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Chapitre 3

    Aucun changement de décor ne marqua la transition entre le gouffre et la fameuse caverne dont parlait Ergo. Tout n'était que roche dure et chemin terreux piétiné par d'innombrables personnes avant eux. Pourtant, au détour d'un coude dans ce labyrinthe souterrain sans fin, Maëlys perçut le bruit familier et rassurant du brouhaha citadin qu'il lui arrivait d'entendre sur la place d'Izalia les jours de beau temps. Ici, pas de soleil éblouissant pour réchauffer le corps, rien que cette lumière laiteuse surgie d'on ne savait où... Il n'y avait toutefois aucun doute, ils approchaient d'un lieu peuplé et l'espoir de la petite Maëlys s'enflamma tant son esprit ne pouvait concevoir qu'une telle foule pût se trouver sous terre. Son émoi détala aussi vite, et pourtant, elle ne put se départir d'un air ébahi face à la vue qui s'offrait à elle. Devant eux s'ouvrait une large cavité au plafond élevé, même si bien plus bas qu'au niveau du gouffre. Sur chaque paroi s'élevaient de petites constructions de bois superposées les unes aux autres comme un jeu de cube pour enfant. Le bois craquelé aux gonds déformés se pliait en formes oblongues et abstraites donnant à l'ensemble un aspect précaire et surréaliste. Malgré leur aspect, force était de constater que ces habitations étranges servaient effectivement de logis à en croire celles et ceux évoluant parmi les échelles et autres escaliers de fortune. Cette grotte abritait la vie, et quelle vie ! Maëlys n'en revint pas du monde entassé dans cet espace. Ici un groupe de personne divaguait de tout et de rien, l'un des hommes tenant dans ses mains un cageot de métal dans lequel se débattaient deux malheureuses pommes de terre. Un enfant passa en courant devant eux, aussitôt poursuivi par un chien touffu dont les aboiements répondaient au rire de son maître.

    Malgré toute l'effervescence naturelle d'une cité, la jeune fille remarqua les visages tendus et fatigués de ces gens. La peau blafarde de certains lui firent se demander avec une horreur douloureuse depuis combien de temps les rayons du soleil ne les avaient pas effleurés. Il n'y avait aucun doute quant à ce lieu qui ne pouvait être récent : Maëlys se trouvait dans une ville. Peut-être même bien plus grande que son village natal et tout ceci démontrait une organisation de longue date et le besoin visible de s'y installer.

— C'est... Une ville ? dut-elle prononcer à voix haute comme pour avoir la confirmation que ses yeux ne la tourmentaient pas.

— C'est bien plus qu'une ville gamine, bienvenue à la Caverne ! présenta son compagnon. Pas la plus grande du coin, mais on s'y accommode.

— C'est incroyable... murmura-t-elle tiraillée entre l'émerveillement de voir que l'Homme pût s'installer où que ce fût et l'effroi qu'ils dussent trouver refuge dans ce décor chaotique et lugubre.

    Elle s'avança de quelques pas en observant les nombreuses tentes aux toiles rapiécées qui ponctuaient l'espace ici et là.

— Hey gamine ! la rappela Ergo. C'est pas là.

    La petite se détourna et constata que son guide avait une fois de plus pris une avance sur elle, se souciant peu de savoir si elle le suivait. D'ailleurs, pourquoi l'aidait-il au juste ? À en juger par leurs dégaines et le visage ferme et rude que les gens arboraient, personne ici n'avait l'aspect aimable et accueillant d'un bon samaritain. Encore moins cet Ergo avec sa tête à demi camouflée et son regard noir et inexpressif. Elle le suivit néanmoins. Quel choix lui restait-il ? À cet instant, il demeurait le seul pilier auquel elle pouvait s'accrocher dans cet endroit sinistre. Et puis il lui avait parlé de Sophie, quelque part ici elle aussi...

    Ergo les mena tous deux vers une cavité camouflée à un détour. À l'intérieur gisait une lourde trappe de bois qu'il entreprit de soulever des deux bras pour la caler contre le mur de pierre. Le nouveau chemin ainsi révélé laissait place à un escalier grossièrement taillé dans la roche auquel on avait ajouté diverses planches plus ou moins décrépites pour y dessiner une esquisse de marches menant à un sous-sol. Bien que cela fut un euphémisme... Pouvait-on employer le terme "sous-sol" lorsque l'on se trouvait déjà sous terre ?

    L'antre qui lui apparut ressemblait en tout point à l'idée que se faisait Maëlys d'une garçonnière. L'étroite pièce centrale s'en trouvait encore plus étriquée par la longue table où trônaient encore des couverts et assiettes sales mélangés en un amas d'objet divers et incongrus. Une boite en chêne abîmée camouflait ce qui ressemblait à une hache et la jeune fille ne put réprimer un frisson à l'idée quelle lui fût peut-être destinée. Face à elle, elle aperçut un ersatz de cuisine dont les armoires à l'agonie semblaient vomir quelques denrées et ustensiles n'ayant visiblement pas leur place dans cette pièce. Deux hommes, l'un de petite taille, apparurent d'une des salles adjacentes. Ils saluèrent Ergo d'un signe de tête, un sourire moqueur aux lèvres et le pouce dirigé vers un recoin hors de vue de la jeune fille mais duquel s'extrayait le halo hésitant d'une bougie. Elle ne devina la présence d'autres individus que lorsque des éclats de voix lui parvinrent de la sombre mansarde.

— Ne t'approche pas de moi espèce de cafard bouseux mangeur de crapaud !

— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? tonitrua le chef en traversant la salle à pas vif.

    Maëlys manqua perdre l'équilibre sous le soulagement qui s'empara d'elle. Cette voix, elle la connaissait merveilleusement bien.

    La rixe se poursuivait néanmoins.

— Mais arrête ! Je suis pas un crapaud je te dis ! sonnait la voix du malheureux soumis aux assauts de son assaillante.

— Arrière ! J'ai une poêle et je n'hésiterai pas à m'en servir !

— On se calme ma petite dame ! tempéra Ergo sans se départir de son flegme.

— Je suis parfaitement calme !

    S'en suivit le plus incongru des cris de guerre tandis que la jeune fille s'élançait, poêlon en main tel une arme pourfendeuse, vers le groupe d'immonde pestiférés qui l'observait et se gaussait comme à un vulgaire spectacle de rue. Elle allait abattre son courroux lorsque retentit une petite voix pleine d'excitation.

— Sophie ! 

    La jeune fille blonde répondit de même à son amie, le visage éclairé de soulagement.

— Maëlys !

    Les deux amies plongèrent dans les bras l'une de l'autre, elles piaillaient toutes deux à vive allure, se rassurant mutuellement sur leur sort et la joie de leurs retrouvailles.

— Aussi barjo l'une que l'autre... maugréa Ergo, le visage blasé à demi camouflé dans son écharpe fine. Vous avez finis de jacasser mesdames ?

    Elles se retournèrent d'un seul geste, la mine sévère et accusatrice, prêtes à en découdre si besoin, leur courage nouvellement stimulé par leur réunion.

    Le camarade d'Ergo, malgré sa stature imposante du haut de ses presque deux mètres si l'on en croyait le maigre espace qui séparait le sommet de son crâne du plafond, portait un air penaud plaqué sur son visage. Dos et épaules voûtées, sa mine dégingandée s'accentuait d'une large bouche broussailleuse aux dents déchaussées, surplombée de deux yeux d'un gris délavé aux arcades plongeantes. Le tout se décorait d'une tignasse blonde d'où pointaient piques et mèches rebelles en toutes direction.

— Z'ont pas l'air contentes chef... lâcha-t-il en effectuant un pas en arrière, visiblement sur la défensive.

— Dîtes-nous ce que nous faisons ici tout de suite, sales voyous ! ordonna Sophie de son air le plus dur.

    Le chef cracha un juron à moitié étouffé avant de lever les yeux au ciel. Pourquoi ne tombait-il que sur des énergumènes ?

— Vous avez été enlevées, comme tout le monde ici Blondie.

— Enlevées par qui ? enchaîna Maëlys plus calmement. L'espèce de lueur ?

— Ouaip, c'est généralement eux qui viennent s'occuper des disparus.

    Disparus. Un terme anodin glissé dans la conversation mais ô combien lourd de sens. Les deux amies saisirent immédiatement, abandonnant ce qui leur restait de vaillance, le visage figé en une mimique de détresse soudaine.

— Vous voulez dire que... tenta de conclure la petite brune sans y parvenir.

    Elles étaient disparues.

— On vient tous d'en haut, poursuivit le chef en perdant un peu de son sarcasme. De Kashan pour ma part.

— Et moi de Fir ! annonça fièrement la victime à la grande bouche.

    Derrière eux, les deux autres spectateurs s'éloignèrent, loin de vouloir vivre cette situation à nouveau. Celle où ils comprenaient ce qu'il était advenu d'eux.

— Fir... songea Maëlys. C'est juste à côté d'Izalia...

— Et c'est moi que tu traites de bouseux ? s'indigna le crapaud.

    Mais personne ne releva, ignorant superbement l'individu qui abandonna la conversation d'un revers de la main afin de s'adonner à d'autres tâches.

— Comment est-ce qu'on quitte cet endroit ? demanda Sophie à bout de souffle.

    La réponse l'effrayait au plus haut point. Était-elle seulement nécessaire ? Personne ne revoyait jamais plus les disparus.

— Si seulement on le savait Blondie...

— C'est Sophie...

    Sa voix mourut sur la dernière syllabe. Son corps extrayait du mieux qu'il pouvait toute l'angoisse et le désespoir qui l'envahit sans crier gare. Ses yeux s'humectèrent de larmes incontrôlables qu'elle tenta de contenir, sans grande réussite.

— Venez, indiqua le chef en se retournant, loin de se laisser aller aux larmoiements, il faut que vous alliez voir l'ancêtre.

    Il quitta les lieux sans plus attendre, laissant les deux misérables enfants à leur funeste sort, seul le réconfort d'être l'une à côté de l'autre pour les délester d'un peu de leur tristesse acerbe.

— Qu'est-ce qu'on fait Maëlys ? sanglota son amie, instinctivement serrée contre son bras.

— Suivons-le, soupira-t-elle. Ils sont peut-être louches, mais ils nous ont aidés à venir jusqu'ici...

    Elle acquiesça entre deux reniflements. Pour l'heure, il n'y avait rien d'autre à faire que de se fier à leurs hôtes dans l'espoir fou qu'un miracle vint à leur secours.

    À l'extérieur, le monde bouillonnait toujours de cette vie aux allures ternes et à fleur de peau.

    Ergo traversa la place principale où s'étalaient les tentes de fortune en prenant instinctivement soin d'éviter les attroupements éparpillés de-ci de-là. Il ne faisait visiblement pas bon se mélanger aux autres dans cette Caverne.

    Au détour d'une galerie, l'effervescence frappa de plein fouet les deux amies. Ce nouveau lieu formait un L dont le sol se recouvrait de tapis où des marchand ambulants bêlaient, troquaient ou extorquaient la foule mouvante que Maëlys, Sophie et Ergo pénétraient avec peine.

    La gamine dut s'arnacher à son amie pour ne pas s'égarer dans cet amas de femmes et d'hommes à la recherche du moindre objet pouvant améliorer leur quotidien misérable. Et quels objets ! Du simple broc usé à la parure étincelante, tout ce bric-à-brac hétéroclite et insensé voguait de main en main sous les cris des vendeurs et protestations houleuses des clients attroupés.

    Un intense sentiment de libération l'envahit lorsque son corps s'extirpa de cette masse grouillante à s'en étouffer. La vue se dégagea sur l'autre partie de ce long corridor. L'un des pans de mur alignait un comptoir derrière lequel s'activait plusieurs personnes. Un ersatz de bar à en juger les divers récipients débordant de mousse que chacun emportait avec envie. L'autre côté voyait un grand nombre de tables parallèles où s'agglutinaient quelques hères dont le regard, renfrogné pour la plupart, semblait dépourvu d'émotion malgré les quelques éclats de rire nerveux que l'on pouvait entendre. Sur l'une d'elle, un homme hirsute marmonnait seul, son corps victime de tremblements incessants, peinait à garder le contrôle de son verre et un peu de liquide se perdit dans la manœuvre. Maëlys attrapa quelques bribes de mots au passage, cafouillage à peine audible d'un être visiblement aux portes de la folie. Ils ne l'auraient pas. Il devait partir, fuir avant qu'ils ne viennent le chercher.

    Elle avança de plus belle, évitant de peu de marcher sur une mendiante, simplement assise à-même le sol, attendant qu'une âme charitable ou que la mort vînt la secourir.

    L'agitation du bazar, comme leur avait indiqué Ergo, se stoppa net lorsqu'ils pénétrèrent un nouveau boyau plus étroit que ce qu'elle avait vu jusqu'à maintenant, ce qui ne l'empêcha pas de marcher aux côtés de son amie. Tout en avançant, elles s'étonnèrent de ces chemins d'un plat bien pratique. Aucune grotte à proprement parlé ne sillonnait les alentours d'Izalia. Il y avait bien cette petite cavité dans la forêt du loup où certains gamins allaient jouer, mais il s'agissait plus d'un trou de terre et de pierre aux aspérités saillantes et inégales. Voilà comment Maëlys s'était alors imaginé ces grandes cavernes souterraines qui bordaient l'île, escarpées et dangereuses. Or, elle n'avait vu jusque là que des chemins lisses et aplatis par les nombreux passages. Seule la roche inégale et hasardeuse des murs et plafonds semblait en adéquation avec l'image qu'elle s'en faisait. Le monde vivait ici depuis fort longtemps, les poutres aménagées à certains endroits l'attestaient encore. Une autre idée la frappa soudain : Du bois ? Sous terre ? Elle ne put tenir sa question plus longtemps.

— Comment avez-vous pu obtenir du bois .

    La joie d'un possible accès à l'extérieur l'écartela avec le doute évident que quelqu'un aurait déjà fait le rapprochement.

— Ca vient de la Cave, enfin je crois... lança nonchalamment Ergo.

— Les arbres ont besoin de lumière ! s'exclama Sophie qui comprit où son amie voulait en venir.

—  Ne rêve pas Blondie. Me demande pas comment, mais ces arbres son bel et bien sous terre. Comme tout ce qu'il y a ici d'ailleurs.

    Une sensation d'oppression poignante et de désespoir les mura dans un silence froid et triste. Plus aucun ne parla durant le reste du trajet qui ne dura que quelques minutes.

    Le petit groupe mit pied dans une nouvelle alcôve. Ce lieu ne semblait être qu'un enchaînement incessant de boyaux et de cavités inlassablement alignées comme les perles d'un collier dont on ne verrait pas le bout.

    Collée dans un coin de cette niche, il s'offrit à eux l'une des plus belles tentes qui leur avait été donné de voir depuis leur arrivée à la Caverne. D'un rouge autrefois flamboyant, à présent terni par les années, elle s'apparentait à une petite chaumine avec ses arceaux rectangulaire et ses trois petits toits pointus annotant un espace visiblement agréable. Bien que cette aisance apparente pût détonner à côté de la fange qui s'accumulait à l'autre bout du marché, Maëlys ne s'en étonna guère. Les disparités existaient à foison à la surface. Il suffisait d'observer les petites masures difficilement entretenues qui pullulaient autour de l'hôtel de ville et de la maison du maire d'Izalia. Même pour une bourgade telle que la leur, la différence se ressentait tout autant qu'elle se voyait. Fort heureusement pour le village, l'activité agricole envoyée en direction de la capitale de l'île permettait au chef du village de disposer de fonds modestes mais ô combien incroyables pour la petite bourgade. Profiter de ces revenus pour effectuer une distribution équitable était autre chose... Toutefois, les deux jeunes femmes demeuraient encore bien loin de toutes ces triturations économiques. Aussi observaient-elles cet habitat avec une certaine admiration au coin des yeux.

— Il doit s'agir de quelqu'un d'important ! souleva Sophie en approchant de l'interstice créée par les deux pans de tissus.

    Si l'extérieur assurait une certaine richesse, l'intérieur ne démentait pas. Pourtant, loin de faire étalage d'une multitude de possession, le luxe se sentait dans le raffinement des objets entreposés ça et là comme une décoration finement pensée. Sur la gauche se détachait l'un des renfoncement duquel on pouvait apercevoir un lit proprement établi que venait camoufler de fin rideaux de tulle blancs. Le côté droit disposait lui d'un petit brasero dont le tuyau s'échappait par le toit, à l'endroit où la toile avait été précautionneusement découpée pour laisser filer la cheminée. Non loin, un haut meuble laissait apparaître une vaisselle soigneusement rangée et lavée. Toutefois, ce fut au sol que transparut l'opulence du lieu. D'épais tapis doux et voluptueux ornaient chaque recoins, créant ainsi une toile de couleur géométrique qui appelait au délassement et au repos, si bien que Maëlys ne sut s'il convenait de conserver ses chaussures crasseuses en ce lieu.

    Elle allait pour les ôter quand le vieil homme face à eux prit enfin la parole.

— N'en faîtes rien mon enfant, assura-t-il d'une voix chaude. 

    Un sourire bienveillant sur une face vieillie ajouta un peu de baume au cœur meurtri des deux amies. Enfin quelqu'un qui n'affichait pas toute la misère humaine dans son regard.

— Soyez les bienvenues mesdemoiselles ! salua l'ancêtre en présentant les chaises vides au centre.

    De tous les surnoms qu'on aurait pu lui donner, le sien lui seyait à merveille tant l'homme semblait doté d'un âge sûrement oublié.

— Ou plutôt devrais-je vous offrir mes plus sincères condoléances, reprit-il dans un souffle épuisé. Je suis toujours attristé de voir de si jeunes enfants nous rejoindre dans ce sombre endroit...

— On les a trouvées dans les couloirs près du gouffre, précisa Ergo de sa voix de rustre. Je te les ai amenées tout de suite.

— Tu as bien fait Ergo. Je t'en remercie. Mais mangez donc quelque chose, ajouta-t-il lorsqu'il aperçut les regards avides que les deux enfants portaient sur la maigre corbeille à fruit.

    Maëlys jeta son dévolu sur une prune sombre dont le goût la laissa pantoise tant les saveurs manquaient à l'appel. Néanmoins, la chair onctueuse et légèrement sucrée fut accueillie par son corps avec bonheur.

— Merci de nous venir en aide monsieur, déclara la petite brune.

    Ce à quoi Sophie s'accorda à grand renfort de signes de tête, tout occupée à dévorer sa poire avec beaucoup moins de retenue que sa camarade.

— Hélas, soupira leur hôte, je ne peux vous apporter plus que du réconfort. La vie sous terre est rude, mais vous trouverez toujours une main amicale ici.

    Le vieil homme se leva avec difficulté, mouvant son corps ralenti par les années jusqu'au vaisselier.

— Je suis soulagé que les Taupes enragées vous aient secourues avant qu'un mal ne vous frappe.

— Les Taupes enragées ? répéta Maëlys en glissant un œil interrogateur à leur guide.

— Et oui ma grande, annonça Ergo non sans une pointe de fierté dissimulée derrière son éternel air renfrogné. Tu as l'honneur d'avoir été sauvée par le chef des Taupes !

    Sophie ne put retenir un rire, rattrapant de justesse un morceau de poire qui menaçait de s'éjecter de sa bouche.

— Et vous faîtes quoi avec un nom pareil ? railla-t-elle sans réserve.

— Tu penses que Blondie c'est mieux peut-être ?

— C'est Sophie...

    Mais déjà le vieil homme revenait, appelant à apaiser les moqueries et tensions qui s'exerçaient sous son toit et semblaient mettre Maëlys quelque peu mal à l'aise. Elle avait toujours aimé son amie d'une amitié inconditionnelle, mais son manque de tact avait parfois tendance à les mettre dans des situation quelques peu incommodantes. Loin de lui en vouloir, la jeune fille préférait, dans ces moments là, se remémorer les situations comiques et inoubliables qu'il pouvait aussi amener.

— Allons, allons... Inutile de nous disputer, tempéra l'Ancêtre.

    Il déposa alors un lourd volume sur la table. Alors qu'il en tournait les pages aux rebords abîmées et jaunies, Maëlys entrevit ce qui ressemblait à une interminable liste de nom dont l'écriture changeante au fil de page démontrait qu'un grand nombre de personne y avait un jour inscrit quelque chose.

— Maintenant, poursuivit leur hôte sans s'attarder davantage sur ces querelles enfantines, je dois prendre vos noms pour les noter dans le registre. Cela nous permet d'appréhender la date du changement.

— Quel changement ? interrogea Maëlys 

    Un regard s'échangea en l'Ancêtre et Ergo. Un discours sans parole ou chacun des deux paraissaient hésiter à porter la responsabilité de ce qui allait être dit. Le chef des Taupes enragées soupira, avachi sur son siège comme si tout cela l'ennuyait au plus haut point. Il n'avait pas que ça à faire, l'Ancêtre devrait le remercier de lui apporter les petits nouveaux gratuitement et le laisser vaquer à ses petites occupations. Il avait bien assez à faire loin de ce registre qui lui rappelait à chaque fois leur condition misérable. Toutefois, habitué à l'explication qui allait suivre, il prit la parole d'une air nonchalant.

— Tu te souviens de la créature au gouffre ? Et bien c'est ça le changement.

    La gamine bloqua quelques instants. Ergo s'y attendait, la nouvelle était toujours un peu compliqué à ingérer. Il aurait pu y aller plus précautionneusement, surtout que la petite avec déjà eu l'occasionne croiser l'un de ces monstre. Cependant, il avait toujours pensé que la violence était la méthode la plus efficace pour accepter quelque chose, rien ne servait de tourner autour du pot à coup de mièvreries et de mots apaisants. Rien ni personne n'était tendre ici, si elles n'étaient pas capables d'encaisser les coups et les nouvelles sans flancher, Ergo ne donnait pas cher de leur peau dans les bas-fonds qui cloîtreraient désormais leur courte existence.

    Néanmoins, derrière le visage quelques peu hagard de la gamine, il surprit une étincelle de compréhension, et une mimique horrifiée se dessinait lentement sur son visage à mesure que l'idée faisait sens dans son esprit.

— Vous... Vous voulez dire que c'était... Un être humain ?

    Maëlys avait lancé ses derniers mots en un murmure coincé, retenue par sa gorge qui se serrait à cette pensée.

— Je vois que vous avez déjà eu à faire à l'un de ces malheureux, soupira le vieillard.

    À leurs côtés, Sophie jetait des regard interrogateur aux trois autres qui semblaient mener une conversation de laquelle elle était exclue. Elle tenta d'en saisir les tenants et aboutissants auprès de son amie, mais celle-ci maintenait ses yeux fixés sur leur guide, comme s'il était seul à pouvoir comprendre son désarroi et la peur qui l'envahissait.

— Mais comment une telle chose est-elle possible ? lui demanda-t-elle abasourdie.

    Ce fut l'Ancêtre qui poursuivit les explications, laissant Ergo replonger dans son mutisme las et ennuyé.

— Si seulement nous le savions mon enfant... La transformation prend une dizaine d'année, mais elle survient irrémédiablement.

    L'ancêtre profita du lourd silence qui s'en suivit pour noter les noms et prénoms des deux nouvelles arrivantes, ainsi que la date d'arrivée. Maëlys nota qu'il ne prit pas la peine de noter le jour précis, uniquement le mois et l'année.

    Ainsi, Maëlys Lechânet et Sophie Pavois rejoignirent le longue liste de disparus, entassés dans ces sous-sols sordides et lugubres, condamnée, sans savoir pourquoi ni comment, à un sort sûrement pire qu'une mort qui paraissait douce et tranquille en comparaison. Les deux amies se scrutèrent, Maëlys tenta tant que faire se put de ne pas lui envoyer toute la peur et l'angoisse qui la tiraillait, mais en vain. Sophie, quant à elle, maintenait un visage incertain où se mêlaient crainte et inquiétude de ne pas saisir pleinement la situation. Mais elle ne pouvait comprendre, elle n'avait pas vu ce que Maëlys avait croisé sur ces ponts de cordes. L'être abominable, amas de chair et de douleur infinie...

— Essayez de vous reposer un peu cette nuit, encouragea l'Ancêtre. Mieux vaut être en forme pour les jours à venir. Les Taupes enragées vous aideront à vous installer.

— Il doit bien rester deux paillasses qui traînent quelques part... lança Ergo en se levant.

    La séance était visiblement terminée, aussi Sophie emporta-t-elle le morceau de poire qui lui restait, l'appétit coupé par cette entrevue qui ne fit qu'alourdir un peu plus leur fardeau. Maëlys se leva à son tour tandis que son amie remerciait leur hôte du jour pour leur aide. Elle n'eut le temps de la rejoindre dehors que l'Ancêtre l'interpella à nouveau tandis qu'ils demeuraient seuls sous la tente.

— Mon enfant... appela-t-il de sa voix tremblante. La perte d'un être cher est chose terrible. De nombreux dangers rôdent en dehors de la Caverne. Ne vous lancez pas dans une quête vaine qui vous mettrait en danger.

    Maëlys observa quelques instants le vieillard, les idées se bousculaient dans son cerveau, l'angoisse de se voir condamnée, seule et désemparée à jamais. Elle ne put que le remercier une fois de plus, sans vraiment saisir le sens des mots qu'elle entendait, avant de quitter à son tour la tente et ce maudit registre qui scellait à jamais leur destin.

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2 Comments

2 months
Je me doutais d'un truc louche avec les créatures du chapitre précédent. Il était trop humain pour ne pas cacher un truc... xD C'est bien, ça ajoute de la tension. Je suis juste un peu surprise que Maelys ne se pose pas plus de question sur son père et sa mère, vu qu'à priori, ils ont disparut aussi.
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2 months
Effectivement elle aurait pu profiter du registre pour voir si le nom de son père y figurait 🤔 Pour sa mère elle n à pas encore tilté comme ça fait 7 ans que c'est ancré dans son crâne.
Je vais revoir ce passage, merci beaucoup ! 😄
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