Lorsqu’il était jeune, Antoine ne se souvenait pas d’autant de violence. À son époque, il aurait été inimaginable qu’un crime aussi gratuit soit commis dans une ville comme Dijon. Était-ce le monde qui changeait ou seulement sa vision de celui-ci ? Maintenant qu’il travaillait dans la police, il se retrouvait chaque jour confronté à la violence et, contrairement au citoyen lambda, il ne pouvait les ignorer.
Une odeur de fumée flottait toujours dans la brume. Le corps, plus qu’un tas carbonisé, se trouvait loin d’ici, sur la table du médecin légiste, ne restait plus qu’une silhouette tracée à la craie, adossée contre le mur. Une simple procédure, car la position du corps se devinait par les marques de brûlure.
Incendier un homme. Un simple employé de bureau qui rentrait chez lui. Un crime horrible, gratuit. S’il s’était engagé dans la police s’était, d’une part, pour protéger les citoyens et, d’autre part, faire justice. Il n’avait jamais souhaité être un témoin de la décadence de l’humanité. Un simple observateur de la déchéance et de la barbarie. Il serait prêt à tout pour faire de ce monde, un monde meilleur. Pas pour lui, mais pour sa fille, et pour tous les enfants qui méritaient de vivre dans un monde viable.
Sa collègue vint le rejoindre. Naila, plus jeune que lui, elle l’impressionnait toujours par son sérieux.
— Devine quoi ? Personne n’a rien vu. Mais, le commerçant d’en face m’a dit qu’un SDF trainait souvent par ici alors peut-être que lui…
— Tu trouves ça normal ?
Il montra le contour de craie.
— Aucun crime n’est normal. Autrement, nous ne serions pas là.
— Parfois je me dis qu’il y a quelque chose derrière. Je ne sais pas la température, des hormones dans ce que l’on mange, même les ondes. Je ne peux pas croire qu’un humain tel que toi ou moi puisse accomplir ce genre de chose.
— Tous les hommes ne sont pas bons. L’humanité est comme les fruits d’un arbre. Nous partageons les mêmes branches, seulement certains sont pourris.
Antoine souffla.
— Un SDF donc ?
— Oui. D’après le commerçant, il ne devrait pas être loin. Il nous a dit de me méfier, paraitrait qu’il aurait parfois des comportements étranges.
— Allons-y.
Ils s’enfoncèrent plus encore dans la ruelle, saluant au passage le policier qui surveillait la zone et l’avertissant de les appeler s’il apercevait l’homme recherché. « Un criminel revient toujours sur les lieux de son crime », c’est ce qu’on lui avait appris à l’école. Cependant, dans un lieu public avec une masse de badaud à la curiosité morbide, il était difficile de distinguer le coupable parmi les innocents. S’il était plus probable qu’il s’agisse d’un détraqué pour commettre un meurtre de la sorte, d’un homme exclue de la société de part son étrangeté, il n’était pas exclu que le coupable soit un monsieur tout le monde. Une personne qu’on qualifierait de parfait voisin, une personne au-dessus de tout soupçon. Une personne comme ce jeune homme blond qui venait vers eux.
— Bonjour, salua-t-il.
— Bonjour. Excusez-moi ? Vous passez souvent ici ?
— Oui, j’habite dans le coin. C’est un raccourci. Pourquoi ?
— Vous n’êtes pas au courant du crime qui s’est produit un peu plus loin ? demanda Naila.
Le jeune homme eut l’air interloqué.
— J’ai aperçu de l’agitation et la police, mais j’imaginais un vol ou une saisie de drogue. Un meurtre ?
Antoine n’entendit pas la suite de la conversation, car un peu plus loin, un homme sous un tas de manteaux trop grand pour lui et trainant la patte apparut. Dès que le SDF les vit, son regard et tout son corps trahirent une terreur certaine.
— Monsieur ! Nous aimerions vous poser quelques questions !
Le SDF lança sa canette dans leur direction avant de s’enfuir à l’opposé. Antoine n’attendit pas sa collègue et courut à la suite du fuyard. Si l’instant d’avant, il trainait comme blessé à la jambe, maintenant, il avait des airs de sprinteur.
Il sortit dans une rue passante. Un bref regard aux alentours, le bout d’un manteau dépassant d’un angle. Il suivit. L’écart ne se réduisait pas. Pourtant, il donnait tout ce qu’il pouvait et si les années avaient réduit ses capacités, il n’en restait pas moins un très bon coureur.
Il prit son talkie pour donner sa position à Naila. Il ne doutait pas qu’elle prenait déjà un chemin différent du sien pour essayer de le piéger.
Antoine jubila en voyant son suspect s’engouffrer dans un cul-de-sac. Enfin, il l’avait.
— Arrêtez-vous ! Je veux juste disc…
Il n’y avait personne sinon un mur de pierre.