— Ressentez l’énergie de Gaia. Elle nous englobe. Vous respirez son souffle, vous vous nourrissez de son énergie. Imprégnez-vous de son magnétisme et percevez au-delà de vos sens.
Mona sentait l’herbe la chatouiller sur ses épaules dénudées. Elle entendait le vent dans les feuillages et se plaisait à imaginer une houle végétale dans un océan de prairie. L’espace d’un instant, elle ne se trouvait plus dans ce séminaire, mais dans un autre monde, féérique. Un monde vierge de toute humanité et de leur impact néfaste. Un monde d’harmonie et de paix.
— Vous ne faites qu’un avec le monde. Vous ressentez sa douleur, mais aussi sa douceur. Respirez. Pas seulement avec vos poumons, mais également avec votre âme.
Depuis combien de temps n’avait-elle pas éprouvé une sérénité pareille ? Bien avant la mort de sa grand-mère, bien avant que sa mère ne lui soit enlevée, depuis d’aussi loin que sa mémoire pouvait l’emmener, jamais, elle ne s’était sentie autant à sa place que maintenant. Elle avait toujours eu l’impression que le monde lui échappait, qu’elle était une étrangère, une actrice à qui on aurait oublié de donner le script de la pièce, tandis que tous les autres acteurs brillaient par leur performance. Maintenant, elle comprenait : elle s’était trompée de salle.
— Nous allons canaliser les mauvaises énergies, les mauvaises ondes au niveau de votre plexus. Tout d’abord, focalisez-vous sur vos extrémités. Vos doigts, sentez la chaleur, vos orteils, ressentez les fourmis, votre tête, soulagez vos maux. Figez vos sensations et faites en une boule. Maintenant, remontez cette boule d’énergie négative le long de vos membres. Le mal va s’agglutiner. Vous sentez une pression grossir. Ne la lâchez pas. Tirez-la jusqu’à votre buste.
Jamais elle ne pourrait suffisamment remercier la naturopathe de lui avoir fait découvrir ce nouveau plan de l’existence. Lors de son rendez-vous, une tisane au coquelicot, assise confortablement sur un fauteuil tandis qu’un encens embaumait l’air, Mona avait longuement discuté avec la thérapeute. Elle avait même pleuré. Cela lui avait fait du bien de se confier à quelqu’un qui la comprenait enfin. La thérapeute lui avait alors prescrit quelques infusions, décoctions et pommade naturelle et de pierre pour canaliser la mauvaise énergie. Mais surtout, elle l’avait orienté vers ce groupe. Un groupe, qui pour un spectateur extérieur, paraitrait tout droit sorti de l’asile et qui, en réalité, se trouvait être les personnes les plus ouvertes d’esprit et intelligentes qu’elle n’eut jamais rencontrées.
Loin de la pseudo-connaissance de David, loin de la pseudo-réussite de son père, ces gens-là étaient éprouvés par la vie pour la ressentir trop intensément. Ils ne se contentait pas de décortiquer la réalité à l’aide de scalpel rouillé en appelant ça science. Non, il la ressentait aux travers de leurs cellules et de leur âme. Ils n’écrivaient pas son fonctionnement sur des forêts mortes mais ils l’écoutaient à chaque instant. Vivait avec elle, au travers d'elle. Peu importait le regard des autres, peu importait qu’on les appelle des illuminés ou des fous, tout ça pour les invisibiliser, entre eux, ils se reconnaissaient et se comprenaient. Et ensemble, ils s’élèveront. Non pas pour briller, car aux côtés de la Lune et du Soleil, ils ne seraient que peu de choses, mais pour guider. Pour permettre aux âmes encore perdues dans ce monde malade qui ne les comprend pas, qui les rejette, de trouver sa place et la paix.
— Maintenant libérez la boule d’énergie négative qui vous ronge. Laissez là partir, laissez le soleil purifier votre énergie pour la redistribuer au monde. Et enfin, sentez la sérénité.
Mona inspira. Le chatoiement du soleil sur sa peau, dont les cellules se nourrissaient, le vent et son murmure qui la caressait. Il n’y avait en elle plus aucunes émotions négatives, plus de peine, plus de douleur. Elle se sentait comme de retour en enfance. Comme de retour dans la matrice originelle.
En se redressant, Mona fut prise de vertige. Elle se sentait si légère maintenant. Sur sa lèvre, un gout salé et une larme qui termina sur la pelouse. « Voici mon offrande », pensa-t-elle.
À côté d’elle, Sandrine arrosait la terre d’une rivière de larme, mais son sourire était éblouissant.
— Je ne me suis jamais sentie aussi bien, se justifia-t-elle. Je n’ai pas les mots. C’est incroyable.
Constance, leur thérapeute, posa sa main sur l’épaule de Sandrine et lui sourit, compatissante. Sa chevelure bouclée châtain, tout comme son esprit, était aérée, sauvage et libre. Un large tignasse qu’elle tenait à l’aide d’une queue de cheval qui contrastait avec sa taille fine. Sur son visage, sans pourtant lui enlever de sa beauté, on sentait les passages des années et dans ses yeux, la sagesse de ses expériences. Elle s’approcha d’elle.
— Alors Mona ? Comment te sens-tu ?
Il y avait dans son regard une bienveillance infinie, des yeux qui transpercent l’âme et qui l’éprouvent pour ne laisser paraitre de son voyage que la compréhension et une empathie sincère.
— Je ne me suis pas sentie aussi bien depuis très longtemps. Je crois même, jamais.
Constance prit place à côté d’elle. En tailleur, elle avait des allures d’une antique figure bouddhiste.
— Je vais être honnête avec toi. Si tu le permets. Quand je t’ai rencontré pour la première fois, j’ai perçu une tension en toi. Une force qui… comme une main invisible tirant des élastiques de ses cinq doigts prêts à éclater. Et surtout, j’ai senti comme une harmonie, elle ria. Je sais que ça peut paraitre dingue, mais je pense que tu la ressens aussi. Je savais que je pouvais t’aider.
Une larme coula sur la joue de Mona. Constance, toujours aussi empathique, se retint de faire de même.
— Et là, je te sens libéré. Épanouie. Tu rayonnes de nouveau. Je suis tellement heureuse de t’avoir accompagné dans ton élévation.
— Pour être honnête aussi, j’étais sceptique au début, mais maintenant, je te serais toujours reconnaissante de ce que tu m’as apporté.
— Je n’ai rien fait. Tout est en toi et dans le monde. Il te suffit de te laisser traverser par les énergies. Tu es ton propre pouvoir.
Bientôt, ils se réunirent autour d’un pic-nic où chacun avait apporté des plats préparés avec amour. Un peu à l’écart, Mona goutait la joie de ne plus se sentir exclue, de ne plus ressentir cette anxiété qui lui comprimait la poitrine. Peut-être que de retour dans le monde de dehors, dans le monde malade, sa peur reviendrait. Cependant, elle connaissait maintenant un moyen de s’en libérer. À tout moment, elle pouvait se réfugier dans ce havre de paix pour se ressourcer.
Elle alla à la rencontre d’un groupe de filles de son âge. Elles étaient habillées en noir avec des résilles et des clous. Un style gothique qui leur allait bien. Sur leur bras, des tatouages à la symbolique qui lui échappait. Elle aurait aimé avoir le courage de s’en faire aussi, mais la crainte du regard des autres avait toujours primé sur son désir. Elle prit place parmi elles et le courant passa immédiatement.
Au loin, elle aperçut une petite fille marchant au côté d’une femme avec une poussette. Alors, prise d’un courage jamais éprouvé, elle demanda :
— Est-ce que ça vous arrive de voir des choses qui n’existent pas ?