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Hanae_Ecriture
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Prologue - La nuit de disparition (2/2)

Mais cette nuit-là, il n’y avait plus rien à nier. Tout devenait réel.

— Bon sang ! Qu’est-ce que c’est ?

Je me redressai d’un bond, le souffle haché, comme arraché à ma gorge par une peur soudaine. Mon torse se soulevait de manière désordonnée, incapable de retrouver un rythme stable. Mes mains, tremblantes, trahissaient une panique que je ne contrôlais plus. Sous mes pieds, à peine à quelques centimètres de la coque, une masse obscure fendit les eaux. Si proche que j’eus la sensation, l’espace d’un instant, de pouvoir la toucher. Un froid mordant remonta des profondeurs, s’infiltra en moi comme une lame invisible, glacée, m’engloutissant tout entier dans une marée de frissons. Ce n’était pas une bête connue. Ce n’était pas un poisson, ni une créature identifiable. C’était autre chose. Une présence que mon esprit refusait de nommer. Une conscience étrangère, surgie d’un monde que l’homme ne devrait jamais approcher.

La barque se mit à pivoter lentement, puis plus vite, entraînée par une spirale que je ne voyais pas, mais que je ressentais dans chaque fibre de mon corps. Les planches grincèrent sous mes pieds, et la lumière blafarde de la lune tournoyait autour de moi dans une danse désorientante. Je m’accrochais à ce frêle esquif, comme si mes doigts seuls pouvaient me sauver d’une chute imminente vers l’inconnu. Mon esprit, lui, s’acharnait à chercher une explication – un courant, une illusion, une hallucination passagère… mais tout échappait à la logique. Rien n’avait de sens. Tout me dépassait.

Et les voix étaient toujours là. Plus nettes, plus pressantes. Elles flottaient autour de moi comme une brume sonore, caressant mes tempes, effleurant ma nuque, m’enveloppant d’un murmure doux et persistant. Elles m’appelaient. Mon prénom se détachait parmi les sons, répété avec une délicatesse inquiétante, comme si une force invisible voulait me séduire, m’attirer, m’engloutir. Elles n’étaient pas humaines. Pas tout à fait. Trop mélodieuses, trop fluides pour appartenir à des lèvres vivantes.

Une pression monta dans ma poitrine, brutale, écrasante. Une boule brûlante de peur et d’attirance, un poids qui me comprimait les côtes et ralentissait ma respiration. C’était une lutte intérieure, un tiraillement entre la peur de l’inconnu et l’étrange fascination qu’il exerçait. Autour de moi, la nuit se refermait, devenait plus dense, comme si le ciel lui-même avait oublié de respirer. Chaque minute rallongeait mon malaise, chaque seconde m’isolait davantage dans cette bulle de silence hanté.

Je ne savais plus ce qui relevait du réel ou du délire. Les contours du monde se brouillaient. Les silhouettes sur le rivage se dissolvaient dans l’obscurité. Les ombres prenaient vie, se tordaient, s’étiraient dans l’eau en formant des figures mouvantes, presque humaines. Et dans ce chaos visuel et sonore, une certitude me rongeait : quelque chose m’observait. Quelque chose d’antique, de puissant, et de terriblement conscient de ma présence.

— C’est impossible... Impossible...

Je me penchai un peu plus, les doigts crispés sur le bord de la barque, cherchant à percer l’épaisseur de l’eau noire malgré les élans de panique qui montaient en moi, secouant mes entrailles. Mon cœur battait avec une telle violence que j’en sentais les pulsations jusque dans mes tempes. Sous la surface, des lumières surgissaient lentement, dansant avec une grâce irréelle. Elles tourbillonnaient comme des lucioles perdues dans les abysses, formant une chorégraphie étrange, presque envoûtante. Mon regard y resta accroché, happé par cette beauté inquiétante, comme si ces lueurs cherchaient à m’attirer vers quelque chose que je n’étais pas censé voir.

Puis dans un fracas silencieux, l’eau se déchira.

Une masse noire surgit, brisant le miroir liquide avec la violence d’un secret qui ne voulait plus rester enfoui. Une forme colossale se redressa dans l’obscurité, indistincte, aux contours mouvants, comme sculptée dans les ténèbres elles-mêmes. Elle se dressait devant moi, immense, insondable, aussi irréelle qu’une chimère née d’un cauchemar ancien. Une impression d’intelligence glaçante m’effleura, comme si cette chose me voyait, me jaugeait, attendait quelque chose de moi.

Ma gorge se ferma, incapable de libérer le cri qui y brûlait. Mon souffle se bloqua net, déchiré par une peur brute, primitive. Mes muscles, eux, refusaient tout mouvement. Je restai figé, incapable de détourner les yeux, les jambes pétrifiées par la terreur. Autour de moi, l’air devint plus lourd, presque solide, et chaque inspiration était une lutte contre un étau invisible. Le froid me saisit, me transperça jusqu’aux os. L’eau reflétait à peine la créature, tant elle avalait la lumière. Elle s’élevait, majestueuse et menaçante, comme un pan de montagne arraché à la terre et projeté dans la nuit.

Et puis tout céda.

La barque se retourna violemment, comme un fétu de paille happé par une vague de ténèbres. Mon corps fut propulsé dans l’eau glaciale. Le choc coupa net mon souffle, m’arrachant une plainte silencieuse. L’eau s’infiltra partout, dans mes vêtements, dans ma bouche, dans mes poumons. Je luttais pour remonter, pour respirer, pour hurler, mais quelque chose me tirait vers le fond. Une force inhumaine, irrésistible, me happait, m’enchaînait à la peur. Mes bras battaient l’eau, mes jambes s’agitaient, mais rien n’y faisait. Je glissais, lentement, englouti, comme avalé par le ventre du lac.

La lumière disparut. Le monde disparut.

Il ne restait que les ténèbres et ces voix. Ces voix si douces, si dérangeantes. Elles m’entouraient, tournoyaient dans ma tête, chantaient à l’unisson une mélodie ancienne, lancinante, venue d’un autre monde. Elles effaçaient mes pensées, mes souvenirs, mon nom.

Et puis plus rien.

Au matin, la barque fut retrouvée. Elle flottait, abandonnée, au centre du lac, comme une coquille vide. Le bois était encore humide, oscillant doucement, berçant le silence. Aucune trace de lutte. Aucune empreinte. Seulement l’eau calme et profonde, et l’écho du mystère.

Quant à moi, je ne laissai derrière ni corps ni adieu. Seulement une rumeur. Une histoire que l’on chuchote au coin du feu, une légende née de l’incompréhensible. Celle de James Beckett, le pêcheur qui, une nuit d’été, s’était aventuré trop près des profondeurs du Lac Noir… et n’en était jamais revenu.


Depuis ce soir-là, le lac ne respira plus jamais la même quiétude. Le vent portait une étrangeté sourde, et chaque vague racontait une peur muette. Les pêcheurs n’osaient plus s’éloigner trop du rivage. Car quelque part, là-bas, sous la surface, quelque chose veille encore.

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