Les mots flottent dans l'air. Je peux presque sentir un frisson passer sur leurs visages. Le Bluff. C'est exactement ce que je veux. Un jeu auquel la vérité est une denrée précieuse, où chacun devra se dévoiler ou essayer de se cacher selon son talent. Carry, fronce les sourcils tout en laissant un sourire se dessiner lentement sur ses lèvres.
— Liars, hein ? rit-elle, d'une manière platonique, avant de se pencher un peu plus près sur la table.
Roy reste silencieux, mais je peux voir dans ses yeux que le jeu l'intéresse. Il est moins démonstratif que Carry, mais tout dans sa nouvelle posture l'atteste. Tiago, lui, garde son petit sourire amusé, comme s'il voulait déterminer si je suis sérieuse ou si je fais juste semblant. Pour ma part, je les scrute attentivement, chaque geste, chaque micro-mouvement, à la recherche de ce petit indice qui trahit une pensée, une intention cachée. Mais, rien. Alors, je lance les cartes, chacune tombant sur la table dans un bruit sec et satisfaisant.
— Vous êtes prêts ?
Je laisse la question suspendue en les fixant un par un. Leurs regards sont différents, mais tous captés par l'instant. Mon patron semble diverti par cette tournure des événements. Peut-être qu'il me sous-estime. Peut-être qu'il me voit juste comme une gamine fragile. Mais je vais lui prouver qu'il se trompe.
— On joue ?
Je les défie, même dans ma façon de parler. Pas de demi-mesure. On joue avec ce qu'on a, on risque tout ou on n'y va pas du tout. Carry sourit un peu plus largement, son regard brillant d'excitation.
— Oh, j'aime bien ça. T'as l'air d'une vraie casse-cou, toi.
Elle attrape sa carte et la place face cachée sur la table. Elle joue avec confiance, mais je note une légère tension dans la façon dont elle la dépose. On est tous là à jouer serré, même si on fait semblant de rien. Les cartes sont posées. Les gestes deviennent de plus en plus mesurés, et l'atmosphère autour de la table s'épaissit de tension. Chaque mouvement devient une petite déclaration de guerre entre nous. Une bataille silencieuse pour déterminer qui cédera le premier. Tiago me fixe, les yeux rivés sur moi. Il veut savoir jusqu'où je vais aller. Mais ce qu'il ignore, c'est que je n'ai aucune intention de craquer. Parce que ce jeu, je le contrôle, et je vais leur prouver qu'ils m'ont sous-estimé.
Je garde les yeux rivés sur les cartes que je tiens entre mes doigts. J'ai toujours adoré ce genre de jeu. Ce n'est pas juste un jeu de cartes, c'est un test de psychologie, et je sais que je suis meilleure que la plupart à ce jeu-là. Carry, toujours aussi vivace, est la première à briser le silence.
— Allez, Ely. Tu vas vraiment me dire que tu vas jouer sans un seul mensonge, hein ?
Elle croit vraiment que je vais flancher.. ?
Un sourire amusé se dessine sur mes lèvres.
— Tu me sous-estimes, Carry. rétorqué-je en lançant mes cartes face cachée sur la table : Deux rois.
— Vraiment ? rétorque Tiago en haussant un sourcil : Tu paries gros, Ely.
Je le fixe droit dans les yeux, ne laissant rien transparaître de mes pensées.
— Je fais ce que je veux. T'as peur ?
— Deux rois ? Ça peut le faire en vrai.., murmure Carry en se penchant légèrement pour observer mes cartes. Elle hésite une fraction de seconde, mais finit par déposer une carte sur la table à la place, son sourire toujours présent : Alors, je vais poser un as.
Je jette un regard furtif à Roy qui est toujours aussi calme, il n'a toujours pas prononcé un mot depuis le début de la partie. Son attention est entièrement concentrée sur ses cartes. Mais ses yeux... Ses yeux ne me lâchent pas. Je dépose mes cartes sur la table avec une lenteur délibérée.
— Deux Queen.
Je plonge mon regard dans le sien, avec une intensité mesurée. Le jeu est lancé. Ils savent maintenant que je ne joue pas pour perdre. Un silence lourd tombe sur la table. Il ne dure que quelques secondes, mais il est suffisant pour que la tension se resserre. Carry se mord la lèvre, mais je vois bien que son regard ne ment pas. Elle est piégée, même si elle ne le montre pas. Elle essaie de garder une façade, mais son masque commence à craquer. Tiago, de son côté, m'observe avec un sourire amusé, mais son regard n'a rien d'insouciant.
— On dirait que tu mènes la danse,
— Je joue simplement.
La soirée prend une nouvelle tournure, quand la porte du bar s'ouvre à nouveau. Je n'ai même pas besoin de tourner la tête pour savoir qui entre. C'est lui. Il avance avec cette assurance tranquille, un calme qu'il porte comme une armure. À ses côtés, une blonde s'approche de lui et se colle immédiatement à son bras. Leur proximité ne laisse aucune place au doute. Deaven prend un moment pour observer la scène, mais je sens son regard se poser sur moi pendant qu'il s'assoit sans un mot, son regard balayant brièvement la table avant de se fixer sur moi plus longuement.
La femme à ses côtés ne perd pas une seconde et passe son bras autour de lui. Style "Je marque mon territoire." Elle se tourne ensuite en affichant un léger sourire séducteur lorsqu'elle jette un regard en coin aux groupes. Je n'ai pas le temps de me concentrer sur elle. Je me replonge dans le jeu, mais une petite part de moi, malgré tout, ne peut s'empêcher de ressentir l'intensité de sa présence qui vient de s'ajouter. Tiago semble soudainement plus à l'aise. Comme si la présence du tatoué consolidait son autorité.
Je fais de mon mieux pour me concentrer sur les cartes au fur et à mesure que le jeu progresse. Les cartes sont de nouveau distribuées, et tous attendent que je fasse le premier jet. Je redresse légèrement mon dos, mes yeux se posent sur les cartes, alors qu'un sourire en coin s'étire sur mes lèvres. Mes doigts glissent sur le haut des cartes, mon corps décontracté, mais mon esprit en alerte.
Je jette un coup d'œil à Roy. Aucun de ses gestes ne m'échappe. Il reste calme, trop calme. Et c'est là que je la vois.. l'hésitation. Elle est à peine perceptible, parce qu'il essaie de dissimuler ses mouvements, mais moi, je capte tout. Surtout ses micro-expressions, ses soupirs réprimés avant qu'il ne dépose sa carte sur la table.
— Deux Roi,
— Tu mens, rétorqué-je.
Je n'ai même pas besoin de le regarder pour savoir qu'il va flancher. Je m'affale dans ma chaise en l'observant avec une attention particulière.. Je sais exactement ce qu'il ressent. Cette petite étincelle de panique dans ses yeux, à peine visible, est bien là. Alors, j'attends. Je laisse mon doigt tourner sur le rebord du verre, mes yeux fixés sur la surface liquide qui se divise en cercles concentriques. Il prend un moment avant de retourner sa carte, son visage se figeant. Il sait qu'il vient de se faire prendre.
— Bien joué. T'avais raison de parier sur toi, articule Tiago dans un éclat de rire avant de me lancer un regard respectueux.
Carry, elle aussi, éclate de rire.
— Eh bien, t'a maîtrisé le truc.
Je me contente de sourire sans répondre avant d'attraper l'argent sur la table. Jouer... c'est un peu ça. Peu de mots, beaucoup d'intuition, mais surtout une maîtrise de soi à toute épreuve. Je ne suis pas du genre à me vanter, mais je sais quand je suis meilleure que les autres. Et là, c'était mon moment.
Le temps de poser mes cartes, et je suis déjà de retour dans ma position confortable. L'atmosphère autour de la table a changé, mais pas pour moi. Moi, je me suis amusée et j'ai gagné, c'est tout ce qui compte.
**
Les autres continuent de discuter, mais moi, mon esprit est déjà ailleurs. Deaven, toujours aussi silencieux, reste là, les yeux plantés sur moi depuis une demi-heure. Et malgré mes efforts pour me concentrer, son regard me brûle toujours. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il attend quelque chose de moi. Que tout ce jeu, ce bar, ne sont qu'un voile, un stratagème, une danse silencieuse où ni l'un ni l'autre ne nous dévoilons jamais complètement.
Quand je redresse la tête, son regard m'échappe presque aussi vite qu'il m'a trouvée en détournant les yeux. Je soupire agacée, puis me laisse emporter un instant par le souvenir de sa chaleur contre moi. Mais, je ne dois pas me perdre dans ça. Alors, je prends une grande inspiration, puis laisse cette sensation disparaitre. Et ça, même si elle demeure encore dans mes veines.
Quand je redresse à nouveau les yeux, un frisson de dégout m'envahit, déclenchant une émotion intense dans mon bas ventre. La blonde se rapproche de lui, telle une silhouette beaucoup familière. Ses doigts manucurés glissent lentement sur son épaule, pendant que ses lèvres siliconées effleurent son cou. Je sens une brûlure s'installer dans ma poitrine, mes entrailles se tordre. C'est lourd, c'est amer et suffocant. Sans même comprendre pourquoi, une vague de colère gronde sans raison apparente dans mon crâne. J'essaie de l'ignorer, mais la sensation dans mes veines, me pousse à la ressentir.
La jalousie.
—Ne ressens rien... Tu ne dois pas.—
Mais elle monte, lentement, sinueusement, dans mes veines.. s'y infiltrant comme un poisson lent. Mes yeux plongent dans son regard, un regard que je connais trop bien. Je ne devrais pas... Je me corrige mentalement, mais rien ne change. Je sais que mon regard s'est certainement assombri tel une ombre prête à engloutir tout ce qui se trouve autour de moi. Mais, je ne dois pas.. alors je croise les jambes, puis me penche en arrière avant de croiser les bras sur ma poitrine. Juste de quoi essayer de maîtriser l'envie qui gronde en moi.
Trop tard.
Je vais exploser, cette putain...
Le regard que je pose sur Deaven ne lui échappe pas. Il capte la lueur dans mes yeux, cette étincelle qui trahit tout. Il le sait, et j'ai l'impression qu'il en prend un malin plaisir vu le sourire fugace qui se dessine sur ses lèvres. Je ne le lâche pas du regard. Je le fusille presque lorsque sa main effleure la nuque de la blonde, pour la coller un peu plus à lui. C'est une provocation évidente et cruelle qui résonne en moi comme une gifle. Il n'a pas besoin de la toucher ainsi, pas devant moi. Mais il le fait, sans la moindre hésitation, comme pour me tester, comme si cette scène n'avait aucune importance. Mais moi, je bouillonne. Je reste là, incapable de détourner le regard, même si chaque fibre de mon être hurle de le faire. Je sens mon regard devenir plus sombre, plus menaçant. Et cette femme le capte instantanément, elle aussi. Elle s'arrête dans son geste puis me fixe de manière provocante.
Je dois rester forte.
Je suis plus forte que ça...
Quelque chose dans la façon dont il la regarde me dérange, et le frappe d'un coup direct dans la poitrine. C'est cette combinaison de domination et d'indifférence qu'il dégage, comme s'il savait que ça m'atteint, mais qu'il s'en foutait.
C'est peut-être exactement ce qu'il veut.
Alors, je le fusille du regard. Mes yeux aussi noirs que la colère qui brouillonne. Je sais que ce n'est pas juste de la frustration. Non, c'est bien plus que ça. C'est de la rage.
Tu penses pouvoir jouer avec moi sans conséquences ?
Tu n'as strictement aucune idée de ce que tu fais, ni du jeu dans lequel tu t'embarques.
Mais.. Je vais te le faire savoir..
Un sourire à peine perceptible se dessine sur mes lèvres. Je pose mon verre sur la table d'un geste lent. Puis, avec une légèreté provocante, je me redresse en balançant mes hanches avec cette assurance tranquille et sans la moindre hésitation.
Si je ne peux pas te tuer, chéri, je peux te tourmenter intérieurement.
Je m'éloigne de la table, mes doigts effleurant ceux de ma meilleure amie alors qu'une étincelle de provocation brille dans mes yeux.
— J'ai trouvé un nouveau jeu auquel jouer.
Pas besoin d'en dire plus. L'air est chargé de promesses. Je me fonds dans la foule, emportée par la chaleur et l'énergie qui vibre. Après quelques pas, je repère ce que je cherchais. Un brun bien bâti avec une silhouette imposante. Il capte mon regard avant même que j'aie eu le temps de le fixer. Nos regards se croisent et je comprends. Il n'est pas du genre à passer inaperçu.
Je m'approche, mes hanches dansant avec une fluidité qui me surprend moi-même. Il me scrute, me dévisage. Mais son regard devient rapidement enflammé en s'accrochant au mien. Je me colle à lui sans l'ombre d'une hésitation. Nos corps se touchent, se frôlent, et je ressens la chaleur de sa peau contre la mienne.
— T'es pas mal, murmuré-je de ma voix intime, juste assez pour que son regard se fasse plus perçant.
Mes bras glissent autour de son cou avec une provocation assumée. J'étudie mes mouvements, mes hanches suivant la cadence de son corps avec une maîtrise que je connais bien. Je ferme un moment les yeux, me perdant dans le contact de son corps contre le mien. Je sais. C'est un jeu de pouvoir subtil, une manière de lui montrer que je ne suis pas là pour être vue de loin, mais pour captiver et dominer.
Quand je l'entends rire d'un son rauque et bas en arrière-plan. Je souris, puis sans hâte, mais avec une intention bien précise. Je fais glisser ma main le long de sa nuque, frôlant la chaleur de sa peau sous mes doigts, avant de la placer fermement derrière son cou. Une fois ancrée, je tire doucement sa nuque vers l'avant. Juste assez pour l'attirer vers moi, et écraser mes lèvres contre les siennes.
Regarde bien ce que tu rates, enfoiré.
Le contact est de trop, mais j'aime la manière dont il fait réagir mon corps. La chaleur de sa bouche contre la mienne, la pression qu'il met sans savoir qu'il n'a pas le contrôle, c'est exactement ce que je cherche. Son corps se tend sous mes gestes. Je suis là, dans cet instant précis, me perdant dans ce baiser qui semble durer une éternité, mais qui ne l'est pas. Chaque fibre de son corps répond à l'appel silencieux de mes gestes. Et lorsque des rires, des bribes de conversation se frayent un chemin jusque dans mes oreilles, je me détache.
— Alors, on se lâche un peu, hein ? rétorque Tiago de loin,
Je ne réponds pas. Mes yeux restent fixés sur l'inconnu. Sur son corps qui se laisse emporter par le rythme de la musique.
Le groupe se prépare à se mêler à l'ambiance du bar, mais je m'en fiche. Fin, je m'en fichais jusqu'à maintenant. Je le sens. Ce regard. Ce regard chargé de colère qui se fraye un chemin droit jusqu'à moi. Il me traverse comme un éclair et me fait frissonner, mais ce n'est pas de la peur. Non, c'est bien plus viscéral, bien plus profond. C'est un désir étrange et brûlant, une réaction que je ne peux ignorer.
Un sourire s'étire sur mes lèvres alors qu'il me regarde, et bon dieu, ça m'amuse.
Tu pensais pouvoir me mettre en colère sans que je réagisse, hein ?
Regarde bien..
J'intensifie à nouveau le baiser avec l'inconnu. Juste parce que, je veux qu'il voie chaque mouvement se tisser entre ses pensées et les miennes. Qu'il regrette.
Tu me pousses à ça, Deaven.
Et tu n'as aucune idée à quel point tu vas le regretter.
Je recule de nouveau en mordillant la lèvre inférieure de l'inconnu avec une lenteur exagérée. Je saisis ensuite sa main de la mienne avec une force inattendue.
— On se casse.. ?
Il ne proteste pas et son regard brûlant reste fixé sur moi, sans un mot. Il me suit alors que nous nous éloignons du bruit, de la foule, de ce moment devenu trop étouffant.
Je sais que c'est dangereux, mais c'est un danger qui me plaît.
Arrivée dehors, l'air frais me frappe, mais je ne le ressens pas vraiment. Tout ce que je suis capable de percevoir, c'est l'adrénaline qui circule dans mes veines, alimentée par le regard de colère et par ce besoin pressant de lui prouver ma valeur. L'inconnu reste tout près de moi, ses mains glissant sur mes hanches avant de me pousser contre le mur. Ses lèvres retrouvent les miennes avec une urgence que je n'avais pas anticipée. C'est un baiser brûlant, imprégné d'une passion dévorante, que je ne désire pas. Mais que j'ai provoqué.. Quand je le sens insister un peu et que ses mains cherchant à m'enlacer plus fort, je le repousse de mes mains posées sur son torse.
— Tu me fais tourner la tête, murmure-t-il contre mes lèvres, avant de m'embrasser à nouveau, cette fois avec une force démesurée et non proportionnelle.
Sûrement l'alcool..
Je tente à nouveau de le repousser, mes mains posées fermement sur son torse, mais c'est inutile. Il ne cède pas et sa prise sur moi ne faiblit pas.
Tiens le coup, encore une minute..Tu vomiras après..
Je frémis, mais au fond de moi, c'est un autre feu qui brûle.
Celui de la confrontation avec Deaven.