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AlexandraEndersen
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18. Röda Rosor Och Mjöd

— 𝑋𝑉𝐼𝐼𝐼 —

Röda Rosor Och Mjöd

Le reste de la matinée passe comme un souffle. Après ce baiser, Ørjan et moi sommes restés là, lovés sur les fauteuil de la terrasse de la hytte, à savourer le silence et la lumière douce en cette matinée de fête, mais aussi de nos corps encore chargés de la nuit. Il a souri quand je lui ai dit, mi-sérieuse mi-joueuse, que je ne comptais pas le laisser partir tout de suite. Il a fait mine de protester, mais ses doigts sont restés emmêlés aux miens encore quelques instants.

Mais l'appel des festivités, cette vibration joyeuse au loin, a fini par nous rattraper. Les voix, les chants, les bruits de pas précipités dans l'herbe. Il m'a embrassée une dernière fois, tendrement, presque comme un secret, avant de quitter la hytte pour aller aider à ériger le mât de Midsommar.

Je reste seule quelques minutes, flottant dans cette brume délicieuse. Le silence n'est plus vraiment un silence, mais un mélange de souvenirs tout frais, de chaleur dans le ventre et de parfums d'été qui glissent par la fenêtre entrouverte. Je me suis assise sur le canapé, mes jambes ramenées contre moi, laissant mes pensées s'égarer un peu, quand j'entends frapper doucement à la porte.

— Amalie ? questionne la voix d'Astrid, douce et chantante. Tu es réveillée ?

Je me lève du canapé, étire mes bras vers le plafond dans un soupir discret, attrape rapidement un gilet en coton posé sur le dossier, et lui ouvre.

Elle entre dans la hytte comme un rayon de soleil en plein vol, un panier tressé au bras, une couronne de fleurs sauvages colorées posée avec soin sur sa tête. Le contraste avec ses cheveux noir corbeau est saisissant. Sa frange, un peu de travers, renforce son air espiègle. Ses mocassins noirs brillent encore comme s'ils sortaient de chez le cordonnier, en contraste à son style habituel. Toutefois, même vêtue de sa folkdräkt traditionnelle, elle reste fidèle à elle-même : chic, rock, solaire.

— Alors... dit-elle en arquant un sourcil, ta nuit a été productive ? Non parce que j'ai vu Ørjan retrouver les gars tout sourire alors... 

Je lève les yeux au ciel, incapable de réprimer un rire et file file enfiler mon chemisier blanc aux manches bouffantes, dont les poignets sont brodés de petits points délicats. Puis vient la jupe bleue, longue, plissée, brodée sur le bas de fleurs sauvages jaunes et blanches, un motif familier qui me rappelle les étés de mon enfance. À la taille, un ruban fleuri entoure mes hanches, noué avec soin. Les couleurs de notre pays s'invitent jusque dans les moindres détails.

Astrid m'aide à ajuster mon corsage, qu'elle lace avec une maîtrise redoutable. Chaque geste est précis, sûr, comme s'il était ancré en elle. Ses doigts rapides s'affairent sans que j'aie besoin de dire quoi que ce soit. Ensuite, elle passe derrière moi, et nos regards se croisent dans le miroir pendant qu'elle m'aide à tresser mes cheveux. Les mèches sont ramenées autour de ma tête en une couronne simple, mais élégante. Une tresse un peu floue, un peu douce, juste ce qu'il faut.

Je me découvre dans le petit miroir ovale accroché au mur de la hytte. Je ne bouge pas tout de suite. J'observe mon reflet, ce mélange de tradition et d'émotion.

Et je souris. Fièrement.

Parce que cette fête, je l'aime. Depuis toujours.

Et cette année, elle me semble encore plus belle.

Quand on s'installe sur le canapé pour tresser ma couronne, le reste du monde semble ralentir. La lumière du matin glisse à travers les rideaux, tamisée et dorée, tandis que le brouhaha joyeux de l'extérieur nous parvient comme un fond sonore lointain. On parle de tout et de rien, comme si on se connaissait depuis toujours : de la nuit dernière, bien évidemment, du programme du jour, des vieilles superstitions de grand-mère qui veulent que les fleurs portées ce soir-là révèlent l'amour véritable dans les rêves.

Ses doigts sont habiles, agiles même, et Astrid entrelace les tiges de fleurs avec une concentration tranquille, presque méditative. Le parfum des marguerites et du chèvrefeuille flotte autour de nous. À chaque nœud, chaque torsade, je sens son attention, son soin, et je me surprends à me détendre, à sourire pour rien.

Quand elle a terminé, elle ajuste doucement ma couronne sur ma tête, avec une délicatesse inattendue, comme si elle avait peur d'abîmer quelque chose de précieux. Puis elle recule pour m'observer.

— Du är skitsnygg ! lance-t-elle avec un clin d'œil théâtral. Ørjan va faire une syncope. 

Je ris, touchée par sa spontanéité, puis lui rends un sourire sincère.

— Toi aussi t'es canon, Astrid, réponds-je avec chaleur avant de la prendre dans mes bras, émue sans vraiment savoir pourquoi ; juste parce que c'est doux, simple, et vrai.

Lorsque nous sortons, le camping est déjà en pleine effervescence. L'air est doux, vibrant. Des guirlandes de fanions bleu et jaune flottent entre les pins, agitées par une brise légère qui transporte avec elle des éclats de rires et le parfum entêtant de la fête. Une odeur sucrée de cannelle se mêle à celle plus épaisse des grillades et à celle, presque régressive, des gaufres dorées. On pourrait presque en deviner la texture : croustillantes à l'extérieur, moelleuses au cœur.

Des enfants courent entre les campeurs, joues peintes de bleu et de jaune, petits drapeaux suédois à la main, laissant derrière eux des traînées de cris joyeux. Plus loin, des chopes se cognent avec enthousiasme, des voix s'élèvent chantant « Helan går », parfois fausse, parfois justes, mais toujours heureuses. Tout respire la fête. La chaleur. La vie.

J'aperçois déjà quelques personnes qui dansent, tournoyant avec maladresse autour du mât de Midsommar. Ørjan, les garçons et le staff du camping ont passé une bonne partie de la matinée à le dresser au centre du champ. Maintenant, il trône fièrement, orné de feuillages tressés et de fleurs fraîches. Une œuvre vivante. Un symbole d'été, de lumière, de traditions. Mon regard glisse de visage en visage. Je le cherche dans la foule.

— Joli costume. Tu vas faire des jalouses, chuchote une voix derrière moi, familière, basse.

Je me retourne. 

Ørjan.

Il est là, lui aussi dans une version masculine du costume traditionnel : chemise blanche à col ouvert, bretelles posées nonchalamment sur ses épaules, gilet noir brodé aux détails fins, pantalon sombre qui lui donne un air à la fois d'époque et intemporel. Ses cheveux, eux, sont restés libres, encadrant son visage. Je le dévore des yeux, sans m'en cacher. Et lui... il me regarde comme si j'étais la seule chose réelle dans tout ce tourbillon.

— Et toi, tu vas faire tourner toutes les têtes, souligne-je, mi-sérieuse, mi-fascinée.

Il m'attrape doucement par la main. Son geste est simple, mais il me donne l'impression qu'il m'amarre quelque part.

— Sauf qu'il n'y en a qu'une seule qui m'intéresse, murmure-t-il.

Nos doigts restent liés alors qu'on se fraie un chemin à travers la foule joyeuse. Tout le monde est dehors. Les tables, disposées en longues rangées sous les guirlandes, sont couvertes de smörgåstårta débordant de crème et de crevettes, de sill colorés, de pommes de terre tièdes au beurre, et de fraises juteuses nappées de crème fouettée. L'ensemble ressemble à un festin sorti tout droit d'un vieux rêve suédois.

Une vieille radio posée sur une chaise grésille, cherche une fréquence, puis, contre toute attente, gronde soudain les premiers accords de guitare de « I Want My Tears Back ». La chanson tranche avec les mélodies traditionnelles qui régnaient jusque-là. Nightwish. Un classique pour tout Nordique qui se respecte. Même pour les novices dans le vaste royaume du métal, comme moi...

Les premières notes frappent comme un appel ancien. La cornemuse s'élève, d'abord timide, puis de plus en plus assurée, comme si elle se rappelait d'un chant oublié. Les tambours la suivent, battant la cadence, martelant le sol invisible sous nos pieds. Les regards se tournent. Les têtes hochent. Et les corps s'animent, naturellement.

C'est marrant de voir toutes ces générations différentes danser sur cette chanson. Des grands-parents aux enfants, chacun avec son propre tempo, ses propres pas, mais unis par une même pulsation. C'est ça, la magie de Midsommar : tout le monde respire la même joie.

Je tourne la tête vers Ørjan.

Il a déjà tendu la main, sourire en coin, yeux brillants de malice et de quelque chose d'indéfinissable qui me fait chavirer. Autour de nous, la fête bat son plein, les rires éclatent, les chants s'élèvent dans l'air tiède, les couronnes de fleurs flottent comme des halos oubliés sur l'herbe ou les têtes.

— On y va ? 

Je ne réponds pas. Mais mon cœur, lui, répond déjà. Je cours presque vers lui, attrape sa main, et nous plongeons ensemble dans le cœur battant de la danse.

Nos pas hésitent d'abord, tâtonnants, comme des étrangers qui apprennent à se reconnaître. Puis ils se délient, trouvent le rythme, se répondent. Nous tournons, sautons, rions. Nos corps se cherchent, se frôlent, s'apprivoisent encore et encore, dans cette chorégraphie instinctive et joyeuse. Les jupes volent, les fleurs s'envolent, portées par le vent et l'euphorie. Les tambours cognent comme des cœurs fous, comme s'ils étaient calés sur le mien.

La musique bat son plein, la cornemuse hurle dans l'air doré du soir, tout devient flou, vibrant, presque irréel.

Et soudain, Ørjan me soulève.

Ses bras puissants m'enlacent comme si je ne pesais rien, comme si j'étais faite de vent et de lumière. Je pousse un cri mêlé de surprise et de rire, la tête renversée en arrière, les cheveux en feu sous le soleil scandidave. Le monde tourne. L'air brûle. Le ciel semble applaudir.

Quand il me repose au sol, mes jambes tremblent à peine, les joues roses, le souffle court, et je ris, encore. Un rire franc, incontrôlable, qui me monte au ventre et éclate en même temps que les applaudissements tout autour.

Il me regarde comme s'il allait m'embrasser, là, tout de suite.

Alors je le fais.

Un baiser franc, brûlant, sans retenue. Ce n'est pas un geste volé. C'est une déclaration silencieuse. Une offrande. Une promesse.

— Tu danses bien pour une débutante, souffle-t-il contre ma bouche, son front posé contre le mien.

— Je ne suis pas une débutante, Dracula, dis-je en lui lançant un clin d'œil taquin. Tu soulèves bien pour un Norvégien bourru, réponds-je en souriant, un brin provocante.

— Norvégien ? Comment t'as su ?

— Ørjan, ton prénom sent la Norvège à plein nez... mais j'imagine que ce sont juste des origines, non ? Parce que de ce que j'ai compris, t'es bien né en Suède. 

Il éclate de rire, franc, clair, comme un gosse pris en flagrant délit.

— Impressionnant. 

Et soudain, sans prévenir, il m'attire de nouveau contre lui pour une autre ronde, plus sauvage encore, comme si le monde autour de nous avait disparu, comme si rien d'autre n'existait que cette pulsation commune.

Quand la musique s'achève enfin, dans une montée de cordes et de tambours furieux, je suis collée à lui. Mes bras autour de son cou, ses mains fermement posées sur mes hanches. Essoufflés. Vivants. Présents.

Il m'embrasse doucement sur le front, un geste tendre, intime, qui m'enveloppe comme une couverture chaude.

Je ferme les yeux.

Souriante.

Heureuse.

Le repas de midi, on plutôt de quatorze heure, se prolonge dans une chaleur douce, ponctuée de chants, de verres qui s'entrechoquent, de brindilles de fenouil glissées dans les cheveux. Autour de nous, les longues tables bancales s'étirent à l'ombre légère des pins, recouvertes de nappes à carreaux et de vaisselle dépareillée. Des bouteilles d'aquavit passent de main en main, souvent accompagnées d'un chant à boire dont les couplets s'égarent dans les rires.

Astrid a rejoint un groupe de jeunes assis sur une bâche colorée au pied d'un vieux bouleau. Elle rigole, une fraise coincée entre les doigts, son verre à moitié plein dans l'autre main. Son rire éclate, franc et libre. De la musique s'échappe toujours du petit poste posé à côté d'une caravane repeinte en jaune canari, décorée de petits fanions et de lampions en papier. Un chien passe en courant, poursuivi par deux enfants en chemises trop grandes et couronnes de trèfles sur la tête.

Ørjan, lui, a roulé ses manches. Une mèche de ses cheveux lui tombe devant les yeux, et je le regarde, hypnotisée, alors qu'il sert des parts de smörgåstårta aux plus jeunes, s'attirant des exclamations émerveillées pour avoir réussi à garder les couches intactes. Il me fait un clin d'œil quand il me surprend à le fixer, et je détourne les yeux en feignant d'être absorbée par ma salade de pommes de terre.

Je suis assise à côté d'une vieille femme du camping, Britt-Marie, qui me raconte comment, dans sa jeunesse, elle avait volé le cœur d'un accordéoniste pendant un Midsommar de 1968. Elle parle avec une lenteur tranquille, comme si elle distillait ses souvenirs à la manière de l'aquavit : un peu à la fois, mais avec un feu discret. Je l'écoute, fascinée, jusqu'à ce qu'un hurlement joyeux interrompe notre échange : un concours de bras de fer vient de débuter entre les garçons du camping.

Les cris s'élèvent. Les paris fusent. Astrid s'improvise commentatrice, une marguerite coincée derrière l'oreille, quant Ørjan décide de tenter sa change et s'installe, confiant, face à un type deux fois plus large que lui. Il fait mine de douter, lève les yeux au ciel, puis remporte la manche en quelques secondes, dans une explosion de joie générale. Je tape des mains en riant, emportée par la légèreté du moment. Et l'embrasse heureuse. Joyeuse. Ivre de bonheur.

Puis vient le moment des desserts. Des assiettes de jordgubbstårta – le traditionnel gâteau aux fraises – apparaissent comme par magie, escortées de chantilly maison. On les dévore à même les assiettes en carton, les doigts collants, les joues rosies par le soleil et l'alcool. Certains se sont allongés dans l'herbe, repus. D'autres improvisent un jeu de kubb entre les pins, lançant leurs bâtons avec plus ou moins de précision selon leur niveau d'ébriété.

Le soleil reste haut, paresseux, suspendu comme un projecteur au-dessus de nous. On a l'impression que cette journée ne finira jamais, que le temps a décidé de ralentir juste pour nous.

— Viens, me souffle Ørjan en m'attrapant doucement par la main, les yeux pétillants. J'ai un endroit à te montrer. 

Je le suis sans poser de questions, nos doigts mêlés, le cœur battant encore du rythme de la danse, du chant des oiseaux et des voix qui continuent derrière nous. Il m'emmène à travers un petit sentier bordée de fougères, derrière les tentes et les cabanes, jusqu'à un promontoire surélevé, entre les pins tordus du camping de Trolldheim. De là, on voit le lac s'étirer, calme et limpide, les reflets du ciel et des arbres ondulant à peine. Des enfants y ont planté un petit radeau, décoré de rubans flottants.

— Tu vois, ici, dit-il en me montrant du doigt le lac et le ciel immense, c'est là que je viens quand j'ai besoin de me souvenir pourquoi j'aime encore les gens. 

Je souris, touchée.

— Tu m'emmènes dans ton sanctuaire, alors.

— Mieux que ça, répond-il en s'asseyant dans l'herbe, son regard cherchant le mien. Je t'y invite.

Je m'assois près de lui, la tête posée contre son épaule. Et là, dans ce calme étrange, alors que la fête résonne encore au loin, je sens que quelque chose s'est déposé entre nous. Une douceur. Une évidence.

— C'est le plus beau Midsommar de ma vie, souffle-je, émue.

Il tourne légèrement la tête vers moi, ses lèvres à peine à quelques centimètres.

— C'est parce que tu y es, murmure-t-il.

Je rougis. Et je ne réponds rien. Parce qu'il n'y a rien à ajouter.

Nous restons là longtemps, bercés par le murmure des pins et les cris joyeux en arrière plan. Et alors que le soleil brille de mille feu dans le ciel, je me dis que cette journée restera gravée quelque part en moi. Comme une lumière. Comme un baiser sous un ciel d'été.

❀ ❀ ❀

[Ørjan]

Je crois que je pourrais la regarder toute la journée. Amalie a les joues rouges, les cheveux en bataille, et cette foutue couronne de fleurs un peu de travers qui lui donne l'air d'une reine un peu sauvage, échappée d'un rêve nordique. Son rire flotte encore dans l'air, effleurant mes tympans comme un refrain qu'on voudrait réentendre. Elle s'accroche à moi, essoufflée, le front moite, les yeux brillants de vie et de lumière.

Et moi ? Je suis foutu.

On reste comme ça un instant, suspendus en retrait de ce joyeux chaos — les cris des enfants, la musique en fond, les odeurs de fleurs écrasées et de barbecue qui se mêlent dans l'air chaud de fin d'après-midi.

Puis un gamin déboule en trombe juste derrière nous, en hurlant « Midsommar ! » à pleins poumons, un mini drapeau bleu et jaune brandi comme un trophée. On s'écarte juste à temps pour ne pas se faire renverser, et je laisse échapper un rire, quand le gosse se jette à l'eau heureux comme un pinçon.

Je me penche alors vers elle, attrape sa main et l'embrasse dessus avec une exagération digne d'un film d'époque, la joue creusée d'un faux air dramatique. Elle roule des yeux, faussement exaspérée. Mais ses lèvres se plissent en un sourire qu'elle ne cherche même pas à cacher. Je vois bien qu'elle adore ça.

— Viens, on va retrouver les autres, lui glisse-je en désignant les grandes tables installées sous les guirlandes flottantes.

Elle hoche la tête, toujours souriante, et on s'élance ensemble à travers la pelouse, slalomant entre les groupes, les nappes étendues à même le sol, les plateaux de fraises et les adultes affalés dans des chaises de camping.

Je repère tout de suite Henrik, sa tignasse blonde en bataille et son t-shirt taché de sauce, qui fait des grimaces à un gosse en tirant sa langue comme un serpent. À côté, Magnus, fidèle à lui-même, tente avec un sérieux tout à fait injustifié de couper une tarte aux fraises avec une cuillère, parce que "ça fait moins de vaisselle, et franchement, les couteaux c'est surfait". Erik, quant à lui, captive un des résidents du camping avec un exposé passionné sur les différents types de snaps — il a l'air de croire qu'il passe un oral de master. Et Nils, lunettes de soleil vissées sur le nez alors qu'il est déjà à l'ombre, chante à tue-tête en imitant jouer du violon. Il sonne terriblement faux. Il le sait. Il s'en fout.

C'est le bordel. C'est parfait.

— Ah ! Re-voilà les tourtereaux ! balance Henrik, tout sourire, en levant son verre.

Je ne réponds rien. Je me contente de lever le mien en retour, l'air détaché mais le cœur un peu trop plein.

Amalie se laisse tomber avec souplesse sur un banc à côté de Magnus, qui lui tend une coupe remplie de fraises à ras bord. Elles sont rouges vives, presque brillantes au soleil.

— Merci, dit-elle avec reconnaissance, avant de lever les yeux vers moi. Tu veux t'asseoir ?

Je hausse les épaules, comme si ça m'était égal. Mais mes jambes décident pour moi. Je m'installe à côté d'elle, mon genou effleurant le sien dans un contact léger, discret, mais qui résonne plus fort que tous les chants alentours.

Les conversations fusent, se croisent et s'entrelacent. Ça rigole fort, ça mange — encore —, ça chante de plus en plus faux, et ça boit comme si demain n'existait pas. Le soleil tape gentiment, les guirlandes dansent entre les pins comme des lucioles diurnes, et pour une fois, le monde semble tourner juste, comme il faut.

Je regarde ma bande. Ces gars-là. Ceux avec qui j'ai grandi, avec qui j'ai fait des conneries, crié sur des montagnes, dormi dans des vans, dévalé des pistes, tombé amoureux puis détesté ça. Les conseils avisée de celle que je considère comme ma soeur, Astrid.

Et puis je regarde Amalie.

Elle ne cherche pas à impressionner qui que ce soit. Elle est là, simplement, à rire, à parler, à écouter. Mais elle rayonne. Une lumière douce, presque insidieuse. Et je le vois, dans les regards qu'ils lui lancent sans trop y prêter attention : ils sont tous déjà un peu sous son charme. Même s'ils ne l'avoueront jamais.

Je bois une gorgée de snaps. C'est sucré, frais, ça picote un peu sur la langue.

Comme elle.

— C'est moi ou Erik est rond comme une queue de pelle ? me demande-t-elle à mi-voix, en me donnant un petit coup d'épaule.

— Erik ? Non, du tout, réponds-je avec un clin d'œil, feignant l'innocence.

Elle rit. Encore. Un rire clair, franc, sans filtre.

Je crois que j'en suis accro.

Le ciel commence à rosir, mais le soleil n'a pas dit son dernier mot. Les ombres s'allongent sans vraiment disparaître, donnant à tout ce qu'on voit une sorte d'éclat suspendu, irréel. Le genre de lumière qui te fait croire que rien de mauvais ne peut arriver. Pas ce soir. Pas maintenant. Juste cette parenthèse parfaite.

Amalie tend le bras pour attraper une fraise dans mon assiette, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde.

— Tu les manges pas, alors c'est moi qui les prends, déclare-t-elle, toute fière, en se saisissant de la plus dodue et la lève comme un trophée.

— J'attendais juste qu'elles mûrissent un peu plus, rétorque-je, faussement vexé.

Elle hausse les épaules, pleine d'assurance, et en croque une avec un bruit volontairement exagéré, ses lèvres englobant le fruit dans une sensualité exagérément jouée. La bouche en cœur, les yeux pétillants. Ce genre de petit geste... ça me tue. Je crois qu'elle le sait très bien, en plus. Et qu'elle en joue.

Deux places plus loin, Erik essaie de servir du snaps sans renverser. Sa main tremble légèrement, concentrée comme un chirurgien en mission critique. Il met au moins quinze secondes à aligner le goulot sur son verre. On retient tous notre souffle comme si l'issue pouvait vraiment changer le cours de la soirée.

— Concentration extrême, commente Magnus à voix basse, le coude posé sur la table.

— C'est tout un art, approuve Henrik avec un sérieux feint, l'air grave d'un connaisseur.

— J'vais vous dire un truc, les gars, articule Erik, solennel, le doigt levé comme un vieux sage. Le secret... c'est de jamais mélanger l'aquavit et le hareng. Jamais. Sinon tu rêves de chèvres toute la nuit. Et pas des mignonnes. 

Silence autour de la table. Un silence dramatique. Puis Nils éclate de rire, un grand éclat sincère, suivi de près par tout le monde. Même la vieille voisine au chignon serré, assise au coin de la table, esquisse un sourire en coin derrière sa tasse.

— On note. Fais gaffe à pas l'écrire sur le drapeau, quand même, répond Amalie en attrapant son propre verre.

Je la regarde, amusé. Elle est dans son élément. Elle n'a pas besoin de forcer. Elle s'intègre comme si elle avait toujours été là. Comme si elle avait grandi avec nous, couru dans les mêmes champs, dansé sous les mêmes guirlandes de fleurs. Et en même temps, elle garde ce petit truc à elle. Une forme de retenue dans le regard, une lumière discrète mais vive, comme une flamme qui observe tout, même quand elle rit à pleines dents.

Henrik, fidèle à lui-même, lève son verre en bombant le torse. Il propose un toast — évidemment inventé, mais crié avec une conviction théâtrale.

— Till solen som aldrig går ner ! Och till de bästa jordgubbarna i hela landet ! 

Tout le monde éclate de rire et lève son verre dans un joyeux fracas. Le ciel est encore clair, teinté d'or et de rose, comme s'il ne voulait pas quitter la fête non plus.

Erik, lui, rate complètement le timing et renverse une bonne lampée sur son pantalon. Il regarde la tâche avec gravité.

— Sacrifié à Midsommar, murmure-t-il d'un ton tragique, comme s'il récitait une prière ancienne au dieu des fraises et des chansons paillardes.

Je sens Amalie se pencher vers moi, son parfum flottant dans l'air tiède.

— Il va s'endormir dans les herbes avant la fin de l'après-midi, c'est sûr, me glisse-t-elle à mi-voix, avec ce petit sourire en coin qui me tue un peu plus chaque fois.

— Je prends les paris, dis-je en hochant la tête, complice. Il va tenter un dernier baroud d'honneur : draguer la serveuse du glacier.

— Celle avec les sandales roses à paillettes ?

— Celle-là même. Je pense qu'il croit qu'elles sont magiques. 

Elle rit, cette fois franchement, la tête un peu en arrière. C'est ce genre de rire qui n'a rien de forcé, qui attrape tout le monde dans son sillage. Autour de nous, ça chante, ça débat sur la meilleure façon de plier une nappe, ça mord dans les fraises comme si c'était le dernier été sur Terre.

Et moi, je me dis que cette journée a exactement le goût qu'elle devrait avoir. Le goût d'une trêve. D'un instant suspendu dans la lumière du nord.

Je me penche vers Amalie, nos épaules se frôlent dans un geste presque imperceptible mais qui fait frissonner tout le reste.

— C'est moi ou la fin de journée n'arrive jamais aujourd'hui ? murmure-je, sans même trop savoir pourquoi je le dis.

Elle tourne légèrement la tête vers moi, et dans ses yeux, je crois que je pourrais me perdre quelques instants de plus. La lumière de l'après-midi de journée glisse sur ses joues, chaude et dorée, comme un dernier secret.

— Tu dis ça comme si tu t'en plaignais.

— Non. J'aime bien. C'est comme... comme si le temps était suspendu. Comme si on pouvait rester là encore des heures sans que rien ne change. 

Elle me sourit, un peu surprise par mon ton peut-être. Un peu plus calme, un peu moins dans la vanne.

— Et tu voudrais que ça reste comme ça ? demande-t-elle, doucement.

Je la regarde. Elle ne plaisante pas, cette fois.

Je hausse les épaules, les mains enfouies dans les poches de ma veste.

— Ouais. Enfin, pas tous les jours. Mais aujourd'hui... ouais, j'aimerais bien. 

Elle ne répond pas tout de suite. Son regard vagabonde autour de nous. Les verres continuent de s'entrechoquer dans un joyeux désordre, les éclats de rire fusent de toutes parts. Une vieille chanson suédoise s'élève en fond, à peine juste, portée par des voix éraillées. L'air sent la résine et la braise chaude. L'odeur familière du feu de bois commence à se mêler au parfum des fleurs encore accrochées aux couronnes.

Elle inspire doucement, comme si elle voulait imprimer ce moment dans sa mémoire.

— C'est marrant, dit-elle finalement. Moi aussi. 

On se tait. Pas besoin d'en dire plus. Ce silence-là est confortable, presque précieux. Un petit cocon suspendu dans le tumulte.

Et puis, Erik surgit.

Il se penche vers nous avec l'air grave d'un prophète en pleine révélation. Visiblement très ému par une pensée qui vient de traverser son esprit embué par l'alcool.

— Si jamais vous vous mariez un jour, je veux être votre témoin, lâche-t-il d'un ton solennel.

Amalie explose de rire, un éclat clair qui illumine son visage.

— Tu auras oublié ce que tu viens de dire dans cinq minutes ! le taquine-t-elle, en lui donnant une tape sur le bras.

— Faux. Je vais l'écrire... Où est mon téléphone ? Où est ma main ?!

Il fixe sa paume ouverte avec un air profondément intrigué, comme si elle venait de disparaître et réapparaitre, comme par magie. Astrid, hilare et vaguement dépitée, lui retire son verre avec une douceur résignée, pendant que Nils, commence à l'encourager à chanter l'un de ces classiques du répertoire suédois.

Évidemment, Erik s'exécute... mais au lieu de la mélodie attendue, ce qui sort de sa bouche ressemble à un mélange entre une incantation runique et un chant de baleine enrhumée. La tablée explose de rire.

Je tourne la tête vers Amalie. Elle me regarde déjà. Ses yeux pétillent d'une joie sincère, presque enfantine, comme si cette journée avait mis entre parenthèses tout le reste.

Elle me sourit. Doucement. Tendrement.

Mon cœur loupe un battement.

Elle est magnifique.

________________________

Note de l'auteure : 

Chers lecteurs, chères lectrices,

Alors... respirez un grand coup. Oui, ça sent bon l'été, la cannelle, les fleurs fraîchement cueillies et les festivités qui battent leur plein, non ? 🌼🌞 Ce chapitre est comme une parenthèse enchantée, une bulle de tendresse et de lumière suspendue entre deux éclats de rires, un baiser volé... et un soupçon de magie nordique.

Vous l'avez senti, ce calme doux-amer du matin après une nuit intense ? Cette lumière dorée sur la peau encore frémissante, ce bruissement d'herbe humide sous les pieds nus ? C'était un vrai bonheur à écrire. Un moment hors du temps, comme tresser une couronne de souvenirs. De la pudeur, de la complicité, des traditions ancrées... et ce petit quelque chose d'intemporel que j'espère avoir réussi à capturer. 💫

Et puis Astrid...  Elle est entrée dans la hytte, et bam : elle a volé la scène en une réplique. Vous aussi vous avez eu envie de lui dire merci juste pour sa présence solaire et son franc-parler qui fait du bien ? 🌻

Dans la seconde partie du chapitre, j'ai voulu vous emmener ailleurs, à travers les yeux d'Ørjan — une perspective plus grave, plus posée, mais aussi profondément humaine. Ce contraste, entre les rires et les non-dits, entre la fête et les fissures intérieures, me tenait à cœur. Les festivités de Midsommar résonnent ici comme un écho d'innocence... ou de quelque chose qu'on essaie de retenir un peu plus longtemps. 

Et entre nous... vous auriez choisi quoi comme fleurs dans votre propre couronne de Midsommar ? 🌸🌿🇸🇪

Merci de faire vivre cette histoire avec autant d'intensité, de sensibilité, et de bienveillance. Vos petits mots, vos réactions, vos anecdotes — c'est du miel pour le cœur, vraiment. 💌

À très vite pour la suite ! 

A.E 💖

P.S : «Till solen som aldrig går ner ! Och till de bästa jordgubbarna i hela landet ! » veut dire en français : « Au soleil qui ne se couche jamais ! Et aux meilleures fraises du pays ! » 🍓🌞

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