J'ai senti les secousses de l'avion par tous les pores de ma peau, du décollage à l'atterrissage. Je détestais ça, et malgré qu'Aldo négocie toujours mes billets en classe affaire, ça ne changeait rien à mon humeur. Alors j'ai décroché deux sourires enjôleur à l'hôtesse de bord pour la mettre dans ma poche et j'ai noyé mon voyage dans les mignonnettes de vodka et de bourbon. Suffisamment pour que mon palpitant me foute la paix. Je pense que j'ai dû m'endormir avec un de ces masques débiles d'avion sur la tronche parce que quand Aldo m'a secoué, l'avion était posé et il faisait bien nuit. J'observais les lueurs de la ville à travers le hublot avec un certain dédain mais mon agent ne m'a pas laissé le temps de m'apitoyer sur mon sort. Il fallait sortir rapidement avant d'être pris par les fans dans les allées de l'avion ou à l'aéroport. Quel enfer.
On a récupéré nos bagages cabines et nous avons pris un chemin rapide vers les douanes. Il n'a fallu qu'une petite demi-heure pour rejoindre le dépôt pour récupérer nos valises. Derniers enregistrés, premiers sortis, c'était la devise de l'italien qui s'occupait de mes affaires professionnelles depuis six ans maintenant. Et je dois bien avouer que, à part la fois où la compagnie avait perdu sa valise et qu'on a dû attendre deux heures dans une salle d'attente d'Atlanta bondée d'étudiantes en week-end, son conseil s'est toujours révélé très utile. Cette fois encore, nous quittons la salle avant qu'elle ne soit pleine de fans potentiels. Je portais ma tenue habituelle quand je voyageais : un jean noir skinny, une paire de Dr. Martens en cuir doux et un gros hoodies noir a capuche. Une paire de lunettes noires finissait de compléter mon look de "star fuyant les paparazzis" et je devais avouer détester le cliché que j'étais devenu, malgré tout c'était efficace.
La suite des réjouissances était, je l'espère, d'aller s'étaler dans un lit à l'hôtel, de passer un peu de bon temps et de dormir. Alors j'ai guetté la sortie, cherchant une pancarte à l'un des alias que j'utilise pour les conventions où l'on m'invite. On m'a déjà fait comprendre que c'était un "caprice de star" mais, eh les mecs, vous avez jamais eu à négocier avec dix groupies qui ne veulent pas vous laisser passer pour sortir de votre piaule. J'aperçoie finalement un nom familier, suffisamment bateau pour que personne ne me reconnaisse. Barry Lawson. J'attrape le bras d'Aldo pour le tirer vers le type, levant les yeux pour observer sa tronche. C'est pas le genre de personne à qui je m'attendais, je pensais même qu'ils enverraient une petite nana toute mignonne à peine sortie de ses études et qui se servait de ce genre de job pour payer son loyer et se faire mousser auprès de ses copines de fac. Non, à la place j'ai un type qui à l'air stressé, mal à l'aise ou agacé, rayé la mention inutile. Il n'est pas aussi grand que moi alors je peux le regarder de haut par dessus les verres teintés de mes ray-ban.
— Barry est là, on peut décoller, balançai-je avec légère condescendance.
— Bonjour et bienvenue à vous deux. J'espère que vous avez passé un bon voyage.
Sa voix est hésitante et, on a beau parler la même langue, on a l'impression qu'il tente de dissimuler l'accent britannique qui pointe dans ses mots. J'observe son visage à la loupe, il est plutôt mignon en réalité. Loin d'être maigrichon, des yeux noirs très profonds, des lèvres pulpeuses. Si je m'écoutais j'aurais pu essayer de prendre du bon temps avec lui, ensuite. Sauf que ses yeux sont aussi très expressif, et qu'il a l'air aussi heureux d'être ici que moi. Sauf que lui le cache plutôt bien derrière un sourire maladroit et un air faussement enjoué.
— Ouais, ouais, parfait. J'voudrais bien m'pieuter donc si on pouvait s'activer.
— Surtout qu'il faudrait éviter de créer une émeute dans l'aéroport, appuya Aldo en jetant un œil à sa montre.
— Pas de souci, suivez-moi.
J'ai lâché ma valise devant lui et j'ai commencé à marcher avec un pas d'avance. Je venais de me taper douze heures de vols pour leurs beaux yeux, il pouvait bien pousser ma valise jusqu'à la voiture. Je l'ai vu déglutir avant de s'exécuter sans un mot, mais j'ai vu ses épaules se tendre. J'ai supposé qu'il devait prendre sur lui pour ne pas m'envoyer chier.
— Je m'appelle Kieran Parker et je serais votre interlocuteur privilégié durant tout le temps de votre séjour. Je serais logé juste à côté de votre chambre donc n'hésitez pas.
— C'est très aimable à vous, Kieran, répondit Aldo avant que je n'ai eu l'occasion de placer une pique bien sentie.
Ils m'ont collé une baby-sitter. Je sais que c'est dans le contrat que je dois me tenir à carreau, mais sérieux quoi. J'ai pas besoin qu'un vieux type me colle au cul matin et soir pour surveiller que je sois un bon petit garçon. J'ai pas besoin de creuser bien loin pour comprendre que ça n'enchante pas plus que ça le bonhomme non plus. Quelle joie. On arrive à la voiture après cinq bonnes minutes de marche et je m'installe à l'arrière pendant qu'Aldo et Kieran chargent les bagages. Le chauffeur me salue, je l'ignore, j'attrape mes écouteurs et j'allume de la musique à fond pour m'isoler pour le reste du trajet.
Au bout de 45 minutes, la voiture s'immobilise devant les grilles d'un hôtel plus que luxueux. S'il y a bien des choses dont je ne m'inquiète jamais quand je pars en déplacement, c'est bien mon confort. Aldo veut quelque chose de bien pour lui et il profite un peu de ma notoriété pour nous faire prendre des billets en business et des hôtels avec un minimum de quatre étoiles. C'est comme ça qu'on a atterri au St. Ermin's Hotel, et je pense que le gamin qu'on va se coltiné à gagné au change, pas sûr que son boss lui aurait payé un hôtel du genre s'il n'avait pas été obligé de me collé au cul. On le laisse se charger d'aller chercher les trois clés pour nos chambres en s'installant sur un des sofas du lobby.
— T'as intérêt à te tenir à carreau, Bree. Ils plaisantent pas ici, me souffla Aldo avec un sourire contrit.
— Je suis toujours sage.
— Arrête de déconner, ce type n'est pas là que pour porter ta valise et te faire des courbettes. Il est là pour gérer ton taux d'alcoolémie et la population que tu ramènes dans ta piaule.
— Alors quoi ? Je me fais moine. Super.
— Non, mais contrôle toi. T'es pas obligé de perdre la mémoire pour t'amuser. Ou alors tu le fais avec moi, comme ça je saurais gérer.
— Ouais ouais, super.
— C'est bon, j'ai les chambres. Nous sommes au dernier étage.
— Pas trop tôt, lâchai-je, amer, en me levant.
J'ai dû le bousculer au passage, il n'a pas eu l'air de trop comprendre. On a prit l'ascenseur pour grimper dans les étages et c'est lui qui a ouvert les portes de nos chambres. Il n'a pas fermé la gueule du trajet, nous donnant les horaires du petit-déjeuner, le programme de la soirée et il a commencé à embrayé avec le programme des jours suivants.
— Demain. Départ à quelle heure ? le coupai-je.
— Euh... La première interview est à 9H00 donc pour y être dans les temps je dirais 8H00.
— Ok, toquez à 7H45 si vous n'avez pas eu de nouvelles de moi. Maintenant, dégagez.
Il me regarda, ébahi, avant de passer son regard sur Aldo. L'italien lui sourit avec un air enjôleur et passa son bras autour de ses épaules pour le guider dehors, allant vers sa propre chambre. J'ai fermé la mienne derrière eux et me suis dirigé vers la salle de bain.
J'ai une sale gueule. Il est beau, le charmeur de ces dames. Je me fixe dans le reflet, mon œil vert jugeant mon physique, le bleu riant de mon état. J'efface ça en me passant de l'eau sur le visage et en me faisant couler un bain. J'ai vidé la moitié de la dosette de shampooing dans l'eau pour faire de la mousse et je me suis entièrement dessapé pour m'y glisser. La chaleur me fait grimacer un instant et ma peau laiteuse a immédiatement rougie. Je sais à quel point c'est mauvais, mais c'était la seule chose qui parvient à me détendre après un vol comme celui que je viens de passer. Alors je me suis endormi dans la baignoire, c'est Aldo qui m'a réveillé en hurlant que j'allais finir par me noyer à jouer à ça. Je suis sorti de l'eau froide en frissonnant, posant une main sur ma tête qui souffrante d'une belle migraine.
— T'as été infect Bree, t'as intérêt à être nickel chrome avec lui demain sinon ça va être compliqué ce week-end.
— Tu seras là pour faire barrage de toute manière.
— Non, j'ai des rendez-vous. Je vais voir des producteurs et des réalisateurs.
— Des auditions ? soufflai-je, soudainement intéressé.
— Peut-être, c'est pour ça qu'on est là jusqu'à mercredi.
— Okay okay, je serais l'homme le plus charmant du monde.
— Pas trop non plus, hein, souffla-t-il en glissant ses mains sur mes épaules.
— Faudrait savoir ce que tu veux.
Je me laisse aller quelques instants au massage qu'Aldo me prodigue, ça n'est pas désagréable et je dois bien avouer qu'après un bon bain c'est plutôt positif. Mais je sais ce que ça entraînerait et je n'ai aucune envie de glisser sur cette pente là. Je me défait de cette étreinte pour enfiler un boxer et un pantalon de nuit.
— Je suis fatigué, je vais aller me coucher.
Le message est plutôt clair : je n'ai aucune envie d'aller plus loin ce soir. Aldo me fixe quelques secondes avec cette lueur dans le regard que j'ai appris à décrypter. Il creuse pour savoir si je suis sincère ou s'il peut pousser un peu. Le résultat a dû être probant parce qu'après un soupir il dépose une feuille sur le bureau.
— C'est la feuille de route de tout le week-end. Tu as tous les numéros de téléphone nécessaire, évite de les utiliser avec ton portable perso. Je te fais monter un plateau ?
— Non je n'ai pas faim, je vais juste me coucher.
— Ça marche, à demain. Je te réveillerai vers 7 heures.
— Pas la peine je vais mettre un réveil.
— Bonne nuit alors.
— Bonne nuit.
Après qu'Aldo eut fermé la porte, j'ai glissé un panneau "ne pas déranger" sur la poignée et verrouillé toutes les portes. J'ai récupéré les mignonnettes dans le mini-bar et me suis effondré sur le canapé, face à la baie vitrée. Londres est une ville magnifique, les lumières dansent sur la Tamise pendant que je me noie dans la bouteille de vodka. Je sais que je ne dormirais pas sans ça, ça fait des mois que j'ai besoin de cet alcool dans le sang pour dormir. Je reste fixé sur l'horizon en enchaînant les petites fioles, réfléchissant à ce que je fous là. Je suis acteur, je vois pas l'intérêt de m'asseoir derrière une table pour dédicacer des photos de ma tête. Ou même de faire des photos avec des gens, je ne comprends pas ce que ça leur apporte. Finalement, je ferme les yeux pour faire partir ma migraine en abandonnant la vodka pour le bourbon.
Quand je rouvre les yeux, le soleil est levé et quelqu'un tambourine à ma porte. La lumière me fait ramener le plaid sur mon visage, enfouissant le nez dans mon bras. Si je fais semblant d'être mort, il finira bien par se tirer, non ? J'attends comme ça quelques minutes avant que le bruit significatif du badgeur de la porte d'hôtel bourdonne et que le déclic de la poignée ne retentisse. Je me redresse, excédé et outré qu'on puisse pénétrer ainsi dans ma propriété privée. Celle de l'hôtel. Peu importe. Je me redresse pour hurler sur l'intrus de quitter la pièce quand je reconnais sans mal le baby-sitter qu'on m'a collé au train pour le week-end.
— Je peux savoir ce que tu fous ? crachai-je, mal embouché.
— Je dois m'occuper de vous, je voulais vérifier que tout allait bien. Puisque vous êtes réveillé, vous avez - il leva la main droite pour regarder la montre en métal à son poignet - vingt minutes pour vous préparer avant de rejoindre le lieu de l'événement.
— J'ai pas pris mon petit-déjeuner.
— Ça tombe bien que le room service soit devant la porte, alors.
Quel petit enfant de satan. Je le fusille du regard, agacé de le voir faire comme s'il était chez lui, puis les paroles d'Aldo me reviennent en tête. Être nickel. C'était plus facile à dire qu'à faire. Je l'observe un instant ouvrir la porte au groom qui devait patienter derrière la porte, lui remettre un pourboire et refermer derrière lui.
— Aldo m'a donné votre commande du petit-déjeuner, j'ai transmis ses notes aux cuisines. Je vous laisse vous habiller et déjeuner, je reviens dans vingt minutes ou vous préférez que je vous attende dans le hall ? souffla-t-il, un léger sourire sur le coin des lèvres.
Je lui ferai bouffer son sourire à la con moi. Je sais bien qu'il joue avec mes limites mais s'il commence dès le matin, avant que j'ai avalé la moindre caféine, on va pas être copain.
— Je descendrai, c'est bon.
— Bien, à tout à l'heure.
Il quitte la pièce et je me laisse retomber sur le matelas, mon avant-bras posé sur mes yeux. La migraine tapant douloureusement contre mes tempes, je me maudis d'avoir vider le mini-bar hier soir. Je fini par me lever, prendre une douche rapide, avaler un peu de paracétamol et m'habiller. J'enfile un blue jean levi's des plus classique, un t-shirt noir et, par-dessus, un pull en laine à col roulé de la même couleur. Une paire de Timberland aux pieds et me voilà prêt. Je m'installe deux minutes sur le lit avec un café et un bagel au pain complet tartiné de fromage frais et de saumon dans lequel je croque à pleine dents. J'adore ça, c'est mon petit déjeuner de sortie d'avion, le seul excès auquel j'ai le droit en termes de nourriture sortie de ma routine ultra calibrée. Quand j'ai fini mon grand mug de café, je me lève et je mets mets ray-ban sur mon nez et une casquette noir avec le logo des Los Angeles Lakers brodé en jaune sur ma tête. Je me jette un dernier regard dans le miroir et attrape mon portable et mon porte-feuille avant de sortir de la pièce. Je tombe nez-à-nez avec le rigolo du salon qui allait frapper à la porte.
— Putain on est pas aux pièces j'peux respirer deux minutes ?
— Le taxi nous attend donc, je dirais que non.
— Connard. marmonai-je dans ma barbe alors qu'il se retourne pour rejoindre l'ascenseur.
— Pardon ?
— Rien, rien.
Je sens que cette journée va être l'éclate. La seule raison pour laquelle j'accepte de mettre un pied dans ce genre de convention, c'est parce qu'Aldo m'y oblige. J'ai du mal à comprendre pourquoi je suis là et je dois jouer un rôle pendant plusieurs jours, c'est épuisant. Je déteste ça, et les fans me mettent mal à l'aise, j'ai l'impression d'être un foutu objet à leurs yeux. Alors je prends mes distances. Dans le hall, une demi-douzaine de collègues attendent, des acteurs et des actrices de plusieurs séries. Je les vois monter dans un van à plusieurs et je souris, au moins l'avantage qu'Aldo s'occupe de moi c'est que je n'ai pas à supporter ça. Je monte, seul avec mon baby-sitter, dans le van avant qu'il ne se mette en route.