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LeLapinaPlumes
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Chapitre 15

Quatre jours.

Quatre jours, putain…

Je me frotte machinalement la nuque, et un frisson de dégoût me parcourt : j’avais oublié l’immonde tissu qui cache ma peau.

Assis dans le lit, le drap couvrant mes genoux sur lesquels je m’accoude, je regarde autour de moi. Il me semble que le jour se lève tout juste. Quatre jours et cinq nuits, donc. Combien de personnes sont encore dans cette maison ? Combien d’argent vais-je devoir dépenser pour acheter leur silence ?

Qu’est-ce que Jasper a bien pu leur dire ?

Je n’ose pas le lui demander. Il dort profondément. Ses yeux sont cernés, et on dirait que rien ne pourrait le réveiller. Il est à plat ventre, un bras passé sous l’oreiller et l’autre posé entre nous. Je n’arrive pas à détacher mon regard de son dos. Les muscles s’y dessinent, mais délicatement. On voit sa puissance, et sa finesse. Comme si son caractère se reflétait sur son corps. La couleur chaude de sa peau le rend encore plus désirable. J’ai envie de le mordr… Oh, bon sang ! Est-ce que cela va finir un jour, les chaleurs ? Ce n’est pas moi de penser à des choses comme ça. Je n’aime pas ça.

J’ai mal partout. Je suis courbaturé comme si j’avais couru un marathon. Une vraie migraine menace. Je n’arrive pas à respirer. Je me presse les tempes, les doigts plongés dans mes cheveux. Je n’en peux plus d’être comme ça. Il faut que ça s’arrête. Maintenant. À quoi bon vivre si c’est pour survivre et ne traverser que de l’angoisse ? À quoi bon puisque bientôt je serais vendu ? À la fin de l’été, si j’en crois mon père. Car c’est l’ultime échéance qu’a réussi à obtenir mon frère pour « m’amuser » avec mon supposé Alpha.

À quoi bon ?

Une main ferme me tire en arrière dans les draps et Jasper m’enlace. L’odeur légèrement sucrée de ses phéromones m’enveloppe et il marmonne dans mon cou :

— Dors encore, Bébé.

Comment fait-il pour m’appeler comme ça même en dormant ? Il ne se trompe jamais devant nos invités, il ne commet aucun impair, il ne baisse jamais sa garde. Il a tellement pris l’habitude qu’il s’occupe de moi sans même se réveiller. Je me sens coupable. Je le prive de tout, à commencer de vacances sereines. Je devrais rentrer chez moi. Dire à ma famille que je ne suis pas récessif, finalement. Qu’on en finisse. Qu’ils me marient à qui bon leur semble et que je ne sois plus rien d’autre qu’un réceptacle. Je n’arrive pas à me détendre, je tremble. Son odeur se fait plus puissante, et un tout petit peu plus acide.

— Tu suintes d’angoisse, Markus. Dors encore, t’as pas ton compte d’heures de sommeil pour l’moment.

Son menton se cale à mon épaule, tout son corps se love dans mon dos, ses bras m’enserrent et ses phéromones saturent l’air qui entre dans mes poumons. J’inspire longuement. Je me détends. Je ne comprends pas pourquoi quand c’est lui cela fonctionne. Je ne devrais peut-être pas chercher à comprendre. Je…

Je ferme les yeux.

J’ai envie de pleurer, et franchement ça ne servirait à rien.

Il n’y a que nous ici, et il a raison, j’ai besoin de dormir plus. Je réfléchirais probablement mieux après. Probablement.

J’inspire encore et l’odeur doucereuse du caramel m’apaise. Je remonte le drap sur moi. Sur nous.

***

— Attends… tu as quoi ?

Je n’en reviens pas. Je suis levé depuis deux heures, et si Jasper m’a rejoint très vite, il a fallu plus de temps à Julie et Juan pour émerger. Quant aux autres… ils sont partis depuis trois jours.

— J’ai déclenché mes chaleurs avec un médicament.

— Mais… Pourquoi ?

— Ça me semble assez évident, Markus. Pour qu’ils ne te grillent pas.

— Comment ça ?

— Je suis dominante, mes phéromones sont plutôt fortes. Les chambres de l’étage ne sont pas isolées comme la vôtre. Il faut connaître le père de Jasper pour savoir que la chambre de l’étage a une isolation phonique de dingue, et une isolation phéromonale digne d’une chambre d’isolement du campus. Celles du premier sont juste « bien isolées », mais je suis très dominante. Mes phéromones ont fuité partout… Surtout qu’on avait un petit peu hum… oublié ? de fermer complètement la porte au début. Mes chaleurs les ont indisposés, et ils sont allés prendre l’air ailleurs. Ainsi, ils pensent toujours que tu es récessif.

— Mais… Tu… Toi tu… Comment est-ce que tu…

Du regard, j’interroge Jasper, qui semble aussi perplexe que moi. C’est lui pourtant qui a trouvé le mot laissé par nos amis Alphas, mais il paraît ne pas comprendre plus que moi ce que Julie explique. Elle me sourit et repousse une mèche de cheveux par-dessus son épaule. Leur rose fluo me sidère toujours autant. C’est rare de voir une Oméga aussi sûre d’elle. Elle arbore un collier de cuir bleu turquoise autour de la gorge et les larges lettres cloutées laissent peu d’imagination à ce qu’elle pense des Alphas qui voudraient la mordre : fuck off ! Je la trouve fascinante, et elle doit s’en rendre compte, parce qu’elle finit par concéder un peu plus d’informations.

— Juan et moi… sommes membres d’un réseau. Un genre d’association, si tu veux. Un groupe d’entraide. Clandestin. Pour les Omégas. Ta médecin en fait partie. Elle n’a pas rompu le secret médical, je te le jure ! J’ai juste… J’ai un excellent nez, Markus. Je sais depuis le début que ce ne sont pas les phéromones de Jasper. Je le connais depuis trop longtemps pour me tromper. J’en ai parlé avec Debois après une réunion et nous avons découvert qu’elle te connaissait, qu’elle t’avait reçu en consultation et prescrit des médicaments. Quand j’ai dit que nous partions en vacances ensemble et qu’il y aurait des Alphas, elle m’a fourni les gélules et expliqué comment faire. Mais elle n’a divulgué aucune information sur toi. Promis. Elle m’a juste donné de quoi te protéger parce que j’avais compris que tu n’étais pas récessif. Tu… Tu m’en veux ?

— Je… Non ! Pourquoi est-ce que je t’en voudrais ?

***

La réponse de Julie fut interrompue par Jasper, qui déposa un plateau contenant des cafés pour eux quatre sur la table basse et se laissa choir dans le canapé près de Markus.

— Tu ne m’as jamais dit tout ça.

Il faisait un simple constat, mais sa plus proche amie sentit le reproche voilé. Elle lui sourit et se contenta de déclarer platement :

— Tu es un Alpha, Jasper. Tu ne peux pas tout comprendre. Même en étant aussi déconstruit et ouvert, il y a des trucs qu’il vaut mieux que tu ignores. On fait hyper attention à tout, tout le temps. Juan non plus ne sait pas tant de choses que ça, par exemple. On cloisonne beaucoup. C’est préférable pour tout le monde. Chaque personne a son rôle et connait les quelques personnes qui ont le même qu’elles, et leur supérieur dans l’association. C’est tout. Je ne peux rien dire de plus que ça et… Même, Markus, si ton père l’apprend, ça suffit à m’envoyer en prison et à mettre des dizaines de personnes en danger.

Le jeune homme lui parut un instant sidéré, puis il accepta ses explications, d’un hochement de tête.

Markus, lui, ne disait rien. Il regardait pensivement son mug de café, totalement absent.

Jasper lui caressa la joue.

— Tout va bien, Markus ?

— Je… Oui, je… crois. Je ne comprends juste pas… pourquoi.

— Pourquoi je t’ai aidé ? questionna la jeune femme.

— Oui.

— M’enfin Markus ! Parce que tu es un Oméga comme moi !

Elle marqua une pause, puis reprit :

— Et parce que contrairement à moi, tu sembles avoir besoin de cacher ton statut. Et vu ta famille, ça peut s’expliquer.

— Mais tu as dû subir…

— Quoi, mes chaleurs ? J’ai l’habitude, tu sais, ça m’arrive une fois par mois depuis pas loin de dix ans déjà. Et puis Juan était là. Il y a beaucoup de choses que tu dois apprendre, Markus, et nous avons assez peu de temps.

Markus hocha vaguement la tête. En effet, leurs camarades Alphas avaient prévu de revenir quelques jours plus tard, après un court séjour chez un autre ami et un festival musical sur la côte nord.

Ils étaient donc quatre à la villa Tahéal pour moins d’une semaine.

— Apprendre quoi ?

Julie le regarda avec un sourire, puis savoura une gorgée de son café, qu’elle avait rallongé avec un peu de lait et du sucre, sous les yeux horrifiés de Jasper qui ne le buvait que noir, et qui ne manqua pas de se moquer d’elle, comme à peu près tous les matins depuis leur arrivée en Bretagne.

— Des taaaas de choses, mais le plus urgent, c’est à utiliser tes phéromones. On nous apprend depuis toujours à nous méfier des nôtres, à les cacher, on nous laisse entendre que c’est dangereux et que c’est ça qui rend les Alphas fous et agressifs, comme si c’était de notre faute, alors que c’est totalement faux. Tout comme eux, nous pouvons nous en servir, et les moduler pour communiquer. Jasper est un des meilleurs que je connaisse chez les Alphas. Et tu as de la chance, je suis une des meilleures Omégas. Juan est de plus en plus adroit aussi, nous allons donc pratiquer ensemble et Jasper sera le cobaye.

— Hein ?

Le jeune homme regarda les Omégas face à lui en clignant des yeux, provoquant leur hilarité.
Julie se pencha et lui tapota le bras avec une feinte sollicitude.

— Allons, allons, ne panique pas. Le pire qu’il puisse t’arriver c’est de vomir.

Puis elle expliqua comment les Omégas pouvaient utiliser leurs phéromones. Tout comme les Alphas, leur odeur pouvait changer pour indiquer une émotion forte, ou au contraire aider leur partenaire ou leur enfant à contrôler les leurs. Cela se faisait assez naturellement, sans y penser. Ce qu’elle souhaitait enseigner à Markus, cependant, c’était à les provoquer. Elle détailla comment, en apprenant à reconnaître ses propres sentiments et la façon dont cela affectait son corps, l’on pouvait ensuite induire ces changements et diffuser ces phéromones de manière consciente.

Markus l’avait expérimenté, puisque Jasper le faisait constamment. Il saisissait très bien la subtile différence entre celles dont son ami le couvrait tous les jours, qui indiquaient la possessivité et la défiance, et celles qu’il émettait lorsqu’il l’aidait à gérer une crise d’angoisse.

Juan et Julie montrèrent que la colère, la fureur, ou la peur pouvaient faire produire des phéromones si puissantes qu’elles pétrifiaient un Alpha, ou le rendaient malade.

Markus travaillait dur, et chaque soir il se couchait épuisé et migraineux, tant les odeurs des uns et des autres le sollicitaient. Pourtant, il ne maîtrisait absolument pas cette capacité, et se persuadait qu’il en était dépourvu. Jasper lui massait les tempes et diffusait des phéromones apaisantes jusqu’à ce qu’il s’endorme. L’Alpha était dépité de le voir en échec. Il sentait la frustration du jeune homme, qui comprenait très bien la théorie, mais se heurtait toujours à la réticence de son corps. Comme depuis ses premières chaleurs, Markus refusait tout ce qui faisait de lui un Oméga au lieu d’embrasser sa condition, et tous les efforts de ses amis pour l’aider à en faire une force semblaient vains. Ils étaient bien trop pressés par le temps, et les leçons durent cesser dès que leurs camarades revinrent à la villa Tahéal.

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