Je suis content d'avoir fait cette proposition. Sortir pour prendre le thé fut une véritable bouffée d'air frais. Pas seulement parce que j'ai rencontré sa meilleure amie, mais parce que nous avons échangé une vraie discussion pendant laquelle j'en ai appris plus sur lui. Mon humeur est meilleure et je me sens moins déprimé qu'en rentrant des auditions. La conversation avec Kieran se poursuit sur le chemin, et nous approchons de l'hôtel.
J'aurais pu profiter de cette soirée, j'aurais pu me reposer et me détendre. Parce que le départ de mon vol n'était pas avant tard dans la journée, que j'ai demandé un programme très cool. J'aurais adoré ce programme. Parce que, si la journée n'a pas été bonne, la soirée commençait relativement bien. C'était sans compter sur cette vie de merde que j'ai décidé de mener, qu'on ne me laisse pas reprendre en main.
Nous avancions tranquillement dans le hall de l'hôtel lorsqu'un hurlement me fait sursauter. C'était un cri sec, comme un cri de surprise, pas quelque chose d'effrayant. Mais il a suffit à ce que mon sang ne fasse qu'un tour. J'ai à peine le temps de me tourner qu'une furie me saute au cou en hurlant mon prénom. J'essaie de me défaire de cette étreinte mais elle s'accroche.
— Oh mon Dieu Bree je suis tellement heureuse de te rencontrer !!! Je t'aime tellement.
— Mais lâchez-moi, je ne sais pas qui vous êtes !
Je pense que c'est le signe qu'il faut à Kieran pour intervenir, il semble interpeller la sécurité en voyant qu'elle ne me lâche pas, et un homme en costume vient lui prêter main forte. A eux deux ils réussirent à la faire lâcher malgré qu'elle se débatte. J'ai dû prendre un coup de pieds sur un tibia au passage mais je recule aussi sec pour mettre le plus de distance possible entre elle et moi. Mon cœur bat à cent à l'heure et je sens que mes mains tremblent. Je dévisage toute l'assemblée, fou de rage.
— Comment a-t-elle pu remonter jusqu'ici ? C'est inacceptable !
— Bree, je suis navré je vais voir comment ça a pu arriver, remonte dans ta chambre je te rejoins après.
— T'as intérêt à me trouver une info parce que ça va pas bien se passer.
Kieran serre un peu les dents et il s'éloigne. Je fixe la femme qui est ramenée dans un petit salon près de l'entrée. J'essaie de voir si son visage me parle, mais elle est très banale. C'est pas un mot méchant, banal. C'est simplement que je vois des visages tellement souvent qu'à part ceux qui m'interpellent ou sortent de l'ordinaire, aucun ne me marque plus que ça.
J'éxécute ce que m'a demandé Kieran et remonte jusqu'à ma chambre dans laquelle je me sers un énorme verre de Whisky pour calmer mes nerfs. Vraiment, je hais cette situation parce que j'y suis trop souvent confronté, trop souvent les choses tournent mal dans ces cas-là. Et je n'ai aucune envie de finir à la une d'un journal en section "fais divers" parce qu'une fan un peu tarée aura décidé qu'il vallait mieux me tuer si elle ne pouvait pas m'avoir. Ca me terrifie. Je tourne en rond pendant un moment sans avoir de nouvelles de Kieran, j'ai appelé Aldo en hurlant et il m'a dit qu'il n'était pas loin donc je m'attends aussi à le voir surgir de nulle-part pour gérer la situation. En attendant, mon verre se vide et se re-rempli aussi vite que possible et je ne m'arrête que lorsque deux coups retentissent contre la porte. Je pose mon verre, me passe un peu d'eau sur le visage et me dirige vers elle pour l'ouvrir prudemment.
— Kieran.
Quel bordel.
Elle m'a fait vraiment flippé cette femme. Franchement, on est où là ? Comment on en arrive à idolâtrer quelqu'un tellement qu'on le suit.
Je suis assis dans le hall de l'hôtel en face de cette femme, attendant le retour de l'agent de sécurité. J'ai commencé par demandé à ce que la personne en charge de notre réservation vienne nous rencontrer. J'ai besoin de savoir qui a fait fuité l'information et comment. J'ai prévenu Graham et Jeremiah pour qu'ils puissent prendre des mesures avec Aldo. Je m'attends à le voir débarquer en furie pour nous clouer aux piloris, et il n'aurait pas tort. On est en charge de la sécurité de Bree et c'était la base, sa couverture n'aurait pas dû être éventée. Après avoir passé un bon quart d'heure au téléphone avec Jeremiah pour qu'il enquête de son côté sur la personne qui a éventé l'information. De mon côté j'essaie de voir avec l'hôtel, même si la réception m'assure que personne n'a pu transmettre l'information puisque son nom n'était pas inscrit sur le rooming1.
Et en même temps, je ne peux pas les blâmer. Comment le faire alors que tout le monde a pu prendre une photo de Bree à la réception et la poster sur les réseaux sociaux. Il a beau se cacher derrière une casquette et des lunettes de soleil, on sait qu'il est là. On l'a annoncé sur nos réseaux sociaux, sur notre site internet, lui aussi. Alors même si l'hôtel a été suffisamment intelligent pour garder l'info, si un de leur employé à vendu la mèche, on fera malheureusement en sorte qu'elle soit renvoyée. J'estime que c'est une faute professionnelle qui peut mettre en danger la vie d'une personne.
— Dites-moi donc comment vous êtes arrivé ici, Madame.
— Bonjour peut-être.
— Je crois qu'on n'en est plus aux salutations, n'est-ce pas ?
— Je voulais simplement voir Bree.
— Et le cadre légal et organisé d'une convention ne vous intéressait pas ?
— J'avais envie d'un échange plus... Privé.
— Nous proposons des Meet & Greet vous savez ?
— Dix minutes pour dix personnes ? Merci mais ça n'a pas vraiment la même saveur.
— Et l'intimité de Monsieur Tucker ne vous intéresse pas ?
— C'est un acteur, il a choisi de ne plus en avoir.
— Bon... On va déposer une main courante. L'agent Michaelson va prendre vos informations et nous allons mettre ça en lumière. Il y a des procédures qui seront lancées.
— Vous ne pourrez rien faire contre moi.
— Il faut que vous arrêtiez Madame. Laissez les personnes célèbres en paix.
Aldo entre dans l'hôtel à ce moment-là, il me fusille du regard et je lui désigne la jeune femme. Il s'approche de moi à pas rapides et se met dos à elle.
— Comment avez-vous pu laisser ça arriver ?
— Monsieur Ciccone, vous savez comme moi qu'après plusieurs nuits au même endroit il n'est pas rare qu'un acteur soit repéré par des fans qui communiqueraient leurs informations en ligne. Nous avons pris toutes les précautions nécessaires pour conserver son identité secrète.
— Comment est-elle arrivée ici alors ?
— Elle n'a rien voulu dire, elle se fiche un peu de ce qui lui arrivera je crois. Je lui ai dis que vous alliez saisir la justice, l'agent de sécurité récupère ses informations afin que vous puissiez monter un dossier au commissariat.
— Très bien.
— Je vais monter voir comment va Monsieur Tucker.
— Laissez le en paix.
— Écoutez je vais faire mon travail, et je vous laisse faire le votre. Il faudra passer au commissariat pour déposer une main courante et alerter les autorités.
Il m'agace, je sais très bien ce que je dois faire je n'ai aucune envie qu'il empiète sur ce que je devais faire. Je le laisse s'approcher de la jeune femme et l'interroger à son tour. Ils ne sont pas policiers, il faudra qu'il aille au commissariat ce soir avec l'agent de police. Je monte rapidement jusqu'à la chambre de Bree et je frappe à la porte. Lorsqu'il m'ouvre, il sent l'alcool et je grimace un peu. J'avais réussi à le calmer un peu, je pensais pouvoir conserver la quiétude pour sa soirée.
— Hey, ça va ?
— Tu peux m'expliquer ?
— Je pense que quelqu'un à leaké ta position. Un client ou un membre du personnel qui t'aura reconnu. On va enquêter de notre côté et Aldo est avec elle, il va aller au commissariat.
— Okay.
— Tu veux rester seul ce soir ? On parlait d'une soirée au calme, avec un film et tout ?
Je vois dans ses yeux qu'il hésite et je m'en veux. Je m'en veux parce que je sens bien qu'il galère dans sa tête, qu'il lutte entre la volonté de se laisser ensevelir dans ses états d'âme et la possibilité de passer une meilleure soirée.
— Allez Bree, ça va aller OK ? On gère. Personne chez nous n'a tenter de te nuire ou quoi que ce soit. Je pense qu'une soirée calme ne sera pas du luxe.
— Ouais, je sais. C'est juste... ca fait partie des raisons pour lesquelles je n'aime pas vraiment les conventions : les groupies. C'est pas la première fois que ça arrive et j'ai toujours peur que ça aille trop loin.
Je lui souris tristement et me passe une main sur la nuque.
— Je comprends tu sais, et je veux pas te forcer à faire autre chose ce soir. C'est juste que... Je ne sais pas, j'ai l'impression qu'il ne faudrait pas te laisser seul.
— Ouais, c'est vrai.
— On se retrouve dans une demi-heure ? Le temps de prendre une douche et de se mettre en situation, et puis je viens dans ta chambre avec le dîner ?
— Faisons ça, je vais appeler Aldo pour le prévenir que je vais me coucher et qu'on parlera de ça demain soir.
— Pas de souci.
Je recule pour le laisser rentrer dans sa chambre et je me dirige vers la mienne, le pas traînant. Cette situation me laisse un goût amer, mon instinct me dit que quelque chose ne tourne pas rond mais je ne saurais pas dire quoi. Je profite de retourner à ma chambre pour finaliser de préparer la journée de demain, j'ai demandé à l'hôtel de préparer un panier pour le déjeuner et nous pourrons partir à l'heure que nous voulons, nous ne sommes pas pressés.
— Aubrey.
Nous nous sommes donné rendez-vous à vingt heures pour nous faire une soirée cinéma et plateau télé, ce qui me plaît bien. Ça change des soirées que j'ai passées à Londres jusque-là et, je sens que quelque chose de calme ne peut qu'être positif. On a une petite heure avant de se retrouver, ce qui me permet de prendre une douche et de faire quelques exercices. J'ai mangé ce scone – qui était délicieux – mais j'ai à peine pu courir depuis mon arrivée ici et je sens que j'ai besoin d'éliminer des calories. D'autant que j'ai du mal à évacuer le stress lié à la situation que je viens de vivre. Alors je retire mes vêtements et n'enfile que mon bas de jogging et me lance dans une série de pompes sur le sol de ma chambre. J'enchaîne avec quelques abdos, des squats et du gainage. Je fais plusieurs séries et ne m'arrête que lorsque j'entends quelqu'un frapper discrètement à la porte de ma chambre. Je sens une pellicule de sueur sur ma peau et je me dis que je me suis peut-être emballé, je n'ai pas vraiment regardé l'heure. Je me repassais en boucle la scène dans ma tête, essayant de voir où j'avais bien pu rencontrer cette femme. Lorsque j'ouvre, Kieran est sur le seuil avec un plateau dans les mains. Les plats que nous avons emportés la veille fument devant lui et son regard se perd un instant sur mon torse nu, ses joues se teintent de rose et il détourne rapidement le regard.
— Je suis en avance ? Tu veux que je repasse ?
— Non, non, entre. Je vais prendre une douche rapide, je te rejoins. Tu dois pouvoir trouver le film sur la télévision, je reviens.
Je le plante là et attrape quelques fringues avant de m'enfermer dans la salle de bains. En cinq minutes chrono je chasse la sueur à coups de gel douche et me frotte les cheveux avec le shampooing offert par l'hôtel. Il sent la fleur d'oranger, c'est une odeur qui ne m'est pas familière mais qui me plaît bien. Je ressors de là bien séché et rhabillé, une serviette autour du cou pour essuyer mes cheveux. Je décide que cette soirée sera positive aussi, je décide de reléguer très loin dans mon esprit l'image de cette stalkeuse.
— Tu as trouvé ?
— Alors. Oui, mais.
— Mais ?
— On commence par le 1 ou le 4 ?
— Ah, grand débat. C'est comme pour le MCU, il y a plusieurs manières d'aborder la chose : chronologie, de sortie ou même dramaturgique...
— Bree, on va regarder un film, voire deux si on est motivés.
— Oui mais j'espère bien que tu continueras après ce soir.
— Alors, l'ordre que tu préfères.
— Dramaturgique. Lance l'épisode 4.
J'observe notre installation et soupire un peu.
— Par contre je t'arrête, on ne va pas regarder ce chef-d'œuvre dans un canapé inconfortable avec la tête à moitié à 90°. On va s'installer dans le lit en face de l'écran. Je vais installer des coussins.
— Euh oui, si tu veux.
Je n'ai pas attendu sa réponse pour me diriger vers le lit. Il est fait, les draps ont été changés et il y a des dizaines de coussins. J'installe tout ça de manière à ce que ce soit confortable et grimpe dessus. Je ne me rends pas compte tout de suite à quel point la situation peut être malaisante, alors quand Kieran hésite à monter sur le lit, je le taquine en lui disant que je ne vais pas lui sauter dessus. Il marmonne quelque chose que je ne comprends pas et s'installe en tailleur, droit comme un I. Je ne dis rien et fini par lancer le film. Je tends la main pour attraper une petite bouteille d'eau, alors que Kieran commence son plat. Je me fais discret, je n'ai pas vraiment faim et le plat a beau avoir l'air très bon, il ne me fait pas vraiment envie. Le générique iconique défile sur l'écran et me donne des frissons. Pour Kieran, son enfance c'est Harry Potter. Pour moi, c'est Star Wars, et ça me fait le même effet.
Nous avons enchaîné sur le deuxième film à la fin du premier, Kieran semblait surexcité par l'histoire et ça m'a fait plaisir, un peu trop plaisir je crois. Alors on a mis l'épisode 5 pour continuer sur notre lancée. On a posé le plateau par terre et on s'est installés plus confortablement pour profiter du film. On est allés de nos petits commentaires tout du long, jusqu'à ce qu'on soit tellement absorbé qu'on ne prononce plus un mot. Enfin, c'est ce que je pensais. C'est quelques longues secondes plus tard que je me suis rendu compte que Kieran s'était simplement endormi. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir, les semaines de préparations précédents un salon comme le leur doivent être intenses, et il n'a pas beaucoup dormi depuis que je suis arrivé. Je n'ai pas le cœur de le réveiller pour qu'il rejoigne sa chambre alors j'éteins la télévision et les plafonniers, allumant la lampe de chevet de mon lit. J'attrape le roman que j'ai acheté l'après-midi même et me plonge dedans. De toute façon je sais que je ne vais pas dormir tout de suite, j'en suis incapable. Je suis sobre et j'ai trop de pensées qui tournent dans ma tête. Je suis encore secoué par l'épisode de cet après-midi, je ne me sens pas vraiment en sécurité en règle générale, mais après ce genre de rencontre ça me trouble d'autant plus. Alors je préfère me plonger dans ce livre qui m'occupera le temps que la nuit passe, ou que le sommeil m'emporte.
C'est ce qui finit par arriver, parce que je suis réveillé aux alentours de huit heures par les rayons du soleil qui filtrent à travers la fenêtre. Kieran est toujours endormi et je profite de ces quelques minutes de répits pour l'observer doucement. Le soleil se reflète sur sa peau et, à contre-jour, c'est presque comme s'il avait une auréole derrière lui. Sa respiration est stable et il semble encore bien plongé au fond de ses rêves, mais je sais qu'il a organisé une journée complète, alors je ne le réveille pas tout de suite mais je sors du lit. Je m'habille rapidement et rassemble mes affaires. Ce soir, je rentre chez moi. J'y serais tranquille pendant encore deux petits mois, je vais faire plusieurs événements mais je n'ai pas de tournage à proprement parler. J'ai à la fois hâte et je redoute le moment où je serais à nouveau seul chez moi.
J'ai dû faire un peu de bruit en rangeant mes affaires parce que Kieran remue sous la couette avant de se redresser d'un seul coup en se rendant compte qu'il est dans ma chambre.
— Salut, la belle au bois dormant. Reposé ?
— Oh mon Dieu, s'exclame-t-il écarlate. Je suis désolé Bree je me suis endormi comme une masse...
— J'ai vu ça, et pas de problème, tu devais avoir besoin de sommeil.
— Quelle heure est-il ?
— Huit heures et demie.
— Ça va... J'ai loué la voiture pour dix heures. Je vais retourner à ma chambre, tu veux qu'on descende petit-déjeuner ?
— Je prendrais bien un café, oui.
— OK, on se retrouve en bas dans... Une heure ? Le temps que je rassemble mes affaires, que je me douche.
— Ouais bien sûr.
1 : Liste qu'un professionnel fourni au lobby de l'hôtel lors d'un événement pour donner les noms à inscrire sur les réservations ainsi que les particularités des chambres et la durée du séjour.