— 𝑉𝐼 —
Une Amitié Naissante
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Je sors de ma hytte en jetant un rapide coup d'œil autour de moi. Ørjan n'est pas dans les parages. Du moins, pas de trace de lui, pas de regard échangé, pas de sourire gêné... Je souffle discrètement, presque soulagée, comme une ninja qui vient d'éviter une embuscade et m'élance sur chemin principale, prête à rejoindre les sentiers.
Le début de matinée est encore frais, mais l'air commence à s'échauffer sous l'influence du soleil. Les sentiers autour du Camping de Trolldheim serpentent entre les pins imposants et les feuillus qui encadrent le paysage. Je me laisse porter par l'instant, sans but précis, juste une envie de marcher, de respirer l'air pur de la forêt suédoise. Nouvelle philosophie de vie : marcher pour oublier. Sauf que mon cerveau a décidé de me saboter. Chaque pas sur le sol meuble, entre les fougères et les buissons, me rappelle toujours cette sensation, ce léger picotement au fond de ma tête.
Ørjan.
Il est partout, dans chaque brin d'herbe que je frôle, dans le parfum de la terre humide, dans le bruissement des feuilles au-dessus de ma tête. C'est étrange, mais en même temps tellement évident. Depuis notre rencontre, il occupe presque la totalité de mes pensées. Chaque sourire qu'il m'a offert, chaque mot échangé, même la façon dont il a de prononcer mon prénom. Pourquoi est-ce que je me sens soudainement comme une étrangère dans mes propres réflexions ?
Je m'arrête un instant près d'un petit ruisseau qui serpente entre les pierres. L'eau, claire comme du cristal, file entre les racines des arbres, jetant des éclats argentés sous les rayons du soleil. C'est calme ici. Presque trop calme... comme s'il n'y avait que cette rivière, moi et mes pensées. Pourquoi est-ce que je me sens soudainement un peu ridicule, à me torturer ainsi avec des questions sans réponses ? Mais en même temps, il y a ce baiser... ce baiser furtif sur ma joue qui me colle à la peau, qui flotte dans l'air comme un parfum qu'on ne peut effacer.
Je soupire. Est-ce que tout ça n'est qu'un coup de tête ? Est-ce que j'ai simplement imaginé quelque chose qu'il n'y avait pas ? Ou est-ce qu'il y a réellement quelque chose entre nous ? Peut-être que je me fais des films. Peut-être qu'Ørjan n'a même pas réfléchi à ce baiser. Lui, c'est un homme tranquille, de ceux qui sont capables de rester sereins même quand la situation devient un peu... embarrassante. Alors pourquoi est-ce que je suis là, à tourner en rond dans cette forêt, comme une adolescente en pleine crise existentielle ?
Je reprends ma marche, un peu plus vite, pour me donner une excuse de ne pas réfléchir. Mais mes pensées continuent de me suivre, comme un nuage flou au-dessus de ma tête et aussi tenaces qu'un moustique suédois.
Et c'est là que je le sens : cette étrange attraction. Ce n'est pas juste un regard. Ce n'est pas juste un geste. Non, c'est plus complexe que ça. Parce qu'Ørjan, même quand il ne parle pas, il me fait sentir comme si j'étais quelqu'un d'important pour lui, ou du moins, comme si j'avais été, pendant un instant, tout ce qu'il voyait.
Les rayons du soleil percent timidement entre le feuillage, et la lumière joue avec les ombres, éclairant le chemin devant moi. Je m'arrête pour admirer un peu le spectacle. Les feuilles semblent s'embrasser sous l'effet des rayons, et la lumière d'or, presque magique, me fait penser qu'il y a des moments dans la vie où tout s'arrête, comme ce chemin que je suis en train de suivre. Pourquoi est-ce qu'à ce moment précis, tout semble aussi chargé de sens, alors que ça ne devrait pas l'être ?
Je reprends ma marche, mais mon pied se coince dans une racine traîtresse, et en une fraction de seconde, je vois défiler devant mes yeux mon avenir : chute spectaculaire, dignité brisée, potentiel témoin qui me juge en silence. Par un miracle que je ne comprends pas encore, je parviens à rattraper mon équilibre, mais pas sans un petit cri ridicule qui résonne entre les arbres. Je me redresse aussitôt, l'air de rien, comme si j'avais simplement décidé d'étudier le sol de plus près.
Je roule des yeux et secoue la tête. Peut-être qu'il n'y a pas de réponse simple. Peut-être que je suis en train de me perdre dans des réflexions inutiles. Mais je sais que tout ça, tout ce que je ressens, tout ce que je pense, c'est beaucoup plus compliqué que je ne veux bien me l'avouer. Parce qu'Ørjan... n'est pas simplement un homme que j'ai croisé au camping, ou juste mon voisin de hytte. Non, il est celui qui occupe toutes mes pensées, celui qui me rend pleinement heureuse sans le savoir. Et c'est là que tout devient confus.
Je m'arrête encore quelques instants, le regard perdu dans la végétation environnante, mes pensées errant une nouvelle fois vers lui. Je n'arrive pas à m'empêcher de repenser à ce regard, à cette tension qu'il y a toujours eu entre nous, comme une espèce de magnétisme silencieux. Je ne sais pas si c'est bon ou mauvais, mais une chose est sûre : je suis prisonnière de cette attraction que je n'arrive pas à comprendre.
— Salut, tu es en balade ? me demande soudainement une voix féminine.
Je sursaute légèrement et tourne la tête pour voir une jeune femme s'approcher, un sourire détendu sur les lèvres. C'est Astrid. Je la reconnais facilement, avec sa démarche décontractée et son regard amical. Elle n'a pas l'air d'être quelqu'un de compliqué, et pourtant, je sens une certaine profondeur derrière ses yeux. Il y a une aura de tranquillité qui émane d'elle, presque comme si elle était en harmonie avec la nature, avec l'air frais et la forêt autour d'elle.
— Oui, je... je me balade un peu, réponds-je avec un sourire. C'est tellement beau ici.
Astrid hoche la tête, comme si elle comprenait exactement ce que je ressentais. Elle s'approche un peu, se joignant à moi sur le sentier.
— Je sais ce que tu veux dire. C'est un endroit où il est facile de perdre la notion du temps.
Je réfléchis un instant, analysant sa réponse.
— C'est vrai. Je ne connaissait pas ce sentier, mais je me suis dit que j'allais suivre ton conseil et me connecter un peu plus avec la nature, sans mon téléphone, dis-je en rigolant légèrement.
Astrid sourit de manière complice.
— Ah tu vois que ça fait un bien fou ! Tu as l'air un peu perdue en effet, mais dans un bon sens. Il y a quelque chose de spécial ici, comme une sorte de calme qui s'installe dans ta tête. C'est un peu magique, non ?
Je souris à son commentaire, appréciant sa capacité à exprimer ce que je ressens sans que ça paraisse bizarre. Oui, c'est magique, mais aussi tellement... perturbant, en un sens. Et Ørjan... ce qu'il représente dans cette magie-là, je n'arrive même pas à le définir.
— Je suppose, réponds-je légèrement distraite. Il y a quelque chose de reposant, c'est vrai. Mais en même temps, c'est un peu... déroutant.
Astrid me regarde attentivement, un petit sourire en coin.
— Déroutant, hein ? Tu sembles perdue dans tes pensées. C'est pas forcément une mauvaise chose, tu sais. Parfois, il faut juste accepter de se perdre un peu pour se retrouver et apprécié les choses simples de la vie.
Je la regarde, un peu surprise par sa sagesse tranquille. Elle a cette façon de parler qui fait du bien, comme si elle savait exactement ce qu'il fallait dire pour apaiser l'esprit.
— Tu as raison, mais je crois que je me perds un peu trop dans les mauvaises choses en ce moment. Certaines personnes ont ce don de... je sais pas, te rendre un peu folle, sans vraiment le vouloir.
Astrid fronce les sourcils, intriguée, mais sans jugement.
— Ah, je vois. Et tu crois que cette personne le fait exprès ?
Je secoue la tête, mais la réponse est plus compliquée que ça. Parce que je ne sais même pas si Ørjan le fait exprès ou non. Il est là, dans ma tête, même quand je ne veux pas y penser.
— Non, je ne pense pas. Même du tout. Mais parfois, c'est tout de même difficile de... rester calme quand cette personne occupe autant de place dans tes pensées.
Astrid hoche la tête, comme si elle comprenait parfaitement la situation. Elle ne me pousse pas à en dire plus, mais son regard laisse entendre qu'elle pourrait peut-être en dire long sur ce genre de choses.
— Les hommes... ils ont cette capacité étrange à être à la fois présents et absents, n'est-ce pas ? Mais bon, tu verras, parfois, il suffit de se concentrer sur les choses qui sont devant toi, ici et maintenant, pour te libérer de tout ça. Sinon, tu risques de passer plus de temps à te demander ce qui ne va pas plutôt qu'à profiter de l'instant présent.
Je souris en pensant à ce que dit Astrid. Ça parait tellement si simple et pourtant... c'est pas si évident que ça. Mais peut-être que c'est ce dont j'ai besoin, une petite pause de mes pensées pour respirer un peu.
— Tu as sûrement raison, dis-je, en lui offrant un sourire plus sincère. Parfois, il faut juste savoir lâcher prise.
Astrid me donne un dernier regard plein de compréhension, puis reprend sa marche sur le sentier, me lançant un dernier sourire.
— Allez, profite du moment. Ce n'est pas tous les jours qu'on a cette chance de se retrouver au milieu de nulle part, dit-elle avant de marquer une pause, puis de se retourner avec un clin d'œil. D'ailleurs, si tu veux, on pourrait aller boire un verre au restaurant du camping. L'endroit est plutôt sympa, et je connais un coin où la vue sur le lac est magnifique. Ça pourrait te changer les idées, non ?
Je suis un peu surprise par sa proposition, mais tout de même flattée. C'est une invitation simple, mais qui tombe à point nommé, comme une bouffée d'air frais après une plongée trop profonde dans mes pensées.
— Ce serait avec plaisir, réponds-je, avec un sourire plus franc.
Astrid hoche la tête, satisfaite, et avant que je n'ai le temps de dire quoi que ce soit de plus, elle se tourne à nouveau vers le sentier.
— Parfait, alors ! On y va !
Elle s'éloigne en direction du camping, m'ouvrant le chemin, ses pas légers sur la terre battue, et je la suis. Le sentier est encore plus agréable avec l'idée d'un bon moment en perspective, une conversation calme et sans pression. Peut-être que ce verre me permettra enfin de souffler un peu.
❀ ❀ ❀
La terrasse du restaurant du camping est un petit havre de tranquillité, niché en bord de lac. Le soleil brille haut dans le ciel, projetant des reflets éclatants sur l'eau calme. Autour de nous, les pins s'élèvent, majestueux, leurs cimes frémissant sous la brise tiède. L'odeur du bois chaud et de la terre sèche se mêle agréablement à celle du café fraîchement servi et des gâteaux maison sur les tables voisines. Le bruit lointain des conversations et des éclats de rire des campeurs se fond dans un murmure apaisant, accompagné du chant des oiseaux et du clapotis des vaguelettes contre la rive.
Je m'installe en face d'Astrid, replaçant rapidement une mèche de cheveux derrière mon oreille, histoire d'avoir l'air à peu près composée. Bon, on est au milieu d'un camping, ce n'est pas comme si j'étais en pleine réunion d'affaires, mais tout de même. Elle croise les jambes, son verre à la main, et me scrute avec un petit sourire en coin.
— Tu sais, je me demandais... Comment tu t'es retrouvée à Trolldheim, Amalie ? Ça n'a rien d'un lieu habituel pour toi, non ?
Ah bah c'est peu dire...
Je fronce les sourcils un instant, réfléchissant à la manière de répondre. C'est vrai que ce n'est pas le genre d'endroit où l'on s'attend à croiser quelqu'un de ma trempe, moi qui viens de la ville. Ici, pas de klaxons, pas de bousculades dans le métro, pas de coffee shop où une barista blasée me renomme systématiquement, même après lui avoir prononcé mon prénom trois fois de suite.
Ici, il n'y a que des sapins, des moustiques en pleine crise d'hyperactivité, et un lac tellement beau qu'il pourrait figurer sur une carte postale. D'ailleurs, si cette carte postale existait, elle s'intitulerait sûrement "Bienvenue dans la nature : wifi quasi-inexistant, mais au moins vous pouvez parler à des écureuils."
Je prends une gorgée de mon verre avant de répondre, tout en observant l'eau scintiller sous le soleil éclatant. Une petite voix dans ma tête me souffle que je devrais lâcher prise et profiter du moment. Une autre me rappelle sournoisement que, même en pleine nature, je reste la fille capable de trébucher sur une racine en terrain plat.
— C'est un peu un hasard, en réalité. Un besoin de prendre l'air, de m'échapper... et me retrouver face à un endroit qui semble à la fois familier et étranger. Un peu comme cette cabane, là-bas. C'est un peu ça, non ? Trouver un peu de liberté dans un endroit où tout semble plus simple.
Astrid hoche la tête, ses yeux scrutant la surface lumineuse du lac de manière distraite, comme si elle réfléchissait à mes paroles. Puis elle lâche un petit rire, léger comme la brise qui vient nous effleurer.
— La liberté dans un endroit où tout semble plus simple... Peut-être que j'aurais dû penser à ça aussi. À vrai dire, je crois qu'on cherche tous un peu de simplicité, même quand on est entourés de montagnes, de forêts et de lacs.
Elle attrape une paille et la fait tourner distraitement dans son verre, avant de lever un sourcil curieux vers moi.
— Et qu'est-ce que tu recherches concrètement ici ?
Je suis prise au dépourvu. Mon regard glisse sur l'horizon, ce bleu infini où le ciel et l'eau se confondent, et soudain, la question d'Astrid flotte dans l'air comme une bulle de savon. Une de ces bulles qu'on essaie d'éviter de faire éclater trop vite.
— Je cherche peut-être juste... un moment pour respirer. Loin de tout ce qui m'étouffe.
Elle me fixe un instant, puis acquiesce avec un sourire entendu.
— Je comprends. Tu sais, parfois, tout ce qu'il faut, c'est quelques heures de tranquillité. Et ce verre, ces rires, ce lac... ça pourrait bien être ce que tu cherches, non ?
Je souris, touchée par sa douceur et sa simplicité, appréciant encore plus la quiétude de l'endroit. Le soleil tape doucement sur la terrasse en bois, et l'ombre des parasols oscille légèrement sous la brise. Autour de nous, quelques campeurs sirotent leurs boissons en discutant, et un groupe d'enfants passe en courant, pieds nus sur le sol chaud.
C'est étonnant à quel point le calme peut faire naître des conversations plus sincères, plus profondes, et me voilà prête à me laisser emporter dans cette tranquillité. Mais au fond de moi, Ørjan est toujours là, quelque part, en embuscade dans mes pensées. Probablement torse nu, avec ses cheveux en bataille et cet air faussement indifférent qui me donne envie de lever les yeux au ciel et même temps que de l'embrasser. Mais pour l'instant, je choisis de profiter de ce moment, de cette simplicité.
Le restaurant est déjà bien animé pour une fin de matinée. Il est à peine 10h30, mais plusieurs vacanciers ont déjà investi la terrasse, profitant du soleil doux avant que la chaleur de midi ne s'installe. La lumière traverse le feuillage des arbres, projetant des ombres mouvantes sur les tables en bois verni. L'odeur du café fraîchement moulu se mêle à celle des gaufres croustillantes, nappées de confiture de fraise et de crème fouettée, créant un parfum à la fois réconfortant et terriblement tentant. Mon estomac commence doucement à se réveiller. Lui et moi avons un pacte : je peux me perdre dans mes pensées, mais jamais au point d'oublier qu'une gaufre chaude et moelleuse mérite toute mon attention.
Un groupe de randonneurs, équipés de vestes techniques et de chaussures de marche couvertes de poussière, commente bruyamment leur itinéraire du matin en pointant une carte étalée sur la table. À côté d'eux, un couple sirote un chocolat chaud en silence, leurs regards perdus sur le lac qui scintille au loin sous les rayons du soleil. D'autres encore attaquent déjà leur première bière, en mode vacances, zéro culpabilité. Franchement, respect. Tout respire cette atmosphère paisible, où le temps semble suspendu, rythmé uniquement par le tintement des tasses et le bourdonnement des conversations.
J'observe cette scène avec un mélange d'amusement et d'envie. Ce qui est fou, c'est que malgré les différences d'âge, de nationalité ou de style vestimentaire, tout le monde ici partage un point commun universel : la bouffe. Une gaufre par-ci, un café par-là, et hop, ça y est, on est heureux. Si la paix mondiale devait se jouer sur quelque chose, je mets ma main à couper que ça impliquerait une assiette de gaufres bien garnies.
Astrid m'observe toujours avec ce sourire en coin qui en dit long.
— Tu sais, j'ai comme l'impression que tu veux dire quelque chose, mais que tu hésites encore...
— Moi ? Hésiter ? Jamais ! m'exclamé-je en levant un sourcil, faussement outrée.
Elle éclate de rire et secoue la tête.
— Bien sûr, et moi je suis une prêtresse viking.
— J'sais pas, ça t'irait plutôt bien, avec une grande cape et un bâton en bois sculpté.
Astrid croise les bras, prenant une expression faussement mystérieuse.
— Peut-être bien. Fais gaffe, Amalie, je pourrais deviner tous tes petits secrets...
— Ah non, alors ! dis-je d'un air dramatique, plaquant une main sur ma poitrine. Pas question que tu découvres le nombre de gâteaux que je me suis empiffré hier soir ou ma fâcheuse tendance à parler toute seule quand je perds un truc ou que je panique !
— Pardon ?
— Bah quoi ?
Astrid secoue la tête en riant, et je me surprends à sourire largement, oubliant un instant mes pensées tournées vers Ørjan. Ça fait du bien de ne pas me prendre la tête.
Le soleil monte doucement dans le ciel, réchauffant la terrasse en bois sous nos pieds. Le bois a pris cette teinte dorée, légèrement usée par le passage des années et des saisons. Un serveur passe entre les tables, une cafetière fumante à la main, remplissant les tasses de ceux qui savourent encore leur premier café de la journée. Il a l'air de connaître plusieurs clients, échangeant des plaisanteries en suédois avant de disparaître derrière le comptoir.
Une légère brise fait frissonner les feuilles des bouleaux bordant la terrasse. Leur bruissement se mêle au clapotis discret du lac en contrebas. Le restaurant est légèrement surélevé, offrant une vue dégagée sur la berge où quelques kayaks colorés sont alignés, attendant leurs prochains aventuriers. De loin, on peut apercevoir le petit ponton en bois où certains vacanciers trempent déjà leurs pieds dans l'eau fraîche. Sans doute pour jauger la température avant de se jeter à l'eau... ou renoncer lâchement et prétendre qu'ils n'avaient jamais eu l'intention de se baigner. Une technique que je maîtrise à la perfection.
— Non, mais sérieusement, c'est juste... agréable. D'être ici, à parler de tout et de rien, sans pression.
— Et tu sais quoi ? C'est exactement pour ça que je viens ici, dit-elle avec un sourire sincère. Pour ces petits moments qui ne paient pas de mine, mais qui font tellement de bien.
Elle s'étire comme un chat, puis me donne un léger coup de coude.
— Et pour les gaufres, aussi. Parce que franchement, regarde-moi ça...
Elle désigne une assiette sur la table d'à côté où une gaufre déborde de chantilly et de confiture de fraise.
— C'est un crime de manger ça devant nous, sérieusement.
— Complètement ! Si ça continue, je vais me lever et demander une ordonnance médicale pour en avoir une moi aussi.
— Une ordonnance médicale ? demande-t-elle en riant.
— Bah oui ! Carence sévère en sucre. J'suis sûre que c'est un vrai diagnostic.
Elle secoue la tête, hilare, et je sens un petit truc agréable naître dans cette complicité. Cette fille est cool, naturelle, et je me surprends à apprécier de plus en plus sa compagnie.
Un chien passe nonchalamment entre les tables, la vieille golden retriever que j'avais vue lors de mon arrivée ici, et qui, visiblement, est une habituée du coin. Une véritable professionnelle du racket alimentaire, avec des années d'expérience en matière de regards larmoyants et de timing impeccable. Elle s'arrête un instant près de nous, nous scrutant avec des yeux pleins d'espoir. Astrid lui lance un regard compatissant.
— Désolée, mémère, on n'a rien.
Elle la fixe encore une seconde, puis repart, visiblement déçu, mais pas résigné. Astrid me jette un regard complice.
— Elle a plus de patience que moi quand j'attends ma commande.
Je ris doucement avant de finir mon diabolo fraise.
— Je vais me prendre un autre verre. Tu restes encore un peu ? demande-t-elle soudainement.
— Avec plaisir, dis-je en hochant la tête, un sourire au coin des lèvres.
Pourquoi partir maintenant ? Le moment est là, doux et simple, et pour une fois, je n'ai pas envie qu'il se termine trop vite.
Le soleil de fin de matinée commence à taper un peu plus fort lorsque alors que nous quittons la terrasse du restaurant. L'air est doux, et l'idée d'une baignade devient de plus en plus tentante. Astrid me lance un regard complice en remontant la brettelle de son top.
— Et si on allait nager ? Le lac doit être à parfaite température à cette heure-ci.
Je hoche la tête avec enthousiasme. L'eau fraîche, le soleil, l'instant de calme... Oui, tout cela me paraît bien trop agréable pour dire non.
Nous empruntons un sentier bordé de pins et de bouleaux, l'odeur résineuse emplissant l'air. Là, au bout du chemin, le lac apparaît, immense et paisible, reflétant le ciel presque sans nuages. Quelques campeurs sont installés sur la petite plage plus loin, et deux ou trois enfants sont sur le ponton. Parfait.
— La première dans l'eau a gagné ! s'exclame soudainement Astrid avant de me tirer la langue et défaire son short en jean.
Alors là ma grande...
Je rigole et me dépêche d'attraper le bas de mon tee-shirt pour ne pas me laisser distancer. Mais entre le tissu qui décide de s'emmêler autour de ma tête et mon pied qui manque de se coincer dans ma sandale, j'ai définitivement l'élégance d'un flamant rose en détresse. Astrid, elle, est déjà en train de courir sur le ponton, telle une naïade en mission. L'eau nous engloutit dans un frisson vivifiant. Le contraste entre la chaleur du soleil et la fraîcheur du lac me fait pousser un cri, suivi d'un éclat de rire d'Astrid.
— T'as l'air d'un chat qu'on vient de jeter à l'eau, se moque-t-elle gentiment en s'éloignant en brasse.
Je lui jette une petite giclée d'eau en ricanant, avant de la rejoindre à la nage. Le silence est paisible, seulement troublé par les vaguelettes et nos respirations. Après quelques longueurs, nous retournons au ponton et nous hissons dessus, le bois tiède contre notre peau refroidie. Je m'allonge sur le dos, les yeux fermés, profitant du soleil qui réchauffe chaque parcelle de mon corps. Astrid fait de même à côté de moi, poussant un soupir de satisfaction.
— Rien de mieux que ça... souffle-t-elle. Le soleil, l'eau, et pas un souci à l'horizon.
— Tu veux dire, sauf le risque de cramer comme des toasts ?
Astrid rit doucement.
— Pff, c'est juste un détails.
J'étouffe un rire et nous restons ainsi un moment, bercées par la brise et le chant lointain des oiseaux. Une amitié naissante, simple et sans attentes, juste le plaisir d'être là, ensemble, sous le soleil du camping de Trolldheim.
❀ ❀ ❀
Le soir est tombé, et le ciel étoilé, quoique encore illuminé par les derniers rayon du soleil qui refuse de se coucher, semble rendre le camping encore plus calme et intime. Mes pas me mènent presque machinalement vers le sauna, ce petit refuge isolé que j'avais repéré plus tôt. Je ne sais pas trop pourquoi j'y vais, mais une intuition me dit que c'est l'endroit idéal pour m'échapper un moment. Cette journée a été génial et quoi de mieux qu'une escapade au sauna pour la finir en beauté ! Et puis... Si je dérange, je pourrais toujours prétendre que je me suis trompée de cabine, non ?
Non.
Je pousse la porte du sauna avec une légèreté qui contraste avec l'agitation qui bouillonne toujours en moi, resserrant un peu plus ma serviette autour de moi, et là... je le vois. Ørjan. Il est là, dans la petite cabine circulaire, adossé au mur, les bras croisés, la serviette nouée autour de sa taille. La chaleur du sauna fait briller sa peau, comme si chaque parcelle de son corps fin et légèrement dessiné, était illuminée par une lumière douce et chaleureuse. Je ne sais pas quelle force cosmique a décidé de jouer avec mes nerfs, mais on va respirer, rester calme, et surtout, ne PAS fixer son corps. Ni son cou. Ni la goutte d'eau qui glisse lentement sur sa clavicule. Bon sang.
Son regard se tourne lentement vers moi. La lumière tamisée venant des fenêtres de chaque côté de la cabine met en valeur la tension qui flotte dans l'air, mais elle révèle aussi quelque chose d'autre : la proximité soudainement entre nous deux.
Je m'arrête un instant dans l'embrasure de la porte, et tout à coup, je me rends compte que cette cabine est bien plus intime que ce que j'avais imaginé. Les bancs sont en bois clair, et l'espace est étriqué, suffisamment pour que nos corps soient presque inévitablement dans une proximité gênante. La chaleur, pourtant si agréable d'habitude, semble soudainement plus oppressante. Moi qui pensais entrer dans un sauna désert je me retrouve avec la personne qui a envahis mes pensées comme un char d'assaut. Une étrange tension flotte dans l'air... comme un nuage électrique prêt à éclater.
« Oh... euh... Salut, dis-je, un peu déstabilisée, en réalisant que la proximité avec Ørjan n'est pas juste une question de chaleur, mais aussi d'espace restreint et de gestes presque inconscients. Je pensais juste... m'échapper un peu du monde extérieur. »
La tension entre nous est presque palpable, mais Ørjan, lui, garde son calme. Il cale une mèche de ses cheveux derrière son oreille, ses yeux s'élargissent légèrement, mais il ne panique pas. Il semble presque... soulagé de me voir. Mais il y a cette étincelle de gêne dans son regard, ce petit détail qui trahit la même chose que ce que je ressens. Une gêne partagée, comme si tout était plus intense, plus réel dans cet espace clos.
Il reste là, légèrement figé, mais un sourire timide se dessine sur ses lèvres. Il baisse les yeux vers la serviette qui est toujours bien nouée autour de sa taille, comme pour s'assurer qu'il ne fasse pas une fausse manoeuvre. Moi, de mon côté, je suis à peine plus à l'aise. Je m'avance, mais chaque mouvement me semble lourd, comme si tout dans cette cabine était scruté, analysé. Comme si chaque pas, chaque geste était observé, non pas par lui, mais par cette atmosphère étouffante, cette proximité... et nos propres pensées qui bouillonnent.
Je me laisse tomber sur le bancs en bois, à côté de lui, pour une pas à avoir à le regarder dans les yeux. C'est là que la réalité me frappe. Nous sommes tous les deux nus sous nos serviettes, et l'air semble d'autant plus chaud, comme si la température avait grimpé de plusieurs degrés, et je ne suis pas certaine que ce soit uniquement à cause du sauna. La chaleur du bois et de l'air rend tout encore plus étrange, plus intime. Chaque frémissement, chaque respiration devient plus intense, comme si tout prenait une dimension supplémentaire dans cette cabine minuscule.
Ørjan se déplace légèrement pour se redresser et s'adosser au mur. Il détourne le regard, visiblement mal à l'aise, mais il n'y a rien de forcé dans son attitude. Il est juste... humain, et ça me rassure un peu. À l'intérieur de ma tête, c'est une autre histoire. Mes pensées se bousculent et s'emmêlent, mais je fais de mon mieux pour paraître détendue, même si je suis bien consciente que la situation est... pour le moins inconfortable.
Je cherche à me concentrer sur la lumière tamisée qui éclaire les murs en bois, mais tout semble amplifier la tension. L'espace restreint entre nous, nos serviettes qui laissent entrevoir plus qu'elles ne couvrent, mais sans trop en dévoiler non plus, et nos gestes maladroits qui trahissent un léger malaise. Même le souffle dans l'air devient plus lourd, plus concentré, comme si chaque respiration portait plus de sens que d'habitude. Chaque battement de cœur me semble plus fort, chaque seconde plus longue.
Et puis, je m'aperçois que sans vraiment m'en rendre compte, ma main frôle la sienne. Tout juste effleurer ses doigts. Le contact est léger, mais il me fait sursauter. Je suis presque certaine qu'il a ressenti ce même petit frisson qui a parcouru mon bras. Le souffle me manque un instant, et je me redresse un peu, gênée, mon regard se fige sur la fenêtre à côté de moi, comme pour me donner une excuse de détourner les yeux. Je joue avec l'idée d'ignorer ce frisson, de le laisser se dissiper, mais c'est difficile.
Mon corps est en feu ! Et pas uniquement à cause du sauna.
Je repense de nouveau à ces deux derniers jours... à ce baiser furtif qu'il m'a volé sur la joue avant de me laisser devant ma hytte. Et à la façon dont, depuis, on s'est évité, comme deux enfants pris en faute. Chaque rencontre semblait plus maladroite que la précédente, chaque échange teinté d'une gêne silencieuse, comme si ce baiser suspendu entre nous, nous avait mis dans une position délicate. Je n'arrive même pas à dire si je l'ai apprécié ou non... Ce baiser n'était ni une promesse, ni un acte banal, il était simplement... là, imprévu, et depuis, on s'évite, sans vraiment savoir pourquoi. Mais une chose est sure : tout ça n'a fait qu'intensifier l'attraction qui flotte entre nous, mais ni lui ni moi n'osons franchir la ligne, comme si cette frontière invisible nous protégeait de ce qui pourrait arriver. La situation dans ce sauna ne fait qu'aggraver tout ça. La chaleur, l'intimité... et cette tension qui semble couver sous la surface, prête à exploser.
Ørjan fini par briser le silence, mais sa voix est un peu plus rauque qu'à l'habitude, comme si lui aussi ressentait cette charge d'émotions silencieuses et qu'il peinait à la dissimuler.
« On va survivre à ce sauna, tu crois ? » demande-t-il, mais je sais qu'il parle aussi de nous deux, pas juste du sauna et de cette tension palpable.
Je ris, un peu nerveusement. C'est le genre de rire automatique, celui qu'on laisse échapper pour masquer la gêne, pour alléger l'atmosphère. Mais, bizarrement, ce rire, bien qu'il soit teinté d'embarras, semble aussi... naturel. Un peu comme si, au fond, je savais déjà que ce moment, aussi étrange soit-il, faisait partie de quelque chose qui se tissait entre nous. Il y a quelque chose d'inexplicable, mais aussi de tellement excitant dans cette situation.
« Ouais... je crois qu'on va survivre. Mais peut-être pas à tout ce que ça implique, » réponds-je, en espérant que mes mots n'en disent pas trop.
Il me regarde, un sourire amusé s'épanouissant sur ses lèvres, et je fonds littéralement, car je sais au fond de moi ce qu'est en train de représenter Ørjan, et ce que je ressens pour lui.
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Chers lecteurs, chères lectrices,
J'espère que vous allez bien et que vous passez une belle journée/soirée ! ✨
Alors, ce chapitre... 🔥 Entre la chaleur suffocante du sauna et cette tension électrique, il fallait bien que ça arrive, non ? 😏 J'ai adoré jouer avec cette atmosphère, cet espace restreint où chaque respiration compte, chaque geste semble amplifié... Et où l'on sent bien que quelque chose est sur le point de basculer.
Un immense merci à vous qui suivez l'histoire et vibrez avec les personnages à chaque page ! 💖 D'ailleurs, dites-moi, vous êtes plutôt du genre à fuir ce genre de situations gênantes... ou à foncer tête baissée ? 😏
Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine, même heure, même endroit, pour découvrir la suite ! ⏳🔥
A.E 🖤