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Hanae_Ecriture
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Chapitre 7 - La grotte sous-marine (1/2)

La nuit s’était refermée sur le Lac Noir comme un couvercle sur une jarre scellée, noyant les rives sous une obscurité dense, presque matérielle. Au-dessus de nous, seules quelques étoiles pâles scintillaient faiblement, trop lointaines pour percer les ténèbres qui nous cernaient. Tout était calme, mais ce silence n’avait rien de paisible. Il vibrait d’une tension sourde, chargée d’un mélange étrange d’excitation fébrile et de peur difficile à nommer. Un souffle d’orage retenu flottait dans l’air, suspendu entre deux battements de cœur.

Chaque pulsation dans ma poitrine résonnait comme un tambour solitaire, écho intérieur d’un compte à rebours invisible. Je percevais le moindre frisson dans ma nuque, le moindre picotement sur ma peau, comme si mes sens s’étaient affûtés à l’extrême, prêts à capter l’invisible. Devant nous, l’eau du lac, noire et parfaitement immobile, reflétait le ciel sans vie. Sa surface lisse avait quelque chose de solennel, comme si elle gardait en son sein un savoir ancien, inavouable, que nous étions sur le point de profaner.

Une brise discrète s’éleva, glissant sur ma joue avec la délicatesse d’un souffle d’outre-tombe. Elle portait une odeur d’algues, de terre humide et d’autre chose, plus subtil, comme le parfum oublié d’un lieu sacré. Mes mains, crispées sur les rebords rugueux de la barque, trahissaient mon trouble. La fraîcheur du métal contre mes paumes moites me ramenait sans cesse à la réalité : nous étions là, au bord d’un acte dont les conséquences nous échappaient encore.

Autour de nous, les arbres formaient un rempart impénétrable. Leurs troncs dressés, droits comme des piliers de pierre, guettaient nos gestes. Leurs feuillages noirs se balançaient à peine, dans une immobilité presque hostile, comme s’ils retenaient leur souffle. Dans cette pénombre, même les formes familières prenaient une allure étrange, déformée, comme si la forêt elle-même retenait quelque chose… ou quelqu’un.

À mes côtés, mes amis ne disaient rien. Mais je sentais leurs tensions, aussi clairement que si je les avais portées sur mes propres épaules. Leurs regards furtifs, leurs poings serrés, leurs respirations saccadées… tout en eux criait l’incertitude. Chacun puisait dans ses ressources pour ne pas flancher. Nous avions déjà trop avancé pour reculer, et pourtant, au fond de nous, une même question grondait : étions-nous prêts ?

Je fermai les yeux un bref instant, essayant de dompter la panique qui menaçait de m’envahir. Il ne s’agissait plus seulement d’un défi ou d’une exploration interdite. Nous étions à la lisière d’un basculement, d’un moment qui redéfinit tout. Ce que nous découvririons au fond de ces eaux sombres ne nous laisserait pas indemnes. Quelque chose allait se briser ou s’éveiller en chacun de nous. Et je le pressentais dans chaque fibre de mon être : rien ne serait plus jamais comme avant.

— Prêts ? Murmura Ethan, son visage blême à la lumière de la lune.

Je hochai la tête, ravalant ma peur.

— Prêts à affronter ce qui se cache sous la surface, répondis-je, la détermination dans la voix.

Nous ajustâmes nos masques de plongée avec des gestes maladroits, les doigts tremblants d’un mélange d’impatience et d’appréhension. Tout autour de nous, l’air vibrait d’une tension silencieuse, comme si le temps suspendait sa course. Nos respirations, plus rapides, résonnaient dans le creux de nos casques, amplifiées par l’écho de nos pensées. Chacun savait que le moment était venu. Un dernier échange de regards suffit. Dans ce silence, nos yeux parlaient à notre place : on y lisait la peur, la résolution, et une question muette que personne n’osait formuler à voix haute. Puis, sans un mot, nous nous laissions glisser dans l’eau noire.

Le contact fut brutal. Une morsure glaciale nous happa instantanément, coupant le souffle, saisissant chaque muscle dans une étreinte brutale. Ma poitrine se serra. Le froid n'était pas seulement physique – il pénétrait plus profondément, jusqu'à réveiller des instincts enfouis. J’eus l’impression d’être aspiré dans un autre monde, un monde qui ne voulait pas de nous. L’eau s’accrochait à ma peau, à mes pensées, comme si elle cherchait à m’absorber tout entier.

Nous descendions lentement, nos mouvements mesurés, prudents, effleurant le silence oppressant de ce royaume englouti. Le faisceau étroit de nos lampes fendait l’obscurité comme une lame tremblante, révélant par instants des formes fugitives, des masses indistinctes qui disparaissaient dès qu’on tentait de les suivre du regard. Autour de nous, les parois rocheuses se rapprochaient. De vieux symboles y étaient gravés, creusés dans la pierre avec une précision qui trahissait des siècles d’histoire oubliée. À mesure qu’ils s’éclairaient, ces motifs étranges prenaient vie dans la pénombre, évoquant des scènes que notre imagination transformait aussitôt en récits inquiétants – cultes anciens, offrandes silencieuses, sacrifices noyés dans l’oubli.

Je sentis un frisson glacé courir sur ma colonne, aussi vif qu’un courant électrique. Chaque mouvement me tirait un peu plus loin de la surface, m’enfonçait dans cet univers immergé où les lois du monde extérieur perdaient leur logique. Le battement de mon cœur martelait mes tympans avec une régularité obsédante, s’accordant au rythme lent et hypnotique de mes coups de palme. J’avais l’impression que la pression de l’eau elle-même me scrutait, comme si le lac possédait une conscience. Une force invisible et silencieuse. Quelque chose qui attendait.

Je ne distinguais plus la voix de mes pensées. Elles s’effaçaient peu à peu, remplacées par une sensation brute : celle d’être observé. L’eau, lourde et dense, portait en elle un message muet, une mise en garde venue des profondeurs. J’aurais voulu me retourner, appeler les autres, mais le moindre geste coûtait une énergie précieuse. Tout devenait plus lent. Plus flou. Plus réel.

Dans cette noirceur mouvante, au milieu des ruines d’un monde enfoui, je compris que nous n’étions pas seuls. Et que ce que nous étions venus chercher… était peut-être en train de nous trouver.

— Regardez ça, chuchota Megan, fascinée.

Je m’approchai lentement de la pierre, les doigts frôlant sa surface rugueuse, et mes yeux se posèrent sur les dessins gravés avec une précision presque douloureuse. Sous la lueur vacillante de nos lampes, une créature d’une laideur saisissante prenait forme, encerclée de figures humaines déformées par l’angoisse. Chaque trait, chaque courbe racontait une souffrance ancienne, figée dans la pierre comme un hurlement étouffé. Les visages sculptés étaient crispés, les bouches grandes ouvertes dans un silence glaçant, les yeux écarquillés figés dans une peur éternelle. Au centre de ce chaos, la bête, couverte d’écailles épaisses, la gueule béante et les griffes prêtes à déchirer, avançait, implacable, comme si rien ne pouvait l’arrêter.

Une lourdeur me saisit la poitrine, un poids invisible, comme si l’histoire de ces âmes perdues cherchait à s’accrocher à moi, à me faire ressentir leur douleur, leur désespoir, leur fin. Un frisson me remonta l’échine, glacé, tenace, et mon souffle se fit court. Je percevais quelque chose de plus profond qu’un simple avertissement : une mémoire vivante, encore vibrante de souffrance. Un lien inexplicable naquit entre moi et ces ombres figées, une empathie brutale qui fit naître en moi une peur sourde, dévorante. Et tandis que mon regard restait prisonnier de la bête au centre du dessin, une seule pensée tournait dans mon esprit, comme un écho obsédant : étions-nous les prochains à prendre place sur cette fresque de cauchemar ?

— Ça doit être là, la source de la malédiction, dis-je, l’esprit en émoi.

Au fond de la grotte, une lueur étrange brillait dans l'obscurité, telle une flamme vacillante, captivant nos regards comme un phare mystérieux guidant notre avancée. Nous nous en approchions lentement, presque malgré nous, chaque pas résonnant dans l'immensité silencieuse. L'air était dense, saturé de l'humidité de la terre, de l'odeur de la roche et du bois pourri, ce qui rendait chaque respiration plus difficile, plus pesante. La lumière, tout d’abord timide, se faisait de plus en plus intense, projetant des ombres distordues sur les parois humides, qui se dressaient comme des murs vivants, rugueux et glacés au toucher. Un frisson incontrôlable me parcourut l’échine, et une angoisse sourde m’étreignit alors que je pressentais quelque chose d'invisible, tapi au-delà de ce halo étrange. Ce n'était pas une simple lumière. C'était un appel.

Tout à coup, un bruit sourd brisa le silence oppressant de la grotte. Un cri, ou quelque chose qui y ressemblait, étouffé, presque inhumain, montait des profondeurs. Mon cœur se serra dans ma poitrine, se faisant plus lourd à chaque battement. Il battait si fort que j'avais l'impression qu'il allait éclater. Mes yeux, agrandis par la terreur, scrutèrent l’obscurité. Un mouvement furtif attira mon attention dans les ténèbres. Une silhouette, à peine perceptible, glissait le long des parois, comme une ombre désincarnée. Mon corps réagit plus vite que ma pensée. Je me retournai brusquement, chaque muscle tendu, l’adrénaline se déversant en flots chauds dans mes veines, me donnant l’impression de m’éveiller d’un long sommeil. L’air autour de moi vibrait, lourd et presque électrique, saturé d'une tension palpable, comme si la grotte elle-même retenait son souffle.

Je pouvais presque ressentir la présence de la roche, chaude et vivante sous mes doigts. Elle s’étirait, s’agiter, comme si ce lieu ancien, cet endroit oublié, s’éveillait peu à peu. Je fermai les yeux un instant, les ouvrant avec précaution, comme pour me rassurer de ce qui était réel. Mais l’instant suivant, je compris qu’il n’y avait plus de retour. Ce que nous cherchions, ou ce que nous avions réveillé, ne laisserait aucune chance de rédemption.

— Vous avez entendu ça ? Demandai-je, le cœur battant.

Ethan hocha la tête, ses yeux s’agrandissant de terreur.

— On devrait faire demi-tour, souffla-t-il, mais quelque chose en moi était déjà irrémédiablement attiré par cette lumière.

            — Non, nous devons aller voir, insista Megan, la détermination animant sa voix. Tom est peut-être là.

Le murmure de l’eau, discret au début, prenait peu à peu de l’ampleur, se transformant en une mélodie lugubre qui s’insinuait dans nos pensées, envahissant l’espace comme une présence invisible. Chaque goutte vibrait, murmurant des secrets perdus, des voix oubliées, qui se mêlaient à la brume qui flottait dans l’air. L’atmosphère devenait plus dense, presque suffocante, comme si chaque respirations lourdes et précipitées alimentait cette oppression croissante. Nous avancions, pas à pas, plus conscients du silence qui nous entourait que de nos propres mouvements. Nos cœurs battaient à l’unisson, résonnant dans nos poitrines comme des tambours de guerre, et pourtant, chaque bruit que nous produisions brisait quelque chose de fragile, de précieux, dans cette grotte dévastée.

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