Jusqu'au petit jour. Ou peut-être même un peu plus tard. Je ne sais pas. Après la première fois, c'est moi qui aie eu envie le plus vite. Mais ensuite, ça a été lui. Après, je ne sais plus très bien. Jasper nous a apporté à boire plusieurs fois. Il est même descendu nous faire des sandwiches au milieu de la nuit, ça je m'en souviens parce que je somnolais dans les oreillers en me demandant comment j'allais survivre à la journée du lendemain sans les mains et sur un seul pied quand j'ai senti qu'il me posait un plateau sur les genoux. Il avait pris le temps de faire des vrais sandwiches, garnis de tomates et de fromage, de salade et de jambon. Et un thé chai fumait dans deux mugs qu'il avait posés en sécurité sur la table de chevet. Royal.
Il avait aussi ouvert les baies vitrées en grand, et la brise évacuait les phéromones qui saturaient l'air de notre chambre en agitant les voilages beiges doucement.
Et dès la dernière bouchée avalée, il m'a embrassé le ventre en murmurant encore une fois « c'est grave si j'ai envie de recommencer ? »
Je ne sais pas combien de fois il m'a taquiné en reprenant mes mots à son compte cette nuit, mais je n'arrive pas à lui en vouloir.
Il dort contre mon dos, je sens son souffle régulier. Et moi... moi j'ai déjà envie de recommencer. Je n'ose pas bouger, pas trop, mais c'est plus fort que moi et je remue un peu mon bassin contre le sien. Il ne doit pas dormir très profondément parce que son corps réagit et je voudrais déjà le glisser dans le mien mais... il m'en empêche, et je l'entends fouiller le tiroir derrière lui d'une main molle.
— Jaspeeeer...
J'enrage de ne pas avoir les mains libres. Si je n'avais pas ces foutues blessures, je pourrais glisser un bras entre nous pour aller chercher ce que je veux. Mais là, là, je dois me contenter de me tortiller contre lui et il me retient. Il m'empêche. Je sais pourquoi, je sais ce qu'il est en train de faire, je sais qu'il a raison parce que je suis hyperfertile et qu'il ne faut prendre aucun risque même si nous prenons des contraceptifs tous les deux. Mais ça me frustre quand même.
Une pluie de baisers s'abat sur ma nuque et j'entends le bruit caractéristique du sachet métallisé. Je frémis, parce que sa bouche muse encore dans mon cou, et son souffle chaud s'égare derrière mon oreille. Il me fait patienter de la pire des manières. En augmentant mon désir. J'ai tellement, tellement envie... Non, besoin. J'ai besoin de le sentir là. J'ai besoin qu'il m'enlace encore, qu'il revienne tout contre moi, qu'il...
Je n'ai plus peur de mes soupirs, et c'en est un long qui m'échappe quand il se recolle enfin à moi, dans mon dos, et que je le sens enfin là où je l'attendais.
Il m'enlace et je me tortille à nouveau, pour être parfaitement contenu, calé, pour que mon corps épouse parfaitement le sien. Il pose son menton sur mon épaule et je sens qu'il a encore les yeux fermés. Mais j'entends le sourire dans sa voix quand il murmure contre mon oreille :
— Bonjour. Bien dormi ?
Je ris tout bas.
— Très.
Nous ne bougeons pas vraiment. Nous sommes trop ensommeillés pour remettre le couvert. Il reste juste là, au creux de moi. Il n'y a que nos bassins qui remuent, presque imperceptiblement. Et sa main gauche, qui caresse mon ventre, délicate. Je ne savais pas que le sexe pouvait être aussi doux. Tendre. Lent. Si lent... On se berce mutuellement. Jouissons chacun notre tour, presque en[1] silence. Moi d'abord, parce que ses doigts se sont égarés bien plus bas que mon ventre et qu'il n'a pas fallu longtemps pour que le plaisir me submerge. Lui, peu de temps après.
Je ne sais pas lequel de nous deux s'est rendormi en premier, mais lorsque j'ai rouvert les yeux, il n'était plus à côté de moi et le soleil était haut dans le ciel.
Je me redresse, et réalise par la même occasion que se redresser dans un lit sans pouvoir prendre appui sur ses paumes relève de l'exploit. J'en grogne de frustration.
— Markus ?
Jasper vient de passer la porte, nu comme un ver. Il frottait ses cheveux en entrant, mais se dépêche de nouer sa serviette autour de ses reins.
— Pardon.
Je hausse un sourcil, curieux. Et devant mon air perplexe, il explique en refermant la porte de la chambre :
— Je pensais que tu dormais encore, sinon je ne serais pas... je n'aurais pas...
Je ne peux pas retenir le rire qui me secoue le ventre.
— Sérieusement ? Jasper, tu ne crois pas que j'ai vu tout ce qu'il y avait à voir cette nuit ?
Est-ce que je rêve, ou bien est-ce qu'il rougit un peu ? Oui, il a rougi. Mais très vite, il esquisse un sourire.
Il s'approche de moi et se penche pour poser un baiser sur mon front. Je dois tendre le museau pour qu'il ose embrasser mes lèvres. Je me niche contre lui et je le hume. Il utilise toujours des savons neutres en odeur, parce qu'il porte ses phéromones comme du parfum. Et bon sang, qu'elles sont délicieuses. Je l'entends se racler un peu la gorge, comme s'il était mal à l'aise, et je m'écarte.
— Désolé. Je suis tout poisseux et tu sors de la douche.
C'est à son tour de rire un peu. Sa main joue dans mes cheveux après qu'il m'ait de nouveau attiré contre lui.
— Je m'en fiche que tu sois poisseux. C'est juste... J'avais tellement peur que tu aies des regrets...
Je me mordille la lèvre.
***
— Les seuls que j'aie concernent plus mon incapacité à reconnaître que... enfin à en parler. Si j'avais osé, on aurait gagné du temps.
Et du temps, ils n'en avaient plus tant que cela. Jasper faisait tout pour ne pas y songer, mais Markus venait de le souligner : à la fin de l'été, l'Oméga devrait réintégrer le giron familial et se plier à l'avenir qu'on lui y préparait.
L'Alpha frissonna. C'était trop tôt pour y penser. Ils ne pouvaient pas... Ils ne devaient pas... Il fallait rester dans leur bulle, ici et maintenant, et remettre à plus tard ce qui, de toute façon, semblait inévitable. On ne lutte pas contre un homme aussi puissant que Pierre de Dompérain.
Alors Jasper fit ce qu'il faisait de mieux en ce moment : se concentrer sur le présent, et sur Markus. Markus qui sentait si fort leurs phéromones mêlées et leurs émois de la nuit passée.
Jasper glissa les doigts dans les mèches brunes de son amant et l'attira de nouveau contre lui.
— J'aurais pu le faire aussi. Ne te reproche pas des choses pareilles. As-tu envie de te laver aussi ? Je te fais couler un nouveau bain ?
— Mmmh. Je vais plutôt aller prendre une douche.
Jasper objecta que l'opération lui semblait compromise, car il était exclu que Markus mouille les paumes de ses mains, et qu'il ne devait pas poser son pied pour encore au moins deux ou trois jours.
Ils parvinrent à un compromis obtenu de haute lutte par l'Alpha, qui voyait bien que son Oméga ne voulait pas dépendre de lui mais qui ne trouvait pas vraiment d'autre solution que celle qu'il lui proposait : le faire assoir dans la baignoire et l'y doucher en s'occupant de lui.
— Mais je vais encore avoir envie de toi si tu me savonnes !
— Mais non. Promis. Je serai très désagréable.
L'Alpha tint parole : il savonna son amant aussi rudement qu'un aide-soignant stressé dans une maison de retraite mal gérée. Ce qui déclencha l'hilarité de l'Oméga, qui se tortillait sous l'eau savonneuse comme un enfant.
Jasper était au septième ciel. Il n'avait jamais vu Markus rire aux éclats. Il en savoura le son à l'envi, jusqu'à ce que l'Oméga le supplie d'arrêter et le sorte de la baignoire. Il l'aida à se vêtir et à descendre les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée. Certains de leurs amis[2] [3] [4] s'apprêtaient à partir, et d'autres arriveraient prendre leur place un peu plus tard dans la soirée.
Durant les quelques heures où ils ne furent qu'à quatre, Jasper ne quitta pas Markus, qui rougissait dès que leurs peaux se frôlaient un peu trop. Juan les regardait d'un air de plus en plus suspicieux et lorsque Jasper posa sur la table basse de la terrasse leur troisième café de l'après-midi, le jeune Oméga finit par s'écrier :
— Mais qu'est-ce qu'il se passe entre vous deux ? Vous rougissez comme des adolescents qui viennent de se faire leur premier bisou là !
Julie esquissa un sourire alors que les deux accusés faisaient de leur mieux pour nier tout changement dans leurs attitudes respectives.
— Moi je crois qu'ils sont enfin un vrai couple, maintenant.
Julie, qui revenait de la cuisine avec un peu de lait à ajouter dans son café, parce que Jasper refusait toujours de lui en apporter « au nom du respect dû à ce breuvage sacré », se rassit face à ses amis. Markus la regardait, bouche bée.
— Je... Comment...
— À force de vous observer. Et je connais Jasper depuis longtemps. Quand il est en couple il est très tactile. Toi, il te laissait de l'air bien qu'il te recouvre de phéromones. Alors que ça, il ne le faisait jamais. Il est aux petits soins avec toi et... je ne sais pas, je le connais, ça se voit qu'il crève d'amour pour toi. Et qu'il était trop impressionné par toi pour te l'avouer. Ajoute à ça le fait que je sache que tu ne dois pas révéler à ta famille que tu n'es pas récessif, finalement... Voilà.
Markus prit à peine le temps de réfléchir. De la main gauche, il porta malhabilement son mug à ses lèves et sirota une gorgée de café, puis il ouvrit la bouche pour tout raconter à ses amis Omégas. Comment son père l'avait toujours dédaigné et considéré inutile puisque incapable de se reproduire, sa préférence à lui pour rester utile grâce à son cerveau plutôt qu'à son utérus et sa panique lorsqu'il avait compris qu'il n'était pas récessif. Il expliqua comment Jasper l'aidait depuis, en le couvrant de phéromones chaque jour et en se faisant passer pour son petit ami.
— Tu dis que tu es dominant ? Comment est-ce possible que ta seconde puberté ait été retardée autant ?
Markus se tourna vers Juan et esquissa un vague sourire. Il coula un regard vers Jasper, qui sembla comprendre ce qu'il s'apprêtait à révéler. L'Alpha glissa une main au creux du dos de l'Oméga, et y pianota légèrement, se voulant rassurant.
— Dominant extrême. Le sixième connu à ce jour dans le monde, si tu veux tout savoir.
— Ce... Je ne savais même pas que ça... Quelles sont les différences ?
— L'hyperfertilité, surtout. Normalement les Omégas mâles sont récessifs, même si un faible pourcentage de la population peut être dominant... mais quand même moins que ne le sont les Omégas femelles.
— Oui, je sais ça hein !
— Bon, eh bien un Oméga dominant extrême c'est un homme Oméga qui est encore plus fertile qu'une femme Oméga dominante. Et donc une puberté tardive. Oh et avec des phéromones beaucoup plus fortes aussi.
— Comment ça, plus fortes ? On ne sent jamais les tiennes !
Markus soupira. Jasper pris le relais.
— Si tu voyais la quantité de suppresseurs qu'il prend tous les jours...