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Chapitre 16

    Ergo se redressa la tête lourde. Tout autour de lui les sons et les odeurs se mélangeaient en un amas qu'il ne parvenait plus à comprendre. Il voyait des arbres. Des arbres ? Ils tournaient sans cesse, se confondaient les uns les autres à n'en plus savoir où était ni le haut ni le bas. Dans sa démarche hésitante, il sentit son estomac se soulever et le peu qu'il avait eu la chance de manger ces derniers temps se déversa à ses pieds en une flaque visqueuse que les mouches s'empressèrent d'envahir. 

    Peu à peu, ses yeux parvinrent à s'accrocher au décor dansant alentours. Il s'arrêta sur une forme qu'il reconnut difficilement. 

    Face à lui, Maelys se tenait accroupie, les mains prostrée sur son ventre. Visiblement, il n'était pas le seul à souffrir de nausées. A ses côtés se tenait le vieil homme, une main apaisante posée sur l'épaule de la jeune fille. Il lançait des regards affolés autour de lui, comme s'il venait de s'extirper d'un long et effroyable rêve et que la seule chose qu'il comprenait de son environnement était la petite fille qu'il avait bercée lorsqu'elle était enfant.

    Quelques instants plus tard, Maelys se redressa enfin. Des larmes de joie perlaient ses grands yeux bleus et elle hésita un instant à sauter dans les bras de son père qu'elle retrouvait enfin, comme si elle eût craint de le voir disparaître au moindre de ses mouvements.

    Puis tout se défigea. On entendit les pleurs de la gamine, bientôt suivi par la voix emplie d'émotion de Sophie qui accourut vers son amie.

    Non loin d'eux, Adélaïde et Eléna souriait face à la scène malgré le regard triste qui pleurait en silence la perte de leur camarade. Quelque part on entendit Zéro rire à gorge déployée, galvanisé par l'euphorie générale des retrouvailles. Ergo esquissa un sourire à son tour sans comprendre pourquoi. Les lueurs les avait attaqués, tout le campement d'adepte devait être à leurs trousses en cet instant et ils n'avaient aucune idée d'où ni comment ils avaient atterris ici. Et pourtant il souriait de toutes ses dents, sans pouvoir s'en empêcher. 

    Il souriait car pour la première fois depuis bien longtemps, l'espoir l'avait emporté sur le reste. En ce jour, Ergo comprit qu'ils n'étaient plus ces êtres dénués de volonté, condamnés à attendre la mort sous terre. Ils venaient de prouver qu'ils étaient capables de renverser cette prison millénaire. Peu importait s'il en ressortait vivant ou non ou s'il se transformait avant d'avoir réussi, il n'aurait de cesse de poursuivre cet objectif jusqu'à ce que ces murs de terre explosent sous la colère des centaines d'âmes enfermées.

— Il faut y aller, coupa-t-il à contrecœur. Il ne leur faudra pas beaucoup de temps pour nous retrouver.

    Adélaïde acquiesça vivement. Elle sentait encore le bourdonnement sourd des adeptes dans un recoin de sa tête. Pour l'heure ils ne semblaient pas avoir retrouver leur trace, mais Ergo avait raison, le temps leur était compté.

— Sans oublier les lueurs, reprit-elle. Si ce que vous dîtes est avéré, elles sont possiblement à nos trousses à l'instant même afin de vous récupérer monsieur.

— S'il vous plait, appelez-moi Adrien. Après tout je vous dois d'avoir retrouvé ma vie et mon autonomie...

    Il observa sa petite fille qui se relevait à ses côtés, si vaillante malgré les sillons de saleté tracés par les larmes.

    Il attrapa son visage entre ses mains calleuses et ridées.

— Malheureusement ma fille, dans cet état je ne pourrai plus te venir en aide.

— C'était bien toi ! s'exclama-t-elle dans un sanglot. Je savais que ces marguerites n'étaient pas le fruit du hasard !

— Comment avez-vous pu ? questionna Adélaïde avec une incompréhension visible. Les rêveurs ne sont normalement pas dotés d'un autonomie suffisante pour créer à leur guise.

    Adrien Lechânet soupira. Ses joues et ses muscles creusés par les jours d'inertie le rendaient famélique.

— Je ne saurais dire... J'ai l'impression de m'être extirpé d'un rêve incroyablement réaliste. J'ai conscience d'avoir créé des environnements, des objets... 

    Il sembla se perdre dans ses pensées, comme s'il cherchait un mot inexistant pour exprimer ce qu'il avait vécu.

— Un jour j'ai vu... Non, j'ai senti ta présence Maëlys, et de toute mon âme j'ai souhaité te venir en aide. 

    Il soupira, las.

—  Tout ce que je suis parvenu à confectionner pour toi sont ces misérables fleurs...

— Et ce qu'il s'est passé dans les limbes ? demanda Maëlys. Le sol s'est transformé sous nos pieds pour nous protéger du raz-de-marée qui fonçait sur nous.

    Le vieillard secoua la tête. 

— Je suis navré ma fille. Mais cet évènement n'est pas de mon fait...

— Mais alors qui ? souffla-t-elle les yeux plein d'interrogations.

    Adélaïde coupa court à la conversation.

— Peu importe à qui nous le devons, assura-t-elle, nous aurons l'occasion de le remercier une fois tirés d'affaire. Nous devons nous hâter. Je n'ai aucune idée d'où cette forêt peut nous mener, mais il faut que nous la quittions pour retrouver un semblant de civilisation dans laquelle se camoufler.

    Le groupe marchait d'un pas rapide quand il atteignirent une clairière parsemé d'humus et de petites fleurs bleues piquetées ça et là. Tout au bout le sol se dérobait en une falaise vertigineuse de laquelle Ergo s'approcha, vite rejoint par ses camarades.

— Impossible de descendre par ici, jaugea-t-il en lançant une pierre d'un coup de pied.

    Le caillou rebondit vigoureusement sur la paroi de terre avant de se perdre dans les méandres noires du puit sans fond. 

— On croirait le fossé, chef, constata Zéro. Peut-être qu'on est de l'autre côté ? Celui qui va pas vers la Caverne, je veux dire.

— Difficile à dire Zéro, cette endroit n'a aucune logique. Et puis la Caverne n'existe plus de toute façon, nous n'y trouverons personne.

— Nous ferions mieux de nous reposer quelques temps ici, proposa Eléana.

    Avec l'aide de Maelys, elle soutenait le vieillard aux membres fatigués. Le pauvre homme était extenué de ce voyage après les sévices et les privations qu'il avait connus.

— Je vais voir si je trouve quelque chose à manger, déclara la guerrière en déposant son aïeul sur un tronc.

    Sophie se porta volontaire pour l'accompagner, ce qu'elle accepta volontiers. Depuis leur rencontre, les deux femmes avait liée une amitié nouvelle et Sophie s'abreuvait de tout ce qu'Eléana avait à lui apprendre.

    Dans le calme ambiant qui régnait, la respiration saccadée du vieillard sonnait comme un glas aux oreilles de sa fille. Adrien Lechânet lui offrit un regard plein d'amour. La peau de sa fille avait perdu de son éclat, comme la plupart des personnes prisonnières du simulacre de lumière qui baignait constamment ces souterrains maudits. Ses yeux clairs si caractéristiques d'ordinaire ajoutaient aujourd'hui à la pâleur de son visage. Il pleura intérieurement face au sourire sans joie que lui renvoya sa petite fille. Retrouverait-elle un jour la flamme qui l'animait jadis, déjà bien amoindrie par l'absence pesante de sa mère ?

    Quelques instants plus tard, Sophie arriva les bras chargés de petits bois. Zéro l'accompagnait, une buche traînée nonchalamment sur le sol.

— Eléana pense pouvoir chasser du petit gibier ici, annonça Sophie en rassemblant son paquetage au sol. Elle nous a demandé de préparer un âtre pour le feu. 

    Zéro balança sans douceur son morceau de bois sur le tas de brindille fragile. Il baissa la tête lorsque Sophie lui lança un regard courroucé, ce qui fit sourire Maelys et son père. 

— Où sont passés les autres ? demanda-t-elle alors.

— Le chef et l'autre gars surveillent les environs au cas où, lança Zéro. Mais moi je reste là pour vous protéger.

    D'un geste brusque, il frappa son gourdin sur la paume de sa main, un regard mauvais dirigé vers les alentours en quête d'un individu assez fou pour venir se frotter à lui.

    La discussion se tut rapidement, chacun vaquant à ses occupations.

    Ils ne remarquèrent pas immédiatement la sombre silhouette qui se profilait à l'orée de la forêt.

***

    Eléna observa le lapin qui gambadait discrètement entre les arbres. Son arc bandé suivait sa proie au rythme de ses sautillements. Elle inspira longuement, se concentra, et desserra les muscles de sa main afin d'en libérer la flèche. Le projectile se flanqua dans la terre avec un son mat, et l'animal s'enfuit en courant hors de portée.

    La jeune guerrière ragea intérieurement et Ergo profita de cet instant pour s'approcher.

— Besoin d'un coup de main ? demanda-t-il sans raillerie.

    Eléna sursauta, elle ne s'était pas attendue à ce que quelqu'un se trouvât derrière elle, toute sa concentration était focalisée sur sa proie et elle se sermonna de n'avoir pas été plus attentive. Si Ergo avait été un des adepte, elle serait très certainement morte en plus d'avoir loupé son tir...

— Tu es là depuis longtemps ? questionna-t-elle tout de même.

— Quelques minutes, j'ai préféré attendre que tu tires avant de venir.

— Comme tu peux le voir je ne suis pas la meilleure archère qui soit...

    Ergo haussa les épaules, son air constamment désintéressé collé au visage.

— J'ai jamais tenu d'arc de ma vie, je ne vais pas juger...

    Il observa les alentours d'un air inquisiteur, comme s'il s'atendait à voir à tout moment débarquer une horde de lueur, ou d'adepte, ou que le décor ne se mît à trembler afin de se modifier. Plus rien ne l'étonnait et, quand il y songeait, tout ici devenait un danger potentiel.

— Rory a trouvé quelques fruits, il nous attend un peu plus loin, annonça-t-il en désignant l'est.

    Un bruit sec résonna proche de lui et il faillit tomber à la renverse sous la surprise. Leurs tête se tournèrent simultanément vers le son de l'impact, et la panique s'afficha sur leur visage. 

    Un flèche.

    Ils eurent à peine le temps de réagir qu'un second projectile se fiche au sol.

— Les adeptes ! cria Eléna pour qui la discrétion n'était plus du tout de mise.

    Les deux camarades se plaquèrent à l'arrière d'un tronc dans l'espoir de se protéger. Peu de flèches tombaient au sol, il ne devait pas y avoir beaucoup d'archers mais Ergo ne doutait pas que d'autres adeptes les attendaient de pieds ferme afin d'en finir avec eux.

— Va prévenir Adélaïde et Rory, ordonna-t-il à la guerrière. Je rejoins les autres pour les alerter !

    Eléna acquiesça vivement avant de s'élancer à toute vitesse à travers les arbres massifs.

    Ergo lança un regard rapide derrière lui, quelques mètres plus loin plusieurs adeptes s'élançaient dans sa direction, arme au poing. Il jura farouchement puis s'élança à son tour dans l'espoir d'avertir ses camarades avant qu'il ne fût trop tard.

***

     Sophie cria sous la surprise. Tous les regards s'étaient tournés à l'unisson vers la zone qu'elle pointait du doigt sans pouvoir sortir un mot de plus.

    La haute silhouette s'approchait d'un pas calme et mesuré. Son visage vieilli était parcouru de cicatrices témoins de la violence de sa vie jusqu'à aujourd'hui. Il portait un long manteau gris d'une qualité bien supérieure à ce que l'on pouvait trouver dans les villes souterraines.

    Maelys et Adrien s'étaient levés à leur tour, la jeune fille soutenait son paternel du mieux qu'elle pût tout en gardant un œil avisé vers l'inconnu. Devant eux, Zéro tapotait déjà son arme, l'air menaçant.

— C'est lui ! avertit Adrien la voix cassée. Celui qui m'a endormi à mon arrivée. C'est un gardien !

    Le visage de Maelys se décomposa à ces mots. Elle se souvenait encore de leur rencontre avec le premier gardien et du combat qui avait failli ôter la vie à Ergo. Que pouvaient-ils faire ? Seul Zéro était réellement en mesure de tenir tête à leur ennemi. Sophie avait extirpée son couteau d'une main tremblante et le tenait devant elle, si le gardien décidait de s'attaquer à elle, aucun doute qu'il serait capable de la réduire en miette en quelques instants.

    Maelys observa les alentours à la recherche de l'épée lumineuse. Elle gisait à côté d'elle contre le tronc d'arbre couché qui leur servait de siège l'instant plus tôt. Elle réfléchit intérieurement à ses chances de l'utiliser. Son poids bien trop lourd pour elle pesait encore dans ses mains.

    Le gardien poursuivait son avancé, du pas tranquille de celui qui savait sa proie esseulée et prise au piège.

    D'un geste soudain incongru, ses applaudissements résonnèrent dans la clairière.

— Et bien ! Déclara-t-il d'une voix aussi grêlée que son visage. Je dois admettre que vous n'êtes pas aisément supprimable.

    Zéro s'approcha à son tour, son gourdin pointait en direction de l'individu. Il ne fallut qu'un claquement de doigts pour que le sol ne se mît à trembler. Soudain, la terre aux pieds de Zéro se déchira. Il ne dut son salut qu'un à reflexe qui l'envoya valser sur le côté. A sa place ne subsistait qu'un creux qui, s'il n'était pas immense, aurait très bien pu coincer le grand dadais qu'était Zéro. 

— Je me suis déjà suffisamment épuisé à tenter de vous éliminer, gronda le gardien en colère. Ne me pensez pas toutefois incapable de recommencer mon petit numéro dans les confins.

— C'était vous ? comprit Maelys avec surprise.

    Le gardien prit un air hautain face à la question de la petite créature insignifiante qui lui avait déjà résisté.

— Et qui d'autre en serait capable selon vous ? Un rêveur peut-être ?

    Son rire criard résonna dans toute la clairière.

— Ce que je ne comprends pas en revanche, est la raison de votre survie. A moins bien sûr que cette traitresse d'Adélaïde ait acquis plus de pouvoir qu'elle ne le méritait.

— Qu'avez-vous fait d'eux ? demanda Sophie qui avait aidé Zéro à se relever avant de se placer derrière lui.

— Ne vous inquiétez pas, ils ont suffisamment à faire avec les adeptes, et je n'aurais aucun mal à me débarrasser de vous à présent.

    Ses mains se levèrent d'un geste rapide et précis et le sol se disloqua à nouveau. 

    Maelys sentit la terre se soulever sous ses pieds, d'une puissance telle qu'elle en partit à la renverse. Elle remarqua du coin de l'œil ses deux camarades subir le même sort. Le sol accueillit brutalement son dos, et elle ne put qu'admirer sa fin alors qu'un amas de roche et de pierre s'abattait sur eux. Seuls quelques cailloux parvinrent à toucher son visage et, lorsqu'elle ouvrit à nouveau les yeux, son père se tenait au dessus d'elle, bras tendus. Tout autour d'elle, la masse de terre et de roche s'était éparpillé en un amas concentrique. 

    Adrien vacilla sous l'effort, des gouttes de sueur coulaient de son visage amaigri.

— Vite, souffla-t-il. Il me reste encore quelques pouvoirs de rêveur, mais je ne pourrai pas vous protéger longtemps...

    Maelys réfléchit à toute vitesse. Quand bien même son père parvenait à les protéger quelques instants, ils ne réussiraient jamais à fuit avant que toutes ses forces ne le quittât. Elle devait agir, gagner du temps en espérant qu'Adélaïde, Rory, Ergo et Eléna pussent les rejoindre et leur venir en aide.

    Sans réfléchir davantage, elle attrapa la lourde épée et parvint tant bien que mal à se relever.

— Fais ce que tu peux papa, mais reste caché. S'il t'arrive quelque chose, nous sommes fichu.

    Adrien lança un regard plein d'amour et de regret envers sa petite fille. Il hocha la tête lentement, son air résigné suffisait à prouver qu'il donnerait sa vie s'il le fallait.

    Elle s'élança à toute vitesse, prête à mener un combat titanesque pour leur survie.

***

    La flèche ne manqua pas sa cible. Un homme s'écroula dans un cri de douleur à en percer les tympans.

    Adélaïde venait d'abattre le dernier des archers lorsque que quatre adeptes les avaient entourés. Dos à dos avec Rory, les coups fusaient dans l'air, lame contre lame. Rory parvenait difficilement à maintenir son opposant à distance. La fatigue le gagnait avec rapidité et, bien qu'il eût déjà eu l'occasion de participer à un combat, jamais il n'avait fait face à autant de hargne et de désir de tuer. L'assaillant frappait sans relâche, conscient de sa capacité à affaiblir son adversaire rapidement. La lame de Rory parvint tout de même à se flanquer dans le torse de l'adepte, au niveau de l'épaule. Adélaïde en profita pour l'envoyer valser contre un arbre sur lequel il s'assomma. 

    Une ouverture se profila tandis que les trois autres adeptes s'apprêtaient à leur sauter dessus.

— Repli-toi ! ordonna-t-elle à Rory. Va protéger Maëlys !

    Elle n'eut le temps de poursuivre que ses assaillant avancèrent avec rage. D'une condition bien supérieure à celle de son camarade, Adélaïde enchaînait les coups sans faiblir ni chanceler malgré les bleus que son corps commençait à afficher. Du sang coulait de son arcade où un adepte lui avait asséné un coup qu'elle n'avait pu dévier que grâce à ses réflexes. La pommeau l'avait tout de même percuté avec force. Elle parvint à éliminer le second gardien lorsque le troisième se lança à l'assaut avec hésitation.

    La flèche qu'il reçut en plein torse le stoppa net dans sa course.

    Adélaïde se retourna vivement, prête à se lancer de nouveau à l'assaut s'il s'avérait que ce tir n'était autre qu'un lancer manqué lui étant destiné. Quelques mètres plus loin, Eléna se tenait droite, le torse soulevé par ses respirations saccadées.

— Ergo est parti retrouver les autres. Venez ! D'autres adeptes arrivent par l'est !

    Adélaïde et Rory s'élancèrent, sans même un regard pour les trois adeptes laissés au sol. 

    Ils perçurent au loin les cris menaçant de leurs assaillants, bien décidé à les arrêter coûte que coûte.

***

    Maëlys hurla lorsqu'un arbre s'élança vers elle avant de se fendre dans un craquement sinistre qui lui vrilla les oreilles. Le sol se souleva une nouvelle fois et, malgré les tentatives de son père, la jeune fille alla rouler le long de la longue pente nouvellement créée. L'épée qu'elle tenait fermement lui échappa des mains et valsa plus en aval sans qu'elle ne put la rattraper. 

— L'épée ! hurla-t-elle une fois à terre, ses muscles endoloris peinant à la relever.

    Sophie s'élança à son tour, elle empoigna l'arme d'une main ferme avant de courir vers leur assaillant. Non loin de lui, Zéro s'était approché alors qu'il essayait avec acharnement d'éliminer la jeune fille en possession de la lame qui avait mis fin aux jours de son camarade gardien.

    Le coup le frappa à l'arrière du crâne et, s'il chancela lourdement, il parvint tout de même à user de son pouvoir afin de riposter. Zéro manqua de peu le rocher qui vola vers lui d'une roulade hasardeuse.

    Sophie arriva en hurlant, elle voyait là sa seule chance d'en finir. Hélas, le gardien, dans un cri de rage, l'envoya valser en soulevant le terre sous ses pieds. 

    Maëlys courut à sa rescousse, la jambe douloureuse de sa chute. Elle s'assura du bien-être de son amie avant de chercher du regard.

— Là ! s'écria Sophie en pointant l'arme du doigt.

    Un coup d'œil vers leur assaillant leur appris que celui-ci s'était relevé et se préparait à lancer un nouvel assaut. C'était sans compter sur Zéro qui l'assaillait à présent sans relâche. Ses poings volaient en tout sens. Il maintenait le gardien en respect par sa seule force physique, l'empêchant par ses coups de lui offrir la possibilité d'utiliser son pouvoir.

    Leur combat les avait amené au bord du précipice, Zéro se tenait au dessus du gardien, ses poings lui martelaient le visage. Maëlys espérait qu'il parvînt à le maintenir le temps qu'elle pût amener l'épée jusqu'à eux afin de lui asséner le coup final.

    Les deux amies s'élancèrent sans attendre. 

    Le gardien se débattait comme un diable, il parait la pluie de coup que lui assénait Zéro. Une lueur inquiétante brillait dans le regard de leur camarade, comme si toute la haine et la rage qu'il avait contenue jusque maintenant se déversait en cet instant précis.

— Zéro ! hurlèrent les deux amis à l'unisson alors qu'elle lançait d'une seule et même force l'épée dans sa direction.

    Un regard empreint de colère se tourna cers elle, mais le grand blond attrapa tout de même l'arme et, d'un habile moulinet suivi d'un cri de fureur, la planta sans retenu dans le corps déjà meurtri du gardien.

    Un flot de sang lui remonta de la bouche. Il voulut saisir l'épée mais Zéro le maintint au sol, son regard bleuté planté dans ses yeux. 

    Un gargarisme s'extirpa de sa gorge entre deux soubresauts, et un rire gras de sang incontrôlable lui échappa alors que la vie le quittait petit à petit.

— Quel dommage... cracha-t-il en fixant son assassin. Si proche du but...

    Son petit rire gargouillant se stoppa net lorsque Zéro remonta la lourde épée. Les yeux du gardien se voilèrent finalement, éteint à jamais.

    Un deuxième gardien était vaincu, malgré tout Zéro ne desserrait pas sa poigne de l'arme. Les deux jeunes filles s'approchèrent lentement de leur ami, sa respiration haletante résonnait dans le silence qui suivait l'assaut.

— Zéro ? demanda doucement Sophie en apposant une main amicale sur son épaule.

    Le hurlement de rage qu'il lança lui fit froid dans le dos.

    Zéro se redressa d'un geste vif, les mains sur le visage. Son corps était prostré comme pris d'une douleur insupportable. Et sa respiration toujours plus haletante, toujours plus rauque...

— Par... éructa-t-il avant d'être atteint d'un nouveau spasme.

    Les larmes montaient aux yeux des deux amies qui ne comprenaient rien au mal dont était victime celui qui les avait sauvées du gardien.

— Zéro ? Qu'est-ce qu'il se passe ? insista Sophie en s'approchant davantage.

    Sa main effleura le bras du grand blond qui partit en arrière d'un geste brusque. Le coup vola sans crier gare et Sophie se retrouva à terre, le visage figé en une mimique de surprise, de crainte et de tristesse.

— Me touche pas ! hurla Zéro.

    Sa voix était devenue rocailleuse et inhumaine, comme si ses cordes vocales n'étaient plus à même de prononcer le moindre son. Comme si seul un beuglement de rage pouvait à présent s'extirper de ces lèvres.

    De longs spasmes agitèrent à nouveau leur ami, et son visage apparut quelque instants. Sa peau déjà blanche de son temps sous terre avait pris une teinte grisâtre, ses yeux rougis avait perdu leur éclat bleuté et enfantin qui le caractérisait.

    Une vive douleur éclata dans le cœur de Maëlys lorsqu'elle comprit enfin ce qu'il se passait sous leurs yeux.

— Zéro ! soupira-t-elle d'une voix larmoyante. Depuis combien de temps es-tu sous terre ?

    Question vide de sens, Zéro poussait un nouveau cri inarticulé tandis que sa tête volait en tout sens. A côté de Maëlys, Sophie implorait son grand benêt d'ami.

— Reste avec nous Zéro ! Je t'en supplie !

    Elle se releva à nouveau. Les deux jeunes filles s'approchèrent sans aucune hésitation, prête à venir en aide à cet être si particulier dont elle avait pu voir l'énorme cœur qui se cachait sous ses muscles et son regard niais.

    Mais Zéro hurla de plus bel, il se précipita vers les deux amies qui reçurent chacune un violent coup de poing qu'il ne sut retenir. Il se prit la tête entre les mains, tiraillé entre un combat intérieur qu'il se savait être entrain de perdre. Il esquissa un nouveau geste furieux vers les deux filles, avant de se raviser malgré la douleur que cela lui coutait. 

    Un dernier regard vers elle, et ce qu'il restait de Zéro courut vers le bord du gouffre. 

    Personne n'eut le temps de réagir. Les ténèbres accueillirent ce qu'il restait du pauvre homme lorsqu'il s'éjecta avec force dans le vide.

***

    Ergo arrivait en courant lorsque le cri de rage de son camarade résonna dans les bois. Son arrivée en trombe à l'orée de la forêt ne lui offrit qu'un spectacle qui lui déchira le cœur. Son ami de longue date n'était plus. Il eut à peine le temps de remarquer les marques du changement sur son corps qu'il le vit disparaître dans les abîmes.

    Le pauvre homme tomba à genoux, une douleur bien plus grande qu'il ne l'aurait cru lui prit au ventre et avec ça, le vide. Celui de son ami qui avait emmené un peu de lui dans sa chute.

    Il allait hurler quand le sol se mit soudain à trembler avec violence. Sa main s'adossa au premier arbre qu'il vit, il le souvenait vaguement du séisme qui avait suivi la mort du premier gardien, mais celui là était bien plus violent.

    Un horrible craquement se fit entendre, celui de la terre elle-même qui se fissurait en pétarade ininterrompue.

    Il hurla, un cri d'alerte qui ne parvint pas à couvrir le vacarme. Il croisa le regard des deux gamines loin de lui avant de sentir le sol se soulever sous ses pieds. 

    Ergo tomba à la renverse en attrapant du mieux qu'il le put la souche apparente de l'arbre qui se déracinait sous la violence du choc.

    Lorsqu'il se releva enfin, il n'eut que l'obscurité pour seule horizon.

    Plus rien ne subsistait face à lui. Il entendait encore le vacarme de la falaise qui dégringolait dans l'abîme, emportant avec elle les corps de Maelys, son amie de toujours Sophie, et son père Adrien.

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