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DevotNeedler
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Chapitre 12

—      Reviens ! Reviens, je t’en prie !

Les ronces lui lasseraient les chevilles et l’entravaient. Quand elle perdait l’équilibre, elle se rattrapait sur les robiniers qui les perçaient la paume de leurs épines. Le monde essayait de l’arrêter. Une force s’efforçait de la stopper, de l’empêcher d’accomplir son destin. Mais le monde n’était rien face à sa détermination.

Dans son premier souvenir, Mona se voyait dans le jardin de sa maison d’enfance. Elle s’amusait avec de la terre, feuilles et tout ce qu’elle pouvait trouver dans cet espace immense que représentaient à ses yeux le petit carré de pelouse bordée de cyprès. Ses trouvailles, elle les mélangeait dans une eau sombre, et elle mixait le seau jusqu’à former une pâte sombre et granuleuse. Comme une sorcière, elle s’imaginait créer des potions magiques dans sa marmite fumante. La baie vitrée donnait sur la cuisine où Mona savait sa mère la surveiller tandis qu’elle préparait le gâteau pour le gouter. Encore aujourd’hui, elle ignorait pourquoi, alors que le cri de sa mère avait tout d’abord attiré son attention, elle se souvenait surtout du fracas des assiettes qui se brisent.

Les appels de ses amis semblaient venir de toutes parts. Elle entendait son nom, prononcé par cinq voix, crever la nuit et son murmure. Elle entendait des bêtes sauvages fuirent à l’approche de ses pas lourds et bruyants et le souffle du vent dans la frondaison. Elle percevait le battement de son cœur sur ses tempes et un souffle court qu’elle supposait être le sien. Elle entendait tout ça et par-dessus la voix dans sa tête qui lui hurlait de s’arrêter, une autre bataillait pour l’encourager à continuer. Et dans cette cacophonie, elle ne s’entendait plus penser. Et dans ce brouhaha, seule les pleure de la petite fille trouvaient échos dans son cœur.

Aux travers des yeux d’une petite fille, le monde diffère de celui des adultes. Tout parait démesurément grand et étrange. Quand Mona entra pour la première fois dans un hôpital, ce fut comme un nouveau monde qui s’ouvrit à elle. Un monde cauchemardesque. Il y avait tant de couloir, tant de direction et pourtant son père connaissait le chemin. Il la tirait par la main, le visage fermé. Jamais, elle ne l’avait vu ainsi, dans ce monde qui n’était pas le sien, elle s’était demandée s'il s’agissait bien de son père. Il y avait aussi cette odeur, une odeur unique à l’hôpital. Et ses gens en blouse blanche qui allaient et venaient. Tant de mystère, tant de question qui restèrent sans réponse tandis que l’ascenseur l’emmenait auprès de sa mère.

Enfin, Mona retrouva un peu d’air et de liberté dans la clairière qui s’ouvrait à elle. Un lieu hors du temps où une simple rocher recouvert de mousse trônait sous la lueur de la Lune. Dessus, sa petite blonde.

—      Je ne te veux aucun mal. Je veux juste comprendre, qui es-tu ?

La petite fille ne répondit rien. Elle se contenta de balancer ses petites chaussures pleine de boue.

—      Où sont tes parents ? Est-ce que tu me comprends ? Je peux t’aider. Je suis là pour toi.

Au loin, ses amis l’appelaient toujours.

—      Pourquoi viens-tu à moi si ce n’est pas pour me parler ? Je ne demande qu’à t’aider. S’il te plait, ne reste pas seule. On n'arrive jamais à rien seule. Je le sais trop bien. Ne fais pas comme moi. Ne t’enferme pas. Parle.

Il y a des mots qui marquent. Des mots qui restent gravés dans les esprits. Une suite de lettre qui revient encore et encore et qui hante les moments de blanc, les moments de calme. Une phrase que l’esprit murmure quand le silence s’installe. Une parole qui s’ajoute en arrière-plan d’une conversation qu’on essaye de suivre. Pour Mona, le mot qui marqua au fer rouge le reste de sa vie fut celui prononcé par le médecin alors qu’elle était dans son bureau avec son père. Elle n’écoutait pas la conversation jusqu’alors, trop occupée à jouer avec ses pieds qui ne touchaient pas le sol, assise sur sa chaise trop haute. Puis, elle comprit que le médecin allait enfin expliquer avec des mots clairs le mal qui rongeait sa mère et c’est alors qu’elle entendit « Folle ».

La petite fille sauta de son rocher pour s’approcher de Mona. Elle l’attendit pantoise. Elle avait un côté immatériel comme lui était apparu sa grand-mère. Alors, Mona comprit. Elle comprit pourquoi elle se trouvait toujours là, sans que personne ne la remarque. Pourquoi elle portait toujours les mêmes vêtements et les mêmes chaussures boueuses. Ce n’était pas une petite fille. Ou plutôt ce n’était plus une petite fille. Juste un spectre. Un spectre qui avançait dans sa direction. Du courage ou de la terreur ? Mona ne savait même plus, seulement, elle resta en place. Et quand le spectre de la petite fille lui tendit la main, elle lui donna la sienne.

Du départ de sa mère, elle se rappelait principalement du parc. De ses pelouses fraichement tondues, et de ses arbres si grands que la cime ne lui apparaissait pas. Entre les hautes clôtures de fer forgé, renforcé par des haies de pyracantha, s’amusaient des hommes et des femmes sous la surveillance étroite du personnel. Il y avait celui qui jouait au ballon contre le mur, celle qui lisait sur un banc, ceux-là qui jouaient aux échecs, et surtout, il y avait les rires. Les nuits suivantes, quand elle culpabilisera d’avoir abandonné sa mère dans cette cage dorée, elle s’imaginera sa mère rire avec ses nouveaux amis, à jouer à la balle, aux échecs et lire sous un soleil toujours présent et un temps clément. Et quelques fois son rire, de plus en plus lointain avec les années, l’entrainerait dans un profond sommeil reposant.

—      Mona ! Te voilà ! Tu nous as fait peur à courir comme ça.

Amandine haletait.

—      On est là ! Les filles ! Je l’ai trouvé ! Mona, tu vas bien ?

La petite fille n’était plus là. Comment l’expliquer ? Comment expliquer sa soudaine course dans la forêt au plein milieu de la cérémonie ? Elle avait gâché leur soirée, elle s’était comportée comme une idiote et bientôt, elle entendrait ce mot : « Folle ».

Les autres filles débarquèrent et se posèrent près d’elle. Mona n’osait pas parler de peur de leur réaction. Mais, elle en avait besoin alors, elle prit le risque.

—      Il y avait cette petite fille. Celle dont je vous ai déjà parlé. Je l’ai encore vu. Elle fuyait dans la forêt alors, je l’ai suivi. Elle était là et elle me tenait la main.

Mona ne leva pas les yeux de peur de croiser les regards moqueurs de ses amis. Elle entendait les vibrations d’un portable. L’une d’entre elles tapait un message.

—      Oui, je sais : je suis folle. Vous n’auriez pas dû m’inviter. Laissez-moi ici, je retrouverai mon chemin.

Lucie la prit par l’épaule et posa sa tête contre la sienne.

—      On est là pour toi.

Élodie ajouta en confiant son portable à Mona :

—      Tu es loin d’être folle.

Sur l’écran, la bouille d’une petite fille aux yeux verts. Sa petite fille. Et au-dessus, écrit en grosse lettre blanche sur fond rouge : Alerte disparition.

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