Megan, d’ordinaire si calme, était soudainement perdue dans une agitation silencieuse. Un éclat d’inquiétude traversa ses yeux perçants, habituellement durs comme du verre, mais aujourd'hui noyés dans un tourbillon d’émotions contradictoires. Elle fit un pas en avant, ses jambes hésitant juste un instant, avant que sa curiosité ne prenne le dessus. Ses prunelles, rivées sur les ombres qui glissaient sous la surface du lac, ne pouvaient plus se détacher de cette danse troublante. Chaque mouvement de ces formes indistinctes l'attirait irrésistiblement, et je pouvais presque entendre son souffle, plus rapide, plus court, s’échapper par instants, comme si son corps se débattait avec une décision qu’il n’arrivait pas à prendre. Elle oscillait entre le désir insatiable de comprendre ce qui se cachait là-dessous et une peur sourde, cachée dans chaque fibre de son être, qui la poussait à fuir. L’air autour de nous se densifiait, une charge électrique presque palpable, prête à éclater. Un silence lourd s’abattait, mais ce n’était pas un silence tranquille, c’était un silence en suspens, un silence qui attendait, retenait son souffle, tout comme moi. L’étrangeté de la situation m’envahit, me laissant plongé dans une perplexité totale. Je me demandais si cette fascination morbide pour l’inconnu allait nous conduire à une révélation qui éclairerait nos peurs ou nous précipiterait dans un abîme de dangers insoupçonnés.
— Ce sont eux... les âmes piégées. Ceux qui sont disparus, ils ne sont jamais partis. Ils sont encore là.
Je me tournai vers elle, incrédule.
— Tu plaisantes, c’est ça ? Comment est-ce que... Non, c’est impossible.
— Rien n’est impossible, Ben, répondit-elle doucement. Les légendes parlent de ceux qui sont engloutis par le lac, de ceux qui ont été attirés par l’Ombre. Ils ne reviennent jamais. Ils deviennent une partie du lac.
Cette idée me terrifiait. Mais en même temps, ça expliquait tellement de choses. Les disparitions, les rumeurs, les lumières sous l’eau...
— Il faut qu’on parte, dis-je enfin, la voix tremblante.
Sarah, cependant, n’était pas de cet avis. Elle se rapprocha encore de l’eau, ses pieds presque au bord, fixant les silhouettes qui bougeaient en dessous.
— Tom est là, souffla-t-elle, comme une révélation. Il est encore là.
— Sarah, recule ! Criai-je, mais c’était trop tard.
Soudain, l’une des ombres se détacha de la profondeur du lac, remontant lentement vers la surface. Une main, pâle et spectrale, émergea des eaux sombres et glacées, comme si elle cherchait à toucher l’air, à briser la barrière invisible qui la séparait du monde au-dessus. La vision de cette main flottante, si délicate et pourtant menaçante, me figea sur place. Sarah, le visage déformé par une peur viscérale, recula d’un coup, son corps hésitant, trébuchant presque sur le sol inégal sous ses pieds. Un frisson de terreur secoua ses membres, et ses traits, habituellement si sûrs d’eux, étaient désormais marqués par une angoisse pure, une réaction qui se lisait dans chaque muscle tendu de son visage blême. L’air autour de nous se figea, et mon cœur, dans ma poitrine, se mit à battre à un rythme frénétique, martelant mes côtes comme un tambour assourdissant. Je pouvais presque sentir la froideur de l’eau, comme une pression invisible, envahir l’atmosphère, alourdissant chaque respiration, chaque mouvement. Le vent se tut, comme paralysé par ce qui était en train de se produire. Le silence qui suivit était étouffant, presque oppressant. Chaque seconde, chaque instant se dilatait, nous emprisonnant dans un espace de tension pure, comme si l’inconnu nous engloutissait lentement, un peu plus à chaque souffle.
— Qu’est-ce que... Commença-t-elle, mais aucun de nous n’avait de réponse.
Ethan s’éloigna rapidement, son visage marqué par la panique.
— C’est trop pour moi, les gars. On se barre. Maintenant !
Je n’eus d’autre choix que de hocher la tête, un mouvement presque mécanique, mon esprit trop accablé par l’atmosphère lourde pour formuler des mots. L’air autour de nous s’alourdissait à chaque seconde, comme si une force invisible nous entourait, une pression de plus en plus oppressante, nous rendant l’oxygène de plus en plus rare. Chaque respiration était plus difficile que la précédente, mon thorax se soulevant et se repliant sous un poids invisible. Une sensation glaciale s’insinuait dans chaque fibre de mon être, une présence sourde et menaçante, bien là, sous la surface noire et tumultueuse du lac. Les eaux, froides et sombres, m’apparaissaient soudainement comme des créatures vivantes, conscientes, attendant patiemment le bon moment pour se révéler. Mon cœur battait à toute allure, martelant mes tempes et résonnant comme un tambour dans mes oreilles, tandis qu’une onde de frissons me parcourait, remontant lentement le long de mon échine. Une peur sourde se réveillait en moi, m’envahissant par vagues, me poussant à croire que quelque chose, ou quelqu’un, était là, tapi dans l’obscurité, prêt à surgir, à briser ce fragile équilibre. Nous n’étions pas seuls, je le savais. Une menace, à la fois indéfinissable et imminente, était prête à se manifester à tout instant.
— Ben, fais quelque chose, dit Sarah, sa voix brisée par la peur.
Mais que pouvais-je faire ? À quoi bon lutter face à cette situation qui nous échappait complètement ? Nous n’étions que des adolescents, inconscients et désemparés, pris au piège d’un phénomène qui défiait toute logique et dépassait notre compréhension. Ce lac, si vaste et silencieux, paraissait n’être qu’un immense tombeau, engloutissant tous les secrets et tragédies oubliées. Ses eaux profondes et insondables abritaient des mystères qui, comme des ombres, se tordaient et se glissaient dans l’obscurité, loin de notre portée. C’était un piège, une toile d'araignée tissée d'incompréhensibles énigmes, qui attirait irrésistiblement tous ceux qui osaient s’en approcher. Chaque vague qui se brisait contre la rive, chaque frémissement furtif de l’eau semblait un murmure, un avertissement que nous n’avions ni l’intelligence ni le courage d’entendre. L’angoisse montait en moi comme une marée noire, un mélange insupportable de curiosité insatiable et de peur viscérale qui me clouait sur place. J'étais paralysé, incapable de détourner le regard, accablé par cette certitude douloureuse que nous étions infiniment vulnérables, prisonniers de cette atmosphère lourde et oppressante, où chaque respiration semblait plus difficile que la précédente.
— On y va, maintenant, répétai-je d’une voix plus ferme, prenant Sarah par le bras.
Nous fîmes demi-tour dans un mouvement presque frénétique, le sol sous nos pieds paraissant se dérober à chaque foulée. Nos cœurs battaient à tout rompre, comme s'ils voulaient s'échapper de nos poitrines, et nos respirations étaient lourdes, précipitées, brisées par la peur et l'adrénaline. Les ombres qui s'agitaient autour de nous et les murmures étranges, encore vivaces dans nos esprits, se poursuivaient dans l'air, comme un écho obsédant qui ne voulait pas nous laisser en paix. Chaque pas que nous faisions nous éloignait de ce danger imminent, mais il y avait cette sensation sourde et persistante, une certitude en moi que, loin de se dissiper, ce n'était que le début d'un tourbillon plus profond. Ce lac, avec ses eaux sombres et insondables, recelait encore des mystères qu'il nous faudrait affronter, d'une manière ou d'une autre.
Je jetai un dernier regard en arrière, mon esprit encore chargé d’images troublantes, et soudain, tout se figea dans l'espace autour de moi. Une forme grande et indistincte émergeait lentement des ténèbres, une silhouette floue se dessinant à peine à travers la brume épaisse qui s’élevait du lac. Elle se déplaçait avec une lenteur presque irréelle, une entité immense, inclassable, comme un fantôme des profondeurs. Un frisson glacé dévalait ma colonne vertébrale, mes jambes se raidirent sous l'effet de la terreur qui m'envahissait. C'était comme si cette présence, si insaisissable et pourtant si palpable, nous observait, attendant le moment propice pour surgir de l'obscurité.
À cet instant, une certitude froide m'envahit. Nous n’étions pas seuls. Quelque chose, de vieux et de puissant, flottait dans l’air autour de nous, aussi présent que l'humidité qui alourdissait nos respirations. Cette présence avait quelque chose de primordial, d’ancestral, et la sensation qu’elle pouvait surgir à tout instant créait un frisson de peur qui me paralysait. Le lac, avec son reflet trouble et ses secrets enfouis, nous défiait, nous appelait à plonger encore plus profondément dans ses mystères, à franchir une ligne invisible que nous ne pouvions plus ignorer. Les ombres qui dansaient autour de nous prenaient une signification nouvelle, plus menaçante, et un torrent d'adrénaline dévalait dans mes veines. J'avais compris que notre quête ne faisait que commencer.