— Maman !
— Je suis désolée, Jasper.
Il en fallait, de la force, pour retenir un Alpha désespéré. Mais Claire Tahéal était une femme forte. Jasper ne sortit pas assez vite pour retenir son amant. Sur le perron, son père se joignit à sa mère pour le contenir. Et le repousser à l'intérieur, car il était toujours nu comme au jour de sa naissance.
— Maman...
À genoux au pied des marches d'acier, Jasper sanglotait. Il ne comprenait même pas exactement ce qui venait de se produire. Markus avait dit « à bientôt ». Il devrait donc être rassuré, savoir qu'il allait rentrer après sa... sa quoi ? Mais Jasper savait. Sans comprendre, sans avoir entendu l'échange entre son Oméga et sa mère, il savait. Que son âme venait d'être tranchée. Que rien ne serait plus jamais comme avant. Qu'il était condamné à vivre une demie vie, pour toute la vie. Que Markus ne reviendrait jamais. Recroquevillé sur l'acier glacial, il se débattait avec des sentiments d'une telle violence qu'ils teintaient jusqu'à ses phéromones, dont l'odeur âcre suffoqua ses deux parents.
Claire regarda son mari, une lueur paniquée dans le regard. Karl lui renvoya la même inquiétude. D'ordinaire, c'était elle qui gérait les situations de crise. Lorsque Jasper s'était ouvert l'arcade à l'âge de six ans, c'était elle qui avait rassuré leur enfant pendant que lui se tordait les mains en les regardant. Lorsque Jasper était tombé d'un arbre à l'âge de dix ans, lors de leurs vacances estivales, c'était elle qui avait appelé les secours et maintenu la nuque de leur fils immobile jusqu'à leur arrivée. Lorsque Jasper avait décroché, à l'école, peu après son premier rut, c'était encore elle qui avait pris le taureau par les cornes et fait le lien entre cette brusque poussée hormonale et la chute des résultats scolaires. Lorsque Jasper avait rencontré Markus, c'était elle encore qui avait compris que cela serait compliqué. Claire avait toujours une solution.
Si elle paniquait de voir leur fils ainsi, c'est que la situation était vraiment très grave. Mais il n'était pas question de se laisser abattre.
Karl souleva son fils par les aisselles en grognant. À eux deux, ils le guidèrent jusqu'au sofa, où ils le couvrirent d'un plaid pour préserver le semblait de dignité qu'il lui restait. Non que la nudité de leur fils les gêne, mais plus pour éviter que lui ne le soit, quand il aurait retrouvé ses esprits.
— Maman...
— Je suis là, mon chéri.
Elle se glissa sur le sofa, et l'Alpha posa sa tête sur ses genoux, comme lorsqu'il avait huit ans et un gros bobo. Elle caressa ses cheveux. Diffusa des phéromones qu'elle n'avait plus utilisées depuis des années, celles d'un Oméga pour son tout petit. Karl fit ce qu'il faisait toujours dans ces moments-là pour se sentir utile : à manger.
En l'occurrence, il se contenta de faire bouillir de l'eau pour du thé et d'ouvrir un paquet de biscuits que personne ne mangerait, mais au moins il avait fait quelque chose. Il rejoignit sa famille sur le sofa, soulevant les jambes de son fils pour se glisser dessous après avoir tendu un mug fumant à sa femme. Tant que Jasper n'aurait pas fini de pleurer, puis dormi de longues heures pour récupérer de son rut, il n'y avait rien à faire. Et d'ici là, ils auraient peut-être des nouvelles de Markus. Peut-être. Ou alors, Claire aurait activé ses contacts pour tenter d'en obtenir.
Elle regarda son mari par-dessus le corps de leur garçon et soupira. Jamais elle n'aurait pensé vivre une telle situation. Les yeux noisette de son mari lui répondirent que lui non plus. Il tendit le bras pour entrelacer ses doigts aux siens et mêla ses phéromones paternelles à celle de son épouse. Jamais ils n'avaient vu leur enfant dans un tel état de souffrance. Jasper avait toujours été plein de vie et en bonne santé, et s'il avait été familier des Urgences pendant son enfance et son adolescence, c'était surtout dû à sa témérité et son goût des sports extrêmes. En apprivoisant ses hormones, il avait appris à ralentir et de mémoire parentale il n'y avait que la méningite de ses seize ans qui avait réussi à le terrasser. Mais même là. Même criant, la tête entre les mains, pendant la ponction lombaire, Jasper n'avait pas eu l'air aussi désespéré.
Oui, à la réflexion, la dernière fois qu'ils s'étaient tenus comme ça tous les trois, la dernière fois qu'il avait fallu des phéromones parentales c'était pendant la méningite. Cette fois-là ils avaient retrouvé le rituel parental, Claire caressant les cheveux de leur fils et Karl lui frottant les jambes, comme lorsqu'il était tout petit et fiévreux. Ils n'auraient jamais imaginé s'y retrouver encore, près de huit ans plus tard, pour contenir un cœur brisé.
Les minutes s'égrenaient, interminables.
Jasper n'avait trouvé le sommeil que de longues heures plus tard, et ses parents n'avaient pas bougé pendant encore longtemps. Puis Karl avait remplacé Claire, servant d'oreiller à leur enfant jusqu'à la nuit tandis que son épouse retournait à son bureau pour régler des affaires urgentes... et surtout tenter d'en savoir plus sur ce qui poussait un ministre comme Dompérain à envoyer les services secrets de l'État cueillir son fils au petit jour chez son compagnon.
À la nuit tombée, elle avait reparu et si elle s'était douchée et vêtue d'un jogging et d'une vieille chemise de son mari comme toujours lorsqu'elle rentrait chez elle, cela n'avait pas réussi à laver la fatigue et l'inquiétude de son visage. Elle avait repris sa place sous la tête de son enfant et Karl était retourné à sa mission : nourrir sa famille.
C'est l'odeur qui avait fini par faire émerger Jasper.
Il se redressa brutalement. Comme un noyé qui prend sa première inspiration.
— Markus...
Il ramena ses genoux sous son menton et son père, accouru de l'espace cuisine en trois enjambées, ajusta le plaid sur ses épaules. Claire passa une main sur la joue de son fils, pour attirer son attention. Il coula un regard vers elle.
— Veux-tu prendre une douche ?
Il secoua la tête.
— Manger ?
Nouveau refus.
— T'habiller ?
— Où est Markus ?
Claire soupira, et Karl pressa les épaules de son fils des deux mains.
— Vous savez où il est ou pas ? rugit Jasper, brusquement exaspéré.
— Au Palais présidentiel, mon chéri. Il est fiancé à l'Alpha dominant de la Présidente. Enfin il va l'être. S'ils arrivent à le dompter.
Elle eut une petite moue fiérote, comme si elle parlait de son propre fils.
— La presse a les mains liées, mais on arrive toujours à avoir quelques infos même si nous ne pouvons pas les publier. Il semblerait qu'il n'ait pas été très aimable. Il va leur donner du fil à retordre.
Elle caressa la joue de son fils.
— Ça va être long, mon chéri. Et je ne peux te promettre qu'une seule chose : c'est de ne jamais abandonner.
— Il faut que tu tiennes le coup, Doudou. Il va avoir besoin que tu sois solide.
***
Il ne plaisantait pas quand il disait que « mon » Alpha m'attendait au Palais présidentiel. C'est bien là que me conduit Paul, et maintenant que les grilles se referment derrière notre convoi, je doute que cela soit pour une entrevue avec mon père. Putain, j'aurais bien attendu un peu avant de me faire tabasser par un Alpha furieux, je ne suis pas encore vraiment remis du rut du mien. Je ravale la boule d'angoisse qui s'installe dans ma gorge et j'inspire profondément dans mon sweat, laissant l'odeur de Jasper faire son effet. Je me détends. Je garde les idées claires. Je garde la tête haute. Machinalement, je frotte mes joues. Et ravale un glapissement. Je viens de rouvrir les griffures que Jasper y a faites il y a moins de deux jours.
Eh bien, comme ça au moins l'Alpha que l'on m'a attribué sera prévenu. Je ne suis pas à lui.
La voiture s'arrête au pied des marches et je repousse la capuche que j'avais relevée pour ne plus voir le secrétaire de mon géniteur. Je me recoiffe avec mes doigts et j'habille mon visage ensanglanté de la morgue qui faisait ma renommée parmi mes camarades de promo. En haut des marches, le comité d'accueil est réduit. Sans doute n'était-il pas prévu que l'Oméga Dompérain soit si récalcitrant et l'on aura préféré ne pas faire de vague.
Je saisis ma besace mais Paul me l'arrache d'un geste sec et je vois mon dernier espoir de communication avec Jasper m'échapper. Peut-être est-ce mieux comme ça. Il aura plus de facilités à passer à autre chose. Je hausse une épaule, comme si je me désintéressais de la question, et sors de la voiture sans attendre les ordres. Si nous sommes garés, c'est que nous sommes attendus.
Le dos droit, je gravis les marches du perron. Mon père et la Présidente à Vie arrivent en même temps que nous, mais j'avais déjà reconnu la personne qui patientait nonchalamment en haut des marches.
— Christopher, bonjour. Je mentirais si je disais que tu n'as pas du tout changé depuis la dernière fois que je t'ai vu lorsque nous jouions avec nos frères dans le parc du Palais.
Son regard glisse sur moi, s'écarquille un bref instant pour aller fusiller Paul, un pas derrière moi.
— QU'EST-CE QUE VOUS LUI AVEZ FAIT ?
— MARKUS ! rugit mon père en même temps.
Je vois la main de mon père s'élever et je me prépare à accuser le coup, mais deux bras puissants s'emparent de moi et des phéromones Alpha furieuses envahissent mon nez. Je frémis de dégoût.
— Ne le touchez pas !
La voix de Christopher vibre de colère. Pourtant elle est incroyablement basse quand il chuchote à mon oreille « S'il te plait laisse-moi faire ». Et de nouveau furieuse quand d'une voix blanche il assène :
— Ce n'est plus votre Oméga, Monsieur le Ministre. Vous me l'avez donné. À ce titre, je vous interdis, comme à quiconque, de lever la main sur mon bien.
Une nouvelle poussée de phéromones manque de me faire vomir mais je ravale la bile amère qui me monte à la gorge et redresse le menton avec morgue. Je ne comprends absolument rien de ce qu'il se passe autour de moi mais si Christopher estime que mon père n'a plus le droit de me cogner je signe des deux mains, c'est toujours ça de pris, même si je ne sais pas ce qui m'attend derrière.
De l'index, j'essuie la perle de sang qui coule sur mon menton et je la porte à ma bouche. À ma taille, le bras de Christopher s'affermit encore, marquant clairement la possessivité typique des Alphas. Cela me révulse, mais je n'en montre rien. Ce n'est pas le moment.
— Monsieur, vous n'ignorez pas d'où arrive votre Oméga. Je vous prie de croire que ce n'est pas moi qui ai marqué ainsi son visage, pérore Paul dans mon dos. Loin de moi l'idée de me substituer à vous pour le corriger.
— Fort bien. Ne vous approchez plus de lui. Jamais. Markus, viens.
Je n'ai pas tellement le choix : son bras n'a pas lâché ma taille, et il m'embarque sans plus de cérémonie vers... eh bien je ne sais pas, mais la seule personne à lui emboiter le pas est l'homme en costume qui se tenait près de lui tout ce temps.
Les phéromones refluent à mesure que nous nous enfonçons dans les corridors du Palais présidentiel. Je concentre les miennes. C'est-à-dire que je réalise que je suis capable de le faire justement parce que je le fais inconsciemment. Christopher me relâche alors que nous franchissons une énième porte, qui cette fois débouche sur un logement. Le sien, si j'en crois l'odeur d'Alpha dominant qui y flotte.
L'homme qui nous suit referme la porte et la verrouille. Christopher me conduit jusqu'au salon et saisit un mouchoir sur la console pour me tamponner la joue. Je tressaille et recule d'un pas, concentrant à nouveau mes phéromones.
— Je ne te veux pas de mal, Markus.
— Je voudrais dormir.
C'est faux, mais j'ai dit la première chose qui me passe par la tête. J'ai surtout besoin d'être seul et de réfléchir. Même si c'est vrai qu'avec quelques heures de sommeil en plus j'y verrais certainement plus clair. Je ne suis pas en état de réfléchir et je n'agis qu'à l'instinct, ça n'est pas le moment. Il faut que je me méfie même de moi-même.
— Mmh. Bien sûr. J'ai exigé que tu sois logé chez moi, ta chambre est prête. Tu peux dormir en sécurité. La chambre ferme de l'intérieur et l'on n'y accède que depuis chez moi. Et personne n'entre chez moi hormis mes Alphas et quelques membres de mon service de sécurité. Tu ne crains rien. Vraiment.
Je n'ai rien compris. Mais je hoche la tête sans me départir de mon attitude habituelle et lui emboite le pas. La chambre qu'il m'indique est froide et impersonnelle, mais elle a le mérite d'être lumineuse et bien ventilée, exempte de phéromones alphas. Je m'y enferme puisqu'il m'a proposé de le faire.
Et je fais les cents pas, me repassant en boucle le déroulé des événements de la matinée. Je ne comprends pas. Je ne sais pas qui veut quoi dans cet imbroglio. Christopher est le fils ainé de la Présidente, l'Alpha dominant, et manifestement c'est à lui que mon père me marie. Il a d'ailleurs marqué nettement son appropriation. Mais il ne m'a pas reproché une seule fois de sortir des draps de Jasper. Pourquoi ?
Bon sang, qu'est-ce qu'il me manque. Déjà. Je sais que je ne le reverrai jamais, mais je n'arrive pas à me raisonner, à réfléchir pour me sortir de là alors que chaque cellule de mon corps ne réclame qu'une chose : les phéromones apaisantes de mon Alpha. Celles de Christopher se sont accrochées à mes vêtements et si elles ne recouvrent pas celles de Jasper, ça n'est déjà plus tout à fait pareil.
Pourtant, j'y enfouis le nez et j'inspire. Longuement.
Puis, sans que je sache comment, je me réveille enroulé dans la couette et des coups retentissent à la porte.
— Markus, j'ai vraiment besoin que tu ouvres. Ça commence à être flippant et je voudrais bien ne pas devoir briser la serrure.
Je me frotte un œil et je me traine pour tourner la clé dans la serrure. Je suis trop crevé pour réfléchir, je ne suis même pas certain de qui me parle. Je crois que c'est Christopher. Je me laisse couler au sol parce que mes jambes ne me portent pas.
— Putain !
Ouais, c'est Christopher. Il me soulève et j'ai un haut le cœur en sentant ses phéromones de trop près. Il me dépose sur mon lit et je m'enroule dans la couette à nouveau. Pour enfermer les phéromones de Jasper contre moi. J'enfouis le nez dans mon col pour ne pas sentir les odeurs des deux Alphas qui me font face. Christopher s'est reculé et il tire une drôle de tête, mais l'autre s'approche et tend la main vers moi. Je découvre les dents et gronde, comme un animal. Il s'éloigne.
— Je voulais juste m'assurer que tu n'avais pas de fièvre et pincer ta peau pour vérifier si tu es déshydraté, Markus. Tu n'as pas donné signe de vie depuis hier matin.
Je le regarde sans un mot. Il me tutoie alors que je ne connais même pas son prénom. Puis je tourne mon regard neutre vers Christopher et hausse un sourcil interrogatif. Il semble comprendre, puisqu'il fait les présentations.
— Rémi est mon garde du corps personnel depuis quinze ans. C'est aussi mon secrétaire et mon Alpha. Un de mes, plus exactement.
Je m'étrangle un peu avec l'eau que l'homme – Rémi – vient de me tendre. Je tousse, crache, et retrouve vaguement la parole.
— Pardon ?
— Bois, Markus, et mange, tant que tu y es. Les explications vont être longues et tu as vraiment une sale tête, sans vouloir t'offenser. Prends ton temps. Tu n'es pas obligé de jouer ton rôle ici.
Quel rôle, bordel ? Je suis censé être un connard hautain aux yeux de tout le monde, y compris les siens. Surtout les siens. Je veux qu'il me déteste et qu'il se trouve un autre Oméga. Je veux mon Alpha. À moi. Le mien. Et personne d'autre.
Je secoue la tête, essaie de rassembler toute mon énergie pour afficher mon visage habituel et j'engloutis le verre d'eau. Le sol cesse un peu de tanguer. Je le tends sans un mot au type près de moi et il le remplit, comprenant ma requête muette. J'ai plus soif que faim, à vrai dire.
Je bois encore et repose le verre vide près du lit, indiquant que je suis prêt à l'écouter.
— Tu te souviens de la dernière fois que nous nous sommes vus ?
— On était ados. Enfin surtout Achille et toi.
— C'était juste avant mon premier rut.
Je hoche la tête. En effet, il devait avoir dans les quinze ans, et moi quelques années de moins.
— Je ne supporte pas les phéromones Oméga. C'est plus fréquent qu'on ne le croit, mais assez honteux... Plus encore quand tu es l'Alpha dominant de la Présidente à Vie. Elle m'a immédiatement envoyé aux États-Unis. Officiellement pour y faire des études, que j'ai faites. Officieusement pour chercher comment m'y « soigner ». Je te la fais courte hein, mais ça ne se guérit pas, on vit avec. Elle ne le sait pas, pas vraiment, en tous cas elle pense que maintenant je les tolère. Mais si j'ai pu m'approcher de toi hier pour empêcher ton connard de père de te toucher c'est grâce à ton Alpha, hein. Ce mec est un grand malade possessif, tu sais ça ? Bref. Je ne peux pas m'approcher de toi, Markus. Tu n'as même pas besoin d'utiliser des phéromones comme des armes, juste de les diffuser, et tu me plies en deux au-dessus des chiottes, OK ?
— Je peux essayer ?
Je le vois déglutir. Clairement, il n'a pas envie. Est-ce parce qu'il ment, ou parce qu'il a peur de ce que je pourrais lui faire ?
— Est-ce que ça peut attendre que nous ayons fini de parler ?
Je hoche la tête. Il reprend donc.
— En vérité, ça ne me dérange pas tellement de souffrir de ce trouble hormonal car je préfère les Alphas. Je suis l'exact opposé de ce que ma mère voudrait que je sois, Markus. Polyamoureux, presque asexuel et Alpharomantique. Ça fait cinq ans qu'elle m'a rappelé ici pour me confier des responsabilités et me former à prendre sa suite, et ça fait cinq ans que je flippe qu'elle me marie à un Oméga. Tu n'imagines pas à quel point je suis soulagé que ça soit toi, que je connaissais un peu, et surtout un Oméga déjà manifestement attaché à un autre Alpha.
— Stop.
Il me regarde d'un drôle d'air.
— C'est trop d'informations. Et trop de mots nouveaux. Et pas assez d'heures de sommeil. Et trop différent de ce à quoi je m'attendais. Qu'est-ce que tu veux, Christopher ? Qu'est-ce que tu attends de moi ?
— Hum. J'attends de toi un minimum de confiance. Je viens de remettre, littéralement, ma vie entre tes mains. Cela nous met à égalité, puisqu'aux yeux de tous la tienne est entre les miennes. C'est une preuve de ma bonne foi. Si cette information sort de cette pièce, je risque ma vie. Ma mère se méfie énormément de moi et de mes agissements. Ta présence ici, c'est un test. Ma réaction face à ton père et ma pseudo possessivité, c'est pour nous protéger. Tous les deux. Tous les trois, à vrai dire.
La main du garde du corps s'est posée sur son épaule et les longs doigts de Christopher se glissent sur eux d'une manière qui n'est clairement pas professionnelle. Ni amicale.
— C'est Alpharomantique que tu ne connaissais pas ?
— Mmmh et polyamoureux. Enfin non, mais presque.
— Je peux être, et suis actuellement d'ailleurs, amoureux de plusieurs personnes. Tous Alphas. Personne ne le sait. Sauf les deux concernés... Et toi, à présent. Tu comprends l'énormité de la confiance que je t'accorde et du pouvoir que tu as sur moi à présent ?
Je hoche la tête, toujours aussi perplexe.
— Mais pourquoi ?
— Pourquoi je te l'ai dit ou pourquoi je te fais confiance ?
— Les deux ?
— Parce que je suis comme toi, Markus. Je ne veux pas t'épouser et faire une chiée de bons petits Alphas dominants pour prendre le pouvoir après ma mère puis moi. Je hais ce monde où je ne peux pas être moi-même. Et pourquoi je te fais confiance ? Tout simplement pour gagner la tienne. Par pure nécessité et pragmatisme. Pour nous mettre à égalité. Je connais l'existence de Jasper et tu connais celle de Rémi. Il me semble préférable de nous allier pour voir comment surnager dans ce merdier plutôt que nous haïr et nous retrouver coincés dans une situation aussi odieuse pour les uns que pour les autres.
— Quand est-ce que je pourrais voir Jasper ?
Il grimace.
— Pour le moment, tu es censé être un Oméga que je plie à ma volonté d'Alpha dominant pas content d'avoir dû aller te chercher dans les draps d'un autre. Alors je crains que ça ne puisse pas se faire avant très longtemps.
— Ou jamais.
Il grimace encore, sans répondre.
— Je vois. On est à égalité mais pas trop, quand même.
Je coule un regard vers leurs mains toujours jointes, la pâle et la sombre, et honnêtement je crève de haine et de jalousie. Je veux mon Alpha tellement fort que j'en tremble. J'en suffoque.
— Je voudrais dormir, maintenant.
Et sans attendre de réponse de leur part, je me rallonge, recroquevillé sous l'énorme couette malgré la chaleur, le nez dans mon sweat pour y chercher les phéromones de Jasper.
— Ne t'enferme plus s'il te plait, si tu peux au moins nous faire confiance sur ça. Afin que l'on puisse s'assurer que tu ailles bien et venir t'apporter à manger et à boire. S'il te plait Markus. Laisse-moi au moins prendre un minimum soin de toi. En toute... je sais pas, amitié ?
Je ne réponds pas. Mais je ne me relève pas pour tourner la clé lorsqu'ils referment la porte derrière eux non plus.