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LeLapinaPlumes
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Chapitre 10

Non, Markus n’avait pas froid, mais Jasper préférait s’inquiéter pour rien. Parce que oui, maintenant, il s’inquiétait. Markus était fort, Markus maîtrisait ses émotions à la perfection – leur refoulement en tous cas – et Markus était le meilleur élève de la promo. Le plus âgé aussi, car il avait déjà un autre Master en économie des finances publiques obtenu avec brio sur ordre de son père après qu’il ait eu le droit de se distraire trois ans en fac de sociologie. Markus réussissait tout ce qu’il faisait, toujours, et Jasper l’admirait depuis longtemps.

Quand l’Oméga s’était endormi, épuisé, le front contre ses genoux, Jasper avait paniqué un peu et envisagé de rappeler à l’instant la médecin qui ne devait même pas encore avoir atteint sa voiture. Mais le jeune homme respirait régulièrement et il avait marmonné quelque chose lorsque l’Alpha l’avait soulevé pour le déposer au lit. Rassuré de le savoir conscient et tout bonnement exténué, Jasper s’était contenté de défaire le bouton de son pantalon et celui de sa chemise, puis il avait remonté la couette légère sur ses épaules. Il dormait depuis plusieurs heures déjà, le nez dans l’oreiller de l’Alpha, quand ce dernier avait fini par rejoindre son lit également. Et l’Oméga avait, dans son sommeil, collé ses pieds à ceux de Jasper, qui s’en était amusé en silence.

Donc Markus n’avait pas froid. Jasper avait demandé pour lui permettre d’avoir un prétexte pour chasser sa main des mèches de jais, qu’il caressait machinalement depuis qu’il l’avait rejoint sous les draps. Mais l’Oméga n’en fit rien, à la grande surprise de son camarade. Il murmura simplement :

— Non. Tout va bien.
— As-tu faim ?
— Non plus. J’suis juste crevé.

L’Oméga, déjà retombé dans un demi-sommeil, se tourna vers Jasper pour enfouir le nez contre lui, quêtant instinctivement les molécules odorantes qui l’apaiseraient. L’Alpha laissa ses cours choir sur le sol au pied du lit et s’allongea en ouvrant le bras pour que son ami vienne s’y blottir. Ce qu’il fit, à la plus grande surprise du jeune homme. Il éteignit la lumière, relâcha une bouffée de phéromones et murmura :

— Alors dors bien, Markus. À demain.

 Le lendemain, Markus ne quitta pas le lit. Jasper s’était préparé à une longue bataille à coups d’arguments et de contre-arguments, mais il n’en eut pas besoin : son amant dormit près de quinze heures d’affilée.

L’appartement était plongé dans la pénombre lorsque l’Oméga émergea. Son ami avait baissé les volets roulants pour le préserver de la lumière. Dès qu’il remua pour se redresser, Jasper fut près de lui.

Il s’assit au bord du lit et chassa une mèche brune des yeux de Markus.

— Comment vas-tu ?
— Je… suis fatigué. Désolé.
— Arrête d’être désolé et dors.

Jasper sourit, et tendit un verre d’eau que Markus but d’une traite. De la sueur perlait à son front, signe que la fièvre était encore présente, bien que plus faible que la veille.

— Tu peux te reposer plus longtemps. C’est ce que la médecin a dit, de toute façon. Je ne te laisserais pas partir d’ici, tu le sais hein ?

Markus secoua la tête. Il acceptait les soins que lui prodiguait l’Alpha, sans toujours bien admettre les raisons qu’il avait évoquées. Depuis plus d’un mois, trop de choses s’étaient produites, trop d’angoisses s’étaient ajoutées à celles qu’il vivait déjà au quotidien. Il avait fini par céder du terrain et consentir à s’en remettre à Jasper. Si ce dernier lui disait de dormir, alors, il dormirait. D’ailleurs, il avait sommeil. Bien trop sommeil pour penser. Pour même juste envisager de réfléchir.

Il s’était rallongé, les bras enserrant l’oreiller où il avait plongé le nez. Il dormait déjà presque lorsqu’il murmura :

— Phéromones. Encore.

Jasper ne put retenir le sourire qui éclaira son visage et se pencha, diffusant une bouffée des molécules apaisantes. Il épongea la sueur qui perlait aux tempes de Markus et, mu par une impulsion, l’embrassa juste là, où battait une petite veine bleue. Son Oméga.

***

Il fait une chaleur étouffante alors qu’on est seulement fin mai. Jasper a beau laisser les baies vitrées ouvertes, je ne peux que me tourner et me retourner entre les draps qui collent à ma peau. Je me sens aussi fiévreux qu’épuisé. C’est le troisième jour que je passe à dormir. La docteure est revenue, elle a insisté pour me faire une prise de sang, Et j’ai fini par accepter. Elle n’a rien trouvé. Même mes hormones sont plus stables depuis que Jasper prend soin de moi. Ce sont juste mes nerfs qui lâchent et ma fatigue qui me rattrape. Il faut que j’accepte de ne rien faire, de dormir, et que j’arrête de penser. J’essaie. J’essaie vraiment de n’être qu’ici et maintenant, de ne pas réfléchir, de ne pas avoir peur. De profiter du répit que Jasper m’offre. J’ai informé le majordome de mon père que je ne rentrerais pas à la maison pendant quelques jours parce que je travaillais avec des amis chez Jasper.

— Après les partiels, tu veux partir en vacances avec moi ?

Jasper vient de s’assoir au bord du lit, il a remarqué que j’étais réveillé. Il m’apporte un verre de jus de pomme et une tartine de miel. J’ai du mal à avaler autre chose et il fait son possible pour que je ne perde pas trop de forces.

Je me redresse et je cligne des yeux. J’ai l’impression d’être un vieux hibou décati. J’ai peur de ne pas avoir bien entendu.

— Quoi ?
— Cet été.

Il repousse une mèche de mes cheveux et me glisse le verre entre les mains.

— L’été je vais en général dans la maison de vacances qu’on a sur la côte en Bretagne, à la pointe, pour surfer. Il y a toujours du monde qui passe, d’autres qui restent un peu. Julie est déjà inscrite pour plusieurs semaines cet été, je crois. Est-ce que tu as envie de venir ?
— Je ne veux pas te déranger.
— Premièrement tu ne me déranges pas. Deuxièmement il faut qu’on reste ensemble pour que je continue de te couvrir de phéromones, et troisièmement si tu es loin de ta famille quelques semaines c’est autant de temps de gagné non ?
— Mmmh.

Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas, vraiment. Il me touche encore, il effleure ma joue du dos de la main, il pose sa paume sur mon front, et je m’habitue, je m’habitue tellement que je ferme les yeux et que je me détends, et je savoure son contact. C’est si étrange, si improbable, si inattendu que… que je ne sais pas quoi en penser.

— Réfléchis-y, juste. Ça ne presse pas.
— Oui. Oui.

J’ai toujours les yeux fermés et subitement je réalise que sa paume englobe ma joue et mon cou, ses doigts se glissent jusqu’à ma nuque et je frissonne. Je frémis. Je me tends un peu, parce que j’attends, j’attends… qu’il m’embrasse ?

Il m’embrasse. Sur le front, comme un enfant malade. Me dit de manger si j’y parviens, de penser à boire parce que je transpire, et que si ça va mieux demain on pourra réviser ensemble, ou se baigner.

Je me sens inexplicablement désappointé. J’avale mon jus de pomme, le sucre me réveille vaguement, la fraîcheur me soulage, et m’éclaircit les idées. J’espère qu’il n’a rien remarqué, qu’il a mis mon frisson sur la fièvre. Je finis mon pain, c’est la première tartine que j’arrive à terminer depuis que je suis malade et Jasper a l’air plus heureux que s’il avait décroché son diplôme avec mention.

Je ne sais plus quoi penser. Je n’ose pas me rallonger, j’ai peur des nausées. Je me cale dans les oreillers, je referme les yeux. La brise tiède balaie l’appartement et caresse mon épiderme. C’est agréable. Je vais me rendormir comme ça. Peut-être que demain j’irais me baigner. Le clapotis de l’eau dans la piscine me fait envie, et je tourne le regard vers elle. Jasper vient de plonger, presque sans une éclaboussure. Sa peau dorée reflète la lueur du soleil qui descend. Je ne sais pas quelle heure il est, mais tard, déjà, probablement. La nuit avance. Il est beau. Plus que la plupart des Alphas dominants que je connais. Il est sportif, ses muscles sont bien marqués, la ligne de sa mâchoire est nette et volontaire, et son biceps roule sous sa peau quand il repousse une boucle châtain qui tombe devant ses yeux, entraînée par le poids de l’eau. C’est un Alpha typique, mais pourtant il a quelque chose de différent. Il n’y a pas cette aura lourde autour de lui. Cette menace constante qu’ils trimballent avec eux.

Je me redresse pour mieux l’observer, et avant que j’aie pu le réaliser je me suis levé et je me tiens dans l’encadrement de la porte coulissante, entortillé dans le drap que j’ai traîné avec moi. Je chancelle un peu, mais c’est bon d’être debout. Je m’appuie au chambranle et je voudrais regarder la vue sur Paris, mais mes yeux reviennent toujours se poser sur lui, qui fait des longueurs. Le rythme régulier de sa nage fait un bruit agréable, presque comme une pulsation. C’est apaisant. Je ferme les paupières un moment et le tends vers le soleil pour qu’il baigne mon visage.

Je sens mes muscles se détendre, timidement, sous l’effet de la chaleur. Mon front se lisse, mes joues, ma mâchoire se décontractent. Je laisse ma tête tomber vers l’avant, puis l’arrière. Ma nuque se libère aussi des contractures. Mes épaules roulent, et s’abaissent un peu. J’exhale lentement.

Je suis bien.

Pour la première fois depuis longtemps, je suis reposé. Serein.

***

Jasper avait cessé de nager depuis un moment déjà. Il se laissait flotter, immobile, le menton posé sur ses mains appuyées à la margelle. Le regard rivé sur Markus. L’Oméga avait les yeux fermés, et semblait savourer les derniers rayons du soleil couchant. Mince, les traits délicats, ses cheveux noirs étaient en désordre et des mèches moites étaient collées à ses tempes. L’Alpha lui trouvait un air plus détendu… À la réflexion, il ne l’avait jamais vu avec un visage aussi calme et reposé.

Il dut lutter de toutes ses forces pour contrôler la bouffée de phéromones teintées de désir qui l’envahissait.

Plus tard.

Pas maintenant. Mais plus, tard, quand Markus serait en chaleurs, quand il aurait vraiment envie, ou besoin tout du moins. À ce moment-là, il pourrait le dévorer de baisers. Lécher la sueur au creux de ses clavicules. Sucer le bout de ses doigts. De sa langue. Caresser le creux de ses reins, parsemés d’un léger duvet brun. Mordre son épaule. S’enivrer de ses phéromones si subtiles, si rares et si puissantes. Humer son cou. Baiser son ventre, du bout des lèvres. Picorer l’intérieur de ses cuisses, l’entendre gémir, et soupirer, et supplier. Râler de plaisir. Mordre, mordre sa nuq… Non, non, pas ça, jamais.

Jasper passa la langue sur ses dents, sur ses canines, comme pour se rassurer lui-même. Il avait la maîtrise. Jamais il ne mordrait quiconque. On ne marque pas les gens, pas sans consentement, jamais. Au même titre que tout ce qui concerne le corps des autres.

Non, pas sa nuque. Mais sa hanche, oui, mordre sa hanche, et la lécher. Mordre sa cuisse, puis l’embrasser. Sucer chacun de ses orteils, et la plante de son pied. Savourer chaque frisson qu’il pourrait lui arracher. Le faire vriller de plaisir, jusqu’à ce que lui-même morde, et griffe son dos, et supplie, et gémisse, et jouisse, jouisse si fort qu’il en serait enfin apaisé et…

— Tu me regardes depuis longtemps ?

Jasper s’empourpra violemment.

— À peine une minute. Tu es magnifique.
— Tu parles. J’ai des cernes jusqu’aux genoux et je pue la sueur et la maladie. Tu ne sors pas de l’eau ?

Le baigneur sourit légèrement, ayant retrouvé un semblant de contenance. Il lui était plaisant de constater que le langage de Markus était plus détendu aussi. L’Oméga avait toujours été très pointilleux sur la manière dont il présentait et prenait autant soin de son apparence que de son vocabulaire. L’entendre employer un ton plus familier était un privilège rare. Voire unique. Jasper était ravi.

— Je vais faire encore quelques longueurs.
— Est-ce que je peux prendre une douche ?
— Bien sûr, tu n’as pas besoin de demander ça, tes affaires sont prêtes dans la salle de bain. Tu veux de l’aide ?

Markus déclina, et Jasper profita de son absence pour noyer son désir au fond de la piscine, en nageant jusqu’à en perdre le souffle. Puis il s’employa à changer les draps, pour que Markus puisse se coucher à nouveau. Les partiels approchaient, et il fallait qu’il reprenne des forces.[1] [2] [3] 

 Les examens arrivèrent à la vitesse de l’éclair. Les chaleurs de Markus eurent le bon goût de les précéder d’une semaine, de tomber sur un weekend et de ne durer que quatre jours, ce qui fut un soulagement pour l’Oméga… et pour l’Alpha, qui put enfin rassasier la faim dévorante qu’il avait du corps de son amant.

Dix jours plus tard, l’année universitaire était terminée et Jasper tournait chez lui comme un lion en cage. Lorsque Markus poussa la porte du loft, il bondit, fou d’inquiétude, et le serra contre lui, le nez enfoui dans le foulard de soie beige que l’Oméga avait enroulé à son col.

— Où étais-tu ? Deux jours sans nouvelles, je devenais dingue Markus !

Comme une digue cédant lentement, le jeune homme s’affaissa dans les bras de l’Alpha et murmura d’une voix blanche :

— Je n’ai jamais été aussi humilié de ma vie…

D’une main fébrile, il tira sur le foulard de soie, révélant un tissu noir chatoyant collé tout autour de son cou.

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