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LeLapinaPlumes
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Chapitre 28

Je ne sais pas ce qui m'a réveillé en premier. Si c'est le silence, la chaleur, ou la migraine qui menace entre mes tempes.

Pourtant, elle menace tout le temps, en ce moment. Je vis avec le cerveau comprimé, enfin c'est la sensation que j'avais. Je ne sais jamais très bien si on est le jour ou la nuit, mais en général, le jour, Christopher et Rémi ouvrent mes rideaux, pour les refermer le soir. Pour justement me permettre de garder un pied avec la réalité.

Je ne peux pas nier, ils font tout leur possible. Christopher me raconte les bruits de couloir du Palais. Qui pense quoi sur moi. Le désintérêt total de mon père pour mon sort, quand sa mère à lui réclame à me voir... et se rengorge de voir son fils être inflexible en dégageant des phéromones de pure possessivité dès lors qu'elle le suggère. J'ai écrit à mon frère pour le rassurer. Un mot sur papier, de ma main parce qu'il connait assez mon écriture et qu'il n'aurait pas eu confiance en un simple sms. Et je n'ai plus de téléphone, de toute façon. Rémi le lui a apporté, mon frère l'a lu sans un mot et hoché la tête, puis a sorti son briquet de sa poche et brûlé le message. Comme dans un putain de film d'espionnage.

Je ne sais plus très bien quand c'était, mais ça fait des semaines, je crois.

J'ai perdu le fil du temps. Je dors. Je mange un peu, quand je n'ai pas trop de nausées. Je bois de l'eau quand ils me disent de le faire et quand ils ne sont pas là ils laissent une bouteille de verre que j'ai pour mission de boire petit à petit à chaque réveil. Et je dors. Encore.

Et j'ai froid. J'ai tout le temps froid et avec l'humidité de l'automne qui s'installe, c'est encore pire. Je ne quitte plus ma couette et les vêtements de Jasper qui y sont roulés en boule. J'ai accepté de les retirer, mais pas qu'on les lave. Je les garde avec moi, même si plus rien ne sent comme lui à présent. Mais ce sont les siens, et si je ferme les yeux très fort j'arrive à me convaincre que je sens un peu ses phéromones.

J'ai froid tout le temps, mais en me réveillant j'avais chaud. Et mal. C'est ça qui m'a réveillé : une crampe. Une crampe au ventre. Je transpire et j'ai la nausée, une nausée si forte qu'elle me plie en deux et que je vomis tout ce que j'avais réussi à avaler hier soir sur le matelas. Je n'ai même pas eu le temps de viser le sol.

J'ai mal.

J'ai tellement mal putain !

Je reste plié en deux et je mords l'oreiller pour ne pas hurler tant la crampe est violente. J'ai mal et il me faut mon Alpha. Maintenant. Tout de suite !

Je me lève et je vacille. Il fait noir. Rideaux tirés. C'est la nuit. Je cherche l'interrupteur et une nouvelle crampe me jette au sol. J'inspire. Elle passe. Lentement, mais elle passe. Je me relève. J'allume. Un bref regard aux draps blancs dans lesquels j'étais entortillé il y a encore quelques instants achève de me convaincre.

J'ai besoin d'aide.

Il faut que je franchisse cette porte par laquelle circulent Chris et Rémi, vers son appartement, vers lui. Vers des phéromones qui ne sont pas celles dont j'ai besoin. Crampe. Je m'arrête. Je vomis encore. Tant pis pour le parquet. J'ouvre la porte où filtrait un rai de lumière. Ils ne sont pas encore couchés.

— Chris ? Je... j'ai...

Crampe et je me retiens à la porte. Je ne vomis pas, cette fois. Mais je sens quelque chose de chaud couler le long de ma jambe et la dernière chose que je remarque avant de m'effondrer c'est que c'est rouge, et que ça a déjà atteint mon pied.

***

— Mais vous n'avez pas vu qu'il nidifiait ? Vous êtes vraiment crétins putain !

Je ne connais pas cette voix. Je remue un peu. Une main rêche caresse mon bras, ou le tapote, je ne sais pas trop bien, et tout à coup me pique. Je sursaute et geins. J'ai mal. Si mal et pourtant je ne sais pas où j'ai mal.

— Markus ? Est-ce que vous m'entendez ?

J'ouvre la bouche. Je la referme. Je secoue la tête. Je sombre à nouveau.

La fois suivante, les voix sont plus basses autour de moi, je reconnais celle de Chris, celle de Rémi, et puis la troisième, celle de tout à l'heure... ou hier ?

Je remue, j'essaie de me redresser, je dois geindre un peu parce que subitement ils sont tous les trois autour de moi.

— Chris ?

— Je suis là.

J'ouvre les yeux, lentement. Sa main entoure la mienne. Je tente de m'assoir et il m'aide, glissant un oreiller dans mon dos. Je lâche sa main pour me frotter les yeux, et je réalise qu'une perfusion est installée dans mon bras. La piqûre de tout à l'heure, probablement. J'ai moins mal, et je reconnais la légère sensation de flottement des antidouleurs à haute dose. Pas assez pour brouiller mes pensées, mais juste assez pour avoir cette légère sensation d'irréalité.

Ils ne disent rien. Chris est assis au bord du lit près de moi, et il a déjà repris ma main entre les siennes, Rémi est debout derrière lui, et à leur côté se tient un Alpha, assis et les jambes sanglées dans un fauteuil roulant chromé.

— Est-ce que... Comment tu te sens ?

Chris a l'air inquiet, et il a repris ma main entre les siennes, et il me regarde comme s'il allait m'annoncer que quelqu'un était mo...

— NON ! Jasper ?

Je regarde partout autour de moi, comme s'il allait surgir tout à coup, comme si les dernières semaines n'étaient qu'une vaste blague, comme si... Mon cœur s'affole, mon regard se brouille.

 — Il va bien, Markus. Enfin pour autant que je sache, et il est sous surveillance donc je le saurais s'il se passait quelque chose.

— Alors pourquoi tu me regardes comme ça ? Qui est mort ?

Je pose mon regard sur l'homme que je ne connais pas, et qui range méticuleusement du matériel médical dans une trousse. Ses yeux croisent les miens, et il fait signe aux deux autres de reculer pour avancer un peu plus vers moi.

— Personne n'est mort, Markus. Pas à proprement parler. Vous avez fait une fausse couche précoce. Vous ignoriez que vous étiez enceint ?

J'ouvre la bouche. Je la referme. Mon regard s'embue.

Je me mords la lèvre. J'essuie mes yeux.

— Pardon. C'est ridicule. Je ne vais pas pleurer sur quelque chose dont j'ignorais l'existence. C'est ridicule.

— Ce n'est absolument pas ridicule. Vous avez le droit de pleurer l'enfant que vous venez de perdre, peu importe le stade de la grossesse et la conscience que vous aviez de sa présence.

Ses yeux couleur chocolat se vissent aux miens. Ses mains entourent la mienne, et sa voix chaude reprend :

— Vous avez le droit de pleurer.

— Mais je... mais je...

Je hoquète. Et soudain, mes remparts cèdent, les larmes roulent, chaudes, sur mes joues. Longtemps. Personne ne dit rien. Le médecin ne lâche pas mes mains. Christopher est légèrement adossé à Rémi, et l'inquiétude ne quitte pas son visage. Je ne les regarde pas longtemps. Ils ne font pas exprès, mais ils me font mal à crever, tous les deux.

Je finis par murmurer :

— J'ai besoin de Jasper.

— Je sais, Markus. Ces deux idiots aussi le savent, maintenant.

Il me laisse encore quelques instants pour me recomposer une contenance, me fournit une boite de mouchoirs, Rémi m'apporte un linge tiède pour que je me débarbouille, puis Chris tire deux chaises près du lit. Ils s'installent.

— Tu ne peux pas réclamer à dormir tout de suite, Markus, je suis désolé. Nous avons beaucoup de choses à nous dire et à discuter.

Je hoche la tête. Il reprend.

— Ta médecin, celle qui a découvert que tu étais dominant extrême, c'est bien la Docteur Debois ? La médecin des Tahéal ?

Je hoche la tête. Il se tourne vers l'homme dont je ne connais pas le nom.

— Samir, tu t'es pas inscrit à un colloque où elle intervient ?

— Si, mais c'est dans quinze jours. Ça sera trop tard. Et tu fais tout dans le désordre.

Il se tourna vers moi.

— Je m'appelle Samir, Markus. Je suis le médecin de Chris, et aussi son autre Alpha. Je ne suis pas aussi calé en médecine Oméga que la doc Debois mais je fais de mon mieux. Et je... J'ai une ou deux questions, parce que ton cas... pardon, c'est OK si on se tutoie ? J'ai tendance à être familier avec l'entourage de ces deux idiots.

Je hoche la tête.

— OK, merci. Tu es une personne rarissime et je crois savoir que ton Alpha est à peine moins rare que toi. Je pense que... enfin je ne crois pas avoir jamais vu de cas comme le vôtre, mais les légendes anciennes en parlent et la littérature médicale fait état de quelques cas... Mais ça me parait tellement énorme comme truc que...

Il se frotte la nuque, il a l'air mal à l'aise, et moi je ne comprends rien. Chris me regarde avec curiosité, mais il semble aussi sur le point de râler sur son Alpha, qui s'embrouille. Il le coupe :

— Est-ce que Jasper t'a mordu, Markus ? Je veux dire, on sait que ton père t'a collé cette merde sur la peau, mais avant ? On se demandait si... Enfin on suppose qu'il n'aurait pas été con à ce point mais il n'a pas fait ça pour cacher une marque, hein ?

Je secoue la tête. Un sourire désabusé nait sur mes lèvres, et ma voix s'étrangle.

— Il n'aurait pas fait ça à ta mère. C'est sa meilleure amie. Il ne lui aurait jamais fourni un Oméga défectueux.

Leurs mâchoires tombent. À tous les trois. Comme si je venais de dire une monstruosité. Je ne fais pourtant que parler de moi comme la plupart des Alphas le font. Comme d'un objet.

— Quoi, tu crois qu'il se soucie de ma santé ? Tu l'as vu venir prendre de mes nouvelles ?

— Mmh, en effet, ça se tient. Et donc non, pas de morsure ?

— Non. Hélas. Pourquoi ?

— Parce que vous êtes liés quand même, reprend Samir. Tu as déjà entendu parler de couples prédestinés ?

— À part dans les contes de fées de mon enfance, tu veux dire ?

— Ouais. Ben c'est pas que des contes de fée. Il y a une réalité historique dessous. Aux origines de l'humanité, la Terre était bien moins peuplée et il y avait peu de mixité surtout. Les couples se formaient surtout à l'instinct, à l'odorat. Les couples prédestinés étaient assurés d'avoir une génétique parfaite, c'est-à-dire sans consanguinité. Il n'y a rien de magique là-dedans, rien de féérique. Juste une excellente adaptation biologique aux conditions extrêmes de la préhistoire. Plus la population a augmenté et est devenue mobile, moins cette capacité de se reconnaitre a été utilisée, mais elle a toujours existé, et même encore maintenant il arrive que des couples se reconnaissent. Même si cela reste rarissime. Comme vous deux.

— Mais comment tu peux savoir qu'on est... prédestinés ?

— Tu as vu les canines de ton Alpha ?

— Putain oui ! Elles étaient super longues, il m'a fait de ces marques pendant son rut !

Deux mois plus tard, j'en porte toujours des marques rosées, au moins à une hanche et une épaule. Je ne pousse pas les confidences jusque-là, et me garde bien d'en parler ou de les leur montrer. Je les chéris, et elles sont la preuve que Jasper existe. Qu'il m'a possédé, que je suis sien comme il est mien. Que nous sommes nous. Rémi hoche imperceptiblement la tête vers moi. Il les a vues, lui, les marques. Mais je comprends qu'il n'en dira rien, et qu'il comprend que je garde ça comme un trésor.

— Les Alphas ont trois paires de canines. Les dents de lait, comme tout le monde. Les suivantes ne sont pas les définitives, même si elles y ressemblent. Lorsque l'Alpha rencontre son partenaire prédestiné, elles poussent encore plus et s'effilent, de manière à pouvoir mordre sa nuque très profondément. Cette morsure-là est définitive, elle lie les partenaires à vie, il n'y a pas besoin de les renouveler à chaque rut de l'Alpha. Ensuite elles tombent et les définitives pouss...

— Mais il ne m'a pas mordu !

— Je sais, c'est le plus extraordinaire !

Je tourne un regard morne vers le médecin, beaucoup trop enthousiaste à mon goût. Il a la délicatesse de s'excuser, posant un regard navré sur moi.

— Pardon, Markus. Je pense que vous êtes liés d'une manière encore plus intime que la morsure. La morsure d'un Alpha marque l'appartenance. Le lien phéromonal c'est... pour le coup, ça n'a beau être que de la biochimie c'est quand même presque de la magie. Et un peu une malédiction. Le couple prédestiné ne peut plus vivre sans les phéromones de l'autre. Mais en l'absence de morsure, personne ne peut imaginer qu'ils soient liés, c'est... Ils sont si intimement liés que les phéromones de l'un sont indispensables à l'autre pour sa survie. Et c'est, très probablement, ce qui t'as fait perdre votre bébé. Je suis désolé.

Je secoue le nez. Ce n'est pas le moment de faiblir. Il vaut mieux être rationnel. Réfléchir. Il faut que je reprenne la maitrise de mes émotions, bon sang !

Je relève les yeux. Christopher semble sur le point de hurler, et Rémi regarde ses pieds.

— C'est... Putain Markus c'est de ma faute si tu l'as perdu. Je... n'ai pas vu que...

— Nous n'avons pas vu, tempère Rémi, que tu nidifiais.

— Ce... N'est rien. Vous n'auriez rien pu faire de mieux, et puis franchement c'est pas tellement le moment pour faire un bébé, là tout de suite. Moi non plus j'ai pas vu que... que j'étais... qu'il était là.

— À leur décharge, ils n'ont jamais vu ça, ni l'un ni l'autre. L'un ne peut pas approcher d'un Oméga sans dégueuler, et l'autre est marié à une Bêta. Elle n'a jamais nidifié quand elle était enceinte.

Je tourne si vite la tête vers Rémi que j'entends ma nuque craquer.

— T'es marié ? Et t'as des enfants ?

— Oui. Deux.

— Putain vos histoires de cœur son encore plus compliquées que les miennes.

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