Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
LeLapinaPlumes
Share the book

Chapitre 5

Dans son immense bureau du palais de l’Élysée, la Présidente à Vie patientait, tapotant nerveusement son stylo Bic sur la table. Tous ceux qui la rencontraient s’étonnaient de ce détail, que d’aucuns trouvaient charmant. Bien que riche et orgueilleuse, la femme la plus puissante de France avait toujours sur son bureau plusieurs de ces stylos à bas prix qui traînaient. Souvenir de son époque étudiante ? Fétichisme bizarre ? Ses employés ne se posaient pas la question, et se contentaient de vérifier qu’elle en dispose en permanence dans le plumier de marqueterie d’or et d’ébène qui contenait son matériel d’écriture.

Ce jour-là, elle avait rendez-vous avec son ministre de la Défense. Et ce dernier, bien entendu, était ponctuel. Elle avait horreur du moindre grain de sable qui venait gripper les rouages de son organisation, et ses collaborateurs le savaient tous. Encore plus ceux qui espéraient placer un fils à leur poste lors de leur départ à la retraite. Pierre de Dompérain était de ceux-là, et aussi son homme de confiance.

— Pierre, commençons sans tarder, voulez-vous ? Quelles nouvelles m’apportez-vous ?

Le ministre était à peine entré. Il reconnaissait bien là sa vieille camarade. La Présidente allait toujours droit au but. C’est ainsi qu’elle avait pu accéder aux plus hautes fonctions, puis avait réussi l’exploit de faire modifier la loi pour être nommée présidente à vie. Et c’était grâce à elle qu’il avait ce poste, lui aussi à vie… tant que la Présidente lui faisait confiance. Il était entièrement dévoué à son travail et à la défense de son pays, si bien que pour le moment n’était-il pas vraiment inquiet au sujet de sa place à ses côtés.

— Eh bien Madame la Présidente, il faut bien avouer que les investigations ne progressent pas vraiment. Nous savons qu’il y a de plus en plus d’Omégas dans Paris qui revendiquent plus de droits, mais c’est assez brouillon. Les gens sont prompts à manifester leur mécontentement en ligne sur les réseaux sociaux, mais rien ne semble aboutir.

Il tourna la page de son fichier et parcourut rapidement les lignes de graphiques qui s’y trouvaient avant de les poser sur le bureau de la présidente, puis d’en pointer un du doigt.

— Voyez ici, l’incidence de ces messages est assez stable, et ils proviennent de plusieurs sources. Il ne semble pas y avoir de réelle unité comme nous avions pu en avoir au début de votre présidence au sujet des droits des Bêtas. Mais les Omégas sont tellement moins nombreux qu’il leur est plus difficile de soulever l’opinion publique. Nous avons toujours les mêmes éléments sous surveillance. Les streamers depuis l’étranger sont également observés. Rien n’a bougé cette semaine.

— Bien, parfait. Allons,-y. Le conseil des ministres nous attend.

La Présidente se leva, dégageant une puissante aura d’Alpha, et empocha son sempiternel stylo Bic. Son bras droit lui emboîta le pas, un léger sourire flottant sur les lèvres à la vue de ce banal objet dont elle ne se séparait jamais.

La femme s’arrêta brusquement et se tourna vers lui.

— Voyez avec votre secrétaire si vous avez du temps pour un dîner informel dans les jours qui viennent. Juste vous et moi. Il y a des semaines que nous ne nous sommes pas vus en dehors du travail.

— Bien Madame.

Il fit un geste vers son employé, qui s’était déjà rapproché de celui de la présidente pour trouver une soirée qui conviendrait aux deux partis.

Ils traversèrent quelques couloirs de l’Élysée, d’un pas rapide, et poussèrent la porte du Conseil des ministres où les attendait l’épineuse question du budget de la Santé.

***

Jasper guida son camarade à travers les escaliers métalliques de l’immense maison. Elle s’étendait sur deux étages. Jasper occupait le dernier, aménagé comme un appartement, avec sa propre entrée.

— Tu… vis tout seul ici ?

— Oui, plus ou moins. Quand mes parents sont là à l’heure du dîner, je descends souvent passer un moment avec eux, et leur femme de ménage vient une fois par semaine. Mais le reste du temps, oui, je vis ici. C’est à moi.

Markus ne l’aurait pas regardé avec plus d’ahurissement s’il avait annoncé débarquer de la Lune. Jasper esquissa un sourire en le guidant dans le loft jusqu’au salon, dont la baie vitrée donnait directement sur la terrasse et la piscine.

— J’avoue que pour les soirées avec toute la promo c’est assez pratique.

— Mais tes parents ne contrôlent pas tes allées et venues ?

— Pour quoi faire ? J’ai passé l’âge d’être surveillé ! Tu l’es ?

Markus haussa légèrement une épaule et sortit sur la terrasse. Il s’accouda à la balustrade et contempla un moment le paysage avant de se tourner vers Jasper.

— Je le suis. Partout, tout le temps. Je ne suis pas un Alpha, donc je ne serais pas ministre comme mon frère aîné, que mon père imagine déjà lui succéder. Mais je ne suis pas Oméga non plus, donc je peux servir Achille en devenant haut fonctionnaire. C’est ce que je fais. Quand Père saura que je suis un Oméga, il me mariera à la famille qui lui rapportera le plus de pouvoir par une alliance.

— Mais…

— Mais quoi ? Toutes les grandes familles fonctionnent ainsi. T’es un privilégié parmi nous toi, avec ta famille parfaite !

Agacé, le jeune homme se détourna de l’Alpha. Pour ne pas voir ses yeux pleins de pitié, ou compatissants, ou… Ces yeux, en tous cas, qu’il posait sur lui. Et qui le dérangeaient. Markus avait déjà trop croisé ces regards-là avant, au lycée, au collège. De la part d’enfants à peine moins fortunés que lui, mais dont les parents étaient un peu moins bien placés dans la société, ou plus ouverts. En tout cas pas dans les plus hautes sphères du pouvoir. À mi-chemin entre l’envie et le dégoût.

Une légère vibration dans le garde-corps d’acier lui indiqua que Jasper s’était accoudé près de lui.

— Excuse-moi. Je ne voulais pas te mettre en colère.

— Je ne suis pas en colère.

— D’accord.

Jasper n’en croyait pas un mot, mais préférait éviter une escalade verbale. Markus devait avoir d’autres chats à fouetter pour le moment, et le jeune Alpha essayait d’être un soutien plutôt qu’une contrainte supplémentaire à ajouter à toutes celles que ce nouveau statut d’Oméga impliquait pour lui. Il voulait protéger son nouvel ami, de toutes ses forces. Bien au-delà de ce qu’il ressentait d’habitude en amitié. Parce qu’il l’avait aidé pendant ses premières chaleurs ? Pourtant il n’était pas le premier Oméga à qui il rendait ce service. Il n’avait jamais caché qu’il était un Alpha en pleine force de l’âge et toujours ravi de pouvoir joindre l’utile à l’agréable.

Il ne se reconnaissait pas. Mais il ne se posait pas trop de questions non plus. Comme toujours, il se laissait porter, et convaincu qu’il finirait par comprendre ce qu’il se passait dans sa vie lorsque cela serait le moment, il se contenta de suivre son instinct. Et proposa :

— Si je te couvre de mes phéromones, cela devrait pouvoir camoufler les tiennes le temps que tu saches les contrôler.

***

Mais il est complètement à côté de la plaque ma parole !

— Je viens de t’expliquer que tout ce que je fais est contrôlé par ma famille et tu me proposes de rentrer chez moi en puant l’Alpha ?

Sincèrement, comment est-ce qu’il a pu imaginer un truc pareil ? Ou alors… Est-ce que je lui plais ? Je ne vois pas bien comment ça serait possible, je suis trop grand et viril pour un Oméga, je fais du sport, je ressemble vraiment à une personne ordinaire. Je ne suis pas le genre d’Oméga à plier devant un Alpha non plus. Le seul qui me terrifie, c’est mon père. Et son service d’ordre. Il n’y a aucune raison pour que je plaise à quelqu’un comme Jasper Taheal. Il est beaucoup trop bien pour quelqu’un comme moi.

— Réfléchis, Markus : il vaut mieux rentrer chez toi en « puant » l’Alpha ou l’Oméga ? Qu’est-ce qui sera le moins contraignant pour toi ? Dire que tu sors avec le fils de la famille Taheal qui possède la moitié des médias d’Europe, ou dire que tu n’es pas si récessif que ça, finalement ? Qu’est-ce qui sera le plus pratique pour toi face à Pierre de Dompérain, l’Alpha le plus puissant du pays après la Présidente à Vie ?

Bon sang, je l’ai vexé. Cela se voit à la manière qu’il a eue de répéter mes mots. À son ton plus sec. À la subtile odeur de ses phéromones qui a changé. J’ai senti son corps se raidir près de moi. Je recule instinctivement d’un pas. S’il y a une chose que je sais bien, c’est qu’on ne provoque pas un Alpha sans en payer le prix. Est-ce qu’il va me frapper ou simplement m’écraser de ses phéromones, maintenant que j’y réagis ? Je me décale encore un peu. Je suis sur le qui-vive, parce que je préfère éviter les coups au visage pour ne pas avoir à expliquer ça en plus en rentrant à la maison.

— Markus ?

Pourquoi semble-t-il inquiet tout à coup ?

— Tu… Tu as peur de moi ? Je ne… Je… Putain mais dans quelle famille tu vis ? Tu as pensé que j’allais te frapper ?

— Ah. Je… Non.

Je ne pensais pas être aussi facile à lire. J’ai sûrement dû baisser un peu trop ma garde à rester avec lui. Foutues hormones. J’inspire pour reprendre le contrôle de mon corps. Une odeur de gaufre au caramel flotte dans l’air du soir. Il relâche des phéromones pour m’apaiser. Je n’ai jamais vu mon père faire ça. Il utilise toujours les siennes pour pétrifier les gens. Alphas comme Oméga, tout le monde ploie quand il passe par là.

— Je suis désolé de t’avoir inquiété. Ce n’était qu’une idée comme ça, on a le temps de réfléchir à autre chose d’ici à ce que tu doives rentrer chez toi. Qu’est-ce que tu as dit pour le moment ?

— Une soirée chez un ami. C’est toujours bien vu de se faire un réseau, pour un futur haut fonctionnaire.

— Mmmh. Ça va aller, Markus, tu sais ?

— Évidemment que ça va aller. Je n’ai pas besoin de pitié.

— Non. Bien sûr, non.

Pourquoi est-ce que je l’ai encore rembarré ? Il m’aide depuis trois jours, et je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Mais je trouve tout de même le moyen d’être acerbe avec lui. S’il me laisse tomber, on ne va pas se mentir, je n’aurais plus personne vers qui me tourner.

Alors je le laisse me faire visiter l’appartement, commander des plats asiatiques en livraison, ouvrir des bières, et me proposer de dormir dans son lit pendant qu’il prendrait le sofa. Il oublie que même s’il met des draps propres, je serais au milieu de ses phéromones et que ça ne risque pas de m’aider beaucoup. Le canapé m’ira très bien, merci.

Comment this paragraph

1 Comment

1 month
Leurs familles respectives semblent très différentes en effet, j'ai hâte d'en "voire" davantage !
show more