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Chapitre 8 : Plongée dans l'inconnu

            L'après-midi s'est déjà levé, mais moi je reste là allongée, les yeux perdus dans la vaste surface du plafond lumineux par moments. Et puis je l'entends. Alors, je tourne lentement la tête vers elle quand elle entre dans la pièce. Elle sourit de toutes ses dents avant de se diriger vers la fenêtre pour y ouvrir les volets. 
            — Bonne après-midi !
            Je la fixe un instant, un rictus aux lèvres lourd de sommeil. Je suis un peu déphasée, mais cette énergie contagieuse qui la submerge commence à réchauffer quelque chose d'éteint en moi. Ou peut-être que c'est juste la fatigue qui fait effet. 
            — Tu as l'air en pleine forme, rétorqué-je de ma voix rauque du réveil.
            — J'ai eu une idée géniale pour aujourd'hui ! me lance-t-elle avec un sourire énigmatique.
            Je l'observe, intéressée mais un brin dubitative. Ouais.. parce que Ninia et ses idées.. ça sonne plutôt comme un plan foireux.
            — Tu m'intrigues, soupiré-je
            Je me redresse légèrement sur le canapé dans une position d'écoute. Elle s'assoit alors près de moi, l'air presque enfantin dans sa façon de me regarder. Je sais que ça ne va pas être simple, mais j'ai ce pressentiment qu'il y a une sorte de libération dans ce qu'elle va me proposer. Ou un gros bordel à en venir. 
            — Alors, c'est un truc hors des sentiers battus. Genre un truc complètement dingue ! Mais tu dois me faire confiance ! 
            Des trucs complètement dingues ?
            — D'accord, mais si je me fais arrêter, ça va être de ta faute ! rétorqué-je en souriant.
            Son rire résonne tel des morceaux de verre qui se brisent, et son enthousiasme m'atteint d'une manière que j'ai du mal à reconnaître.
            — T'inquiète pas, on fera ça dans les règles.
            Son regard pétillant me dit tout : elle n'a pas la moindre intention de jouer selon les règles. Mais elle me secoue, me tire hors de ma torpeur et j'aime ça. Je pourrais regretter plus tard, mais pour l'instant, c'est comme si cette tension dans mon estomac s'évaporait.
            Peu importe ce qui nous attend alors...
            Ce sera peut-être dangereux, voire catastrophique. Mais quelque part, tout ça fait du bien. J'ai juste besoin de m'y perdre un peu, non ? 
            Juste un peu, avant que la réalité ne me rattrape.

**

            L'air s'engouffre dans mes poumons quand je prends une grande inspiration. Ninia, elle, continue de me parler, sa voix flottant autour de moi comme une brise légère, presque trop innocente. Elle veut m'entraîner, me faire goûter à sa liberté, à son insouciance.
            — C'est mignon, vraiment. — 
            — Ce n'est pas juste une sortie. C'est un plongeon dans l'inconnu. rétorque-t-elle clairement, surexcitée.
            — Ouai... Mais c'est exactement ce qu'il me faut, lâché-je en hochant la tête, mon regard fixé sur l'horizon.
            La voiture ralentit. La nuit se fait plus noire maintenant. Je ne sais même pas quelle heure il est quand on arrive. Tout ce que je sais, c'est que les moteurs autour de nous grondent déjà comme des bêtes affamées. En attendant le bruit, quelque chose dans mon estomac se resserre.
            Mais je sais ce que c'est, c'est cette vieille adrénaline, cette vieille amie. La même qui me poussait à courir à toute vitesse dans des situations bien plus... complexes. Pas toujours simple à apprivoiser, mais tellement... vivante.
            Elle finit par se garer, et devant nous s'étend un paysage que j'ai déjà observé des centaines de fois. Le bruit des moteurs, l'odeur de l'essence, des hommes qui s'expriment de vive voix. Je la sens se rapprocher de moi, avant de me prendre doucement par le bras pour me traîner à travers la foule et me faire suivre. 
            Si seulement elle savait ce que j'ai vu, ce que j'ai vécu... elle ne trouverait probablement pas ce monde aussi... charmant.
            On finit par s'arrêter toutes les deux devant un groupe déjà rassemblé. Un type à la barbe fournie me jette un regard rapide puis fait signe à Ninia.
            — T'es enfin là !  s'esclaffe-t-il avec un sourire, son regard glissant de Ninia à moi : Et qui est cette Miss ? 
            Je le regarde, mon sourire légèrement en décalage avec mon âme, une lueur d'amusement qui n'atteint même pas mes yeux.
            Il doit penser que je n'ai rien à faire ici.
            Et il n'a pas tort !

            — Ely. Elle est là pour s'immerger dans l'ambiance, répond-elle, avec ce petit air complice qui me fait presque sourire.
            Je tends la main hésitante, puis serre la sienne. Juste un peu... avec cette petite retenue dissimulée. Parce que.. si je commence à trop me mélanger, ce monde m'engloutira de nouveau...
            — C'est bon ! Lâche toi, au moins ce soir.. —   
            Ouais, bon, peut-être un peu ..  
            — Bienvenue dans mon monde, Ely. Prête à en prendre plein les yeux ?
            Sa voix porte une certaine assurance qui pourrait "presque" m'impressionner. Pas du tout. Je souris peut-être plus naturellement que d'habitude, peut-être une tentative de rester courtoise..
            — Ça devrait me plaire, je pense.
            Ça me fait juste du bien de jouer à ça. Je veux dire.. de jouer la naïve, la fragile.. 
            Ma meilleure amie ne s'attarde pas sur son ami et m'entraîne à nouveau. Cette fois, je me laisse aller comme une limace. Les moteurs rugissent, l'adrénaline flotte dans l'air, tout est rapide et risqué... La foule se presse autour de moi, les rires résonnent, et je me laisse porter sans me poser de questions. Le bruit des moteurs résonne comme une vibration sourde dans mes os. J'ai l'impression que Ninia est aussi dans son élément, entourée de visages familiers, de sourires acerbes, d'une énergie qu'elle semble inhaler à pleins poumons. Cette agitation dans l'air, ça m'électrise aussi. C'est comme une brume qui m'envahit et me réveille.
           On arrive devant une sportive bleue qui brille sous les néons, prête à dévorer la route. Elle me pousse vers la portière avec un sourire en coin.
            — Hé ! Attends ! protesté-je par habitude, même si en réalité, j'en pense tout le contraire.
            Un léger sourire s'affiche sur mon visage. Elle hausse les épaules avec satisfaction et me pousse à rentrer dans le véhicule.. Quand je rentre à l'intérieur, je pose instinctivement mes mains sur le volant. Comme-si c'était hier... Je devrais peut-être ressentir de l'inconfort en étant ici, mais en réalité, mon cœur s'accélère. C'est comme si cette folie me redonnait un souffle de vie.
             Je tourne la tête en voyant la porte côté passager s'ouvrir avant que cette dernière ne s'installe à mes côtés, un sourire satisfait affiché sur ses lèvres.
            Si je n'étais pas aussi concentrée sur la voiture, je crois que j'en serais agacée !
            — Prête pour l'adrénaline ? murmure-t-elle de sa voix enjouée.
            — C'est un peu un jeu, non ? —
            Les bruits autour de moi sont intenses, l'odeur de l'essence et des pneus brûlés me prend à la gorge comme un doux parfum. J'hoche la tête sans pouvoir dire un mot, car tout ce que je ressens actuellement, c'est un frisson d'anticipation.
            La vitesse... le contrôle..
            Quand je tourne la tête vers le bruit qui passe par la fenêtre, je remarque que le mec à la barbe me lance un regard.
            — C'est à toi de jouer. Montre-nous de quoi tu es capable ! 
            Je le fixe sans rien dire.
            Et merde.
            Un frisson glacial monte en moi et m'attrape aux entrailles. Mes mains tremblent sur le volant qui vibre sous mes doigts d'excitation. Je devrais peut-être prétendre avoir peur, mais tout ce que je ressens, c'est cette montée de chaleur dans mes paumes, l'envie d'appuyer sur l'accélérateur.
            — Tu es prête ? me demande-t-elle, 
            J'hoche la tête, mes mains serrées sur le volant pendant que le moteur grogne, comme si tout était prêt à déraper.
            — Je suis prête. 
            Je jette un autre regard vers Ninia qui semble déborder d'excitation, ou peut-être que c'est juste l'air autour de nous. Je souris puis redirige mon regard vers le volant avant de démarrer la bête. Un soupir m'échappe lourdement en sentant la décharge d'excitation se glisser dans mes veines. Tout ce que j'ai voulu effacer se retrouve entre mes doigts... Tout ce que je retiens se trouve là, à ma portée.
            C'est à moi de décider, maintenant.
            Pas à lui... Moi uniquement.
            Ma bouche se tord en un sourire discret, presque moqueur. Je n'ai même pas à réfléchir plus longtemps, je sais que je vais les laisser derrière.
            —  Go enflammer cette course ! s'écrit-elle dans l'habitacle de la voiture en riant.
            Je lui réponds d'un simple clin d'œil, avant de me concentrer sur la ligne de départ où les autres voitures commencent à vrombir autour de moi. Mais, moi, je suis déjà à l'intérieur de mon propre monde comme si j'étais devenu extension de moi-même. L'homme barbue se place devant les voitures, sa silhouette imposante scrutant chaque véhicule avec intensité. Et lorsqu'il lève la main, un silence s'installe avant que son décompte commence.
            Trois...
            Deux...
            Un...
            GO !
            Le monde explose autour, les moteurs rugissent en chœur, les pneus crissent, mais moi, je suis déjà en mouvement. Pas une seconde de retard. Mes doigts serrent instinctivement le volant lorsque la voiture s'élance comme une flèche entre les autres.
            Le vent m'arrache presque le souffle, mais je ne flanche pas. 
            — Tu m'excuseras, mais je vais devoir te laisser derrière, rétorqué-je d'un ton léger, bien que mes yeux restent fixés sur la route et le rétroviseur. 
            Les autres commencent à me rattraper, mais leur avance est trop lente, comme de jeunes enfants essayant de courir après un chien. Je me faufile entre deux voitures en appuyant fermement sur l'accélérateur. Le moteur gronde et la voiture réagit à chaque pression sur la pédale. Les voitures derrière deviennent floues, et leurs moteurs ne sont plus que des sons lointains. Je prends rapidement un virage serré, les pneus glissant sous la puissance du moteur.
             En jetant un coup d'œil dans le rétroviseur, je remarque qu'un des types derrière moi se rapproche.
            Il croit peut-être qu'il va me doubler, mais... 
            — Trop confiant. Trop lent. —

            Oui, voilà, c'est ça.
            Un sourire s'étire sur mes lèvres. Je le laisse prendre un peu d'avance. Quand il est assez près, je tourne le volant d'un mouvement brusque, le dépassant en une fraction de seconde. Ma voiture frôle la sienne tout en le laissant derrière dans ma poussière. 
            — Tu es vraiment un phénomène, Ely ! rit-elle d'un air amusé.
            Je jette un coup d'œil dans sa direction, un sourire en coin.
            — Tu vois, c'est dans mes cordes ! 
            — Je vois ça ! s'écrie-t-elle dans l'habitacle.
            Le bruit des moteurs derrière moi s'estompe pour devenir lointain et sans importance. La ligne d'arrivée se rapproche de plus en plus. Alors, j'appuie à nouveau sur l'accélérateur plus insistante. Je prends un virage large une dernière fois, convaincue d'être sur la bonne voie. Mon cœur bat la chamade, mais je suis étrangement sereine. J'accélère encore un peu, juste pour le plaisir de voir la route défiler sous mes yeux en passant la ligne d'arrivée. Sur la ligne, je suis la seule à y être présente.
            —  Trop facile... —   
            Je ralentis un peu plus loin, le moteur ronronnant encore tandis que l'adrénaline continue de parcourir mes veines. Mon regard se tourne vers Ninia qui éclate de rire.
            — Tu m'as vraiment impressionné ! T'as même pas transpiré !
            — Qui l'aurait cru ? Moi, en train de gagner une course...  
            Un type se gare à côté de nous en quelques secondes, les yeux rivés sur moi. Il me regarde, puis secoue la tête, un sourire nerveux sur les lèvres.
            — Eh bien... T'es pas du genre à rigoler, hein ? 
            J'hausse un sourcil, légèrement amusé.
            —  Je suis là pour gagner, Hyn ! rétorqué-je en lançant un clin d'œil.
            — Je crois qu'ils l'ont compris, rit-elle en me donnant une tape sur l'épaule.
            — Ouais...  
            Mon regard se porte vers l'horizon, et je laisse la brise refroidir mon visage, comme une main douce. Le monde autour de moi semble disparaître. Je me sens pleine de vie, comme si chaque cellule de mon corps était en éveil, prête à se libérer de toutes les entraves invisibles.
            Je redémarre, puis me gare à côté d'Axel, l'ami de Ninia. Il me scrute en silence, les bras croisés, avec un sourire aux lèvres. Je l'ignore puis ouvre la porte à ma meilleure amie, en l'invitant à descendre de la voiture. Une fois descendu, je referme la portière derrière sans qu'elle ait le temps de réagir.
            — Reste là, soupiré-je d'un ton sec avec une touche de défi dans la voix.
            — T'es... différente quand tu conduis, réplique-t-elle, dubitative et perplexe.
            — Juste pour aujourd'hui... je vais m'amuser, rétorqué-je avec un sourire en coin.
            Je vois son regard se durcir, mais je me concentre déjà sur la route devant moi.
            —Aujourd'hui, c'est moi qui prends le contrôle.—
            Le moteur rugit une fois de plus lorsque je prends de la vitesse. Mes mains s'agrippent fermement au volant. Chacun de mes muscles se tend sous l'anticipation. La route passe rapidement sous mes roues, et j'accélère avant de me diriger tout droit vers le terrain de drift où le sol est idéal pour ce que j'ai envie de faire.. Chaque tournant devient une invitation et chaque dérapage un défi dangereux. Je me sens légère et fluide, mais également pleine de puissance. Peut-être que c'est dû à l'adrénaline qui commence à circuler dans mes veines à nouveau.
            — C'est toi. Toi qui contrôles ce jeu. Pas eux.— 
            T'as raison.
            Le premier virage se profile à l'horizon. Je fais déraper la voiture dans un drift en réalisant un virage à 180 degrés. Les pneus crissent, et l'odeur du caoutchouc brûlé inonde l'air à travers la fenêtre. L'adrénaline m'engouffre comme une décharge. Mes bras bougent instinctivement sur le volant et la voiture réagit avec précision, comme une partenaire qui anticipe chacun de mes gestes.
            —Ne réfléchis pas. Fais-le.—
            Je serre fermement le volant, le moteur rugit sous mes pieds sous un coup d'accélérateur. Je tourne le volant, faisant pivoter brusquement la voiture sur elle-même en effectuant un 360 ° parfait. Le sol vibre sous mes pieds lorsque je prends le virage avant de poursuivre ma route, en osant davantage de figures.
            Un sourire s'esquisse sur mes lèvres, presque naturellement.
            La voiture glisse à nouveau, pendant que je fais hurler les pneus. Chaque seconde ici me rappelle que c'est dans ce genre de situations que je me sens véritablement vivante. C'est au cœur de cette frénésie et de cette rapidité que je me découvre vraiment.
            Dans le rétroviseur, je peux apercevoir Ninia, complètement figée, les yeux grands ouverts en m'observant.
            Tout ça, c'est moi, Ninia... Sauvage et indomptable...
            Pas cette foutue poupée fragile que tu t'imagines.

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