.
Son souffle se bloque. Ses pupilles se dilatent à peine. Juste assez pour me prouver qu’elle n’est pas aussi indifférente qu’elle prétend.
— Tu ne devrais pas dire ça.
— Et toi, tu devrais arrêter de faire semblant.
Elle serre les dents, détourne à nouveau les yeux. J’avance d’un pas. Pas assez pour la toucher, mais assez pour qu’elle sente que je suis là. Vraiment là. Et que je ne bougerai pas.
— Tu fais ça avec tout le monde ? demande-t-elle, plus sèche. T’approcher, jouer au type torturé, juste pour qu’on s’attache ?
Je lâche un rire sans joie.
— Tu crois que je joue ? Que j’ai choisi d’être obsédé par toi ? J’ai essayé, Seraphina. Je te jure que j’ai essayé de pas te regarder. De pas te chercher dans chaque foutue pièce. De pas t’attendre quand tu t’éloignes. Mais t’es là. T’es partout.
Elle déglutit, le menton haut, comme si elle luttait pour garder son masque en place. Mais ses yeux la trahissent. Ils brillent. Ils supplient presque.
— Arrête.
— Regarde-moi et dis-le. Dis que tu ressens rien. Dis que je te fais rien.
Elle me regarde. Et pendant une seconde, je crois qu’elle va le dire. Qu’elle va détruire ce qu’il reste.
Mais elle ne dit rien.
Elle ouvre la bouche. Referme. Ses yeux brillent dangereusement.
— Tu ne sais pas ce que tu demandes, Azriel.
— Je te demande la vérité.
Elle recule à peine. Un souffle. Une hésitation. Puis elle murmure, d’une voix basse et fêlée :
— La vérité, c’est que tu me rends faible.
Son aveu me frappe en plein cœur.
— Et moi, c’est toi qui me rend vivant.
Elle ferme les yeux. Inspire. Son corps entier semble lutter contre elle-même. Et puis elle dit, presque trop vite :
— Si je te laisse entrer, tu verras des choses que tu ne pourras plus oublier. Et je refuse de t'abîmer.
Je me penche, à quelques centimètres de son visage, mon regard ancré dans le sien.
— Trop tard, Seraphina. Tu m’as déjà abîmé.
Et cette fois, c’est elle qui reste figée. Les mots l’atteignent. Elle ne répond pas. Pas tout de suite.
Alors je recule. D’un pas.
Je la laisse avec ses tempêtes.
Mais avant de tourner les talons, je glisse doucement :
— Je t’attendrai. Même dans les flammes.