J'aurais pu, prendre le temps de l'embrasser. J'aurais pu tenter quelque chose, parce que j'avais besoin de lui faire comprendre qu'il n'était plus question qu'il fasse comme si ce week-end n'avait pas existé, comme si ça n'était qu'un énième week-end de salon pour lui.
J'avais besoin de ça.
Pourtant, je n'ai fais qu'effleurer ses lèvres pleines du bout de mon doigt, incapable de franchir l'espace qui nous séparait pour le combler. Peut-être était-ce de l'appréhension, la peur d'être vu malgré les vitres teintées de la voiture. Ou la peur du rejet, parce que ça n'est pas parce que Kieran est gay qu'il est attiré par moi. Je sais que la plupart des hommes hétéros qui ne cherchent pas à comprendre peuvent penser qu'un homme gay sera forcément intéressé par eux, mais on est loin du compte. Très loin. Et je n'ai aucune envie de présumer des sentiments de Kieran, malgré les gestes qu'il a pu avoir que j'ai pu interprêté comme des signes.
Une fois mes valises récupérées, je rejoins Aldo qui me sermonne sur le fait que je suis en retard. Je ne l'écoute pas, lançant un dernier regard vers la voiture qui n'a pas redémarrée. Je sens ses yeux sur moi et je ne bouge plus. J'hésite, entre regretter pendant des jours de ne rien avoir tenté, et la peur qui me vrille l'estomac. Avant même que mon esprit n'ait décidé de ce qu'il allait faire, je colle mes affaires dans les mains de mon agent en lui marmonnant que j'ai oublié quelque chose, et je parcours les quelques mètres en sens inverse, ouvrant la portière pour remonter dans le véhicule. Par précaution, je referme derrière moi et, perché dans une position inconfortable sur le siège, j'observe Kieran et son air ahurit qui le rend absolument désirable.
— Tu as oublié quelque chose, me demanda-t-il d'une voix mal assurée, un peu perdue.
— Oui.
— Tu veux que je t'aide à cherch-
— Est-ce que je peux t'embrasser, le coupai-je précipitamment, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine.
Je refuse de le faire s'il n'en a pas envie, je ne peux pas imposer ça à qui que ce soit. Alors j'attends, quelques secondes qui me semblent une éternité pendant qu'il me dévisage, les lèvres encore entrouvertes par le choc que ma question à dû lui faire. Il fini par hocher la tête, mais ça n'est pas suffisant, et il le comprend de lui-même lorsqu'il se tourne vers moi en s'approchant.
— Oui, souffla-t-il alors que nos visages ne se situent qu'à quelques centimètres l'un de l'autre.
Je comble enfin la distance, écrasant avec empressement mes lèvres sur les siennes, une main glissée à l'arrière de sa nuque pour le maintenir contre moi. Je découvre le goût du chocolat sur sa bouche, vestiges de la boisson qu'il a siroté pendant le trajet. Je découvre la rugosité de ses lèvres, qu'il passe son temps à mordiller. Et mon cœur semble exploser dans ma poitrine lorsque je sens ses doigts dans ma tignasse, se mêlant à mes mèches. La chaleur qui s'écoule de notre étreinte réchauffe mon corps et mon âme comme jamais un baiser ne l'a fait auparavant. Je fini par lui quémander l'autorisation de lier ma langue à la sienne, et lorsqu'il répond à mon invitation, je la glisse contre la sienne pour l'entraîner dans un balai sensuel, m'accrochant à ce baiser comme s'il était ma seule fenêtre d'oxygène dans ce monde.
Lorsque nous nous séparons, nous sommes à bout de souffle, les joues rougies et les cheveux en bataille. Nous nous regardons un instant avant qu'un sourire ne vienne étirer mes lèvres. Je l'embrasse une dernière fois, comme une caresse douce et fugace, avant de m'éloigner. La main sur la portière, je le fixe pour photographier mentalement ce moment.
— Écris-moi, lui assénai-je avant de quitter pour la dernière fois l'habitacle de cette voiture.
Aldo s'impatiente et enchaîne les réflexions lorsque je reviens près de lui. Je récupère mes affaires sans l'écouter et m'engouffre dans l'aéroport. Nous allons réellement être en retard cette fois, mais je m'en fiche. J'avais besoin de ça, besoin d'une peur de lui pour survivre au retour à la normal.
Lorsque l'avion décolle, mon regard se perd sur l'étendu de nuage que l'on dépasse petit à petit pour retrouver un ciel bleu au dessus. Mon esprit divague un long moment sur ce week-end que j'ai passé à Londres avant que le médicament pour dormir qu'Aldo m'a donné ne fasse effet. Je ne vois rien du reste du voyage jusqu'à ce qu'on attérisse à Los Angeles.