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Chapitre 19

    Blanc et noir. Lumière et ténèbres. Les marguerites ornaient le chemin sur un sol terreux et aride. Leur existence même défiait la logique et les règles de la nature. Pourtant le groupe voguait dans ce champs d'une blancheur immaculée qui formait un chemin à travers les landes désolées et obscures du confins. La lueur survolait l'ensemble tel un soleil miniature en fin de vie. Son aura blanchâtre n'en rendait les pétales que plus éclatants. Parfois le chemin paraissait prendre une tournure différentes, et les fleurs s'étiolaient successivement comme si elles ne subsistaient que grâce au groupe compact qu'elles formaient, laissant les fleurs en périphéries faner et se flétrir peu à peu. Les trois compagnons bifurquaient alors afin de retrouver le chemin verdoyant qui les menait toujours plus profondément. Aucun ne parlait, le silence omniprésent se brisait par intermittence lorsque quelques bulles de lumière explosaient au loin. Plusieurs fois elles leurs apparurent si près qu'ils purent en observer les moindre détails. Une fois la bulle éclata sur eux, les menants en plein milieu d'une ruelle aux jardins fleuris et aux maisons rustiques et chaleureuses. Il était étrange d'observer les bulles de l'intérieur, à leurs extrémités le noir tronquait la scène sans hésitation, les routes se coupaient net et l'herbe se stoppait en un fin trait. A chaque fois le lieu leur semblait familier, jusqu'à ce qu'il n'y eu plus aucun doute : Chaque bulle présentait une scène spécifique, avec pour décor le village d'Izalia.

    Par deux fois il leur sembla apercevoir une femme aux traits fatigués les observer au loin. Maelys n'avait aucun doute sur son identité. Sa mère veillait sur eux et, lorsqu'elle croisa le regard larmoyant de son père, elle sut qu'elle avait vu juste.

    Ces évènements éparses étaient liés à la mère de Maelys d'une manière ou d'une autre et la jeune fille se demanda si elle avait pu devenir une rêveuse à l'instar de son mari, mais à un niveau bien supérieur. Après tout, cela faisait sept ans qu'elle avait disparu, peut-être son pouvoir avait-il prit une telle ampleur qu'elle fut désormais capable de le maîtriser aisément. Adrien paraissait tout de même sceptique. S'il avait pu user de ses facultés de rêveur quelques temps après la sorti de son sommeil, il se rappelait l'effort acharné qu'il lui avait fallu à chaque marguerite créée pour sa fille. Une telle quantité représentait un effort inconsidérable ! Il se retint de pousser sa réflexion afin de ne pas terroriser son enfant, mais ils doutait qu'un tel pouvoir pût passer inaperçu... Après tout, la malédiction existait depuis des siècles, si les pouvoirs des rêveurs avaient pu prendre de telles proportions, nul doute que leur durée de vie aurait été drastiquement réduite afin de l'éviter.

    Un cri rauque résonna au loin, et tous se stoppèrent.

    Des changés. 

— Ils nous suivent depuis un moment, signala Adrien de sa voix fatiguée.

— Pourquoi n'attaquent-ils pas ? demanda Maelys aux aguets.

    Son père ne sut que lui répondre. Autour d'eux l'aura de lumière poursuivait sa route et ils n'eurent d'autres choix que de la suivre. Par moment une étincelle brillait dans un regard sombre à leur périphérie, par d'autre un bras ou une jambe décharnées s'aventuraient plus près mais à chaque fois les créatures maintenaient une distance avec eux. Etait-ce dû à la lueur ? 

— Où allons-nous à votre avis ? questionna Sophie après un temps.

— Difficile à dire, déclara le père. 

    "Vers le démon..." pensa-t-il tout bas. Inutile d'alarmer davantage ces deux pauvres enfants.

    Maëlys allait répliquer lorsqu'une nouvelle bulle de vie éclata devant eux. La vive lumière qui s'en dégagea l'éblouit instantanément et il fallut quelques instants à sa vue pour s'en accommoder.

    La sphère qui délimitait ce monde onirique de celui des souterrains coupait net une petite maisonnette que le groupe reconnut sans peine. La décoration sommaire du petit salon fit écho dans la mémoire de la jeune fille. Elle se souvenait parfaitement des vieux fauteuils d'un marron usé et depuis longtemps rafistolé avec un tissu neuf. Elle sentait encore sous ses doigts la sensation rugueuse et désagréable lorsque ses mains en caressaient la surface. Comme elle les avait détesté ces fauteuils ! Et pourtant, ils réveillaient en elle de précieux souvenirs.

    Ceux de sa propre maison lorsque sa mère était encore parmi eux.

    Soudain, un mouvement à la périphérie de la maison. Maëlys, Sophie et Adrien reculèrent d'un seul geste, avant de découvrir une petite fille aux grands yeux bleus, sa longue robe traînant dans la rosée matinale. Sa main caressait tendrement les pétales de marguerite.

    "Si tu aimes tant les fleurs, alors il faut les laisser vivre ma chérie."

    De lourdes larmes coulèrent sur le visage de Maëlys, et tout lui revint en mémoire. La fraîcheur du matin, la caresse de l'herbe humide sur ses jambes. Maman avait tranché une tranche de pain de la veille que la petite avait goulument trempé dans son lait. Il lui sembla presque ressentir le goût des fraises qui avait accompagné ce petit-déjeuner.

    La peur qui lui arracha les entrailles quelques instants plus tard...

    Dans le petit salon, une aura bleutée apparut. Maëlys ne put que détourner les yeux. Cette scène, elle la connaissait par cœur, du moins la partie qu'elle avait vécue. Le hurlement de sa mère, la lumière vive à travers la fenêtre et le début d'une enfance à jamais marquée par l'absence.

    Adrien serra sa petite fille de toute la force dont il fut capable et la bulle de vie s'éteignit comme elle était apparue.

— Qu'est-ce qu'il se passe papa ? questionna-t-elle le visage en larme. Pourquoi nous faire revivre cet instant ? Est-ce qu'il s'agit de souvenirs ?

    Son père n'eut aucune réponse à lui donner. Le pauvre homme se sentait tout aussi perdu et esseulé que son enfant.

    Maëlys...

    L'adolescente releva soudainement la tête. Son regard partit en tout sens en sondant l'obscurité qui ne faisaient que s'étendre.

Tu as entendu ? demanda-t-elle à son père.

    Il observa l'horizon à son tour, mais finit par hausser les épaules, l'air incertain.

— Sûrement les changés... déclara Sophie proche d'eux.

    Maëlys s'écarta de l'étreinte rassurante de son paternel.

— Non, ce n'est pas ça... On aurait dit...

    Maëlys !

    La fillette sursauta. Cette fois elle était sûre d'elle !

Là ! lança-t-elle dans le silence des confins. Vous l'avez entendu ?

    Hélas ses camarades ne lui renvoyèrent qu'un regard dubitatif.

    Un élan de force la gagna soudain. Elle n'était pas folle, cette voix était bien réelle et n'appartenait qu'à une personne.

— Maman... 

    Maëlys s'élança en avant, rapidement suivi de ses compagnons qui n'eurent d'autre choix que de rester dans la lumière blafarde de la lueur. Plus elle avançait, plus la lueur sautillait en tout sens, comme impatiente d'arriver à une destination qu'elle seule semblait connaître.

    La petite brune suivait la voix à travers les champs éparses de marguerites fanées et sèches. Ses pieds percutaient les pauvres fleurs dont les pétales voletaient comme autant d'insecte en souffrance. Mais elle n'en avait que faire. Ces fleurs ci était mortes depuis longtemps, elles recouvraient le sol telle une longue traînée, comme si tout la puissance créative de leur maître avait pris source ici même afin d'en parsemer son chemin.

    Aveuglée par l'obscurité alentours, sa course folle se stoppa soudainement. Face à eux se présentait les vestiges d'un portail immense, massif et imposant. Tout du long de volumineuses racines s'enchevêtraient tel un lierre envahissant et bienfaiteur à la fois.

    Des monceaux de pierres gisaient au sol en laissant un vaste espace où se tenait jadis ses battants. Son regard observa plus en avant la présence d'une deuxième ruines similaires. Deux portails : Deux gardiens. Ils approchaient du but.

    De ci de là piquetaient quelques marguerites, blanches pour certaines, grisâtre pour d'autre, image du combat qui semblait se tenir au sein des confins. 

    Un combat pour la liberté, ou pour l'asservissement.

***

    Sept individus se tenaient en cercle dans la salle à manger décorée de l'ancêtre. Un silence de plomb régnait sur l'assemblée, tous focalisé sur le rituel qui se déroulait sous leurs yeux.

    Adélaïde présidait les adeptes, Rory à ses côtés. Une grand force leur serait nécessaire afin de parvenir à leur fin. L'unique gardien restant bénéficiait d'un pouvoir bien supérieur à celui des autres et, par conséquent, bien supérieur au leur. 

    La guerrière leva lentement les bras. De ses mains, elle traça d'amples signes invisibles aux yeux des spectateurs. Lorsqu'elle les ramena sur sa poitrine, les six autres adeptes se redressèrent d'un seul homme, comme frappés par une force imperceptible.

— Nous y sommes, chuchota-t-elle.

    A ses côtés l'une des adeptes tremblait de peur et Adélaïde le ressenti.

— Il essayera de nous contrer. N'oubliez pas qu'il ne peux pas vous atteindre tant qu'il n'est pas apparu parmi nous.

    La guerrière prit une longue inspiration. Tout autour d'elle des hommes et des femmes dotés d'armes de fortune resserraient leurs poigne, le souffle court. Dans quelques minutes ce silence serait brisé par le plus grand combat que les souterrains auraient connus à ce jour. Celui qui déciderait du sort des quelques ères encore propriétaires de leurs âmes.

    Tout proche du cercle, Ergo assura ses appuis les deux dagues levées, prêt à mettre fin à cet enfer.

    Soudain, les sept adeptes claquèrent des mains à l'unisson, et l'onde de choc qui en découla provoqua un vent de stupeur parmi l'assemblée.

    Un bruit sourd gagna en puissance, et certains durent ce boucher les oreilles pour s'en protéger. Des larmes coulèrent sous la terreur, deux personnes abandonnèrent la salle pour se mettre à l'abri.

    "Les idiots, songea Ergo sans lâcher le cercle des yeux. Il n'y a plus aucun endroit où se terrer !" 

    Le sol vibra sous leurs pieds et les murs craquèrent sous l'effort.

— Tenez bon ! ordonna Adélaïde d'une voix caverneuse.

    Un vent mauvais s'engouffra dans la demeure. Il s'extirpait du centre du cercle, faisant voleter vêtement et objets. Des cris survinrent parmi les spectateurs apeurés.

    L'une des adeptes hurla de terreur avant de s'affaler en arrière, inconsciente.

— Accrochez-vous ! cria la guerrière le souffle rauque.

    Une explosion venteuse balaya la salle. Chaque individu valdingua en arrière, soufflé par la force inouïe de l'attaque. Adélaïde percuta Ergo dans son envol et Rory s'effondra contre le mur adjacent. 

    Le cercle d'adepte était à présent rompu et un calme précédent l'orage s'abattit sur les lieux.

    Au centre de la pièce se tenait une ombre macabre. Sa longue cape noire comme la nuit se déversait sur le sol. La silhouette androgyne se redressa lentement, son souffle rauque haletant résonnait dans la salle. 

    Adélaïde peina à se relever, et un sourire carnassier s'étala sur son visage.

    Le 3ème gardien avait été invoqué. L'effort qu'il avait fourni pour s'en protéger lui avait visiblement coûté.

    Leurs regards se croisèrent, et le gardien hurla de rage à sa vue. Sans laisser le temps à la petite armée de réagir, l'ombre fusa vers sa proie en un cri sauvage et la percuta de plein fouet, emportant Ergo dans la foulée. Les trois s'écrasèrent contre le mur, n'y laissant qu'une traînée sombre et poisseuse.

    Adélaïde et Ergo valdinguèrent à l'extérieur de la maison, désorientés et le souffle coupé. Les deux combattants s'aidèrent mutuellement à retrouver leurs esprits avant de prendre conscience de ce qu'il se déroulait sous leurs yeux. 

    Derrière eux se tenait la bâtisse incrustée dans la montagne et, face à eux, le gardien les observait d'un œil diabolique et amusé. A ses côtés se tenaient un nombre de changés insensé. Tous rageaient et gigotaient comme des chiens de guerre tenus en laisse. Ils n'attendaient qu'un signe de leur maître pour se jeter sauvagement sur leurs proies.

    Ergo et Adélaïde s'adressèrent un regard droit et lourd de sens. Les deux camarades raffermirent leurs prises sur leurs armes. Leurs fin se jouerait ici même, à n'en point douter.

— Le gardien est notre priorité, affirma Ergo.

— Espérons que Rory et Eléna sauront faire face à la suite, enchaîna la guerrière.

    Le Chef des Taupes acquiesça durement. Cette suite ne leur appartenait plus, ils tenteraient par tous les moyens de mettre un terme à ce gardien avant de suivre le chemin emprunté par leurs camarades. Les membres des Taupes, les deux gamines qui lui manquaient plus qu'il ne voulait l'admettre, Zéro...

    Les deux héros se cabrèrent. Prêt.

    Un cri résonna dans leur dos. 

— Ensemble ! Hurla Rory avec une rage et une conviction qu'ils ne lui avaient jamais vu.

    Les derniers habitants des souterrains coururent à l'unisson, arme au poing et clameur guerrière. L'ultime espoir pour ces hommes et ces femmes se trouvait devant eux et ils étaient prêts à se battre pour s'y accrocher. 

***

    L'immense portail final toisait les trois petits insectes de toute sa hauteur. La lueur peinait à en éclairer la totalité, elle se plaçait en retrait comme un animal qui eût craint de revenir en un lieu empli de mauvais souvenirs. Maelys et Hadrien vinrent caresser les gravures complexes du bout des doigts tandis que Sophie maintenait un œil alarmé en arrière. Le son guttural des changés s'était estompé au fur et à mesure de leur course, mais l'adolescente n'était plus dupe, elle savait que nombre d'entre eux rôdaient certainement aux alentours. Malgré tout, le silence qui les entourait n'était brisé que par le souffle de ses camarades.

    Maëlys attrapa d'une main la fleur grisâtre qui se trouvait devant elle. A son contact, chaque pétales s'estompèrent en un nuage de poussière qui n'attendait plus que de mourir. Elle recula afin d'avoir une vue générale du monument. La panique la gagnait peu à peu en même temps que lui venait la compréhension du message qui se lisait sur la pierre froide.

— Papa... souffla-t-elle. Maman se meurt !

    Le regard désolé qu'elle reçut ne fit qu'accroître sa conviction. Toutefois son père tenta une approche plus mesurée.

— Ma chérie, répondit-il le souffle court. Je suis sûr de t'avoir envoyé les marguerites qui ont perlé ton chemin. Cet endroit m'est inconnu, comment aurais-je pu ?

    La gamine balaya d'un geste la multitude de fleurs éparses qui jonchaient le sentier qu'ils avaient suivi jusqu'alors. Elle n'eut besoin d'aucune autre parole pour convaincre ses camarades.

— Quand bien même, intervint Sophie en chuchotant, comment pouvons-nous y entrer ? 

    Chacun observa la porte et ses alentours avec minutie à la recherche d'un quelconque moyen d'en ouvrir les battants. L'obscurité rendait la tâche ardue et la lueur paraissait perdre en éclat au fur et à mesure du temps. Bientôt le noir les engloutirait en leur ôtant le peu de chance qu'il leur restait. Cet aspect de leur situation restait néanmoins dans un coin de leur pensée, barricadé derrière des préoccupations plus terre-à-terre et pragmatiques : trouver une poignée, trouver un verrou. Trouver quelque chose, quoi que ce fut. Nul ne parlait et Sophie en vint à se perdre dans ses pensées. Qu'était-il advenu d'Adélaïde, Eléna, Ergo et Rory ? Sûrement les pensaient-ils mort. A raison, elle-même ne se considérait-elle pas tel quel ? Peut-être était-ce cela la mort, errer sans fin dans le noir à tenter par tous les moyens d'ouvrir un portail, seul chemin possible, sans jamais y parvenir. Oui, les limbes ressemblaient très certainement à cela : Le désespoir constant et implacable. Une larme allait rouler sur sa joue, elle la retint avec difficulté. Pleurer ne servirait à rien. Maëlys ne pleurait pas, elle. Au moins finirait-elle sa vie auprès de son père qu'elle aimait. Elle-même n'aurait pas cette chance... Ses pensées se perdirent dans les prairies verdoyantes d'Izalia. Elle revit avec netteté le long potager derrière leur maison, ses bottes crottées de terre et le front brûlant sous le soleil. Elle revoyait ses parents auprès d'elle, acharnés à leur besogne qui nourrissait le village. Elle se sentait utile, elle avait sa place. La larme glissa sans crier gare.

    Et Maëlys étouffa un cri.

    Sophie s'extirpa instantanément de sa transe et resta bouche bée face à son amie, les mains plaquées sur la roche et les yeux révulsés. Adrien tenta vainement de l'arracher à l'étreinte du portail, mais une force la clouait sur place. Il cria sous la stupeur quand une voix bien plus aigüe que celle de Maëlys s'extirpa de la gamine.

Maëlys ! Hurla la voix au travers de l'intéressée. 

    Hadrien mit quelques temps à réagir, sa raison entière lui hurlait l'impossibilité de ce qu'il entendait. Mais il y avait-il encore quoi que ce fut d'inconcevable en ces lieux ? La souffrance et la désolation dépassaient tout ce qui pouvait être rationnel, était-ce si fou de s'accrocher à un espoir impensable ?

    Seul un maigre souffle s'échappa de ces lèvres.

— Lé... Léonie ?

    Sophie ouvrit grand la bouche. Jamais elle n'aurait pu reconnaitre cette voix seule. A présent qu'un nom avait été posé, la réalité lui semblait une évidence.

— Maman ! hurla Maëlys toujours en transe.

    C'était bien sa voix qui résonna dans les confins.

Maëlys, reprit la voix de sa mère à travers son corps. Ecoute-moi ! Je suis de l'autre côté, Le démon peine à retrouver ses forces mais il est encore en état de mettre un terme à tout cela !

— Qu'est-ce que je dois faire maman ?

    La jeune fille maintenait un regard révulsé vers le plafond, son corps tremblait et ondulait au gré d'un vent qui n'existait que pour elle. La dualité qui s'effectuait dans son esprit faisait peur à voir et Sophie ne put retenir une larme en voyant son amie ainsi.

    La voix aigüe résonna de nouveau dans sa poitrine.

Il me reste quelques forces pour aider vos amis.

    Alors Maëlys entraperçut le combat qui se jouait en ce même instant. 

    Elle vit l'armée disparate des habitants en proie à une horde de changé. Les corps se mélangeaient les uns aux autres dans une effusion de douleur et de terreur. Plusieurs âmes étaient déjà tombées, emportant avec elle quelques créatures démoniaques jadis humaines ou animales. 

    Au centre de ce capharnaüm de violence, Ergo peinait à rester debout. Son visage se barrait d'un trait rouge vif d'où suintait un liquide de même teinte. 

    Adélaïde frappait sans relâche, sa dague vibrait dans l'air au rythme de sa respiration effrénée. Mais le gardien allait et venait sans peine... Son pouvoir incroyable le téléportait où bon lui semblait et son rictus infâme se jouait de la pauvre femme épuisée. 

    Une lame d'air fusa tandis qu'il se trouvait derrière elle, et l'attaque la frappa de plein fouet. Son vêtement vola en éclat, déchiré par la force du gardien. Adélaïde poussa un cri bestial, mélange de rage et de souffrance. Sa main frappa violemment le sol, une douleur fulgurante traversait tout son corps meurtris.

    La situation chancelait en leur défaveur. Seul le dernier gardien les séparait de la mère de Maëlys et du démon. Plus le combat s'éternisait, plus leurs chances s'amenuisaient. Si Ergo et Adélaïde tombaient, que resterait-il des quelques villageois encore debout ? Bientôt il n'y aurait plus aucune âme encore vivante dans les souterrains et le démon serait libre de reprendre son rituel macabre. Ou pire : De l'achever une bonne fois pour toute et d'envahir l'ile d'Oural...

    La voix de Léonie Lechânet reprit, plus grave encore.

Lorsque le portail s'ouvrira, vous n'aurez qu'une seule chance. Je crois en toi Maëlys. Ne baisse jamais les bras.

    Ces mots sonnèrent comme un adieu déchirant à leurs oreilles. Elle allait pour crier quand le contact se rompit soudainement en l'envoyant valser en arrière.

    Maëlys pleurait toutes les larmes de son corps. Elle hurla, un cri de haine et de frustration qu'elle retenait depuis la mort de sa mère.

***

    Adélaïde rampait sur le sol terreux de ce qu'il restait de la Cave. Autour d'eux le Confins gagnait en ampleur et seules quelques habitations tenaient encore debout. Bientôt tout disparaîtrait, et les survivants se retrouveraient dans le noir face à une horde de changés. Ou bien le deviendraient-ils eux-mêmes. L'espace d'un instant, elle songea au repos que cela leur procurerait. La fin de toute chose valait-elle la souffrance qu'ils subiraient avant le changement ? L'entaille dans son dos lui tira un cri de douleur. 

    Lâcher prise... S'abandonner enfin à l'inexistence et ne pas être témoin de l'horreur qui submergera l'île d'Oural lorsque le démon parviendra enfin à s'extirper de son antre.

    Quelque part sur sa droite, elle vit le corps d'Eléna en proie à plusieurs changé. Rory accourait à son secours, mais la horde était trop nombreuses, trop enragée et jalouse de l'âme qui habitait encore leurs corps.

    Ils n'avaient plus aucune chance.

    La guerrière traîna son corps sur quelques centimètres encore. Elle sentait plus qu'elle ne voyait le gardien jouir de sa toute puissance. L'orgueil le poussait à regarder sa proie ramper lamentablement pour sa survie. 

— Adélaïde... annonça-t-il soudain. L'adepte déchu. Comme il me tardait de te rencontrer et d'en finir avec toi. Traitresse !

    Mais elle ne l'écoutait pas, les sons lui parvenaient comme étouffés. Elle se traîna davantage.

    Face à elle une étrange lumière se dessinait sous un rocher.

— Ton âme sera la pièce maîtresse de mon maître. Quel effet cela te fait-il de savoir que tu seras celle qui déclenchera son retour ? Toi qui a tout fait pour y mettre un terme.

    Un bras devant soi, tirer son corps. Un bras devant soi, tirer son corps... Adélaïde se focalisait sur ces gestes simples, ignorant les paroles du gardien et les cris de terreur et de souffrance alentours. Elle tendit la main vers l'embout brillant. Ses yeux se voilait par moments et la tête lui tournait. Encore un effort.

    Elle sentit la puissance du gardien juste derrière elle. Le vent battait en tout sens. Bientôt son corps se déchirerait sous l'attaque et son âme la quitterait pour nourrir le démon.

— Je ferais en sorte que tous se souviennent du nom de celle qui causera leur perte.

    Sa main serra fermement la garde lumineuse : L'épée de Maëlys. Et une vague d'énergie la submergea. Elle sentit à travers son corps la force nouvelle d'une autre âme, un esprit si lumineux en proie à une noirceur qu'elle ne pouvait plus contenir. Une puissance incommensurable s'extirpa de son être, balayant tout sur son passage. Elle sut à cet instant que ni son âme, ni celle de l'esprit lumineux ne survivrait à cette attaque dévastatrice.

    Son corps se souleva de terre, animé par une force supérieure. Ses yeux brillaient d'un éclat doré semblable à l'aura qui l'entourait.

    Le gardien se débattait au sol, surpris par cet élan de force insoupçonné. Son regard se leva vers la Guerrière, ultime soldat dans cette lutte millénaire.

    Ses yeux s'écarquillèrent sous la stupeur. Ce n'était plus Adélaïde, la traitresse, qu'il observait devant ses yeux ébahis. Cette entité était bien supérieure à elle. Bien supérieur à lui-même. 

    C'est avec une terreur non feinte qu'il gémit :

— Maître ?

    L'épée lumineuse fusa en sa direction. L'expression d'incrédulité de l'ultime gardien se figea lorsque la lame le cloua sur place en un éclat aveuglant.

    On entendit autours les glapissements des changés. Certains tombèrent sur place, immobile, d'autre fuyaient sans plus comprendre ce qui les retenait ici.

    Le corps d'Adélaïde s'écrasa au sol, inerte.

    Plus aucun soubresauts ne l'habitait désormais.

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