— 𝑋𝐼 —
Kayak, Vertige et Autres Maladresses
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Dehors, l'air a changé. Chargé de cette odeur de terre humide et d'herbe coupée, un parfum presque trop intense après l'atmosphère feutrée de la hytte. Ça sent l'été, mais l'air garde encore la morsure de la nuit, ce froid résiduel qui s'attarde dans les ombres. Les arbres frémissent, laissent échapper un bruissement léger, un frisson végétal qui glisse sur la peau comme une caresse distraite.
Nous marchons, sans un mot. Côte à côte, parfaitement alignés sans même y penser. Son pas s'accorde au mien ou peut-être est-ce l'inverse. Nos souffles se mêlent au silence, à la respiration du vent entre les branches. C'est étrange comme le simple fait d'être là, à avancer ensemble, suffit à tout apaiser. Petit à petit, mes épaules se relâchent, mon corps se fond dans le rythme naturel de la marche. Chaque pas devient plus fluide, plus évident. Comme une danse qu'on n'aurait pas besoin d'apprendre. Et, pour une fois, je ne cherche pas de réponses. Je me contente de ressentir.
Le sentier nous mène au bord du lac, dissimulé entre les arbres. L'eau s'étend devant nous, calme et lisse, une surface parfaite qui reflète le ciel pâle du matin. Un miroir liquide, à peine troublé par quelques remous discrets sous la surface. Quelque part, un poisson fend l'eau en silence.
Nos pas s'arrêtent d'eux-mêmes. Tout se fond dans une même quiétude. L'écho léger du vent dans les feuilles, le chant fluide des oiseaux perchés au sommet des branches, la lumière encore douce qui s'étire lentement sur l'eau. Et nous, figés dans l'instant.
Un peu plus loin, un petit embarcadère de bois s'avance timidement sur l'eau, hésitant, comme s'il se demandait lui-même s'il avait sa place ici. Les planches grincent légèrement sous la brise, fatiguées, usées par l'humidité. Je remarque les kayaks amarrés, leurs coques colorées détonant avec les teintes douces du paysage. Un rouge criard, un jaune éclatant, un vert presque fluo. Une petite armée bariolée qui jure avec la sérénité du lac.
Je m'arrête, mes yeux glissant sur les canoës qui se balancent doucement, portés par de légers remous invisibles. L'eau a cet éclat calme et hypnotisant, cette surface parfaite que l'on a presque peur de troubler. Elle me regarde comme une étendue d'innocence.
— Tu sais, ça fait un bail que je n'ai pas fait de kayak, dis-je dans un souffle. Ça pourrait être drôle.
Un silence, l'espace d'un battement de cœur. Puis je sens son regard sur moi, une fraction de seconde à peine, avant qu'il ne prenne déjà les devants. Il avance d'un pas décidé vers les kayaks, sans hésiter, avec cette certitude tranquille qu'il affiche parfois. Comme si tout était déjà écrit, comme si l'évidence de ce que nous allions faire s'était inscrite quelque part entre nous, bien avant que les mots ne soient prononcés.
— Ça te tente, alors ? lance-t-il, sa main glissant sur l'un des kayaks dans un geste à la fois nonchalant et précis, comme s'il testait sa solidité du bout des doigts. On pourrait essayer de ne pas nous faire repérer... histoire de ne pas passer pour deux amateurs en pleine dérive au milieu du lac.
Son ton est léger, presque taquin, mais son regard pétille d'une malice à peine contenue. Et je sais exactement ce qu'il sous-entend. Pas qu'on soit des professionnels du kayak, mais disons qu'on préfère que la nature ne nous rappelle pas trop notre maladresse.
Je souris. L'idée me plaît. Cette sensation de liberté improvisée, ce jeu implicite où rien n'est vraiment prévu mais où tout semble déjà parfait. Ce genre de moments où l'imprévu nous entraîne dans son sillage, où l'air devient plus léger, où l'instant prend une teinte plus vive.
Il me tend une pagaie, un sourire au coin des lèvres, et je saisis le manche en bois, sentant un léger frisson parcourir mes doigts. La fraîcheur matinal, ou l'adrénaline naissante. L'idée d'être sur l'eau, coupée du reste du monde, a quelque chose d'exaltant. Je pourrais presque me croire dans un film d'aventure... à moins que la pagaie ne décide de prendre la direction opposée.
Il ne me laisse pas le temps de trop y penser. Déjà, il se place à mes côtés, ancré, prêt. Puis, sans même y réfléchir, il pose doucement sa main sur mon bras. Un geste naturel, presque machinal, mais qui me fige une demi-seconde. Il y a cette énergie qui me traverse, ce petit truc qui me dit que ça va bien se passer, et en même temps, je suis sur le point de m'éclater dans l'eau à tout instant.
Son contact est léger, précis. Pas une pression, pas un poids. Juste une présence. Une chaleur subtile qui contraste avec cette petite brise. Je suis prête à tout, sauf à tomber.
— Fais attention, dit-il, son sourire toujours accroché à ses lèvres.
Et dans un coin de ma tête, j'entends déjà la douce ironie de cette mise en garde : est-ce que c'est lui qui me dit de faire attention, ou est-ce que c'est l'univers qui nous met au défi ?
Je grimpe dans le kayak avec une hésitation qui me trahit, cherchant l'équilibre dans ce bateau qui tangue sous mon poids. Un petit rire m'échappe quand je manque de peu de basculer, et Ørjan resserre brièvement sa prise sur mon bras, stabilisant le kayak d'un mouvement sûr.
— Pas mal pour une première tentative, remarque-t-il en haussant un sourcil, moqueur.
— J'ai juste testé si le kayak flottait bien. C'est tout un concept, tu sais. Et puis, l'équilibre, c'est pas vraiment mon truc, dis-je en roulant les yeux, amusée.
Il éclate de rire, et je sens qu'il prend un plaisir un peu trop évident à voir ma tentative d'équilibre échouer. Je me laisse alors couler sur le siège, trouvant peu à peu mes marques. Quelques secondes plus tard, Ørjan grimpe derrière moi avec une aisance déconcertante, comme si son corps savait déjà exactement quoi faire. Je sens ses mouvements, l'eau qui s'agite sous nous, son souffle régulier alors qu'il ajuste sa pagaie.
Puis, il donne le premier coup. L'embarcation glisse doucement, coupant la surface du lac dans un mouvement fluide. L'eau, lisse comme un miroir, se trouble à peine sous notre passage. Je plonge ma pagaie à mon tour, et nous avançons ensemble, d'un même rythme.
Le silence nous enveloppe aussitôt, un silence rempli de sons minuscules : le clapotis de l'eau contre la coque, le bruissement des feuilles dans le vent, le cri lointain d'un oiseau invisible. Autour de nous, les montagnes et les forêts dressent leur ombre paisible, encadrant ce monde qui semble n'appartenir qu'à nous. Je prends une grande inspiration, remplissant mes poumons de cet air frais, pur, loin de tout.
— On dirait qu'on est les seuls sur ce lac, murmure-t-il, sa voix comme une note qui flotte sur l'eau.
Je ris silencieusement, savourant cette sensation d'être ailleurs, hors du temps. L'idée d'être cachés, d'avoir ce bout de nature pour nous seuls, a quelque chose d'excitant, d'intime.
— Je suis sûre qu'on va se retrouver à faire un plongeon dans cinq minutes...
Je tourne la tête vers lui, capturant son sourire. Il est plus lumineux que le soleil qui filtre à travers les arbres, plus éclatant que le reflet doré sur la surface du lac.
— T'inquiète, je suis un pro du kayak. Mais je te garantie pas qu'on ne dessalera pas volontaire, histoire de voir la profondeur du lac... plaisante-t-il en pagayant tranquillement pour suivre ma trajectoire, sa voix traînant un peu dans un ton moqueur.
— Ah, donc tu es du genre à accumuler les chutes, mais dans un but scientifique ? demandé-je en feignant une expression inquiète. Je vois...
Il rit doucement, et je me surprends à aimer ce son. Un éclat simple, vrai, qui vient se mêler au vent et à l'eau. Le genre de rire qui pourrait faire fondre un glacier, même en plein hiver. C'est indécent.
L'air est frais, vivifiant, et chargé de cette sérénité propre aux matinées paisibles. Le seul bruit perceptible est celui des rames qui fendent la surface du lac avec une douceur presque hypnotique. L'eau clapote contre la coque du kayak, formant des cercles éphémères qui disparaissent aussi vite qu'ils sont apparus. Tout ici respire le calme, l'instant suspendu dans un équilibre fragile entre la nature et nous.
Je tourne la tête vers Ørjan, un sourire espiègle étirant mes lèvres. Son expression, à la fois concentrée et détendue, me donne envie de le taquiner un peu.
— Si je dois finir trempée, je te préviens d'avance, tu devras m'offrir ton t-shirt en guise de bouée de sauvetage.
Un éclat de rire m'échappe, léger, cristallin, et il ne tarde pas à suivre, son rire grave et sincère résonnant contre l'immensité du lac. L'espace qui nous entoure semble se refermer autour de cette complicité instantanée, comme si ce moment n'appartenait qu'à nous. Il y a quelque chose d'indéfinissable dans cette sensation, un équilibre subtil entre la taquinerie et une proximité plus profonde.
— Si on tombe à l'eau, je te promets que je ne dirai rien à Henrik, lance-t-il, son regard pétillant d'amusement.
— Parfait, je compte sur toi. Parce que s'il l'apprend et qu'il commence à en faire tout un sujet...
Je secoue la tête en riant, imaginant sans mal la scène. Henrik, avec son air faussement désapprobateur, me lançant des remarques pendant des jours sur mon manque de coordination. Un véritable festival de sarcasme, avec un prix spécial pour la performance la plus détestable. Il pourrait probablement me faire croire que je suis la pire kayakiste du coin, et ce, même sans avoir vu l'eau.
Le soleil grimpe lentement dans le ciel, réchauffant ma peau et faisant scintiller l'eau autour de nous comme des éclats de cristal. Je ferme les yeux un instant, m'imprégnant de cette sensation de plénitude. Ce moment a un goût d'éphémère, une bulle fragile qui menace d'éclater à tout instant. Mais pour l'instant, je refuse de penser à plus tard. L'idée d'un instant parfait, sans complications, me donne presque envie de demander une pause dans le temps.
Je laisse mon regard dériver sur les rives du lac, les arbres massifs se reflétant à la surface dans un effet de miroir parfait. Puis, une idée saugrenue me traverse l'esprit. Une idée stupide, irréfléchie. Mais aussi terriblement tentante.
— Et si on retournait le kayak juste pour voir ce qui se passe ?
Je tourne la tête vers Ørjan, un éclat malicieux dans les yeux. L'adrénaline crépite en moi, cette envie irrépressible de casser la tranquillité, de jouer avec l'imprévisible. Une petite folie, juste pour voir. Il me fixe un instant, évaluant probablement si je plaisante. Son regard passe de l'hésitation à l'amusement, et un sourire lent étire ses lèvres, et je sais à cet instant précis que je viens de signer mon arrêt de mort.
— Tu sais que pour retourner un kayak, faut y aller quand même... Quoi qu'avec toi, Miss Catastrophe, tout est possible...
Je fronce les sourcils, feignant l'indignation. Mais avant même que je puisse ouvrir la bouche pour répondre, il donne un petit coup de hanche, et bam, le kayak tangue comme un bateau ivre. Je lâche un cri surpris, agrippant les bords du frêle esquif comme si ma vie en dépendait (ce qui, honnêtement, pourrait très bien être le cas). L'eau semble nous regarder avec des yeux affamés, prête à nous engloutir.
— Ørjan ! protesté-je, une note de panique dans la voix mêlée à un rire incontrôlable. À ce rythme, je vais finir par croire qu'il s'entraîne pour un concours de plongeon improvisé.
Mais je sais déjà que c'est trop tard. Mon sort est scellé, et mon ego aussi, probablement. Je vois dans ses yeux qu'il s'apprête à tester la résistance de notre petit monde flottant. L'anticipation me noue l'estomac, un frisson d'appréhension qui vient se mélanger à une excitation que je préfère ignorer. Je n'ai même pas le temps de prononcer un mot, pas même un « non » qui se loge dans ma gorge, que le kayak tangue déjà légèrement sous nos mouvements, comme une promesse de chaos imminent. L'équilibre est aussi précaire qu'un gâteau au chocolat sur une table bancale, et je sais que la chute n'est plus qu'une question de temps.
Je me pince les lèvres pour ne pas éclater de rire, mais mon corps me trahit. L'envie de rire, de me laisser aller, de complètement lâcher prise, me chatouille la gorge comme un chat en furie. C'est une danse du chaos, un jeu de bascule... ou un accident, selon l'angle où on regarde.. Je me prépare à l'inévitable, à cette chute qui semble suspendue dans l'air, prête à nous engloutir comme une vague trop enthousiaste.
— On peut toujours dire que c'est une expérience aquatique... non ? Une de celles que tu as apparement déjà testée. dis-je, le ton plus léger, presque complice, tout en m'accrochant fermement à la pagaie.
Mes doigts serrent le bois, mais je sens qu'ils auraient bien aimé fuir cette situation, comme un invité non désiré à une soirée trop arrosée. Ørjan hésite un instant, pris dans une sorte de duel intérieur. Un mélange de volonté de rire et de me faire peur. Je vois sa concentration, cette tension qui se lit sur ses traits, mais la lumière de son rire s'infiltre peu à peu. Finalement, il cède à l'envie de rire, secouant la tête d'un air amusé.
— Oui, une expérience... mais je suis pas sûr que ça soit le calme qu'on s'imaginait en sortant de la hytte ce matin.
Je souris, un peu coupable de participer à ce grand n'importe quoi, mais en même temps, un sentiment de liberté s'empare de moi. Comme si, dans cette cacophonie d'eau et de pagaies, on était dans un purgatoire joyeux où il n'y a pas de jugement... sauf peut-être celui de finir trempés jusqu'aux os dans moins de cinq minutes.
Je lance un dernier regard furtif à l'eau, un défi silencieux qu'on s'échange, un sourire malicieux flottant sur mes lèvres. Après tout, si on doit laisser une trace dans ce lac, autant que ce soit avec un éclat de rire et une bonne dose de ridicule.
Et là, le kayak tangue à nouveau. Cette fois, je suis sûre que c'est la fin. Ørjan se redresse soudainement, son corps tendu, prêt à répondre à la moindre secousse, son regard fixé sur moi. Le défi est dans l'air, palpable, presque électrisant. À ce stade, je pourrais presque entendre un tambour en toile de fond. Ou peut-être est-ce juste mon cœur qui bat trop fort ?
— Allez, montre-nous ce dont tu es capable, Miss Catastrophe.
Je sais que ce n'est pas une simple plaisanterie. C'est un appel. Un défi. Et mon cœur s'emballe à l'idée de lui prouver que je peux réussir. Mais je suis aussi assez réaliste pour savoir que ce défi, tout aussi épique soit-il, pourrait aussi se finir en un plongeon spectaculaire digne des meilleurs gags de l'année. Je n'hésite pas. Je me lance, essayant de prendre le contrôle de la pagaie, mais je sais aussi que c'est risqué. Comme jouer avec le feu, mais en version aquatique, avec un kayak qui tangue et moi qui suis probablement plus douée pour nager que pour ramer. Je tente un mouvement un peu trop brusque, un demi-tour imprévu, et tout bascule.
— Non, non, non !
Mais trop tard. Les mots à peine sortis, la réalité m'assène un coup de pied dans le derrière. Le kayak vire soudainement, et avant même que mon cerveau ait le temps de se connecter à mon corps, je sens la pesanteur de l'eau m'engloutir. L'air devient liquide, le monde autour de moi se transforme en un flou de lumière et d'eau, et avant que je puisse crier « Je suis trop jeune pour mourir ! », je me retrouve déjà sous la surface froide, ma dignité se noyant joyeusement avec moi.
Je refais surface, l'eau fraîche m'assommant comme une gifle de mère indignée. Je tousse, aspirant l'air du lac comme si c'était ma dernière bouffée avant la fin du monde. Mais au lieu de m'écraser contre le sol, je sens l'onde de choc de la chute m'électriser. Autour de moi, c'est une mer de confusion où je m'agite dans tous les sens. Comme une naufragée en mode panique, je n'arrive même pas à récupérer mon souffle.
Et là, comme un rayon de soleil après une tempête, il y a Ørjan. Son rire me frappe comme une bouffée d'air frais, et il est là, toujours là, tel un phare dans cette mer de chaos. Il tend sa main, un éclat de complicité dans les yeux, prêt à me sortir de ce merdier. Et moi, comme la parfaite catastrophe ambulante que je suis, je la saisis, non sans m'y prendre à deux fois. L'eau glacée me fait frissonner, mais sa chaleur humaine m'enveloppe en un instant, comme un plaid douillet après une tempête.
Je lui adresse un sourire béat, tout en lançant un regard amusé au kayak qui dérive lentement derrière nous, tel un témoin muet de notre déroute. Là, dans l'eau, je réalise qu'on ressemble à deux imbéciles, un peu ridicules. Et bizarrement, je me sens plus vivante que jamais, comme si cette aventure imprévue venait de m'offrir un grand bol d'air frais. C'est absurde. C'est tellement ridicule. Et pourtant, c'est probablement l'un des moments les plus hilarants de ma vie.
Je suis trempée jusqu'aux os, mais étrangement, c'est la première fois depuis longtemps que je me sens libre. C'est comme si l'eau m'avait lavée de toutes mes préoccupations. Une folie douce, légère, et franchement démente, qui restera gravée dans ma mémoire.
— Alors, on y retourne, ou on se pose sur la plage ?
Je souris, un éclat de malice dans le regard, mes cheveux dégoulinant de partout, comme si j'étais sortie d'un clip de pop des années 90.
— Je vote pour la plage, dis-je, mon ton aussi théâtral qu'un acteur en train de jouer son dernier rôle dans un film catastrophe.
Après notre scène aquatique façon Titanic – mais sans le romantisme et avec un peu plus de crispation – on tente de se remettre dans le kayak. Mais c'est un enchaînement d'échecs, de rires et de tentatives plus ou moins désastreuses, comme si l'univers avait décidé de se jouer de nous. À chaque tentative ratée, à chaque éclat de rire, je me demande sérieusement si on ne pourrait pas intégrer notre duo dans un film comique... Mais tout cela, me rapproche un peu plus de ce moment magique, et surtout d'Ørjan. Il rit de bon cœur, sa voix une mélodie contagieuse qui me fait oublier la fraîcheur de l'eau.
Finalement, après une ultime manoeuvre digne d'un numéro d'acrobatie sous-marine, nous y arrivons, et je me retrouve enfin dans le kayak, les bras tremblants mais le cœur aussi léger qu'un marshmallow sur un barbecue. Ørjan me lance un regard moqueur mais sincère, comme si tout ce chaos avait été l'ingrédient secret pour rendre cette journée inoubliable.
Une fois que nous avons atteint la plage, le sable fin sous nos pieds me semble être une récompense après la tempête. Je prends une profonde inspiration, la chaleur du sable me caressant la peau, me réchauffant notre baptême de l'eau. Les vagues se brisent doucement contre le rivage, comme une mélodie apaisante. Le monde semble tout à coup ralentir autour de nous, et je sens mes épaules se détendre. La lumière du soleil, déjà plus haute dans le ciel, enveloppe les lieux d'une douceur presque irréelle. C'est comme si le monde entier se taisait pour nous offrir ce moment intime, fragile. Juste lui et moi, seuls au milieu de cette immensité, avec le lac comme témoin de notre désastre épique.
Je me laisse tomber sur le sable, mes bras s'étendant comme pour épouser la terre sous moi. Je ferme les yeux, inspirant profondément, et un petit sourire se dessine sur mes lèvres. Ce moment, cette sérénité... tout semble parfait, et je me permets de m'y perdre un instant.
— T'as vu comment les campeurs avaient tous des yeux ronds en nous voyant ? demandé-je en riant doucement, ma voix s'échappant sans retenue.
Je tourne la tête vers Ørjan, allongé à côté de moi, visiblement en train de savourer son petit moment post-apocalyptique à lui aussi. Son sourire en coin me fait fondre. Il hausse les épaules, comme si tout ça n'était qu'un jeu pour lui, un petit interlude rigolo dans notre grande aventure, mais dans son regard, il y a cette étincelle. Ce petit éclat qui crie « victoire », avec une touche d'arrogance bien placée.
— Ça, c'est parce que tu te débattais comme un chat qu'on a jeté à l'eau.
Je le fixe, un sourire complice se dessinant sur mes lèvres. Bien sûr, je vois exactement de quoi il parle. Qui aurait cru que le kayak pouvait révéler une version de moi-même que je ne connaissais pas encore ?
Les minutes passent, sans vraiment qu'on en ait conscience. C'est ce genre de silence confortable, où même l'air semble respirer à la même cadence. Je m'imprègne du moment, de cette bulle d'instant suspendu entre nous, et un sourire involontaire se dessine sur mon visage. Et puis, comme une révélation, une pensée me traverse, aussi lumineuse qu'un néon dans une ruelle sombre.
— Et si on allait s'acheter une glace ? Parce qu'après cette performance magistrale, je pense qu'on l'a bien méritée.
Ørjan tourne la tête vers moi, son sourire se déployant de plus en plus large, comme s'il avait exactement la même idée. Il se redresse d'un coup, avec cette fluidité qui m'impressionne toujours, et tend la main pour m'aider à me relever. Ce geste est si simple, mais il résonne d'une douceur qui me touche plus que je ne veux l'admettre.
— Avec plaisir !
Je laisse mes doigts se glisser dans les siens, un frisson d'excitation me parcourant à l'idée de ce petit moment, simple et pourtant parfait. On grimpe la pente, les pieds dans le sable chaud, direction le sentier qui mène à la place principale du camping. Là, entre les arbres, les hyttes et les tentes, ce trouve le restaurant... et, bien sûr, le glacier.
Je me sens presque impatiente, comme une enfant devant un délice. Une fois devant le comptoir, je laisse Ørjan passer en premier, un geste de courtoisie, ou peut-être simplement parce que j'aime le regarder choisir. Il hésite une seconde, puis opte pour une boule de chocolat. Moi, je me tourne instinctivement vers la vanille, un choix simple, mais que je trouve réconfortant. Ce n'est pas l'originalité qui compte, mais ce goût familier qui me réchauffe le cœur, un peu comme l'atmosphère de ce moment.
— Une vraie gourmande, je vois... Pas de doute, on est faits pour être ensemble.
— Ce n'est pas tant la glace que je préfère, c'est de la partager avec toi, à vrai dire.
Les mots s'échappent avant que je puisse les retenir. Ils sont là, sincères, presque un peu timides, mais ils sont parfaits, parce qu'ils viennent du fond du cœur. Je me surprends moi-même, mais il n'y a rien de plus vrai. Et ça me fait sourire encore plus, un sourire béat que je ne peux retenir. Ørjan me regarde, et ses yeux s'adoucissent. Un éclat dans ses yeux, un mélange de surprise et de tendresse, me fait fondre un peu plus.
Ses doigts frôlent les miens alors qu'il tient sa glace, un geste naturel, comme si la glace elle-même était juste un prétexte pour prolonger ce moment.
— Eh bien, je dirais que c'est un excellent choix de partage.
Je laisse ces mots m'envahir, avec cette chaleur douce qui me fait oublier le reste du monde. Autour de nous, le brouhaha des gens, le bruit du glacier en action, semble se dissiper comme par magie, réduisant tout à ce moment précis entre Ørjan et moi. À cet instant, il n'y a plus rien. Rien d'autre que lui et moi. Tout semble aligné, comme si chaque mouvement, chaque parole, chaque sourire était exactement ce qu'il fallait pour rendre cet instant parfait.
Le goût sucré de la glace sur mes lèvres se mêle à l'air frais du lac, créant une sensation de pure légèreté. Ørjan marche à mes côtés, et je remarque que ses pas se calquent aux miens, comme si nos rythmes étaient parfaitement synchronisés. C'est une danse silencieuse, élégante, mais tellement simple et vraie. On flâne sur l'herbe, sans destination précise, juste là, à savourer ce moment suspendu où il n'y a que nous deux.
Puis, au détour d'un kiosque coloré, mes yeux sont attirés par une affiche accrochée sur un poteau. Elle se détache clairement sur le bleu du ciel, avec ses couleurs vives et son lettrage criard :
Soirée cocktail – Plage du camping – Ce soir, 20h !
Je m'arrête net, comme si un signal lumineux venait d'apparaitre dans ma tête. Les mots résonnent en moi d'une manière un peu bizarre, presque magique. Je tourne mon regard vers Ørjan, et il capte immédiatement ma réaction. Il scrute l'affiche, ses yeux s'allumant d'une lueur malicieuse, un sourire s'étirant lentement sur ses lèvres comme s'il venait d'avoir une idée géniale (et probablement un peu farfelue, à en juger par la lueur dans ses yeux).
— Et si on y allait ? me lance-t-il, ses yeux brillant de cette lueur taquine que je commence à bien connaître. Ça pourrait être sympa, non ? Un cocktail et une danse... ou deux.
Ses mots flottent dans l'air, légers, presque sucrés, comme une boisson un peu trop fruité qu'on aurait mélangé avec un soupçon d'irrésistibilité. L'idée me fait sourire, mais aussi m'interroger un instant. Un cocktail dans un endroit bondé, avec des gens qui dansent comme des marionnettes, une musique kitsch qui déchire les tympans... Ce n'est pas vraiment mon style habituel. Mais l'envie de m'amuser, de laisser les choses couler sans se poser de questions, me prend soudainement. J'ai envie de lâcher prise, de me fondre dans cette ambiance, de me perdre dans la légèreté de l'instant.
Je relève les yeux vers lui, un peu surprise mais amusée. J'imagine déjà la scène : la foule, le bruit, les corps qui se bousculent pour attraper des verres trop sucrés. Mais l'idée de partager ça avec Ørjan, de continuer cette complicité presque irréelle, me plaît plus que je ne veux bien l'admettre.
— Un cocktail avec toi ? ris-je légèrement en le regardant. Tu veux dire, moi, toi, et un tas de gens ivres qui dansent sur une musique à te faire fondre les neurones ?
Ørjan éclate de rire, un son franc et décontracté, qui me fait sourire encore plus. C'est un rire contagieux, facile, comme si tout ça n'était qu'un jeu.
— Exactement !
Je le regarde, un sourire en coin, et je sens une chaleur douce m'envahir. Il a cette façon de rendre chaque situation plus légère, de me faire me sentir à l'aise, presque insouciante. Avec lui, rien ne semble trop lourd, tout semble possible. Peut-être que ce n'est pas si mal, finalement, de s'ouvrir à cette aventure inattendue. J'imagine déjà les couleurs vives des lumières du camping, les rires, les mouvements dansants, la chaleur de l'été qui s'attarde encore dans l'air.
Après tout, pourquoi pas ?
— D'accord, on y va, alors, dis-je décidée, un sourire aux lèvres. En revanche je suis pas responsable des potentiels catastrophes qui pourraient arriver.
Le rire de Ørjan éclate de nouveau comme un éclat de lumière, me faisant sourire à mon tour. Sa main se glisse doucement dans la mienne, chaude, familière, et il me tire vers lui avec une simplicité qui me fait sentir instantanément connectée à lui. Je le suis sans réfléchir, mon cœur déjà accéléré par l'idée de ce moment partagé, mais tout à coup, il s'arrête. Le mouvement fluide se brise en une fraction de seconde, et je le regarde, intriguée, alors qu'il tourne son regard vers moi. Ses yeux, habituellement pétillants de malice, ont pris une teinte plus sérieuse, comme s'il se perdait dans une pensée silencieuse.
Je le fixe, le souffle suspendu, me demandant ce qui se passe dans sa tête. Mais avant que je ne puisse formuler la moindre question, il me prend totalement par surprise. Il se penche vers moi, et en un instant, ses lèvres rencontrent les miennes. C'est un baiser doux, mais ferme, un baiser qui me prend aux tripes. Il ne dure qu'un instant, mais cet instant suffit à tout bouleverser. Mon cœur semble battre plus fort, un rythme effréné qui se répercute dans tout mon corps, chaque battement résonnant dans ma poitrine.
C'est fou comment un simple contact peut déstabiliser à ce point ? Comme une évidence, comme un secret qu'on n'a pas encore osé se dire, mais qui s'exprime dans ce geste silencieux. L'air autour de nous se fige, le bruit des enfants qui joues s'estompe, tout devient flou, comme si l'univers entier s'était mis en pause. Je me laisse emporter, fermant les yeux un instant, profitant de la chaleur de ses lèvres, de la tendresse qui émane de lui. C'est comme si chaque fibre de mon être réagissait à ce baiser, me rappelant que parfois, les mots ne sont pas nécessaires pour tout comprendre.
Lorsqu'il se retire enfin, un frisson me parcourt, me laissant suspendue dans une sorte de brume douce, les lèvres encore frémissantes. Il me regarde, ses yeux cherchant quelque chose en moi, peut-être une réponse, un signe, comme s'il voulait s'assurer que tout va bien. Ses prunelles plongent dans les miennes, et je vois dans son regard une sincérité, une douceur qui me touche profondément.
— Je dois y aller. Henrik m'attend, mais on se retrouve ce soir, d'accord ? dit-il d'une voix calme, presque protectrice, comme si ce moment partagé nous appartenait, comme un secret qu'on s'accorde avant de se séparer.
Je le regarde, mon sourire imperceptible mais sincère. Le temps semble se dilater autour de nous, et je le laisse s'éloigner, mes pensées encore envahies par la douceur de son baiser. Il fait quelques pas en arrière, me lançant un dernier regard, avant de se détourner et de marcher dans la direction de sa hytte où l'attend Henrik. Je le contemple un instant, observant la silhouette de son dos qui se fond lentement dans la distance. Je reste là, mon esprit et mon cœur flottant. Une étrange légèreté m'envahit. Un mélange étrange de calme et d'excitation me traverse.
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Cher lecteurs, chères lectrices, 💙🌿
Comment allez vous ? 🌼
Voici un chapitre où j'espère que l'équilibre précaire de l'adrénaline et de la sérénité vous a fait sourire autant qu'il vous a fait frissonner. Si tel est les cas, alors mission accomplie ! 😏 J'espère que vous avez trouvé de la légèreté dans ces instants aussi délicieux que de la glace 🍦. Et avouez-le, qui n'a jamais eu une idée brillante qui a tourné en catastrophe monumentale ? 😅
❓ Dites-moi, avez-vous déjà vécu un excès d'enthousiasme, ou un geste inattendu qui a changé la donne ? Ou créé une catastrophe ? J'ai hâte de lire vos histoires en commentaire ! 💬
Merci pour votre soutien, vos retours, et vos anecdotes, c'est toujours un réel plaisir à lire. 💖 Vous êtes sublimes ! 🙏
Je souhaite un merveilleux dimanche et vous dit à la semaine prochaine - même endroit, même heure - pour découvrir la suite ! 👀 📅
A.E 💖