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Chapitre 2

 — ...un bruit, chef !

— Qu'est-ce que je... des billes, abruti !

— Allons voir.

— ...Blondie...qu'est-ce qu'elle fout ici ?

— ...embarquez-là, on la posera à la Caverne...

***

    La tête lui vrillait atrocement lorsque la petite Maëlys émergea du trou noir dans lequel elle avait sombré. Ses yeux mirent un certains temps à dissiper le flou opaque qui lui brouillait la vue. Le décor tournait et elle dut s'y prendre à plusieurs reprises pour tenter de se redresser sans flancher, resombrant parfois dans l'inconscience un laps de temps indéterminé.

    Lorsqu'elle reprit enfin pleinement conscience, le sol dur et terreux sur lequel elle se tenait lui broyait le dos à trop être resté allongé dessus. D'un revers de la main nonchalant et encore embrumé, la jeune fille extirpa de sous son dos les quelques cailloux pointus qui lui transperçaient les hanches. Ses yeux s'attardèrent aux alentours. De la pierre brune l'entourait de toute part, laissant par endroit un humus épais et odorant se développer.

    Alors qu'elle contemplait cet étrange environnement dont elle ne comprenait pas le sens, une vague de panique se forma progressivement au creux de son estomac, avec une simple question martelant l'arrière de son crâne : Où ? Où était-elle ? Enfermée dans une grotte sombre ? Sous terre ? Peut-être rêvait-elle et que la voix forte de sa meilleure amie viendrait une fois de plus la tirer de ce cauchemar ? Hélas, rien de tout cela n'était un songe, sinon comment pourrait-elle aussi bien sentir les cailloux qui lui agrippaient les jambes et lui avaient écorchés les mains ?

     Alors elle cria, seul réflexe dont elle fut capable à l'heure actuelle. Emplir ses poumons, ouvrir la bouche, hurler. Un cri d'alerte, de secours dont elle espérait qu'il passerait au travers des murs pour atteindre l'oreille de quelqu'un, n'importe qui, qui pût lui venir en aide et la sortir de là ! Mais personne ne vint, pas un bruit autour si ce n'était celui répété de gouttes d'eau s'échappant d'on ne savait où. 

    Le hurlement cessa soudain, sa gorge se noua sans crier gare, ne laissant qu'un souffle rauque s'échapper entre deux soubresaut de larmes incontrôlables. Il fallut bien vingt bonnes minutes pour que Maëlys parvînt à retrouver l'usage et le contrôle de ses pensées et de sa réflexion. Prostrée contre la paroi, dans un angle qui lui apportait un semblant de réconfort et de sécurité, l'adolescente laissa ses souvenirs remonter à la surface. La commémoration, le discours du maire, son père rentré plus tôt, comme d'habitude, elle qui arrivait plus tard avec Sophie, la brise caressant son visage lorsqu'elles entrèrent dans la maison.

    La lueur.

    Alors elle se souvint. Son père disparu, l'horrible sensation de brûlure, de possession alors qu'elle fonçait tête baissée dans cette chose. L'impression de mourir. Ce fut alors que quelque chose d'autre émergea du fond de sa mémoire. Elle redressa le buste, et inspira l'air à plein poumon pour un nouveau cri instinctif.

— Sophie !!

    Mais personne ne lui répondit, seul sa petite voix se réverbéra en écho dans la minuscule cavité qui la tenait prisonnière.

    "Un écho ?"

    Une sortie ! La minuscule grotte où elle se trouvait paraissait bien trop petite pour permettre au son une telle réverbération, aussi scruta-t-elle les alentours à la recherche d'un quelconque trou qui aurait pu le permettre. Rien. Maëlys se dégagea en hâte de son coin et rampa au sol comme un insecte. La terre s'accrochait sur sa robe en tissu violet tandis qu'elle examinait chaque recoin de sa prison rocheuse. Si quelqu'un avait pu l'installer ici, il eut bien fallut la faire rentrer quelque part. Là ! À l'opposé de sa position, Maëlys observa un léger interstice entre deux pierres laissant passer un mince filet d'air salvateur dont elle profita avec plaisir. Elle entreprit alors d'observer ce qu'il se trouvait de l'autre côté. De la pierre, encore et toujours. Un détail dont elle n'avait pas encore fait attention la frappa à cet instant. Elle voyait ! Bien sûr, la jeune fille n'avait jamais eu l'occasion de descendre sous terre, mais certains habitants d'Izalia travaillaient à la mine non loin et elle avait déjà eu l'occasion d'entendre leurs histoires sombres et terrifiantes de bruits étranges et de noir plus opaque que la plus sombre des nuits. Alors pourquoi ses yeux percevaient-ils si bien ce qui l'entourait ? Elle eut beau regarder, aucune source de lumière ne semblait être à sa portée, et pourtant il régnait dans la grotte une aura froide et faiblarde qui semblait jaillir de nulle part. Elle secoua la tête, pas de temps à consacrer à ce détail insignifiant au vu de sa situation. Du bout des doigts, Maëlys entreprit de sonder l'ouverture qui s'offrait à elle. L'une de ces roches devait certainement pouvoir se décaler, elle n'avait pas pu tout bonnement apparaître ici. Tirant de toutes ses forces, elle parvint difficilement à décaler le rocher à peine plus haut qu'un demi mètre. Cela n'était certes pas assez, mais Maëlys se sentit soudain pleine d'une énergie nouvelle qui lui octroya la force et la volonté nécessaire pour poursuivre ses tentatives malgré les ahanements et la sueur qui commençait à perler sous ses vêtements : L'instinct de survie.

    Au prix de grands efforts et d'acharnement, elle parvint enfin à créer un interstice bien plus large dans lequel il lui fut permis de s'immiscer difficilement. Sa tentative emporta avec elle un morceau de sa longue robe dans un déchirement de tissu amer. Elle qui adorait cette robe se retrouvait avec un chiffon déchiré, révélant une partie de son mollet. Tant pis...

    L'autre côté ne jurait nullement avec ce qui lui avait été donné de voir au sein de sa prison, si ce n'était la dimension. Ici, une gigantesque cavité rocheuse l'entourait tel un vestibule duquel elle pouvait voir partir un chemin sur sa droite, comme un long couloir lui indiquant qu'elle était la direction à prendre.

    Tout demeurait étrange ici, les murs paraissaient composés d'une seule et même roche tant les pierres semblaient si bien s'imbriquer les unes dans les autres en ne laissant aucun espace. Maëlys s'approcha du mur opposé en prenant garde à ne pas trébucher sur les multiples rochers parsemés sur le sol. Face à elle se trouvaient plusieurs poutres de construction placées de telle sorte qu'elles semblaient soutenir la cavité, une construction faite de la main de l'homme, elle n'était donc pas dans un endroit aussi éloigné de la civilisation qu'elle le pensait. Et toujours cette lumière ineffable qui paraissait éclairer l'intégralité du lieu, comme si un quelconque soleil terne dispersait ses rayons à l'intérieur. Délicatement, un léger courant d'air balaya le bas de sa robe et vint se frotter à son mollet mis à nu. Un frissonnement la saisi.

    "De l'air... L'extérieur peut-être ?"

    Mais un nouveau sentiment de peur la gagna. Charriés par le courait d'air, d'étranges bruits aussi inconnus qu'incongrus lui parvinrent. Des bruits de roche, des bruits de pas, des grognements même ! Elle n'était plus sûre de rien, son imagination d'enfant rappelait à elle les pires cauchemar et tous les monstres des placards dont elle était jadis terrorisée, et qui semblait, en ce lieu, reprendre toute leur substance.

— Il... bégaya-t-elle la voix tremblotante. Il y a quelqu'un ?

    Le son de sa voix émit un faible crissement presque inaudible, tiraillée entre le désir et la peur qu'on lui répondît réellement. Malgré le tremblement incessant de ses jambes, ses pieds se murent lentement comme empâtés dans une glu poisseuse alourdissant le moindre de ses mouvement. Elle longeait le mur comme un insecte apeuré tout en s'approchant du long couloir qui semblait s'étendre de côté, sa main glissait sur le mur caillouteux en lui offrant un sentiment étrangement rassurant. La tête passa la première, craintive, puis le haut du corps jusqu'à ce qu'elle se trouvât enfin entièrement face au couloir dont le fond lui paraissait insondable malgré la lumière onirique qui éclaboussait l'ensemble.

    D'étranges vibrations lui remontaient par les jambes, comme un grondement de tonnerre trop lointain pour qu'on le ressentît réellement. Le sol tremblait imperceptiblement, puis s'arrêta.

    Aucun bruit, elle tendit l'oreille aux aguets, attentive au moindre bruit suspect. Mais rien, si ce n'était les sons réguliers qui, en eux-mêmes, suffisaient à la faire frémir. Soudain, son oreille capta un son. Une plainte légère et difficile à entendre qui paraissait venir du fin fond du couloir. La brise se manifesta à nouveau, titillant ses vêtement et ses cheveux brun retenus par un fin bandeau de tissu bleu. Maëlys recula, comme surprise par cette brusque arrivée, les bras serrés contre son torse comme prêts à se défendre d'une quelconque entité. La brise se mua en bourrasque plus puissante et emporta la longue lamentation qui résonnait contre les murs, un gémissement de plus en plus intense, de plus en plus sonore tandis que la rafale ballotait ses vêtement. Maëlys partit à la renverse, surprise par la soudaine violence, un cri de terreur presque inaudible face au vacarme. Alors elle pleura toute sa peur, recroquevillée à-même le sol et enserrant ses jambes en une position fœtale. La pauvre fille hurla toute l'aide qu'elle espérait obtenir, mais qui appeler dans ce caveau éloigné de tout ? Son père volatilisé ? Sa mère disparue depuis des années ? Sophie, dont elle ne connaissait même pas le sort ?

    Malgré son angoisse, l'instinct de survie dont était normalement doté chaque être humain lui sommait de ne pas rester sur place. Elle devait avancer, progresser dans ce dédale. Personne ne savait qu'elle était ici, les habitants du village ne viendraient sûrement pas sonner à leur porte avant le lendemain matin, si ce n'était plus tard et il faudrait encore plusieurs heures à cela avant que l'on ne s'inquiétât, supposant peut-être que père et fille s'en était allés récolter quelques ingrédients pour leurs soins. Si elle attendait patiemment ici, personne ne viendrait la chercher. Cette sentence impitoyable lui retourna l'estomac, mais eut le bienfait de la faire réagir promptement.

    Continuer. Avancer coûte que coûte, elle aurait toujours plus de chance de trouver quelqu'un si elle poursuivait son chemin. De plus, marcher lui donnerait un but et un moyen d'arrêter ses pensées sur un geste simple, loin de toutes les ruminations ténébreuses dont elle était victime à l'heure actuelle. Aussi se leva-t-elle, le cœur battant la chamade en s'engouffrant dans le dédale. Le vent, cela n'était que le vent mugissant dans un endroit étriqué.

    Quelques minutes plus tard, Maëlys parut apercevoir une nouvelle cavité signant la fin du couloir, et qui lui révéla ainsi son erreur de l'avoir cru si long, son esprit trompé par la longueur exacerbée que semblait avoir cette nouvelle salle. Prudemment, la jeune fille poursuivit son chemin et aperçu de mieux en mieux les recoins qui s'offraient à elle.

— Je me disais bien avoir entendu quelqu'un d'autre.

    Voix grave. Elle hurla sans retenue, animée par une peur aussi soudaine qu'inattendue qui lui octroya un regain d'adrénaline propice à la défense. Aussi ne réfléchit-elle pas plus, sa main vola devant elle de toute la force dont son petit corps était capable, et vint s'écraser violemment sur le bras dénudé d'un homme qu'elle ne prit même pas la peine de regarder avant de s'enfuir à toute jambes. Elle hurlait au secours à qui voulait bien l'entendre, ignorant que la personne qu'elle venait de marteler était peut-être bien le seul secours qu'elle souhaitait si ardemment.

— Ca va pas ? s'insurgea l'homme exagérément outragé. 

— Laissez-moi tranquille espèce de brute ! hurla la jeune fille en accompagnant sa parole d'un lancer de pierre plus que précaire.

— Mais arrête je te dis ! J'espère que l'autre blonde est pas aussi folle !    

    Maëlys se stoppa net, manquant trébucher dans sa course. L'autre ? Quelle autre ?

— Sophie ? questionna Maëlys les yeux soudain plein d'espoir sur ce visage terrorisé. Vous savez où elle est ?

— C'est ton amie ? Elle tapait un roupillon par terre. Mes gars l'ont emmenée.

    A ces paroles, la petite prit quelques minutes pour détailler un peu plus l'inconnu qu'elle avait face à elle. S'ils avaient Sophie, mieux valait se méfier, rien ne disait qu'il ne l'avait pas séquestrée quelque part. Peut-être même était-ce bien cet homme et ses "gars" qui étaient la raison de leur enfermement ici !

    L'homme lui lançait un regard dénué d'expression, si ce n'était une certaine lassitude de la situation. Droit dans ses bottes de cuir, il affichait une tenue légère malgré la fraîcheur de la grotte, simple pantalon de toile serré et réhaussé d'un pourpoint de cuir sans manche laissant apparaître deux bras taillé par le combat. Son visage s'enfouissait dans un amas désordonné de cheveux sombres que venait compléter un lourd voile ocre autour du cou remontant jusqu'à son visage et camouflant ainsi sa bouche. Seuls deux petits yeux perçant semblant tout aussi sombres dans la lumière timide de la grotte se détachaient de ce visage d'adulte potentiellement dangereux.

— Emmenée ? finit-elle par demander sans baisser sa garde. Où ça ?

    L'homme marmonna quelques mots dissimulés par tout son attirail. Sans rien n'en discerner, il n'en fallut pas plus Maëlys pour comprendre son agacement.

— J'aurais mieux fait de la laisser croupir ici celle-là... parvint-elle tout de même à déchiffrer.

— Je vous demande pardon ?

— Rien. Suis-moi, je te ramène à ton amie.

    Maëlys darda sur ce nouveau venu un regard emprunt de méfiance et de suspicion. Malgré tout l'effet que lui faisait cet homme à l'allure pour le moins peu avenante, il restait le seul à pouvoir l'aider. Elle le suivit alors, emboitant son pas rapide et régulier à travers la cavité de pierre au décor inchangé si ce n'était le creux formé en son centre. Le petit groupe bifurqua sur la droite tandis que Maëlys prenait soin de rester le plus proche possible du mur, les yeux constamment rivé sur le trou central. Bien que l'on en vît le fond, une chute de cette hauteur n'en serait pas moins mortelle pour elle, ou pire ! Elle pourrait s'en sortir vivante et se retrouver les jambes cassées à devoir attendre que la faim ou la soif ne daignât l'emporter dans sa grande bonté. La jeune fille frissonna à cette idée et un nouvel élan de peur faillit la submerger quand son guide reprit la parole.

— Moi c'est Ergo, au passage, déclara-t-il de sa voix étonnamment claire pour sa dégaine de baroudeur. Et toi ?

— J'évite de donner mon nom au inconnu, déclara Maëlys tout de go, la main toujours plantée sur le mur et le regard fixe droit devant elle.

— Je sens qu'on va se marrer... railla Ergo en se concentrant à nouveau sur le chemin, une mine lasse collée au visage.

— Où est-ce que l'on va ? interrogea Maëlys tandis qu'ils prenaient un nouveau virage sur la gauche, délaissant ainsi la crevasse pour retourner dans un boyau bien plus étroit qui leur laissa néanmoins le loisir de marcher sans être trop serrés.

— Je te l'ai dis, je te ramène à ton amie. Mes gars l'ont emmenée à la Caverne.

— Quelle caverne ? 

    Mais Ergo se contenta de soupirer, visiblement lassé de toutes ces questions incessantes. Maëlys n'eut d'autres choix que de suivre cet inconnu au travers de ce dédale de roche froid et sombre, sans même savoir qui il était. Après tout, avait-elle d'autres choix ? Entre le suivre où rester seule dans cet endroit sinistre, le choix était vite fait !

    Il marchèrent ce qui sembla être à Maëlys un quart d'heure, comment aurait-elle pu le savoir avec exactitude sans un ciel au dessus de sa tête ? Leurs pas les menèrent ainsi à une bifurcation en L. Au bout, Maëlys se retrouvera éberluée face à un gouffre sans fond ni fin. Un abîme d'encre noire à perte de vue duquel s'extirpait quelques arpents rocheux semblant tenter une évasion visiblement impossible, comme si de longues mains avaient tentées de s'échapper de ce néant avant d'abandonner corps et bien et de se retrouver réduit en pierre sans vie, érodée pour l'éternité jusqu'à ce qu'il n'en restât plus aucune trace. Un peu partout s'étirait de longs ponts de corde et de bois paraissant survoler le tout et créant ainsi un réseau, certes rudimentaire, mais qui avait le mérite de tracer un semblant de route.

    Alors qu'elle se tenait presque recroquevillée devant l'abîme, Maëlys ressentit le vide la happer toute entière, comme s'il cherchait à l'emmener à elle en lui susurrant des mots tendres et apaisants. Presque comme si tout ce qu'elle avait toujours attendu était de ce jeter dans ce néant insondable, ce noir si intense qu'il en devenait presque rassurant, presque aimant...

Une main ferme s'abattit sur son épaule, et elle poussa un cri lorsque son instinct de survie reprit subitement le dessus, alerté par son cerveau qu'un être infâme tentait peut-être de l'expédier vers une mort certaine. Elle recula sous la panique, secouant les bras pour s'arracher à cette étreinte qui ne sembla opposer aucune résistance.

— Fais gaffe gamine, la sermonna Ergo, tu serais pas la première à te jeter là dedans. M'enfin tu fais comme tu veux, hein !

— On..., bégaya la petite. On doit vraiment passer par là ?

— Non, tu peux aussi rester ici, railla Ergo en entamant sa marche d'un pas décisif sur le pont branlant.

    L'air hésitant, Maëlys se cramponna aux cordes de chanvre tirées aux côtés des lattes de bois mal agencées. Entre certaines, elle pouvait percevoir les ténèbres percer le sol précaire. Loin devant elle, son guide avait déjà atteint le premier promontoire rocheux, et se dirigeait d'une marche décidée vers le pont suivant que la lumière éthérée peinait à éclaircir. Si elle ne se remettait pas, l'homme l'abandonnerait sur place rapidement. S'élançant plus vaillamment sur la traversée branlante, Maëlys s'aperçut que le versant suivant offrait deux trajet possible, elle dut plisser les yeux pour apercevoir la silhouette sombre de son guide sur le pont de gauche. La panique la gagnait, son seul espoir de sortie résidait en cet homme, lui qui n'avait aucun égard pour elle. Elle pressa le pas, la main toujours solidement agrippée à la rambarde.

— Attendez-moi ! cria-t-elle à travers la brume.

Et elle appela tout du long, le suppliant de ne pas la laisser sur place, jusqu'à enfin atteindre la silhouette stoppée au milieu du pont comme s'il écoutait quelque chose au loin.

— Cela vous amuse ? protesta la jeune fille au bord des larmes. Vous comptez m'abandonner ici c'est ça ?

— Tais-toi, ordonna sèchement son guide, le visage toujours tourné vers la pénombre en bout de pont qui dissimulait aisément la suite de leur trajet.

    Maëlys ne comprit pas de suite ce qu'il se passait, toute retournée qu'elle était encore de sa traversée. Puis elle l'entendit. Un grognement, d'abord léger, redondant, comme un chat qui ronronne. Non, pas un chat, plutôt comme une grosse abeille bourdonnant, un son entêtant aux accent gutturaux. Mais ce qui l'inquiéta encore plus n'était pas le son en lui-même, mais bien le regard concentré de son guide dans lequel pointait un soupçon d'anxiété.

    Le bourdonnement se transforma en râle glauque et rugueux. Une ombre mouvante coulait dans la pénombre et s'approchait d'eux à pas hésitants.

— Qu'est-ce que...

    Mais Maëlys n'eut pas l'occasion de finir sa phrase, la chose se dégagea de l'obscurité pour se dévoiler au grand jour. Un être humain. Une chose immonde dont les bras pendaient mollement vers le bassin. Sa peau virait entre un gris mort et un violet douloureux. Son corps flétri derrière des loques de tissu déchiré se parait de croute, comme d'innombrables cicatrices qu'on aurait laissé empirer, et son visage... Ses yeux ternes n'étaient plus que deux globes vitreux d'où n'émanait plus aucune âme et surplombaient une bouche s'ouvrant sur une antre sombre dont les mâchoires se déchaussaient en un rictus effrayant. Un sentiment de peur intense empoigna le cœur de la pauvre fille, réduite à agripper pitoyablement la corde telle une ligne de vie inutile.

    Ergo réagit au quart de tour.

— Fais chier ! éructa-t-il en reculant. Un Changé !

    La créature chargea, prise d'un élan brinquebalant tant ses jambes arquées peinaient à assumer la course.

    Ergo empoigna Maëlys et la jeta plus loin avant de se retrouver plaqué par la créature infâme. La petite valdingua derrière, hurlant de crainte de se retrouver jetée par dessus bord. Son visage vint s'écraser à la limite, lui offrant une superbe vue sur le néant obscur. Elle se redressa, le cœur battant la chamade. À quatre pattes sur les planches inégales, elle vit son compagnon se débattre avec la chose informe qui les attaquait. Les râles rauques que poussaient les deux combattants montraient quel féroce combat se menait sous son nez. Pauvre gamine inutile, réduite à crier et geindre sans pouvoir rien faire.

    De son côté, Ergo bataillait comme il le pouvait, tournant et retournant son adversaire tout en espérant que le sol ne se dérobât pas sous son corps. Concentré par le combat, il en perdait la notion d'espace et de temps. Où était-il ? À quel niveau du vide se trouvait-il ? Pouvait-il espérer balancer son adversaire par dessus bord ? Une douleur poignante le foudroya au niveau du bras qui le maintenait hors de portée de la créature. D'ignobles dent jaunies tentait de percer son bras nu. Le sang commença à couler et, de sa main valide, Ergo asséna de violents coups sur le crâne dégarni de son adversaire dans l'espoir de le voir lâcher prise. Il ne comprit pas de suite que ces coups n'y furent pour rien lorsque la tête du Changé valdingua en arrière, l'arcade ouverte. Il se redressa, le bras collé à sa poitrine. Derrière la créature, Maëlys reculait, des larmes plein les yeux et une épaisse pierre à la main. Un cri de rage envahit l'espace, se répercutant en écho contre les parois invisibles du gouffre, et la créature fonça tête baissée, les croc dénudés en une mimique assassine et un regard emplit d'une haine profonde et d'une démence incommensurable. Maëlys se tenait au milieu du pont, incapable de bouger face à cette démonstration de violence pure, primaire. Ergo, accroché comme il le pouvait à la corde, le remarqua lui aussi. Il devait agir, s'il restait béat à ne rien faire, la petite finirait ses jours ici-même avec une certitude plus que certaine. La créature passa brusquement devant lui et, de son bras valide, l'homme attrapa les reste de vêtement dont était affublée le Changé. De toute la force dont il fut capable malgré la douleur, il fit décrire à la créature un arc de cercle qui le dévia de sa course folle pour l'entraîner dans son élan vers l'abîme. Le plan fonctionna à merveille, incapable de s'arrêter le Changé percuta la corde de plein fouet au niveau de l'abdomen et le vide accueillis ses jambes tandis que la longe s'étirait plus que de raison. Le retour de force de la corde l'envoya à la renverse, le dos courbé par la jointure entre les latte de bois et le vide. Rapidement, le poids de son corps l'attira vers le néant, les bras gigotant en tout sens dans l'espoir d'accrocher quoique ce fut. Et ce fut Ergo.

    Un ultime regard d'angoisse croisa celui de la gamine avant que son corps ne fût attiré à son tour. D'un réflexe digne d'un instinct de survie entraîné, Ergo s'agrippa aux autres planches comme à son seul salut. À ses pieds suspendus au dessus de l'abîme obscur, l'abomination s'accrochait de toutes ses forces. Pourtant, aucune lueur ne perçait dans ses grands yeux laiteux. Aucun désir de vie ne semblait l'habiter. Il n'y avait que violence et haine dans ses gestes. Une volonté de blesser, une rage inépuisable comme une douleur pernicieuse qui ne s'arrêtait pas.

    Ergo, quant à lui, déchaînait les coups de pieds dans l'espoir de déloger son assaillant sans toutefois l'accompagner dans sa chute. Entreprise pour le moins compliquée, le Changé l'empoignait avec hargne. Quel destin pitoyable... Survivre aussi longtemps dans les abysses de cette grotte lui qui avait toujours fait en sorte d'assurer sa survie, il mourrait pour une gamine stupide qui finirait de toute manière par succomber à son tour. Et ses appels à l'aide incessants n'y changeraient rien.

    Et pourtant, la gamine qu'elle était ne demeura pas les bras croisés à attendre une aide providentielle. Un lieu si sombre et sinistre devait très certainement avoir été oublié de toute entité divine. De retour au promontoire précédent à seulement quelques mètres de l'altercation, Maëlys déplora l'absence d'autres pierres susceptibles de se transformer en projectiles suffisamment conséquents. Toutefois, elle repéra non loin le second pont qu'ils n'avaient pas empruntés l'instant d'avant et notamment ses planches branlantes et abîmées prouvant à quel point celui-ci était peu usité. La première latte se détacha avec aisance et elle sentit un soulagement en entendant son camarade se débattre, elle craignait que son cri ne diminuât, lui apprenant avec certitude la fin tragique et abominable de son guide.

    Les griffes du Changé agressaient la peau d'Ergo tandis qu'il parvenait à se hisser jusqu'à sa taille à grand coup de râle et de muscles bandés à s'en faire mal, si tant était qu'il pût ressentir la moindre douleur. Ce dont Maëlys douta quand, allongée au bord du précipice, le bout de planche vint heurter avec violence le visage  balafré et hideux de la créature. Celle-ci ne se départit pas de son regard haineux, accusant le coup comme s'il ne s'agissait là que d'une simple brindille de saule. Plusieurs coups furent nécessaires et Maëlys,  yeux à demi aveuglés par les larmes, entendit distinctement le craquement sinistre de l'échine qu'elle brisa sous ses assauts répétés. La créature émit un dernier gémissement, la tête branlante et le corps relâché de toute tension. Elle lâcha prise, glissant telle une plume dévorée par la nuit. On n'entendit pas de choc, rien que la respiration saccadée d'Ergo dont les muscles meurtris peinèrent à le hisser sur une surface stable.

    Il prit quelques minutes afin de recouvrer une respiration plus calme, conscient de ne pas être passé loin de la fin cette fois-ci. Tout cela était monnaie courante en ce lieu, la gamine finirait par s'en accommoder tôt ou tard. Mais pour le moment, elle pleurait à chaudes larmes, son corps d'enfant prostré et tremblant. «Une si petite gamine... » songea Ergo avec une pointe d'amertume. Elle aurait tout le loisir de s'acclimater à son nouvel environnement. Pour l'heure, l'homme la souleva avec délicatesse pour la remettre sur ses petites jambes frêles.

— Allez viens gamine, déclara-t-il sur un ton étonnement doux que son visage de marbre trahissait. On est presque arrivé.

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10 Comments

1 month
Aaah on atterrit dans un autre monde ? J'aurai aimé plus de description des lieux, j'ai du mal à percevoir si on est dans une grotte ou quoi.
Sinon c'est très intriguant et j'ai envie d'en savoir plus.
Par contre pourquoi n'est-elle pas surveillée comme Sophie ?
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1 month
C'est vrai que je peux avoir tendance à croire que tout le monde me comprend sans insister 😅 Je reverrai ça, merci !

Qu'est-ce que tu entends pas "surveillée comme Sophie" ?
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1 month
C'est vrai que je peux avoir tendance à croire que...
Elle a l'air de pouvoir aller et venir comme elle veut alors que Sophie non.
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1 month
Elle a l'air de pouvoir aller et venir comme elle ...
Ah je vois ! Alors Ergo annonce qu'ils l'ont trouvé par terre et que ses gars l'ont emmenée avec eux. Et quand il rencontré Maëlys il lui dit qu'il était sûr d'avoir entendu quelqu'un d'autre.
Je reverrai ce passage s'il n'a pas été clair en tout cas, merci beaucoup ! 😁
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2 months
J'ai voulu laissé des com, mais je ne peux pas en ajouter s'il y a déjà des commentaires sur le paragraphe :/ dommage
Je suis contente de retrouver Maelys ^^ On découvre un nouveau décors, sombre. Je me suis demandé si c'était la grotte du prologue. J'aime bien le côté taciturne de Ergo. Le duo est cool ! Et la découverte de ce "Changé" aussi, en ajoute au mystère. je me demande si c'est pas un rapport avec els disparus.
Je dirais que si je dois relever quelque chose, c'est plus sur la forme. Il y a parfois des répétitions, et des phrases ou des éléments un peu qui pourrait être simplifiés pour apporté plus de fluidité. Certaine expressions aussi qui me semblent mal utilisé. (je les notes pas vu que ce n'est pas une Bêta-lecture. Ceci dit, ça pourrait être intéressante pour toi d'en avoir une pour repérer ça) Mais sur le fond, c'est très sympa :)
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2 months
Merci beaucoup ! Je vois pour des bêta-lecture en ce moment, j'étais sur une optique plus tranquille en écrivant ce roman il a besoin d'un œil extérieur je pense.
Merci pour tes conseils et ta lecture ! ❤️
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2 months
Merci beaucoup ! Je vois pour des bêta-lecture en ...
J'y pense, mais si tu veux, je connais des forums et des discords de bêta lecteurs. hésite pas à me demander si tu en cherches.
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2 months
J'y pense, mais si tu veux, je connais des forums ...
Cool ! Je t'enverrais un message sur le discord alors !
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2 months
Très sympa ce chapitre ainsi que la nouvelle dynamique qu’il amène avec l’arrivée de ce nouveau personnage 😊
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2 months
Merci beaucoup pour ta lecture et tes conseils ! Moi qui pensais avoir déjà fait une bonne relecture, ce travail est jamais fini 😅
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