Lendemain,
La journée passe dans une sorte de flou, un entre-deux où mes pensées sont aussi dispersées que les rayons de soleil qui filtrent à travers les rideaux. Ninia a décidé qu'il était hors de question que je me perde dans mes angoisses, alors elle me traîne un peu partout, de magasins en cafés, m'offrant des sourires et des éclats de rire à chaque coin de rue. Mais même si j'essaie de me laisser emporter par sa joie, rien ne dissipe le poids qui pèse sur ma poitrine. Chaque instant est imprégné de cette angoisse invisible, comme si cette présence persistait à me suivre.
Pense à autre chose..
On s'installe finalement dans un petit bistro familier où l'ambiance est apaisante. Elle commande un cappuccino, et moi un chocolat chaud, une boisson qui, malgré mon âge, reste un refuge sucré et réconfortant. Et puis merde, il n'y a vraiment pas d'âge pour un chocolat chaud !
— Tu cogites, non ? me lance-t-elle en plissant les yeux vers moi.
Je prends une gorgée lente, laissant la chaleur glisser dans ma gorge, espérant qu'elle dissimule le tumulte qui agite mon esprit.
— Non... rétorqué-je un peu trop vite. Juste... un peu fatiguée.
Elle arque un sourcil, l'air sceptique, mais ne pousse pas plus loin et reprend la conversation. Chaque éclat de son rire semble s'effacer avant de m'atteindre, comme si une barrière invisible me maintenait à distance de ce moment, me retenant dans un espace où les ombres murmurent et le poids du jour refuse de s'effacer.
— Tu m'écoutes ? demande-t-elle en me coupant de mes pensées.
— Bien sûr, t'inquiète. répliqué-je avec un léger sourire, peut-être trop artificiel pour être réel.
Les mots sortent, mais même moi je n'y crois pas. Ce sourire ? Un masque. Un rôle que je tiens depuis trop longtemps, sans savoir si un jour je pourrai redevenir moi-même de manière entière.
Mais... Qu'est-ce que ça signifie vraiment être moi ?
**
Nous quittons l'appartement après quelques heures de tranquillité. L'air nocturne est légèrement frais ce soir, et cela n'atténue en rien la pression qui pèse sur ma poitrine et mes épaules. À chaque pas, le bruit de nos talons sur les pavés accompagne le tumulte qui résonne dans mon esprit.
Le club n'est plus qu'à quelques rues de nous et les lumières des néons se rapprochent... Le club se dresse devant nous et la musique pulse à travers mes veines, les basses résonnent dans mon cœur à chaque battement.
C'est censé être excitant, non ?
Pourtant, tout ce que je ressens, c'est ce malaise grandissant, cette pression qui m'étouffe. J'essaie de sourire, de faire semblant, de m'amuser. Mais au fond de moi, tout crie de fuir, parce que je le sens avant même de le voir. Il n'a même pas besoin de bouger pour que je le ressente. C'est comme une caresse glacée, une emprise qui me fige sur place.
Mes gestes, eux, deviennent plus lents, ma respiration plus difficile pendant que je danse. Mais je me force à bouger, à danser, bien que chaque mouvement paraisse mécanique, comme si mon corps agissait de lui-même sans mon autorisation.
Pourquoi il me regarde comme ça ?
Je secoue la tête, tentant de chasser cette pensée qui revient plus fort à chaque fois. Mais son regard continue de suivre chacun de mes mouvements, chacun de mes gestes. J'ai l'impression qu'un piège que je refuse peut-être de voir se referme autour de moi.
J'essaye de m'efforcer à garder la tête haute, à continuer à danser. Mais il est là comme un serpent qui guette sa proie.. peut-être en attendant le bon moment pour m'attraper.
— Qu'est-ce qu'il veut, ce con ? —
Je déglutis en avalant ma salive, ma gorge, elle, se contracte douloureusement à chaque tentative de garder une contenance. Chaque sensation, chaque rotation, chaque mouvement censé me libérer deviennent des cordes invisibles prêtes à m'étrangler un peu plus.
J'ai besoin d'air..
Mon regard se porte rapidement vers Ninia. Cette dernière danse, rit à côté de moi comme s'il n'y avait rien. Elle est complètement absorbée dans sa propre bulle. Mais moi... moi, je suis là, piégée.
Les gens autour de moi continuent de bouger, de se perdre dans la foule et la folie, mais moi, je me sens de plus en plus irritée. Il est partout, il me touche sans me toucher, c'est une sorte d'emprise silencieuse qui me révulse...
Je ferme les yeux un instant, puis j'expire, inspire, expire... Mais même cette alternative est devenue inutile. Je suis prisonnière de ce regard, de cette situation. Je veux fuir, trouver un espace où je pourrais respirer en étant seule, mais chaque pas me ramène vers lui.
C'est un putain de poison..
La soirée, elle, continue de s'étirer comme un film où chaque scène devient de plus en plus floue. Je jette un regard furtif à travers la foule et, là, je le vois. Là, dans l'ombre de la lumière vacillante des néons, il me fixe, encore. Et encore.
Ce n'est pas la première fois, je le sais. Mais ce regard, il est différent ce soir. Comme une promesse silencieuse remplie d'une menace subtile. Je le sens comme une pression contre ma poitrine, comme si mon cœur battait plus vite, non à cause de la danse, mais à cause de lui.
Je me détourne rapidement, un sourire figé sur le visage.
— Plutôt sympa comme soirée, non ? lancé-je à ma meilleure amie en feignant l'enthousiasme que je n'ai pas.
— Ouais ! Je m'éclate ! rigole-t-elle. D'ailleurs, en parlant d'éclater, j'ai vu un petit blond là-bas.
— Oh, ok, ouais, j'ai capté ! Tu devrais y aller.
— Ouais, t'as raison ! J'y vais ! rétorque-t-elle avant de disparaître dans la foule.
Je soupire, complètement désespérée, et ferme les yeux tout en continuant de danser sans me soucier de ce qui se passe autour de moi.
— Un poisson dans un aquarium.. Sérieusement.. fuis, abrutie ! —
J'essaie d'ignorer cette voix, mais je la ressens à nouveau. Elle m'accompagne dans chacun de mes mouvements, telle une ombre invisible, un fardeau qui alourdit chacun de mes gestes. Mon cœur s'accélère et chaque seconde semble me peser un peu plus.
Putain, qu'est-ce qu'il veut, ce type ?
— Pars !—
Je veux ! Mais je peux pas !
Je me sens enfermée, prise au piège dans ce rôle que je joue, dans cette farce où je feins de m'amuser, de me laisser emporter par la musique et les lumières. Ce que je désire vraiment, c'est m'évader. Me dissimuler. Échapper à cette pression, à cette chaleur étouffante qui rend tout ici trop lourd, trop oppressant.
— Tu dois sortir d'ici. —
Je ferme fortement les yeux avec enthousiasme, mais ça ne change rien. Puis, mes pieds finissent par se décider à avancer. Je file rapidement vers les vestiaires, mes pas sont plus rapides que je ne l'avais anticipé. La foule paraît de plus en plus dense, chaque personne qui frôle ma route, chaque éclat de rire et chaque bruit me font sursauter.
— Vas-y, sors de là ! —
Je fais un dernier tour d'horizon. Les lumières clignotent, les corps se frôlent, les regards se croisent, mais je n'ai pas le temps de m'attarder.
Il faut que je parte. Maintenant. Parce que cette soirée... elle va me faire sombrer si je reste une seconde de plus.
Je m'élance enfin vers les vestiaires, poussant la porte avec force. . . L'odeur de parfum me frappe immédiatement comme une délivrance. Mais même ici, une partie de moi reste prisonnière, coincée dans cet univers où tout semble flou et déformé.
— Tu t'es bien amusée, hein Ely ?—
La voix s'incruste à nouveau dans ma tête de manière ironique et désinvolte. Mais cette fois, je n'ai même pas le temps de lui répondre, car mes pensées sont brusquement interrompues.
Je le sens... Il m'a suivi.
Mon cœur bat la chamade, et j'en suis certaine... Pourtant, je n'arrive pas à me retourner pour voir. Pour vérifier. Alors, d'un geste maladroit, je fais un pas en arrière, juste un instant avant de croiser son regard...
Son regard... vairon me transperce, tel un projectile tiré à bout portant. Je ressens la chaleur se répandre dans mes veines, mais ce n'est pas simplement de la chaleur ; c'est un mélange de frissons et d'une peur irrationnelle. J'ai l'impression qu'il sait, qu'il peut lire mes pensées, ou même pire..
Et puis, il avance lentement vers moi, avec une assurance troublante. Mon corps se crispe automatiquement tandis que mon corps tout entier, lui, se tend sur place. Je devrais fuir, m'éloigner de lui, mais mes jambes sont complètement paralysées... Une partie de moi veut se sauver, mais l'autre... l'autre semble savourer cette tension, cette fascination.
Il me captive et, bordel, c'est si déstabilisant.
Il s'arrête juste devant moi, et soudainement tout autour de nous disparaît. La musique, les rires, les voix... tout devient flou. Tout ce qui existe à cet instant, c'est lui. Lui, et son regard, à la fois rassurant et dangereux. Et cette question, cette putain de question qui tourbillonne dans ma tête.
Pourquoi suis-je attirée par lui ?
— « Holà nena... » s'élève sa voix, douce comme du velours telle une caresse et une menace à la fois.
Ma respiration se coupe, et je peine à retrouver un souffle normal.
Ma chérie.. ?
Son regard, d'une intensité croissante, m'atteint pendant qu'il se rapproche.
Non, non, je ne peux pas. Je ne dois pas !
Mais mes lèvres se serrent et mes pensées se troublent. Ses doigts caressent lentement, doucement, ma mâchoire, laissant mon esprit à la fois choqué et captivé. Il relève doucement mon visage vers lui pour m'obliger à croiser son regard. J'halète et entrouvre mes lèvres, comme si j'avais besoin d'air pour respirer à nouveau. Son visage se rapproche du mien dangereusement.. et je sens mon âme vaciller quand se dernier s'incline encore plus en frôlant ses lèvres aux miennes.
Le monde semble s'arrêter sur cet instant précis... avant qu'il ne recule brusquement avant que nos bouches ne se touchent.
Le vide.
Je me sens comme une bombe à retardement. Ma respiration se coupe, laissant mes pensées en éruption.
Qu'est-ce qu'il... ?
Son pouce effleure mes lèvres sensuellement, déclenchant un incendie en moi, un feu dont je ne soupçonnais même pas l'existence. La frustration monte en moi, prenant la forme d'un désir brûlant et d'inachevé.
Pourquoi il recule maintenant ?
Cette situation me rend soudainement furieuse. C'est encore pire que ça. Il m'a laissée là, suspendue et sans réponse.
— Qu'est-ce que tu fais ? demandé-je d'une voix tremblante mêlée d'exaspération.
Je veux plus, et j'en suis parfaitement consciente et inconsciente !
Quel contraste, bordel..
Chaque mouvement m'attire davantage vers lui, mes pas incertains, mais emportés par cette force intérieure.
— Pourquoi tu fais ça, si tu n'as pas l'intention d'aller jusqu'au bout ?
Il sourit. Ce putain de sourire... Un sourire qui me coupe le souffle. Ce connard.. Il prend un malin plaisir à ma frustration, à mon impatience. Alors que moi, je tombe dans le piège comme une—
— Imbécile...—
Mon cœur bat plus fort. Je suis en colère, mais tout aussi... captivée. Je ne peux pas me détourner, je ne peux pas lui échapper. Il est là, avec son sourire amusé, ses yeux sombres, et je suis... je suis clairement sa marionnette. Je me retiens de l'insulter, ou peut-être de le faire, mais je me ravise quand il se penche un peu plus près de nouveau. Ses yeux perçants scrutent mon âme comme s'il cherchait une fissure.
— Parce que je le peux. Parce que je le veux.
Ses mots me frappent comme un coup de poignard. Puis, sans prévenir, il se détourne et s'éloigne, avant de disparaître.
Je me retrouve seule dans le vestiaire, avec un arrière-goût amer sur les lèvres et mes émotions dans tous les sens. Avec un besoin profond de saisir ce qui vient de se dérouler, tout en ressentant une peur intense face à ce qui pourrait arriver par la suite.
Pourquoi est-ce que je ressens ce besoin absurde d'avoir des réponses ?
Un besoin qu'il n'a même pas pris la peine de m'offrir !
Je ferme les yeux un instant, tentant de calmer le tumulte en moi. Mais non, ça ne passe pas. Ses lèvres, si proches, si inaccessibles, continuent de me hanter.
C'est ridicule ?
Je le déteste pour ça, mais pourquoi il doit ressembler à un putain de fantasme ??!
Un soupir s'échappe de mes lèvres frustrées alors que je me dirige vers mon reflet dans le miroir. Mon visage est marqué par la chaleur de la soirée et les frissons d'une tension que je n'arrive pas à dissiper. Mes joues sont rosies, mon regard perturbé.
—Tu vois, t'as pas le droit de t'attacher. —
Cette voix me traverse l'esprit, comme une piqûre. Et pourtant... Faut pas que je craque. Faut pas. Mais putain, pourquoi il m'obsède comme ça ? C'est un jeu risqué, mais cette petite voix me murmure que nos chemins se rencontreront encore. Et cette fois, je suis déterminé à me venger de cette enfoirée ! Je le jure !
Lorsque la porte des vestiaires s'ouvre brusquement à nouveau, un frisson me parcourt. Mon cœur s'arrête pendant un instant, ou peut-être deux, avant que Ninia ne rentre d'un air insouciant, un sourire accroché à ses lèvres.
— Tu te cachais ou quoi ? Je t'ai cherché partout ! me lance-t-elle, ses yeux curieux croisant mon reflet.
Je tente un sourire, mais même moi je sais qu'il est trop faible pour être convaincant, alors je m'efforce de détourner le regard.
— J-Je suis là depuis eum.. Cinq minutes ?
Elle s'arrête à mes côtés, croise les bras et lève légèrement un sourcil. Typiquement elle. Toujours prête à déchiffrer mes pensées. Elle me connaît si bien que je ne peux pas lui faire croire, ne serait-ce qu'un instant, que tout va bien.
— T'as l'air ailleurs. Sérieusement, y'a quoi ? insiste-t-elle,
Je secoue la tête, comme si ce simple mouvement allait effacer tout ce qui m'agite.
— Rien. Juste... fatiguée. lancé-je dans une réplique qui ne me convainc même pas moi-même.
— Si tu le dis. Mais dépêche-toi, sinon je te laisse ici. rétorque-t-elle en haussant les épaules.
Et, avec un dernier regard insistant, elle disparaît à travers la porte, me laissant seule avec le tumulte qui bouillonne à l'intérieur de moi. Je ferme les yeux en m'appuyant contre le lavabo. Mon cœur battant encore trop fort dans ma poitrine alors que tout autour de moi déraille complètement en m'emportant dans un sentiment d'angoisse.
Pourquoi il m'a laissée comme ça ?
Et putain, c'est qui ?
Je peste entre mes dents avant de me diriger vers la sortie du vestiaire où elle m'attend, impatiente et amusée.
— T'as pris ton temps, sérieusement. T'étais en train de faire une sieste là-dedans ? me lance-t-elle avec un sourire moqueur.
Je lève les yeux au ciel, mais je ne peux pas ignorer l'agacement qui me serre encore.
— J'avais besoin d'un moment. Tout le monde n'a pas ton énergie.
— Allez, Miss Fatiguée, je te ramène. On ne va pas te laisser traîner comme ça. rit-elle avant de me pousser par l'épaule vers la sortie.
Une fois à l'extérieur, la fraîcheur de la brise me procure un peu de répit face à la chaleur de mon agitation. J'entends sa voix qui ne cesse de me parler, mais je peine à me concentrer sur ses paroles, tant mes pensées sont entièrement accaparées par autre chose...
Il m'a laissée avec un goût de trop peu.
Quand on arrive devant mon immeuble, je me tourne vers elle avec un sourire fatigué.
— Merci, t'es la meilleure. dis-je sincèrement.
Elle hausse les épaules, feignant l'indifférence.
— Je sais. soupire-t-elle, avant d'ajouter : Maintenant, va te reposer et arrête de trop cogiter.
Je la regarde s'éloigner, avant de monter les marches jusqu'à mon appartement avant d'y entrer. À l'intérieur, je dépose rapidement mon sac, puis me débarrasse de mes chaussures en m'aidant du chambranle de porte avant de me diriger vers la cuisine, comme un automatisme. Puis j'ouvre le frigo dans mouvement las.
— Rien n'aura de goût ce soir. soupiré-je en laissant l'ennui s'installer dans mon ventre.
Je m'éloigne en le refermant, puis finis par m'étendre sur mon lit. Les draps sont glacés, tout comme moi, mais ça ne me rassure pas.
Il est là..dans ma tête.
Ses yeux, son souffle, son regard vairon..
Je me tourne, encore et encore, tout en cherchant à fuir l'obsession qui me dévore. Mais rien n'y fait. Alors, je grogne d'exaspération avant de fermer les yeux pour de bon avant de me laisser emporter par la fatigue qui me rattrape enfin.