— 𝑉𝐼𝐼 —
D'Albâtre et d'Or
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Le soleil est déjà haut dans le ciel lorsque je finis par émerger de mon sommeil agité, la tête encore alourdie par des rêves trop vifs, trop réels. La chaleur de la hytte me frappe comme un mur, étouffante, presque suffocante. L'air semble lourd et vicié, comme une couverture épaisse qui me maintient clouée au lit. J'ai toujours trouvé que "étouffante" et "suffocante" étaient des adjectifs un peu exagérés, mais aujourd'hui, je les trouve parfaitement adaptés.
Mon premier réflexe, comme une urgence, est d'attraper mon téléphone. Je le saisis sans vraiment y penser, espérant que le simple geste m'apportera une forme de réconfort. L'écran verrouillé m'accueille avec son éclat froid, affichant l'heure, quelques notifications banales, des rappels, des messages que je laisse sans réponse... mais rien de lui. Rien qui puisse me rassurer ou, d'une certaine manière, me confirmer que ce n'était pas qu'une illusion.
Un mélange étrange de soulagement et de frustration m'envahit, me nouant l'estomac. Je m'étais pourtant promis de l'ignorer, de prendre de la distance, de ne pas me laisser embarquer dans ce jeu qui m'aspire à chaque fois. Et pourtant... je me surprends à espérer. Espérer, contre toute logique, voir son nom s'afficher à nouveau sur l'écran. Une pensée que je n'arrive pas à faire taire, une anticipation sourde qui fait battre mon cœur un peu plus vite, un peu plus fort.
Je secoue la tête, comme pour chasser cette pensée envahissante. Non. Aujourd'hui, je refuse de me laisser happer par ces émotions qui me bousculent à chaque instant. Pas aujourd'hui. Je prends une grande inspiration, enfonce le téléphone sous l'oreiller et me lève d'un bond, décidée à prendre le contrôle.
Je me dirige vers le lac, l'eau cristalline qui scintille sous les rayons du soleil matinal m'appelant presque. L'instant où mes pieds s'enfoncent dans le sable froid, puis où je plonge dans l'eau glacée, est un soulagement immédiat. La fraîcheur m'envahit, me régénère, et la sensation de l'eau qui caresse ma peau me ramène brusquement à la réalité. À ce moment-là, je me demande si l'eau est vraiment aussi froide que mes pensées ou si je suis juste en train de m'auto-saboter avec cette idée. Peut-être que je pourrais l'embrasser, l'eau, comme une vieille amie un peu trop directe, histoire de m'en débarrasser. Tout semble irréel depuis hier soir, comme si les frontières entre les journées et les nuits étaient devenues floues, comme si le temps lui-même s'était perdu, me laissant dans un espace suspendu, sans repères. Je ne sais même plus combien de temps il s'est écoulé depuis ce message, depuis ce moment partagé, et la distance que je tente d'installer avec lui semble aussi fragile que le fil invisible qui nous lie.
Je nage quelques brasses, tentant d'effacer l'agitation de mon esprit, mais je sais que ce n'est qu'une distraction temporaire. C'est comme mettre du scotch sur une porte qui fuit : ça tient quelques secondes, mais ça ne règle pas le problème. Lorsque je me retourne, je vois Astrid sur le ponton. Ses yeux sont rivés sur moi, ses sourcils légèrement froncés, comme si elle percevait au-delà de l'eau, comme si elle avait déjà deviné ce qui me tourmente. Nous nous sommes données rendez-vous ici ce matin.
Elle me rejoint finalement dans l'eau, et j'ai cette sensation immédiate qu'elle sait. Qu'elle sait que quelque chose me ronge, qu'elle perçoit l'agitation sous ma surface calme. C'est un peu comme un détecteur de mensonges humain, mais sans le côté intrusif. Même si on se connaît à peine, elle arrive à capter des ondes que je n'avais même pas envoyées. Elle ne dit rien. Elle reste là, tranquille, comme une sorte de zen Master. Son regard m'invite à parler, à lâcher ce poids qui pèse sur mes épaules. Un poids que je ne suis pas encore prête à partager, mais que je sens grandir à chaque instant.
— Tu comptes me dire ce qui te tracasse ? demande-t-elle gentiment en voyant mon expression songeuse.
Je lève les yeux au ciel, un soupir lourd s'échappant de mes lèvres, comme si le monde entier avait décidé de me donner une leçon de patience – que je n'ai clairement pas demandée. L'air semble plus dense tout à coup, comme si mes pensées étaient soudainement équipées d'un poids supplémentaire, comme si mes neurones avaient décidé de faire du bodybuilding. L'image d'Ørjan, son regard intense, presque dévorant, ses mots qui flottent encore dans ma tête, m'envahissent brutalement. C'est comme une vague qui déferle sur moi, me submergeant avant même que je puisse lui donner un nom ou une raison. Chaque détail de cette soirée dans le sauna – son silence, ses gestes, cette tension palpable entre nous – me revient en mémoire avec une clarté presque douloureuse, comme si j'avais un DVD de cette scène en boucle dans ma tête, et que, malheureusement, je n'ai pas la télécommande pour appuyer sur « pause ». Je me sens à la fois attirée et frustrée, comme une corde tendue au maximum, prête à se rompre sous la pression.
Mais je ne suis pas prête. Pas encore. Une partie de moi veut fuir cette attraction, se cacher derrière une barrière de rationalité, mais une autre, plus profonde, me pousse à l'accepter. Et c'est là que ça devient un peu... flippant. Parce qu'on sait tous que la rationalité et moi, c'est une relation un peu en dents de scie. Pourtant, je sais que si je le laisse entrer dans mon esprit maintenant, si je lui confie ne serait-ce qu'une fraction de ce que je ressens, tout pourrait basculer. Je suis trop fragile, trop perdue dans ce tourbillon pour m'abandonner à ce désir naissant. Car, si je laisse Ørjan entrer dans mes pensées, je vais probablement avoir besoin d'un plan d'urgence pour gérer l'explosion émotionnelle qui va suivre.
— Rien de grave, réponds-je, en essayant de masquer mes tourments. C'est juste... compliqué.
Astrid s'assoit sur un rocher près de l'eau, ses jambes frôlant la surface. Elle me fixe intensément, comme si elle pouvait lire dans mes pensées. Elle m'est encore assez inconnue, mais son regard trahit une bienveillance sincère.
— Je suppose que tu parles de Ørjan ?
L'étrange certitude dans ses yeux me fait hésiter, une sensation étrange qui s'infiltre en moi, un peu comme quand tu te rends compte que t'as laissé un onglet indésirable ouvert toute la journée. Mais je n'ose pas nier, pas cette fois. En réalité, je n'ai même pas envie de nier. Ce que je ressens, cette tension palpable entre Ørjan et moi, est bien trop réelle pour que je la réfute. C'est comme un mauvais film dont je ne veux pas vraiment regarder la fin, mais qui, étrangement, me captive. Et puis, il y a quelque chose d'irrésistible dans cette dynamique, quelque chose que je ne peux pas expliquer. C'est comme si tout, autour de moi, se figeait dès qu'il était là, comme si mon corps réagissait à une force invisible. Mais je suis perdue dans ce maelström d'émotions qui me déstabilise à chaque instant.
Je plonge une nouvelle fois sous l'eau, espérant que la fraîcheur me permettra de fuir un instant cette pensée qui me hante, comme un vieux film que je ne parviens pas à éjecter de ma tête. J'inspire profondément, cherchant à faire le vide, mais le silence de l'eau n'arrive qu'à amplifier ce qui bouillonne en moi, comme si mon cerveau avait décidé de faire une bouillie émotionnelle. Chaque mouvement, chaque onde qui se forme autour de moi semble me ramener à lui. À Ørjan. Parce qu'évidemment, pourquoi se contenter de se débarrasser d'une obsession quand on peut l'intensifier, hein ?
— Il m'a embrassée sur la joue, y'a trois jours, après la soirée autour du feu de camp, dis-je, cherchant mes mots, un peu hésitante, comme si je parlais d'une mission secrète. Et après, on s'est évités. Puis hier soir, on s'est retrouvés au sauna, et c'était...
Je ferme les yeux un instant, la chaleur me gagnant à nouveau, un peu comme un four micro-ondes mal réglé.
— C'était... perturbant. Mais en même temps, j'étais tellement contente de le revoir. Et puis, après, plus tard dans la soirée, il m'a envoyé un message. Un message lourd de sens...
Un silence lourd s'installe entre nous, pesant, presque palpable. La confession d'Ørjan flotte encore dans l'air, ses mots me hantent, m'assaillent à chaque instant, comme un mauvais film d'horreur que j'ai laissé tourner en boucle dans ma tête. Mais je n'ai aucune envie d'en parler, pas encore. Pas avec Astrid. Même si, au fond, je sais que je pourrais tout dire et confier ce tourbillon d'émotions qui m'engloutit. Mais il y a cette peur. Cette peur que, en lui avouant tout, je sois forcée de reconnaître, moi-même, ce que je ressens. Que tout devienne plus réel, plus compliqué. Et ça, je ne suis pas prête. J'aime bien quand les trucs compliqués restent dans le domaine de l'imaginaire, où ils peuvent vivre leurs vies de façon totalement irrationnelle.
Astrid se rapproche lentement, son regard, sérieux mais empreint de cette bienveillance qui lui appartient, me transperce. Elle pose doucement une main sur mon épaule, une main chaude, réconfortante, comme si, d'un seul geste, elle savait exactement ce que je traversais. Je sens sa présence, sa compréhension silencieuse, et pourtant, une part de moi hésite encore à lui dévoiler l'ampleur de ce que je ressens. Parce que si je lui dis tout ça maintenant, je vais probablement pleurer, et franchement, je ne suis même pas certaine que je sois prête à gérer ça.
— Écoute, Amalie. Ørjan est vraiment quelqu'un de bien, dit-elle en souriant faiblement. Il n'est pas comme les autres garçons. Il ne jouera pas avec toi, si c'est ce dont tu as peur. Et si tu veux savoir ce qu'il ressent, il va falloir être honnête avec toi-même.
Je reste silencieuse. La tension entre Ørjan et moi est aussi palpable qu'un câble sous haute tension. Mais est-ce que je suis prête à franchir cette ligne ? À me laisser entraîner par cette attraction qui me tord les tripes à chaque regard échangé ? Non. Je n'ai pas envie de souffrir de nouveau. Je n'ai pas envie de me retrouver dans le rôle de la copine parfaite, coincée entre les attentes des autres et mes propres doutes. Mais avec Ørjan, ça pourrait être différent. Tout semble plus réel, naturel, non forcé.
Le silence se fait lourd, mais pas aussi écrasant qu'avant. La brise légère me frôle, et pour une fraction de seconde, j'oublie le tourbillon qui me tourmente. Astrid semble percevoir que je suis encore noyée dans mes pensées, et elle attend, comme si elle savait que je finirais par lui avouer quelque chose. Je me pince les lèvres. C'est bizarre, cette impression qu'elle arrive toujours à lire en moi comme dans un livre ouvert.
— C'est tout un mélange de sensations qui m'envahit, Astrid.
Elle me scrute un moment, son regard pénétrant, mais d'une douceur infinie. Comme si elle essayait de déchiffrer une recette secrète écrite en hiéroglyphes. Sa présence est à la fois apaisante et insistante. Il y a une tendresse silencieuse dans son regard, une compréhension rassurante, mais aussi un petit sourire qui dit clairement : « Je sais que tu vas cracher le morceau, alors arrête de faire ta mystérieuse. »
— Tu sais, il n'est pas aussi compliqué que tu le penses. Il est juste un peu... déstabilisé. Il est attiré par toi, c'est évident, mais il n'ose pas trop le montrer.
Je fronce les sourcils, me demandant où elle veut en venir. Elle me fixe avec un petit éclat dans les yeux, comme si elle savait déjà exactement de quoi elle parlait. C'est un peu comme si Astrid était équipée d'un détecteur de sentiments super efficace, et moi, je suis juste là, complètement perdue dans l'incertitude.
— Je crois qu'il se sent un peu inférieur à toi, soupire-t-elle doucement, une moue entre les lèvres. Tu sais, avec son style – qui est le même que le mien, et celui de toute notre bande, d'ailleurs – il a du mal à s'imaginer que tu puisses être attirée par lui. Et ça, ça le rend un peu maladroit.
— Il me plaît, Astrid, avoué-je sans même réfléchir, comme si ces mots venaient de prendre un raccourci direct de mon cerveau à ma bouche.
La confession me surprend moi-même, mais je ne peux plus la retenir.
— Il me plaît énormément, même. Et je sais pas comment gérer ça, dis-je en me mordant la lèvre, gênée par la vérité qui me frappe de plein fouet. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose entre nous, mais c'est... compliqué. C'est confus. Je veux qu'il s'ouvre, mais en même temps, j'ai peur de... murmuré-je, laissant ma phrase suspendue, comme un ballon qui flotte dans l'air mais que je n'ose pas attraper.
Les mots me manquent, et je suis un peu perdue dans ce labyrinthe de sentiments.
— Tu sais, t'as pas à savoir tout de suite, dit-elle toujours bienveillante, un petit sourire amusé sur ses lèvres et marquant une pause, me laissant un peu de temps pour assimiler sa phrase. Mais, une chose est sure, il ressent quelque chose pour toi, ajoute-t-elle avec un regard entendu. Je suis sûre qu'il aimerait te montrer qu'il est intéressé, qu'il n'est pas aussi distant qu'il en a l'air. Mais il est un peu timide.
Je laisse ses mots m'imprégner lentement, comme une brume légère mais persistante, qui s'insinue dans chaque coin de mon esprit. Ce n'est pas de la peur ni du rejet que je ressens pour lui, mais une forme d'hésitation – discrète, subtile, comme un voile qui flotte entre nous. C'est l'écho d'un passé qui ne veut pas partir. Un passé fait de relations foireuses et toxiques, qui m'ont laissée avec cette tendance à passer en mode survie à la moindre alerte. Et ça, ça reste là, dans chaque fibre de mon être, avec ce souvenir particulier que j'aimerais oublier, mais qui refuse de se taire.
— Et moi, Astrid ? murmuré-je, presque sur le point de craquer. Je suis tellement partagée...
— Tant que tu es honnête avec lui, tout va bien se passer, me sourit-elle, son regard brillant d'une douceur réconfortante, comme une bouée de sauvetage. Et surtout, ne laisse pas cette attirance devenir une source de doute, conclut-elle en m'adressant un clin d'œil.
Je reste là, un peu abasourdie, mes pensées flottant comme des feuilles mortes portées par une bourrasque capricieuse. Une étrange sensation d'apaisement m'envahit, presque douce, comme si une lourde pression venait de s'évaporer, me laissant enfin respirer. Peut-être que, pour une fois, je devrais juste accepter ce que je ressens, sans me noyer dans mes propres doutes. Laisser faire les choses. Voir où ça me mène, sans essayer d'analyser le moindre détail.
Le vent léger siffle doucement dans les arbres, transportant avec lui une bouffée d'air frais. Un frisson me parcourt, et j'ai presque l'impression que la nature elle-même est en mode « Relax, meuf. Respire. » Astrid, qui me scrute du coin de l'œil, capte direct que je suis déjà partie dans une autre dimension.
— Amalie, te fous pas la pression, souffle-t-elle avec un sourire en coin. Franchement, tu vis juste un truc normal. C'est pas comme si t'étais en train de négocier un pacte avec le diable. C'est juste que t'es pas habituée à ce genre de flirt à la sauce métal, plaisante-t-elle, un éclat malicieux dans le regard. Mais je vois bien que t'as pas l'air d'être une débutante. T'as des regards qui en disent long.
— Quoi ?!
J'éclate de rire, surprise par sa réplique, et lui tire la langue, mi-exaspérée, mi-amusée par sa spontanéité. Elle hausse un sourcil, prenant un air faussement sérieux, mais la lueur malicieuse dans ses yeux la trahit direct. Je sens venir la punchline. Une seconde de suspense. Et bam. Elle glousse, son rire s'échappant en cascade et m'emportant avec elle. L'air autour de nous se transforme en une bulle de complicité, le genre de moment où tout semble plus léger, où les doutes s'effacent juste un peu.
— Je te jure, ce petit jeu de chat et souris, vous va plutôt bien. Mais franchement, tu devrais lâcher un peu prise, dit-elle en inclinant la tête, un sourire en coin. Faut pas toujours tout analyser, t'sais. T'es pas en train de monter un business plan, prends-le comme ça vient.
Je soupire. Peut-être qu'elle a raison. Peut-être que je passe trop de temps à essayer de tout anticiper, à prévoir chaque variable comme si ma vie sentimentale était une équation à résoudre. Sauf que là, y'a pas de solution unique. Juste une infinité de possibilités, et ça me terrifie. Le contrôle, c'est ma bouée de sauvetage, mais peut-être qu'il est temps de tester la nage en eaux troubles.
— T'es sûre que t'as pas une boule de cristal quelque part ? demandé-je avec un sourire malicieux. Parce que franchement, ton analyse est presque flippante.
— Ah non, pas de boule de cristal, juste un talent naturel pour capter les dramas relationnels. C'est mon super-pouvoir. Et mon domaine de taff, les RH, ajoute-t-elle avec un clin d'œil. Bon, allez, je vais te laisser cogiter tout ça. Mais sois pas trop dure avec toi-même, hein. On sait jamais où ça peut mener, tout ça.
Je la regarde s'éloigner, un sourire léger au coin des lèvres. Quelque chose en moi semble s'être relâché, un petit poids en moins sur les épaules. Les choses ne sont pas plus claires dans ma tête, mais peut-être que ce n'est pas un problème. Peut-être que je peux me contenter du flou pour une fois, laisser les réponses venir à leur rythme au lieu de les traquer comme une détective en manque de preuves. Et bizarrement, cette idée me plaît. C'est presque... confortable. Je me laisse envahir par cette sensation de lâcher-prise, comme si, pour une fois, le monde me fichait la paix. Je me penche en arrière, ferme les yeux, inspire profondément. L'air frais emplit mes poumons, un rappel que je suis là, présente, vivante, et que tout ne tourne pas forcément autour de mes neurones en ébullition. Allez, ça va le faire.
Je sors lentement de l'eau, mes pieds effleurant la surface du lac dans un dernier frisson avant de rejoindre le ponton où mes affaires m'attendent sagement. Je les ramasse, toujours en pleine conversation interne avec moi-même – un débat existentiel sans jury ni conclusion valable. Puis, direction la hytte. L'air est calme, presque trop, comme si l'univers retenait son souffle.
Je m'arrête devant ma hytte, les yeux rivés sur la porte, mon cœur battant fort, résonnant dans mes oreilles comme une sorte d'alarme silencieuse. C'est absurde. J'ai l'impression de me retrouver à un carrefour, sans savoir vraiment par où commencer. Juste au moment où je m'apprête à entrer, je vois Ørjan. Il sort de sa hytte, presque comme si nos mouvements étaient synchronisés, et il se fige à l'instant où nos regards se croisent. Un silence lourd tombe entre nous, rien que l'air autour de nous semble trop épais, trop pesant, comme si tout devait se résoudre là, maintenant, en une seule rencontre.
— Ørjan.
Ce n'était pourtant qu'un chuchotement, ni accusateur, ni vraiment interrogatif. Simplement une façon de commencer, de mettre des mots sur ce qui nous lie, même si je n'arrive pas à les comprendre moi-même. Il se redresse brusquement, comme si mes mots avaient eu le même effet qu'un seau d'eau glacée jeté à sa figure. Sa posture devient raide, ses yeux détournés, comme s'il essayait d'échapper à la situation, de fuir ce qui ne peut plus être ignoré.
— Excuse-moi, lâche-t-il soudainement, sa voix basse et presque étranglée. Pour le message d'hier. C'était ridicule, et déplacé. Je sais pas ce que j'ai cru, mais je...
Je le coupe, et les mots que je prononce s'échappent avant même que je puisse y réfléchir. Ils s'envolent, mais quelque chose en moi me pousse à continuer. Je n'ai pas de temps à perdre avec les non-dits.
— Ça ne l'était pas. Ni ridicule, ni déplacé. Je tenais à m'excuser. Je voulais te répondre, vraiment. Mais je... j'ai eu peur.
Les mots restent en suspens, pesants, comme si l'air lui-même peinait à les porter. Une confession silencieuse, trop brute, trop vraie. Je vois l'impact sur lui, cette infime brèche dans son armure. Ses yeux s'assombrissent, et même si ce n'est pas ce que je voulais, je sais que mes paroles viennent de l'atteindre en plein cœur. Il me brise un peu plus à chaque regard. Pas parce qu'il le veut. Juste parce que moi, je me brise toute seule. Parce que mettre des mots sur ce que je ressens, c'est comme marcher pieds nus sur du verre.
— Pas de toi, m'empresse-je d'ajouter, la voix tremblante sous le poids de ma vérité. De moi. Je pensais le savoir, mais... finalement, non, je n'en sais rien. Ça ne m'a... ça ne m'a jamais fait ça. Je veux dire, le fait de te connaître, de te parler, d'être là. Je veux passer du temps avec toi. Je ne sais pas... je ne sais juste pas comment faire, ni si... si c'est ce que tu veux.
Bon alors là, ça passe ou ça casse...
Je suis là, les mains serrées, et je guette sa réaction, chaque mot s'enfonçant profondément en moi, comme un fil tiré avec précaution à travers ma peau. Il y a un instant où il ne dit rien, où la distance entre nous semble aussi vaste que le ciel. Puis, Ørjan descend lentement les marches de sa hytte, un pas après l'autre. Chaque mouvement qu'il fait semble suspendu dans l'air. Quand il arrive à ma hauteur, il prend mes mains dans les siennes, avec une douceur inattendue, comme s'il voulait éviter de briser quelque chose, mais sans vouloir me laisser partir non plus.
— Bien sûr que je le veux. Je l'ai voulu dès l'instant où je t'ai vue te battre avec ta porte avant que tu me demandes où étaient les douches.
Sa voix s'adoucit, et je le vois presque sourire, un sourire qui cherche à briser la tension, mais aussi à le libérer de ce qui l'étouffe. Il secoue la tête légèrement, puis ajoute avec un petit rire nerveux.
— Seulement, moi aussi, j'ai peur...
Ses mots restent suspendus entre nous, comme un fil fragile prêt à se rompre. Il baisse un instant les yeux, ses pensées dans un chaos que je devine trop bien, puis, presque dans un souffle, il laisse tomber cette vérité brute, sans fioritures. Et ça me percute plus fort que prévu. Parce qu'une part de moi comprend exactement ce qu'il ressent. Une part de moi trouve un écho rassurant dans cette peur qu'il avoue, mais en même temps... ça creuse un vide. Un espace entre ce que je ressens et ce que j'ose montrer.
Il secoue la tête à nouveau, comme si ça pouvait chasser quelque chose d'invisible, puis il finit par esquisser un sourire – plus doux, plus vulnérable, un de ceux qui désarment.
— ...que tu me trouves étrange.
Etrange. Le mot résonne, s'imprègne, me chatouille l'esprit d'une manière que je n'attendais pas. Je le regarde, mes yeux tentant de capter son regard, de lui transmettre quelque chose que je n'arrive pas à formuler. Parce que oui, je l'ai trouvé étrange. Au début. Mais plus je le connais, plus cette étrangeté a des allures de vérité, et cette vérité... elle m'apaise autant qu'elle me terrifie. J'aimerais lui dire qu'il n'a rien d'étrange. J'aimerais lui dire que je me sens bien avec lui. Que c'est lui, juste lui, que je veux. Mais les mots restent bloqués, quelque part entre ma poitrine et mes lèvres.
Alors, parce que je suis moi et que l'émotion brute, c'est un concept encore un peu trop vertigineux, je finis par souffler, un sourire en coin.
— Tu n'es pas étrange. Moins, en tout cas, qu'Henrik et sa personnalité extravagante et envahissante.
Il rit alors, un rire franc, presque libéré. Le son de son rire apaise l'atmosphère, et je sens un léger poids se dissiper. Son regard glisse vers nos mains entrelacées, ses doigts pâles comme l'albâtre, contre les miens, dorés par le soleil. Un contraste qui dit tout, sans même qu'on ait besoin de parler. La lumière et l'obscurité. Le jour et la nuit. L'impossible et... ce qui semble inévitable.
— Ça doit vouloir dire qu'il existe bien, quelque part, quelqu'un qui exauce les prières.
Je souris doucement, un sourire discret mais sincère, du genre qui se faufile sans prévenir et qui réchauffe l'intérieur. Sans trop y réfléchir, ma main se resserre un peu plus autour de la sienne. Il répond en serrant à son tour, un peu plus fort, un peu plus sûr, me tirant doucement vers lui. Il n'y a pas d'urgence dans ce mouvement, juste cette tendresse silencieuse qui s'installe, comme si elle avait toujours été là.
Je lève la tête, et nos regards s'accrochent, se retiennent. Plus de fuite possible. Plus envie de fuir, de toute façon.
— Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme toi, reprend-il enfin, et ses mots me touchent, me frôlent comme une caresse. C'est comme si tu avais toujours été là, comme si tu m'avais toujours manquée. C'est très nouveau pour moi, ce sentiment.
— Pour moi aussi.
Les mots résonnent en moi, et je réalise que peut-être, juste peut-être, nous sommes sur la même longueur d'onde. Une onde qui a mis du temps à se former, mais qui, à cet instant, semble parfaite, immobile et sans fin.
— On peut peut-être apprendre ensemble ? Doucement, mais sûrement. Sans se mettre de pression.
— Oui, dis-je dans un souffle, mes lèvres effleurant presque les siennes.
Un oui qui me vient du fond du cœur. Un oui qui se déploie en moi comme un serment, silencieux mais clair. Un peu comme celui que l'on prononce devant l'hôtel. Lourd de sens et scellant quelque chose de fort.
— Mais, j'ai peur, déclaré-je cependant, à mi-voix. Peur de souffrir à nouveau.
L'air semble se suspendre entre nous, et à cet instant, je me rends compte que nous avons tous les deux peur. Mais peut-être que la peur, dans sa forme la plus pure, peut aussi devenir une sorte de force. Et dans cette fragilité partagée, nous avons quelque chose de nouveau qui naît entre nous. Peut-être pas une promesse, mais quelque chose de plus. Un début.
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Chers lecteurs, chères lectrices, 🌙
J'espère que vous allez bien et que vous êtes plus à lire ce chapitre, où les zémotiongs sont en pagailles... 🎭
L'atmosphère change, les émotions s'intensifient, et Amalie se retrouve prise dans un tourbillon d'incertitudes et de désirs. Cette conversation avec Ørjan... Un simple échange et pourtant, l'électricité est là, insidieuse, troublante. Vous l'avez senti, vous aussi, n'est-ce pas ? Ce moment suspendu, où chaque réponse semble être un pas de plus vers leur rapprochement inévitable. Et on en parle de cette fin ! 🥹🖤
Merci à tous ceux qui suivent cette histoire avec passion, qui frissonnent avec Amalie et qui, tout comme elle, se demandent où tout cela va la mener. 🌑
Et vous, avez-vous déjà vécu ces échanges nocturnes ? Ces conversations qui vous laissent fébriles, hésitants entre le frisson et l'angoisse ? Racontez-moi, j'adore vous lire ! 💬✨
À dimanche prochain, même heure, même endroit, pour la suite... ⏳
A.E 🖤